4Raccourci aux champignons










Le lendemain matin, Frodo se réveilla frais et dispos. Il reposait sous une charmille formée par un arbre vivant, aux branches entrelacées qui traînaient jusqu’à terre ; son lit épais et moelleux était composé de fougères et d’herbes, et libérait un étrange parfum. Le soleil brillait à travers les feuilles frémissantes, encore vertes sur l’arbre. Il se leva d’un bond et sortit.

Sam était assis dans l’herbe à l’orée du bois. Pippin se tenait debout, observant le ciel et le temps qu’il faisait. Il n’y avait aucune trace des Elfes.

« Ils nous ont laissé des fruits et du pain, et des boissons, dit Pippin. Viens donc prendre ton petit déjeuner. Le pain est presque aussi bon qu’hier soir. Je ne voulais pas t’en laisser, mais Sam a insisté. »

Frodo s’assit auprès de Sam et commença à manger. « Quel est le programme pour aujourd’hui ? » demanda Pippin.

« Nous rendre à Fertébouc le plus vite possible », répondit Frodo, reportant aussitôt son attention sur la nourriture.

« Crois-tu qu’on va revoir ces Cavaliers ? » demanda Pippin avec entrain. Sous le soleil du matin, la perspective d’en rencontrer toute une armée ne lui semblait pas très effrayante.

« Oui, probablement, dit Frodo, qui aurait préféré ne pas se souvenir. Mais j’espère pouvoir franchir le fleuve sans qu’ils nous aperçoivent. »

« As-tu pu tirer quelque chose de Gildor à leur sujet ? »

« Pas vraiment ; seulement des sous-entendus et des énigmes », dit Frodo de manière évasive.

« Tu lui as demandé, pour les reniflements ? »

« On n’en a pas parlé », répondit Frodo la bouche pleine.

« Vous auriez dû. Je suis bien certain que c’est très important. »

« Si c’était le cas, je suis bien certain que Gildor aurait refusé d’en parler, dit Frodo avec brusquerie. Maintenant, laisse-moi un peu la paix ! Je ne veux pas être assailli d’une série de questions pendant que je mange. Je veux penser un peu ! »

« Juste ciel ! fit Pippin. Au petit déjeuner ? » Il s’éloigna vers le bord de la pelouse.

Dans l’esprit de Frodo, le clair matin – dangereusement clair, se disait-il – n’avait pas chassé la crainte d’être poursuivi. Il méditait les paroles de Gildor, quand la voix enjouée de Pippin lui parvint. Celui-ci courait sur l’herbe en chantant.

« Non ! Je ne pourrais pas ! se dit-il. C’est une chose que d’emmener mes jeunes amis se promener à travers le Comté, jusqu’à ce que nous soyons fatigués et affamés, et que lit et nourriture nous soient doux. Mais les forcer à l’exil, où la fatigue et la faim sont peut-être sans remède, c’est tout autre chose – même s’ils sont disposés à m’accompagner. Cet héritage n’appartient qu’à moi. Je ne pense pas que je devrais même emmener Sam. » Il tourna la tête vers Sam Gamgie et se rendit compte que Sam l’observait.

« Bon, Sam ! fit-il. Qu’en dis-tu ? Je quitte le Comté aussitôt que je le pourrai – en fait, j’ai décidé de ne même pas attendre un jour à Creux-le-Cricq, si c’est possible. »

« Très bien, m’sieur ! »

« Tu as toujours l’intention de me suivre ? »

« Toujours. »

« Ce sera très dangereux, Sam. Ce l’est déjà. Sans doute qu’aucun de nous deux ne reviendra. »

« Si vous revenez pas, m’sieur, alors moi non plus, c’est certain, dit Sam. Ne le laissez surtout pas ! qu’ils m’ont dit. Le laisser ! j’ai dit. Jamais je ferai ça. Je vais avec lui, quand bien même il grimperait à la Lune ; et si j’en vois de ces Cavaliers Noirs qui essaient de l’arrêter, ils auront affaire à Sam Gamgie, que j’ai dit. Ils ont ri. »

« Qui ça, ils, et de quoi parles-tu ? »

« Les Elfes, m’sieur. On a un peu parlé hier au soir ; et ils avaient l’air de savoir que vous partiez, alors j’ai pas cru bon de le nier. Des gens merveilleux, ces Elfes, m’sieur ! Merveilleux ! »

« En effet, dit Frodo. Les aimes-tu encore, maintenant que tu les as vus de plus près ? »

« Ils semblent un peu au-dessus de ce que je peux aimer ou non, pour ainsi dire, répondit Sam avec hésitation. Ça n’a pas l’air important, ce que je pense d’eux. Ils sont assez différents de ce que j’imaginais : si vieux et si jeunes, si gais et si tristes, en quelque sorte. »

Frodo regarda Sam d’un air plutôt étonné, s’attendant presque à voir apparaître un signe extérieur de l’étrange transformation qu’il paraissait avoir subie. Ce n’était pas la voix du vieux Sam Gamgie qu’il pensait connaître. Mais c’était bien le vieux Sam Gamgie qui était assis là, sinon qu’il avait un air inhabituellement pensif.

« Sens-tu toujours le besoin de quitter le Comté… maintenant que ton désir de les rencontrer s’est déjà réalisé ? » demanda-t-il.

« Oui, m’sieur. Je ne sais pas comment le dire, mais après cette nuit, je me sens différent. On dirait que je vois devant moi, d’une certaine façon. Je sais qu’on va prendre une très longue route, qu’elle va nous conduire dans les ténèbres ; mais je sais que je peux pas faire demi-tour. C’est pas pour voir des Elfes, maintenant, ni des dragons ou des montagnes, que je veux… je sais pas très bien ce que je veux ; mais j’ai quelque chose à faire avant la fin, et c’est en avant, pas dans le Comté. Je dois aller jusqu’au bout, m’sieur, si vous me comprenez. »

« Pas complètement. Mais je comprends que Gandalf m’a choisi un bon compagnon. Je suis content. Nous irons ensemble. »

Frodo termina son petit déjeuner en silence. Puis, se levant, il contempla les terres devant lui, et appela Pippin.

« Prêt au départ ? dit-il tandis que Pippin remontait en courant. Il faut partir à l’instant. Nous avons dormi tard ; et il y a encore de nombreux milles à faire. »

« Tu as dormi tard, tu veux dire, observa Pippin. J’étais debout bien avant ; et nous attendions seulement que tu finisses de manger et de penser. »

« J’ai fini les deux, maintenant. Et je vais aller au plus vite vers le Bac de Fertébouc. Je ne vais pas faire un détour pour rejoindre la route que nous avons quittée la nuit dernière : je vais aller tout droit à travers champs en partant d’ici. »

« Alors tu vas devoir voler, dit Pippin. Tu ne trouveras jamais moyen d’aller tout droit à pied dans cette campagne. »

« On pourra toujours aller plus droit que la route, répondit Frodo. Le Bac est à l’est de Boischâtel ; mais le grand chemin décrit une courbe vers la gauche – tu peux en voir une partie là-bas au nord. Il contourne l’extrémité nord de la Marêche, de façon à rejoindre au-dessus d’Estoc la chaussée qui court depuis le Pont. Mais c’est à des milles d’où nous allons. Nous pourrions réduire la distance d’un quart en partant en ligne droite vers le Bac de l’endroit où nous sommes. »

« Les raccourcis mènent à de longs retards, soutint Pippin. Le terrain par ici est accidenté ; et il y a des marécages et toutes sortes de difficultés dans la Marêche – je connais les terres dans ce coin-là. Et si tu t’inquiètes au sujet des Cavaliers Noirs, je ne vois pas en quoi ce serait pire de les rencontrer sur la route que dans un bois ou au milieu d’un champ. »

« Les gens sont plus difficiles à trouver dans les bois et au milieu des champs, répondit Frodo. Et si vous êtes censé être sur la route, il y a de fortes chances qu’on vous cherche sur la route et non en dehors ! »

« Ça va ! dit Pippin. Je te suivrai dans tous les bourbiers et les ronciers. Mais c’est dur ! J’espérais que nous passerions par la Perche Dorée d’Estoc avant le coucher du soleil. C’est la meilleure bière dans tout le Quartier Est, ou du moins ce l’était : il y a longtemps que j’y ai goûté. »

« Ça règle la question ! dit Frodo. Les raccourcis mènent à de longs retards, mais les auberges en amènent de plus longs. Il faut à tout prix te tenir loin de la Perche Dorée. Nous voulons être à Fertébouc avant la nuit. Qu’en dis-tu, Sam ? »

« J’irai avec vous, monsieur Frodo », dit Sam (malgré quelques doutes, et un profond regret de devoir renoncer à la meilleure bière du Quartier Est).

« Alors, s’il nous faut affronter les bourbiers et les ronces, allons-y tout de suite ! » dit Pippin.

Il faisait déjà presque aussi chaud que le jour précédent ; mais des nuages commençaient à s’amonceler à l’ouest. Le temps semblait à la pluie. Les hobbits dévalèrent un talus vert à pic, puis ils plongèrent dans les arbres serrés situés en contrebas. L’itinéraire choisi laissait Boischâtel sur leur gauche, coupait de biais à travers les bois entassés sur le versant oriental des collines et débouchait sur les plaines au-delà. Ils pourraient alors continuer tout droit vers le Bac, allant en rase campagne sans rencontrer d’autre obstacle que quelques fossés et clôtures. Frodo estimait qu’ils avaient dix-huit milles à parcourir en ligne droite.

Il s’aperçut bientôt que le fourré était plus touffu et plus enchevêtré qu’il ne l’avait d’abord paru. Aucun sentier ne traversait les broussailles et ils ne progressaient pas bien vite. Arrivés à grand-peine au bas du talus, ils se trouvèrent face à un ruisseau qui descendait des collines derrière eux dans un lit profondément creusé, aux berges escarpées et glissantes, couvertes de ronciers. Ce cours d’eau s’étalait bien malencontreusement en travers du parcours qu’ils avaient choisi. Ils ne pouvaient sauter par-dessus, ni même le franchir sans en ressortir trempés, égratignés et couverts de boue. Ils s’arrêtèrent, se demandant que faire. « Premier contretemps ! » dit Pippin avec un sourire amer.

Sam Gamgie regarda derrière lui. Par un interstice entre les arbres, il aperçut le sommet du talus vert d’où ils étaient descendus.

« Regardez ! » dit-il en saisissant Frodo par le bras. Tous regardèrent, et tout au bord, loin au-dessus de leurs têtes, ils virent la forme d’un cheval se dessiner sur le ciel. Une silhouette noire était penchée à côté.

Ils abandonnèrent aussitôt l’idée de rebrousser chemin. Frodo alla en tête, plongeant rapidement dans les épais buissons aux abords du ruisseau. « Ouf ! dit-il à Pippin. Nous avions tous les deux raison ! Le raccourci a déjà mal tourné ; mais nous nous sommes mis à couvert juste à temps. Toi qui as l’oreille fine, Sam, entends-tu quelque chose venir ? »

Ils se tinrent immobiles, se retenant presque de respirer pour mieux écouter ; mais ils n’entendirent aucun poursuivant. « J’ai pas l’impression qu’il essaierait de faire descendre cette pente-là à son cheval, dit Sam. Mais je suppose qu’il a compris qu’on est arrivé par là. On ferait mieux de continuer. »

Continuer n’était pas tout à fait commode. Ils avaient des paquets à porter, et les buissons de ronces semblaient peu enclins à les laisser passer. La crête derrière eux les coupait du vent, et l’air inerte avait quelque chose d’étouffant. Quand ils eurent enfin réussi à se frayer un chemin en terrain plus découvert, ils étaient en nage, épuisés et tout égratignés ; qui plus est, ils ne savaient plus très bien dans quelle direction ils allaient. Les berges s’abaissèrent tandis que le cours d’eau arrivait en terrain plat, devenant plus large et moins profond dans sa course sinueuse vers la Marêche et le Fleuve.

« Ma foi, c’est le ruisseau d’Estoc ! dit Pippin. Si nous tenons à revenir sur le bon chemin, il nous faut tout de suite traverser et prendre à droite. »

Ils franchirent le ruisseau à gué et traversèrent vivement un grand espace dénudé, couvert de roseaux et sans arbres, sur l’autre rive. Puis ils parvinrent à une nouvelle ceinture d’arbres : de grands chênes, surtout, avec çà et là un orme ou un frêne. Le terrain était plutôt plat et il y avait peu de broussailles ; mais les arbres trop serrés leur bloquaient la vue. De soudaines bourrasques faisaient voler les feuilles dans les airs, et le ciel chargé laissait échapper quelques gouttes de pluie. Puis, le vent tomba et il se mit à tomber des cordes. Ils se frayèrent un chemin aussi vite qu’ils le purent à travers les touffes d’herbe et les grands tas de feuilles mortes, pendant que la pluie tapotait et dégouttait tout autour d’eux. Ils ne parlaient pas, mais ne cessaient de se tourner pour regarder derrière et de chaque côté.

Au bout d’une demi-heure, Pippin dit : « J’espère que nous n’avons pas dévié trop vers le sud pour prendre ce bois dans sa longueur ! Cette ceinture d’arbres n’est pas très profonde – je dirais un mille tout au plus, à son plus large – et nous devrions l’avoir traversée, à présent. »

« Nous ne pouvons pas nous mettre à zigzaguer, dit Frodo. Cela ne va pas arranger les choses. Continuons dans cette direction ! Je ne suis pas sûr de vouloir sortir tout de suite du couvert des arbres. »

Ils parcoururent encore un ou deux milles. Puis, un rayon de soleil perça à travers les nuages déchiquetés et la pluie se mit à faiblir. Il était alors midi passé, et les hobbits trouvaient qu’il était grand temps de déjeuner. Ils s’arrêtèrent sous un orme : son feuillage passablement jauni était pourtant encore très épais, et le sol à ses pieds était assez abrité et au sec. Lorsqu’ils vinrent à préparer leur repas, ils s’aperçurent que les Elfes avaient rempli leurs gourdes d’une boisson claire, de couleur or pâle : merveilleusement rafraîchissante, elle avait le parfum d’un miel fait de nombreuses fleurs. Ils ne tardèrent pas à rire aux éclats, faisant fi de la pluie et des Cavaliers Noirs. Les derniers milles, se disaient-ils, seraient bientôt derrière eux.

Frodo appuya son dos contre le tronc de l’arbre et ferma les yeux. Sam et Pippin étaient assis tout près, et ils se mirent à fredonner, puis à chanter doucement :





Ho ! Ho ! Ho ! C’est à boire qu’il me faut

Pour alléger mon cœur et noyer mon malheur.

La pluie peut bien tomber et le vent peut souffler,

Et qu’importent les lieues qu’il me reste à marcher,

Sous un arbre feuillu, j’ai posé mon bagage ;

Ici je resterai à compter les nuages.

Ho ! Ho ! Ho ! reprirent-ils plus fort. Soudain ils s’arrêtèrent. Frodo se releva d’un bond. Un cri traînant leur parvint, porté par le vent, comme le gémissement d’une créature solitaire et mauvaise. Il s’éleva puis retomba, se terminant sur une note perçante et suraiguë. Alors même qu’ils se tenaient là, comme pétrifiés, un autre cri s’éleva en réponse au premier, plus faible et plus lointain, mais tout aussi propre à glacer le sang. Alors il y eut un silence, que seul le vent dans les feuilles venait à rompre.

« Et qu’est-ce que c’était que ça, vous pensez ? demanda enfin Pippin d’un ton qui se voulait léger, mais tremblotant néanmoins. Si c’était un oiseau, c’en est un que je n’ai jamais entendu dans le Comté. »

« Ce n’était ni oiseau ni bête, dit Frodo. C’était un appel, ou un signal : il y avait des mots dans ce cri, des mots que je n’ai pas pu saisir. Mais aucun hobbit n’a une voix semblable. »

Ils ne firent plus aucune mention de l’incident. Tous pensèrent aux Cavaliers, mais personne n’en souffla mot. Ils n’avaient désormais pas plus envie de rester que de continuer ; mais comme ils devaient tôt ou tard franchir la rase campagne jusqu’au Bac, le plus tôt serait le mieux, pendant qu’il faisait encore clair. En l’espace de quelques instants, ils avaient repris leurs paquets et s’étaient remis en chemin.

Le bois parvint bientôt à une fin abrupte. De vastes prairies s’étendirent devant eux. Ils constatèrent alors qu’ils avaient effectivement dévié trop au sud. Loin au-delà des prairies, ils pouvaient apercevoir Fertébouc sur sa basse colline, de l’autre côté du Fleuve ; mais celle-ci se trouvait à présent sur leur gauche. Se glissant hors des arbres avec précaution, ils se lancèrent aussi vite qu’ils le purent sur la plaine dénudée.

Ils avaient peur au début, loin du couvert des arbres. Loin derrière eux s’élevait la haute terrasse où ils avaient pris leur petit déjeuner. Frodo s’attendait presque à voir la minuscule silhouette noire d’un homme à cheval se profiler sur le ciel au-dessus de la crête ; mais elle ne s’y trouvait pas. Le soleil, échappant aux nuages rompus dans sa descente vers les collines qu’ils venaient de quitter, brillait à nouveau d’un vif éclat. La peur les quitta, même s’ils demeuraient inquiets ; et les terres se firent progressivement plus hospitalières et plus ordonnées. Bientôt ils furent au milieu de champs et de prés bien cultivés, bordés de haies, de barrières et de fossés d’irrigation. Tout semblait calme et paisible, un coin ordinaire du Comté. Ils reprenaient courage à chaque pas. La ligne du fleuve approchait ; et les Cavaliers Noirs leur paraissaient de plus en plus comme de vagues fantômes des forêts, à présent loin derrière.

Ils longèrent un immense champ de navets et se retrouvèrent devant une imposante barrière. Un chemin défoncé courait derrière celle-ci entre deux haies basses et bien disposées, vers un groupe d’arbres se dressant au loin. Pippin s’arrêta.

« Je connais ces champs et cette barrière ! dit-il. Nous sommes à Faverolle, la terre du vieux fermier Magotte. C’est sa ferme, là-bas, au milieu des arbres. »

« Les ennuis se poursuivent ! » dit Frodo, l’air presque aussi affolé que si Pippin venait d’annoncer que le chemin menait à l’antre d’un dragon. Les autres le regardèrent avec étonnement.

« Qu’est-ce que tu reproches au vieux Magotte ? demanda Pippin. C’est un bon ami de tous les Brandibouc. Bien sûr, il n’est pas tendre envers les intrus, et ses chiens de garde sont féroces ; mais il faut bien se dire que les gens d’ici vivent près des frontières et doivent être plus souvent sur leurs gardes. »

« Je sais, dit Frodo. Mais tout de même, ajouta-t-il avec un rire embarrassé, lui et ses chiens me terrifient. J’ai évité sa ferme pendant des années et des années. Il m’a souvent pris à voler des champignons sur sa propriété, quand j’étais jeune à Castel Brandy. La dernière fois, il m’a battu, puis il m’a emmené voir ses chiens. “Voyez, mes gaillards, leur a-t-il dit, la prochaine fois que ce jeune vaurien met les pieds sur ma terre, vous pourrez le manger. En attendant, montrez-lui la sortie !” Et ils m’ont pourchassé jusqu’au Bac. Je ne me suis jamais remis de cette frousse – mais je suppose que ces bêtes connaissaient leur affaire et ne m’auraient jamais fait de mal. »

Pippin rit. « Eh bien, il est temps de vous raccommoder. Surtout si tu reviens habiter au Pays-de-Bouc. Le vieux Magotte est vraiment un brave type… si tu laisses ses champignons tranquilles. Entrons dans le chemin, ce qui nous évitera d’empiéter sur ses terres. Si on le rencontre, je m’occuperai de lui parler. C’est un ami de Merry, et il fut un temps où je venais souvent avec lui en visite. »

Ils suivirent le chemin et finirent par apercevoir, entre les arbres, les toits de chaume d’une grande maison et de plusieurs bâtiments de ferme. Les Magotte, ainsi que les Patouillon d’Estoc et la plupart des habitants de la Marêche, vivaient dans des maisons ; et cette ferme en brique, solidement bâtie, était protégée par un mur qui en faisait le tour. Un grand portail de bois s’ouvrait sur le chemin et donnait accès à la cour.

Soudain, tandis qu’ils approchaient, il y eut une terrible explosion d’aboiements et de hurlements, et l’on entendit une voix forte crier : « Serre ! Croc ! Loup ! Allez, mes gaillards ! »

Frodo et Sam s’arrêtèrent net, mais Pippin fit encore quelques pas. Le portail s’ouvrit et trois énormes chiens sortirent en trombe dans le chemin et se ruèrent vers les voyageurs, aboyant sauvagement. Ils ne firent pas attention à Pippin ; mais Sam recula contre le mur tandis que deux chiens semblables à des loups le reniflaient avec suspicion, et grondaient s’il faisait le moindre mouvement. Le plus gros et le plus féroce des trois s’arrêta devant Frodo, grognant et se hérissant.

Apparut alors sur le seuil un hobbit râblé et large d’épaules, au visage arrondi et rubicond. « Hé, là ! Hé ! Qui êtes-vous donc, fit-il, et que faites-vous ici, dites-moi donc ? »

« Bonjour, monsieur Magotte ! » dit Pippin.

Le fermier l’examina avec attention. « Tiens, mais c’est M. Pippin – M. Peregrin Touc, devrais-je dire ! » s’écria-t-il, tandis que son visage renfrogné s’illuminait d’un large sourire. « Y a longtemps qu’on vous a vu dans les parages. Encore heureux que je vous connaisse : j’étais pour lâcher mes chiens sur tout étranger. Il se passe de drôles de choses, aujourd’hui. Comme de raison, il arrive que de curieuses gens viennent rôder dans le coin. Trop près du Fleuve, dit-il en secouant la tête. Mais ce type-là est le personnage le plus bizarre que j’ai jamais vu de mes yeux. En v’là un qui traversera pas mes terres sans permission une deuxième fois, pas si je peux l’en empêcher. »

« De qui voulez-vous parler ? » demanda Pippin.

« Ah, vous l’avez pas vu ? dit le fermier. Il a pris le chemin de la chaussée y a pas bien longtemps. C’était un drôle de moineau et qui posait de drôles de questions. Mais vous viendriez peut-être vous asseoir un peu : comme ça, on sera plus confortable pour bavarder. J’ai une bonne ale en perce, si vous et vos amis avez le goût d’une bière, monsieur Touc. »

Il semblait évident que le fermier leur en dirait davantage si on lui permettait de le faire quand et comme il lui plairait, alors ils acceptèrent son invitation. « Et les chiens ? » demanda Frodo d’un air anxieux.

Le fermier rit. « Ils vous feront pas de mal – à moins que je leur dise. Ici, Serre ! Croc ! Au pied ! cria-t-il. Au pied, Loup ! » Au grand soulagement de Frodo et Sam, les chiens s’éloignèrent et leur rendirent leur liberté.

Pippin présenta ses deux compagnons au fermier. « M. Frodo Bessac, dit-il. Vous ne vous souvenez peut-être pas de lui, mais il a déjà vécu à Castel Brandy. » Au nom de Bessac, le fermier sursauta et dévisagea Frodo d’un œil incisif. Pendant un instant, Frodo crut que le souvenir des champignons volés avait été ressuscité, et que les chiens allaient recevoir l’ordre de lui montrer la sortie. Mais le fermier Magotte lui prit le bras.

« Eh bien, si c’est pas bizarre, ça ! s’exclama-t-il. Monsieur Bessac, c’est bien cela ? Entrez donc ! Il faut que je vous parle. »

Ils passèrent dans la cuisine du fermier et s’assirent devant le grand foyer. Mme Magotte arriva avec un énorme pichet de bière et remplit quatre bonnes chopes. C’était un bon brassin, et Pippin se trouva amplement dédommagé d’avoir manqué la Perche Dorée. Sam but sa bière lentement et avec suspicion. Il était naturellement méfiant des habitants des autres régions du Comté ; et il n’était pas disposé à se prendre soudain d’amitié pour quiconque avait déjà battu son maître, qu’importe si cela faisait longtemps.

Après quelques remarques à propos du temps qu’il faisait et de la récolte à venir (qui ne s’annonçait pas plus mauvaise qu’à l’habitude), le fermier Magotte posa sa chope et les regarda chacun à son tour.

« Maintenant, monsieur Peregrin, fit-il, d’où est-ce que vous venez, et où est-ce que vous allez ? Étiez-vous venu me rendre visite ? Attendu que, si c’est le cas, vous avez passé mon portail sans que je vous voie. »

« Eh bien, non, répondit Pippin. Pour dire le vrai, puisque vous l’avez deviné, nous sommes arrivés par l’autre bout du chemin : nous avons traversé vos champs. Mais c’était tout à fait par accident. Nous nous sommes perdus dans les bois, près de Boischâtel, en essayant de prendre un raccourci vers le Bac. »

« Si vous étiez pressés, la route vous aurait mieux servis, dit le fermier. Mais c’est pas ce qui m’inquiétait. Vous êtes libre de passer sur mes terres si le cœur vous en dit, monsieur Peregrin. Et vous de même, monsieur Bessac… même si vous aimez encore les champignons, je gage. » Il rit. « Eh oui, j’ai reconnu votre nom. Je me souviens du temps où Frodo Bessac était l’un des pires garnements du Pays-de-Bouc. Mais c’est pas non plus à mes champignons que je pensais. Je venais tout juste d’entendre le nom Bessac lorsque vous êtes arrivés. Devinez ce qu’il m’a demandé, ce moineau-là ? »

Ils attendirent anxieusement la suite. « Eh bien, reprit lentement le fermier, qui semblait y prendre un malin plaisir, il est arrivé sur son grand cheval noir, et le portail se trouvait à être ouvert, alors il est venu jusqu’à ma porte. Il était tout en noir lui aussi, avec cape et capuchon, comme s’il voulait pas qu’on le reconnaisse. “Par le Comté, qu’est-ce qu’il peut bien vouloir ?” que je me suis demandé. On voit pas souvent des Grandes Gens de ce côté-ci de la frontière ; et puis de toute façon, j’avais jamais entendu parler d’un type comme ç’ui-là, tout en noir.

« “Bien le bonjour ! que je lui dis en m’avançant. Ce chemin vous mènera nulle part, et où que vous alliez, ce sera plus vite pour vous de retourner par la route.” J’aimais pas trop son allure ; et quand Serre est sorti pour le flairer, il a crié comme si une mouche l’avait piqué : il a pas mis de temps à déguerpir, la queue entre les jambes, en poussant des hurlements. Le type en noir, lui, a pas bougé d’un pouce.

« “Je viens de là-derrière”, qu’il a dit d’une voix traînante, comme raide, voyez, en pointant vers l’ouest, vers mes champs, voyez vous ça. “Avez-vous vu Bessac ?” qu’il m’a demandé d’une voix bizarre, et il s’est penché vers moi. J’ai vu aucun visage, attendu que son capuchon tombait trop bas ; et j’ai senti comme un frisson descendre dans mon dos. Mais je voyais pas pourquoi cet effronté viendrait chevaucher sur mes terres de cette façon-là.

« “Allez-vous-en ! que je lui ai dit. Y a pas de Bessac qui vivent ici. Vous êtes dans la mauvaise partie du Comté. Vous feriez mieux de retourner vers l’ouest, dans le coin de Hobbiteville – mais vous pouvez passer par la route, cette fois-ci.

« “Bessac est parti, qu’il a murmuré. Il s’en vient. Il n’est pas loin. Je veux le retrouver. S’il vient de ce côté, me le direz-vous ? Je reviendrai avec de l’or.”

« “Ça m’étonnerait, que j’ai dit. Vous allez rentrer chez vous, et que ça saute. Je vous donne une minute avant d’appeler tous mes chiens.”

« Il a poussé une sorte de sifflement. C’était peut-être un rire, peut-être pas. Puis il a éperonné son grand cheval pour me rentrer dedans, et j’ai pu m’écarter au dernier moment. J’ai appelé les chiens, mais il a tourné bride et il est sorti, filant comme un éclair le long du chemin qui mène à la chaussée. Qu’est-ce que vous pensez de ça ? »

Frodo resta un moment les yeux fixés sur l’âtre, mais sa seule pensée était de se demander comment ils allaient faire pour atteindre le Bac. « Je ne sais pas quoi penser », dit-il enfin.

« Je m’en vais vous le dire, moi, fit Magotte. Vous n’auriez jamais dû aller vous mêler aux gens de Hobbiteville, monsieur Frodo. Les gens sont bizarres, là-bas. » Sam remua sur sa chaise et regarda le fermier d’un œil hostile. « Mais vous avez toujours été un garçon imprudent. Quand j’ai entendu dire que vous aviez laissé les Brandibouc pour aller rester avec ce vieux M. Bilbo, j’ai dit que vous exposiez à des ennuis. Croyez-moi : tout cela vient des agissements de M. Bilbo. Il a fait son argent à l’étranger et de façon peu commune, à ce qu’on raconte. Y en a peut-être qui veulent savoir où sont passés l’or et les joyaux qu’il a ramenés – et enterrés dans la colline de Hobbiteville, à ce que j’entends ? »

Frodo ne répondit rien : les conjectures du fermier étaient d’une perspicacité assez déconcertante.

« Pour tout vous dire, monsieur Frodo, poursuivit Magotte, je suis content que vous ayez eu la bonne idée de revenir au Pays-de-Bouc. Mon conseil, c’est : restez-y ! Et ne vous mêlez pas à ces gens venus d’ailleurs. Vous aurez des amis, ici. S’il y a de ces types en noir qui viennent encore après vous, je vais m’occuper d’eux. Je dirai que vous êtes mort, ou que vous avez quitté le Comté, ou ce que vous voudrez. Et ce pourrait être plus vrai qu’on le pense, puisque c’est sans doute de M. Bilbo qu’ils veulent des nouvelles. »

« Vous avez peut-être raison », dit Frodo, évitant le regard du fermier et gardant les yeux fixés sur l’âtre.

Magotte le considéra d’un air pensif. « Eh bien, je vois que vous avez vos idées à vous, dit-il. C’est pas par hasard si vous êtes débarqué ici en même temps que ce cavalier : ça se voit comme le nez au milieu de ma figure, et mes nouvelles avaient peut-être rien de nouveau pour vous, tout compte fait. Je vous demande pas de me dire ce que vous préférez garder pour vous ; mais je vois que vous avez des ennuis. Vous vous dites peut-être que ce sera pas si facile d’arriver au Bac sans être pris ? »

« C’est à cela que je pensais, dit Frodo. Mais il faut quand même essayer, et ça ne se fera pas en restant assis à penser. Alors je crains de devoir vous laisser. Merci infiniment de votre gentillesse ! Vous allez rire, mais cela plus de trente ans que je vous redoutais, vous et vos chiens, fermier Magotte. C’est dommage, car je me suis privé d’un bon ami. Et maintenant, je suis navré de devoir vous quitter si vite. Mais je reviendrai, un jour, peut-être… si j’en ai la chance. »

« Vous serez le bienvenu quand vous viendrez, dit Magotte. Mais là, il me vient une idée. Le jour va bientôt tomber et nous allons souper ; car toute la maison ou presque se met au lit peu après le Soleil. Si vous pouviez tous rester et prendre un morceau avec nous, ça nous ferait plaisir ! »

« À nous aussi ! dit Frodo. Mais nous devons partir à l’instant, j’en ai peur. Même ainsi, il fera noir avant que nous soyons au Bac. »

« Ah ! mais attendez ! J’allais dire : après souper, on sortira un petit chariot et je vais vous conduire au Bac. Ça vous évitera une bonne trotte, et ça pourrait aussi vous éviter des ennuis d’une autre sorte. »

Frodo accepta alors avec gratitude, au grand soulagement de Pippin et de Sam. Le soleil sombrait déjà derrière les collines à l’ouest, et la lumière déclinait. Deux des fils de Magotte entrèrent, ainsi que ses trois filles, et un généreux souper fut servi sur la grande table. La cuisine fut éclairée de chandelles et le feu revigoré. Mme Magotte entrait et sortait d’un pas affairé. Quelques autres hobbits travaillant sur la ferme les rejoignirent. Bientôt, quatorze personnes étaient attablées. Il y avait de la bière à profusion et un très bon mets de champignons et de bacon, en plus de nombreux plats d’une solide nourriture de ferme. Les chiens étaient étendus près du feu, rongeant de la couenne de lard et faisant craquer des os.

Quand ils eurent terminé, le fermier et ses fils sortirent avec une lanterne et préparèrent le chariot. Il faisait noir dans la cour quand leurs invités les rejoignirent. Ils jetèrent leurs paquets dans la voiture et grimpèrent à bord. Le fermier prit le siège du conducteur et fouetta ses deux solides poneys. Sa femme se tenait dans la lumière qui émanait de la porte ouverte.

« Tu ferais bien d’être prudent, Magotte ! appela-t-elle. T’avise pas d’aller chercher noise à des étrangers, et reviens tout droit à la maison ! »

« C’est promis ! » dit-il, conduisant le chariot hors de la cour. À présent, il n’y avait plus un souffle de vent : la nuit était silencieuse et immobile, et il faisait un peu frisquet. Ils roulèrent lentement et toutes lampes éteintes. Au bout d’un mille ou deux, le chemin prit fin, traversant un profond fossé et montant une courte pente pour rejoindre la chaussée élevée en talus.

Magotte descendit et regarda soigneusement de chaque côté, au nord et au sud ; mais rien ne se voyait dans l’obscurité, et il n’y avait pas un son dans l’air immobile. De minces rubans de brume flottaient au-dessus des fossés et rampaient dans les champs en bordure du Fleuve.

« Il fait noir comme dans un four, dit Magotte, mais je n’allumerai pas mes lampes avant d’être prêt à rentrer. Par une nuit comme celle-ci, on entendra tout ce qui vient vers nous sur la route, longtemps avant de le rencontrer. »

Il y avait cinq milles ou plus à partir du chemin de Magotte jusqu’au Bac. Les hobbits s’emmitouflèrent, mais ils tendaient l’oreille à tout bruit autre que le grincement des roues et le lent clop-clop des poneys. Frodo trouvait que le chariot était plus lent qu’un escargot. À ses côtés, Pippin somnolait ; mais Sam regardait droit devant lui à travers la brume grandissante.

Ils parvinrent enfin au chemin du Bac. L’entrée était marquée par deux grands poteaux blancs qui apparurent tout à coup sur leur droite. Le fermier Magotte tira sur les guides et le chariot s’arrêta avec un crissement. Ils s’apprêtaient à descendre quand, soudain, ils entendirent ce que chacun d’entre eux redoutait : des claquements de sabots sur la route devant eux. Le son approchait.

Magotte descendit d’un bond et tint ses poneys par la bride tout en essayant de percer les ténèbres. Clip-clop, clip-clop, faisait le cavalier qui approchait. Le claquement des sabots était assourdissant dans l’air immobile et brumeux.

« Vous devriez vous cacher, monsieur Frodo, dit Sam d’une voix anxieuse. Couchez-vous au fond du chariot, sous des couvertures, et on va renvoyer ce cavalier d’où il vient ! » Il descendit à son tour et alla rejoindre le fermier. Les Cavaliers Noirs devraient lui passer sur le corps pour s’approcher du chariot.

Clop-clop, clop-clop. Le cavalier les rejoignait, à présent.

« Qui va là ? » appela le fermier Magotte. Le bruit des sabots s’arrêta net. Ils crurent deviner une forme à travers la brume, une forme enveloppée dans une cape sombre à quelques pieds devant.

« Bon ! dit le fermier, lançant les guides à Sam et s’avançant à grands pas. N’approchez plus ! Où allez-vous et que cherchez-vous ? »

« Je cherche M. Bessac. L’avez-vous vu ? » dit une voix assourdie – mais la voix était celle de Merry Brandibouc. Une lanterne fut découverte, et sa lumière éclaira le visage ahuri du fermier.

« Monsieur Merry ! » s’écria-t-il.

« Mais oui, bien sûr ! Qui croyiez-vous que c’était ? » dit Merry en s’approchant. Tandis qu’il sortait du brouillard et que leurs craintes s’apaisaient, il parut retrouver soudain sa taille normale de hobbit. Il chevauchait un poney, et un foulard passé autour de son cou et de son menton le protégeait de la brume.

Frodo sauta à bas du chariot pour l’accueillir. « Ainsi vous voilà enfin ! dit Merry. Je commençais à désespérer de vous voir arriver aujourd’hui, et j’étais sur le point de rentrer souper. Quand la brume s’est levée, j’ai traversé et je suis monté vers Estoc pour m’assurer que vous n’étiez pas tombés dans quelque fossé. Mais je me demande bien par quel chemin vous êtes passés. Où les avez-vous trouvés, monsieur Magotte ? Dans votre mare aux canards ? »

« Non, je les ai surpris sur ma propriété, dit le fermier, et j’ai failli lancer mes chiens après eux ; mais ils vous raconteront toute l’histoire, j’en suis sûr. Maintenant, si vous permettez, monsieur Merry, monsieur Frodo et vous tous, je ferais mieux de rentrer chez moi. Mme Magotte va se turlupiner, avec la nuit qui avance. »

Il recula son chariot dans le chemin et le tourna de bord. « Eh bien, bonsoir à vous tous, dit-il. C’est une drôle de journée qui se termine, y a pas d’erreur. Mais tout est bien qui finit bien – quoiqu’on devrait peut-être pas dire ça avant d’être chacun chez soi. Je vous cacherai pas que je serai content d’arriver à l’heure qu’il est. » Il alluma ses lanternes et remonta à bord. Tout à coup, il sortit un grand panier placé sous le siège. « J’allais presque oublier, dit-il. Mme Magotte a laissé ça pour M. Bessac, avec ses compliments. » Il leur tendit le panier et s’éloigna, suivi d’un chœur de remerciements et de bonsoirs.

Ils regardèrent les pâles anneaux lumineux de ses lanternes s’éloigner dans la nuit brumeuse. Soudain, Frodo se mit à rire : du panier couvert qu’il tenait à la main montait une odeur de champignons.

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