14 Un message du M’Hael

La lisière du camp se trouvait à une demi-lieue environ de la crête. Enfin, la lisière des camps, plutôt, car les hommes, les chevaux, les feux de cuisson et les rares tentes étaient regroupés par nationalité, voire par maison. Et chaque pré carré – de loin, on eût plutôt dit des lacs de boue – était séparé des autres par une bande de lande semée de broussaille.

À cheval ou à pied, les soldats regardaient passer Rand et ses étendards, puis ils tournaient la tête vers les autres camps pour voir comment on y réagissait. Quand les Aiels étaient encore là, ces hommes dressaient chaque soir un seul et unique camp, car un de leurs rares points communs les poussait à se masser les uns près des autres. Quel point commun, exactement ? La conscience aiguë de ne pas être des Aiels, et de craindre ces guerriers, même s’ils auraient refusé de l’admettre.

Si Rand échouait, le monde périrait. Pourtant, il ne se faisait aucune illusion sur la loyauté des hommes qui le suivaient. Ni sur leur conviction que le destin du monde pouvait très bien être infléchi pour satisfaire leurs propres préoccupations – essentiellement, la soif d’or, de gloire ou de pouvoir. Il y avait sans doute des exceptions, une poignée, mais si ces hommes lui étaient loyaux, c’était avant tout parce qu’ils le craignaient encore plus que les Aiels. Et peut-être même plus que le Ténébreux, car certains d’entre eux n’y croyaient pas vraiment, doutant au plus profond d’eux-mêmes qu’il puisse de nouveau frapper le monde et y provoquer des dégâts encore plus grands que la fois précédente.

Croyant à ce qu’ils avaient sous les yeux, ils voyaient Rand, et ça leur suffisait. Désormais, le jeune homme se satisfaisait de cette situation. Avec le nombre de batailles qu’il lui restait à livrer, à quoi bon perdre son temps dans un combat qu’il ne pourrait pas gagner ? Tant que ses troupes lui obéissaient, de quoi se serait-il plaint ?

Bien entendu, son camp était le plus grand de tous. Chaque groupe en nombre égal, des Illianiens en veste verte à rayures jaunes y côtoyaient des Défenseurs de la Pierre en veste à manches bouffantes et des Cairhieniens choisis parmi quarante maisons différentes, les officiers reconnaissables au fanion fixé à une hampe, dans leur dos, et dépassant du sommet de leur crâne. Ces combattants utilisaient des feux de cuisson différents, ils dormaient séparés les uns des autres, n’attachaient pas leurs chevaux aux mêmes piquets et se lorgnaient avec méfiance, mais ils se mélangeaient néanmoins. Responsables de la sécurité du Dragon Réincarné, ils prenaient leur mission au sérieux. En d’autres termes, n’importe lequel pouvait trahir Rand, mais pas sous le regard des autres. Entre les vieilles haines et les nouvelles, tout comploteur serait dénoncé avant même d’avoir fini de réfléchir à son plan…

Une muraille d’acier entourait la tente de Rand, un modèle à toit pointu richement ornementé d’abeilles brodées en fil d’or. Propriété de Mattin Stepaneos, le prédécesseur de Rand, la tente allait avec la couronne, si on osait dire.

Des Illianiens, des Teariens et des Cairhieniens composaient le cercle de hallebardes et de piques qui protégeait le fief du Dragon Réincarné. Quand celui-ci arriva, pas un de ces hommes ne broncha, mais une petite armée de serviteurs accourut pour s’occuper de lui et des Asha’man. Vêtue d’un gilet vert et jaune de palefrenier – la livrée en vigueur au palais royal d’Illian –, une femme étique vint saisir la bride de Tai’daishar pendant qu’un type au nez proéminent – un domestique en veste noir et or de la Pierre de Tear – tenait un des étriers afin d’aider Rand à mettre pied à terre. Multipliant les grâces à l’intention de leur maître, les deux serviteurs se jetaient subrepticement des regards noirs.

Toujours bouffie de son importance, une petite femme boulotte au teint pâle nommée Boreane Carivin proposa à Rand un plateau lesté de linges humides d’où montait une odeur d’eau de rose. En bonne Cairhienienne, elle ne quitta pas de l’œil les deux autres domestiques afin de s’assurer que leur animosité ne nuisait pas à la qualité de leur travail. Le principe qui fonctionnait si bien avec les soldats – faire en sorte que tout le monde surveille tout le monde – était tout aussi efficace avec les serviteurs…

Rand retira ses gants et refusa d’un geste le plateau de Boreane. Assis sur un banc richement sculpté, devant la tente, Damer Flinn se leva en voyant approcher le Dragon Réincarné. Quasiment chauve, n’était une couronne de cheveux grisonnants, Flinn ressemblait plus à un grand-père qu’à un Asha’man. Oui, un grand-père tout ridé avec une jambe raide et une expérience du monde allant bien au-delà de la ferme. L’épée qui battait sa hanche semblait une part de lui-même – rien de plus normal chez un ancien membre des Gardes de la Reine.

Un vieil homme qui avait (presque) toute la confiance de Rand. Après tout, ne lui avait-il pas sauvé la vie ?

Se tapant du poing sur la poitrine, Flinn salua Rand puis avança à sa rencontre, attendant que les domestiques ne soient plus à portée d’oreille pour murmurer :

— Torval est ici. Envoyé par le M’Hael, dit-il. Il a voulu attendre sous la tente du Conseil. J’ai chargé Narishma de le surveiller…

Un ordre de Rand, à l’origine, même s’il ne se rappelait plus très bien pourquoi il l’avait donné. Aucun visiteur venant de la Tour Noire ne devait être laissé seul.

Un peu gêné, Flinn tapota le Dragon épinglé à son col.

— Il n’a pas été ravi d’apprendre que tu nous as tous promus.

— Pas ravi, vraiment…, fit Rand en glissant ses gants dans sa ceinture. (Voyant que Flinn était toujours mal à l’aise, il ajouta :) Vous l’avez tous mérité !

Le jeune homme avait l’intention d’envoyer un messager à Taim – le M’Hael, comme l’appelaient ses hommes, autrement dit le Chef – mais Torval pourrait se charger de délivrer sa missive.

— Flinn, fais-nous apporter à boire…

Sur ces mots, Rand fit signe à Dashiva et à Hopwil de le suivre. Flinn le salua de nouveau, mais il ne s’en aperçut pas, pataugeant dans la boue d’un pas qu’il aurait bien voulu vif. Aucun vivat ne retentit sur son passage. Pourtant, il se souvenait d’un temps où il y en avait. Et ce n’était pas un souvenir de Lews Therin – en supposant que celui-ci ait été réel. À cette pensée, Rand crut voir un éclair dans son dos, puis il eut le sentiment que quelqu’un allait lui tapoter l’épaule. Non sans effort, il réussit à se reconcentrer sur le moment présent.

Se dressant naguère dans les plaines de Maredo, la tente du Conseil était en réalité un grand pavillon rayé de rouge. Aujourd’hui, celui-ci trônait au milieu du camp de Rand, entouré par un cercle de terre nue de trente pas de diamètre. Sauf quand Rand était en réunion avec les nobles, il n’y avait pas de gardes ici. Mais n’importe quel intrus potentiel aurait été repéré sur-le-champ par un bon millier de paires d’yeux. Hissés sur de très hautes hampes, trois étendards formaient un triangle autour du pavillon. Le Soleil Levant du Cairhien, les Trois Croissants de Tear et les Abeilles Dorées de l’Illian. Au-dessus du toit écarlate, dominant les autres, flottaient l’étendard du Dragon et celui de la Lumière. Le vent maltraitait sans vergogne ces drapeaux, les bourrasques faisant même osciller les parois du pavillon.

À l’intérieur, des tapis colorés couvraient le sol et une grande table sculptée, couverte de cartes, occupait presque tout l’espace disponible.

Torval leva les yeux de la carte qu’il étudiait, visiblement agacé d’être dérangé, et prêt à en faire part sans détours. Proche de l’âge mûr et plus grand que quiconque – à part Rand ou un Aiel –, il était affublé d’un grand nez qui pour l’heure tremblait quasiment d’indignation. Le dragon et l’épée brillant à son col, il portait une veste noire en soie qu’un seigneur n’aurait pas reniée. Même chose pour son épée aux quillons incrustés d’or et d’argent et au pommeau orné d’un gros rubis – dont le jumeau brillait sur une chevalière, à la main de l’Asha’man.

Quand on formait des hommes pour qu’ils deviennent des armes, comment s’étonner qu’ils développent un certain degré d’arrogance ? Malgré tout, Rand n’aimait pas Torval. Et de toute façon, il n’avait pas besoin des mises en garde de Lews Therin pour se méfier des hommes en veste noire. Y compris de Flinn, en réalité… Cela dit, il devait diriger les Asha’man. Ils étaient en quelque sorte sa création, et il ne pouvait se dérober à ses responsabilités.

Lorsqu’il vit que l’intrus était Rand, Torval se redressa et salua, mais son expression ne changea pas. Toujours ce rictus qu’il arborait le jour où Rand l’avait vu pour la première fois…

— Seigneur Dragon, dit-il avec l’accent du Tarabon – et comme s’il accueillait un égal.

Ou voulait se montrer poli avec un inférieur…

— Félicitations pour ta conquête de l’Illian, dit-il après avoir vaguement salué Hopwil et Dashiva. Une grande victoire, vraiment ! J’aurais voulu qu’il y ait du vin pour ton retour, mais ce jeune dévoué ne semble pas comprendre les ordres.

Dans un coin du pavillon, les clochettes d’argent fixées au bout des deux longues nattes de Narishma indiquèrent qu’il venait de bouger légèrement. Sous le soleil du sud, son teint s’était hâlé, mais pour l’essentiel, il n’avait pas changé. Alors qu’il était plus vieux que Rand, son visage poupin l’aurait facilement fait passer pour le cadet de Hopwil. Mais si ses joues étaient rouges, ça exprimait de la colère, pas de l’embarras. L’épée d’argent qu’il arborait à son col était pour lui une source de fierté contenue mais profonde. Et le sourire à la fois amusé et menaçant que lui adressa Torval ne devait pas lui plaire beaucoup.

Dashiva eut un bref éclat de rire, mais il ne dit rien.

— Que fais-tu ici, Torval ? demanda Rand, fort peu amène.

Jetant d’abord sur la table ses gants et le Sceptre du Dragon, il y déposa ensuite son ceinturon et son épée. Sur les cartes que Torval n’avait aucune raison de consulter. Pas besoin de Lews Therin pour savoir ça…

Torval sortit de sa poche une feuille de parchemin pliée qu’il tendit à Rand.

— Le M’Hael t’envoie ça…

Du très beau parchemin, fermé par un sceau représentant un Dragon imprimé sur de la cire bleue rehaussée de paillettes d’or. Le genre de missive qui aurait tout aussi bien pu venir du Dragon Réincarné. Taim avait une haute opinion de lui-même, vraiment…

— Il m’a chargé de te dire que les histoires sur des Aes Sedai traversant le Murandy sont vraies. Il paraît que ce sont des dissidentes de la Tour Blanche… Quoi qu’il en soit, elles marchent sur la Tour Noire, et elles pourraient se révéler dangereuses.

Rand effrita entre ses doigts le superbe sceau.

— Elles vont à Caemlyn, pas vers la Tour Noire, et elles ne sont pas menaçantes. Mes ordres étaient clairs, non ? Fichez la paix aux Aes Sedai tant qu’elles ne s’en prennent pas à vous.

— Comment être sûrs qu’elles ne sont pas dangereuses ? insista Torval. Elles vont peut-être à Caemlyn, comme tu le dis, mais si tu te trompes, nous le découvrirons quand elles nous tomberont dessus.

— Torval n’a peut-être pas tort, intervint Dashiva. À ta place, je ne me fierai pas à des femmes qui m’ont enfermé dans un coffre… Et ces renégates n’ont prêté aucun serment, si je ne me trompe pas ?

— J’ai dit qu’on les laisse en paix ! cria Rand en tapant du poing sur la table.

Hopwil en sursauta de surprise et Dashiva ne put pas dissimuler totalement son irritation. Mais Rand se fichait des états d’âme de l’Asha’man. Par hasard – c’était fortuit, il l’aurait juré – sa main s’était abattue sur le Sceptre du Dragon. À présent, il brûlait d’envie de le brandir puis de transpercer avec le cœur de Torval.

Vraiment, il n’avait pas besoin des palinodies de Lews Therin !

— Les Asha’man sont une arme qui doit être pointée là où je l’ordonne. Pas une bande de poules affolées qui s’éparpillent dans tous les coins dès que Taim meurt d’angoisse parce qu’une poignée d’Aes Sedai dînent ensemble dans la même auberge. S’il le faut, je peux faire un saut à la Tour Noire pour bien préciser ma pensée.

— Je suis sûr que c’est inutile, dit très vite Torval.

Au moins, son rictus venait de s’effacer. Mal à l’aise, il écarta les mains, comme pour s’excuser de quelque chose. À l’évidence, il avait peur.

— Le M’Hael voulait simplement t’informer. Tes ordres sont lus à haute voix tous les jours, lors des Directives Matinales, juste après le Credo.

— Dans ce cas, c’est très bien…, grogna Rand en prenant soin de garder l’air menaçant.

Mais ce n’était pas lui que redoutait Torval. Non, il craignait la réaction de son précieux M’Hael, si une parole malheureuse de son émissaire lui valait la colère de Rand.

— Sache-le, continua Rand, je tuerai n’importe lequel d’entre vous qui oserait approcher de ces femmes, au Murandy. Mes armes tranchent là où je leur dis de trancher !

— Bien entendu, seigneur Dragon, murmura Torval.

Il esquissa un semblant de sourire, mais il pinça les narines et évita soigneusement de croiser le regard d’un des hommes présents. Dashiva ricana de nouveau et Hopwil se permit un demi-sourire.

Narishma ne se réjouit pas de l’inconfort de Torval, en supposant qu’il l’ait remarqué. Les yeux rivés sur Rand, il semblait capter de mystérieux courants dont les autres n’avaient pas conscience. La plupart des femmes et pas mal d’hommes le considéraient seulement comme un joli garçon, mais ses grands yeux, par moments, semblaient bien plus sages et profonds que ceux d’un vieillard.

Rand éloigna sa main du Sceptre et ouvrit la missive en réussissant à ne pas trembler de colère. Torval ne remarqua rien et sourit encore. Dans son coin, Narishma se détendit.

Apportées par une longue procession de domestiques illianiens, cairhieniens et teariens – avec Boreane à sa tête, bien entendu –, les boissons arrivèrent sur ces entrefaites.

Un serviteur pour chaque cru de vin, deux de plus pour le punch et le vin aux épices, et encore deux pour les plateaux lestés de gobelets ou de coupes. Et pour ne rien simplifier, un type au visage rougeaud portait un plateau exclusivement réservé au service, une Tearienne l’accompagnant afin de lui faire passer les carafes. Bien entendu, les inévitables noix, fruits secs, morceaux de fromage et olives étaient présentés par plusieurs serviteurs, chacun ne portant qu’un plateau.

Sous la direction de Boreane, tout ce petit monde exécuta un ballet parfaitement exécuté…

Après s’être fait servir du vin aux épices, Rand s’assit sur un coin de la table, posa son gobelet près de lui et commença à lire la lettre. Comme d’habitude, il n’y avait pas mention d’un destinataire et aucun préambule poli. Même s’il faisait tout pour le cacher, Taim détestait gratifier Rand d’un titre ou lui manifester sa déférence.

« J’ai l’honneur de t’informer que vingt-neuf Asha’man, quatre-vingt-dix-sept Dévoués et trois cent trente-deux soldats composent désormais l’effectif de la Tour Noire. Il y a eu quelques déserteurs, hélas, dont les noms ont été rayés des listes, mais les pertes durant la formation restent acceptables.

Désormais, cinquante équipes de recruteurs sont en permanence sur le terrain, nous amenant trois ou quatre nouvelles recrues chaque jour ou presque. Dans quelques mois, la Tour Noire sera l’égale de la Blanche, comme je te l’ai promis. Encore un an, et Tar Valon tremblera devant notre nombre !

J’ai procédé moi-même à la cueillette des mûres. Un petit buisson très épineux, mais extrêmement productif pour sa taille.

Mazrim Taim

M’Hael »

Rand fit la grimace et chassa le « buisson très épineux » de sa mémoire. Ce qui devait être fait… devait être fait. Pour son existence, le monde entier avait un prix à payer. Au bout du compte, il sacrifierait sa vie pour le sauver, mais ça n’était pas gratuit…

Il y avait d’autres raisons de faire la grimace. Trois ou quatre nouvelles recrues par jour ? Peut-être, mais Taim se montrait bien trop optimiste. Certes, à ce rythme-là, quelques mois suffiraient pour qu’il y ait plus d’hommes capables de canaliser que d’Aes Sedai, mais la sœur la plus récemment nommée avait des années de formation derrière elle. Et une partie de cet enseignement lui apprenait à faire face à un homme capable de canaliser…

Rand refusait d’envisager le moindre affrontement entre des Asha’man et des Aes Sedai sachant à qui elles auraient affaire. Quelle qu’en soit l’issue, un tel conflit ne pouvait avoir pour résultat que des larmes et du sang. Mais malgré ce que pensait Taim, les Asha’man n’étaient pas des armes braquées sur la Tour Blanche. Cela dit, si les sœurs le croyaient, tant mieux, puisque ça les inciterait à la prudence. Quant aux Asha’man… Eh bien, ils devaient savoir tuer, et rien de plus. S’ils étaient assez nombreux à avoir cette compétence, quand le jour et l’heure viendraient – s’ils survivaient assez longtemps – ils auraient rempli leur mission, et Rand ne leur en demandait pas plus.

— Torval, combien de déserteurs ?

Rand prit son gobelet et but une gorgée, comme si la réponse ne l’intéressait pas tant que ça. Le vin aurait dû le réchauffer, mais le gingembre et la muscade lui laissèrent un goût amer dans la bouche.

— Et combien de pertes en cours de formation ?

Torval avait profité de l’arrivée des boissons pour reprendre du poil de la bête. Se frottant les mains ou fronçant les sourcils en découvrant les divers crus de vin, il avait joué les grands connaisseurs, faisant un savant numéro avant de se décider pour l’un d’eux. Après avoir accepté le premier vin qu’on lui proposait, Dashiva regardait sombrement son gobelet comme s’il avait contenu du vinaigre.

Tout en désignant un plateau de friandises, Torval fit mine de réfléchir, alors qu’il connaissait parfaitement les chiffres.

— Jusque-là, dix-neuf déserteurs… Le M’Hael a ordonné qu’on les abatte à vue et qu’on rapporte leur tête au camp, pour l’exemple.

Torval préleva un morceau de poire confite sur le plateau qu’un domestique lui présentait et le goba avec ce qu’il prenait pour l’exquise délicatesse d’un seigneur.

— Au moment où je parle, trois têtes pendent aux branches de l’Arbre des Traîtres.

— C’est très bien…, dit Rand d’une voix égale.

Les hommes qui s’enfuyaient maintenant risquaient fort de s’enfuir encore plus vite lorsque des vies dépendraient de leur aptitude à rester à leur poste. Et on ne pouvait pas laisser ces déserteurs errer dans la nature. Si tous les soldats cachés dans les collines s’échappaient ensemble, ils seraient moins dangereux qu’un seul homme formé à la Tour Noire. L’Arbre des Traîtres ? Taim avait décidément un grand sens de la formule. Mais c’était lui qui avait raison. Pour rester unis et solidaires jusqu’à ce que sonne l’heure de mourir, les Asha’man avaient besoin des noms ronflants, des vestes noires et des insignes.

— Lors de ma prochaine visite à la Tour Noire, je veux voir la tête de tous les déserteurs.

Un deuxième morceau de poire confite échappa à Torval et, en tombant, tacha le revers de sa superbe veste.

— Des initiatives de ce genre risquent d’avoir un impact négatif sur le recrutement. Les déserteurs n’arrivent pas avec un écriteau dans le dos…

Rand soutint le regard de Torval, le forçant à baisser la tête.

— Et les pertes en cours de formation ? insista-t-il.

Torval hésita à répondre.

Narishma se pencha en avant, dévisageant l’émissaire de Taim. Très vite, Hopwil l’imita. Devant des hommes qui n’avaient désormais plus conscience de leur présence, les domestiques continuaient leur ballet bien réglé. Voyant que Narishma était concentré sur la conversation, Boreane en profita pour faire en sorte qu’il y ait plus d’eau chaude que de vin épicé dans son gobelet.

Torval haussa les épaules avec une nonchalance forcée.

— Cinquante et un… Treize carbonisés, vingt-huit tués accidentellement… et dix autres… Ceux-là, le M’Hael verse quelque chose dans leur vin, et ils ne se réveillent plus. (Torval prit soudain un ton cruel.) Ça peut arriver à n’importe quel moment, sans crier gare. Lors de son deuxième jour à la Tour Noire, un type s’est mis à crier que des araignées rampaient sous sa peau…

Torval eut un rictus à l’intention de Narishma et de Hopwil, et il faillit réserver le même traitement à Rand. Mais il se reprit, et continua son sinistre discours en s’adressant exclusivement à ses deux collègues :

— Vous voyez, les gars ? Si vous devenez dingues, inutile de vous inquiéter. Sans faire de mal à quiconque, ni à vous-mêmes, vous sombrerez dans un sommeil éternel. Un sort préférable à être apaisé, non ? Même si nous savons comment faire. Et c’est plus charitable que de laisser un fou se cogner la tête contre les murs parce qu’il est coupé du Pouvoir.

Narishma soutint le regard dur de Torval. Hopwil, lui, regardait de nouveau dans le vide…

— « Plus charitable »…, répéta Rand en reposant son gobelet sur la table.

Quelque chose dans le vin…

Mon âme est souillée de sang et damnée…

Un simple constat, pas une pensée amère ou indignée.

— Une clémence dont n’importe quel homme voudrait bénéficier, Torval.

Le sourire de l’émissaire s’effaça, et il trahit de nouveau son malaise. Le compte était facile à faire. Un homme sur dix carbonisé ou mort, et un sur cinquante frappé de folie. Ce pourcentage-là augmenterait au fil du temps. Et comme on était au début de toute l’affaire, impossible de savoir combien d’Asha’man, au bout du compte, auraient déjoué les pronostics. De toute façon, à la fin, ceux-ci triomphaient toujours. Et Torval, comme tous les autres, vivait à l’ombre de cette menace.

Soudain, Rand s’avisa que Boreane le dévisageait. Mettant un moment à identifier l’expression qu’elle affichait, il dut se forcer à ravaler quelque cinglante remarque. De la pitié ? Comment osait-elle éprouver ça pour lui ? Pensait-elle qu’on pouvait remporter l’Ultime Bataille sans verser de sang ? Les Prophéties du Dragon exigeaient qu’il en tombe du ciel !

— Laissez-nous, ordonna Rand.

Boreane sortit avec sa petite armée de serviteurs. Mais la compassion ne s’effaça pas de son regard.

Malgré ses efforts, Rand ne trouva aucune idée pour détendre l’atmosphère. La pitié était une faiblesse, comme la peur, et ils devaient tous chercher à être forts. Pour faire face à ce qui les attendait, ils devaient devenir plus durs que l’acier.

Les Asha’man, sa création… et sa responsabilité.

Perdu dans ses pensées, Narishma contemplait son gobelet et Hopwil sondait toujours un « lointain » qui n’existait pas. Jetant de fréquents coups d’œil à Rand, Torval tentait d’afficher de nouveau son rictus supérieur. Les bras croisés, étudiant l’émissaire comme il aurait évalué un cheval dans un enclos, seul Dashiva restait imperturbable.

Dans ce silence sépulcral, un jeune homme en veste noire fit soudain irruption sous la tente. L’épée et le Dragon épinglés à son col, cet Asha’man essoufflé devait avoir l’âge de Hopwil. Encore trop immature pour avoir le droit de se marier – en tout cas, dans beaucoup de pays –, Fedwin Morr débordait de détermination et de vigueur. La démarche féline, il avait dans le regard la vive lueur d’un chat en train de chasser, mais qui se sait poursuivi par un chien. Quelque temps plus tôt, il était bien différent…

— Les Seanchaniens vont bientôt quitter Ebou Dar, annonça-t-il tout en saluant Rand. Leur prochain objectif semble être l’Illian.

Arraché à sa sombre méditation, Hopwil sursauta. De nouveau, Dashiva éclata de rire – mais sans conviction, cette fois.

Rand hocha la tête et s’empara de son sceptre. Après tout, il l’emportait partout pour ne pas oublier… Les Seanchaniens dansaient à leur propre rythme, pas à celui qu’il entendait leur imposer.

Contrairement à Rand, Torval crut bon d’émettre un commentaire, et il opta pour le sarcasme :

— Ils sont venus te le dire ? Ou as-tu appris à lire dans les pensées ? Ouvre en grand tes oreilles, mon garçon ! J’ai combattu contre les Domani et les Amadiciens, alors, je sais de quoi je parle. Aucune armée, juste après avoir conquis une ville, ne fait ses bagages pour s’en aller à plus de mille lieues de là. Ou crois-tu qu’ils savent utiliser des portails ?

L’ironie de Torval ne défrisa pas Morr. En tout cas, il ne le montra pas, même si son pouce vint lentement caresser le pommeau de son épée.

— J’ai parlé avec certains d’entre eux… Essentiellement des Tarabonais, je dois dire. Presque tous les jours, des renforts arrivent par bateau.

Écartant Torval d’un coup d’épaule, Morr approcha de la table, puis il gratifia l’émissaire d’un regard hautain.

— Tous accélèrent le pas quand un inconnu à l’accent traînant ouvre la bouche…

Torval voulut répliquer, mais son cadet enchaîna à l’intention de Rand :

— Ils postent des soldats tout au long des monts Venir. Des groupes de cinq cents ou de mille hommes… Et ils ont déjà atteint la pointe d’Arran. Et ils achètent ou réquisitionnent tous les chariots et toutes les charrettes à vingt lieues autour d’Ebou Dar. Avec les attelages requis, bien entendu.

— Des charrettes ! s’exclama Torval. Des chariots ? Ils ont l’intention de tenir une foire ? Et qu’est-ce qui peut pousser une armée à traverser des montagnes alors qu’il existe des voies très praticables ?

Remarquant que Rand l’observait, l’émissaire se tut, mal à l’aise.

— Morr, je t’avais dit d’être discret, pas d’aller demander aux Seanchaniens de te dévoiler leurs plans. Voir sans être vu, c’était ça, ta mission.

— J’ai été prudent. Par exemple, j’avais retiré mes insignes.

Le regard de Morr ne changea pas : à la fois celui d’un prédateur et d’une proie. Et il semblait bouillir intérieurement. Si Rand n’avait pas eu d’excellentes raisons de savoir que ce n’était pas le cas, il aurait pensé que le jeune homme, uni au Pouvoir, luttait pour survivre au saidin qui l’emplissait de vie mais menaçait de le détruire. On eût dit que sa peau aurait voulu transpirer…

— Si les hommes à qui j’ai parlé savaient où ils allaient, ils ne me l’ont pas dit, et de toute façon, je ne le leur ai pas demandé. Mais devant une chope de bière, ils étaient tout disposés à gémir sur leur sort, se plaignant de marcher tout le temps sans un instant de répit. À Ebou Dar, ils absorbaient comme des éponges toute la bière disponible, parce qu’ils craignaient de repartir très vite. Et ils se procuraient des véhicules, comme je l’ai déjà dit…

Morr avait débité son discours à toute vitesse, et il sembla faire un effort pour ne pas continuer.

Avec un sourire, Rand lui tapota l’épaule.

— Du bon travail… Savoir pour les véhicules aurait suffi, mais tu t’en es bien tiré. (Il se tourna vers Torval :) Les charrettes et les chariots sont importants. Quand une armée se nourrit sur le pays, elle doit consommer ce qu’elle trouve. Ou jeûner, si elle ne trouve rien.

Torval n’avait pas bronché en entendant qu’il y avait des Seanchaniens à Ebou Dar. Si cette nouvelle était arrivée à la Tour Noire, pourquoi Taim n’y faisait-il pas allusion dans sa lettre ?

— Organiser un convoi de vivres est plus compliqué, certes, mais comme ça, on sait où trouver du foin pour les bêtes et des haricots pour les hommes. Les Seanchaniens ne laissent rien au hasard.

Cherchant parmi les cartes, Rand trouva celle qu’il voulait et la déroula. Avec son épée et le sceptre, il lesta deux coins pour qu’elle ne se réenroule pas. La côte qui allait de l’Illian à Ebou Dar lui apparut, semée sur presque toute sa longueur de collines et de montagnes. Au milieu, on trouvait des villages de pêcheurs et même quelques petites villes.

Les Seanchaniens ne laissaient vraiment rien au hasard. Alors que la conquête d’Ebou Dar remontait à un peu plus d’une semaine, les espions des marchands, dans leurs rapports, mentionnaient que la reconstruction, suite aux dommages de guerre, était déjà en cours. En outre, on bâtissait des hôpitaux et on distribuait de la nourriture – voire de l’ouvrage ! – aux pauvres et aux malheureux chassés de chez eux par les troubles. Des patrouilles, dans les rues et aux alentours de la ville, défendaient les braves gens contre les brigands et les voleurs. Et si les marchands honnêtes étaient accueillis à bras ouverts, les contrebandiers, impitoyablement punis, ne montraient presque plus le bout de leur nez. Un point qui impressionnait particulièrement les négociants illianiens, connus pour leur respect des lois.

Quels autres projets avaient les Seanchaniens, après ce départ en flèche ?

Alors que Rand étudiait la carte, ses compagnons vinrent le rejoindre autour de la table. Le long de la côte, il y avait bien des voies de communication, mais il s’agissait pratiquement de pistes étroites. Les routes commerciales, larges et bien entretenues, se trouvaient à l’intérieur des terres. Contournant les zones accidentées, elles évitaient aussi les assauts furieux de la mer des Tempêtes.

— Des hommes postés dans ces montagnes pourraient contrôler sans peine les routes intérieures, dit Rand. En d’autres termes, les interdire à leurs ennemis et les rendre parfaitement sûres pour leurs alliés. Tu as raison, Morr, ils vont venir en Illian.

Les poings appuyés sur la table, Torval foudroya le jeune Asha’man, coupable d’avoir eu raison alors que lui-même se trompait. Un péché mortel, à ses yeux.

— Même si c’est vrai, il faudra des mois avant que les Seanchaniens soient un danger pour toi, seigneur Dragon. Une centaine d’Asha’man, voire une cinquantaine, postés dans la capitale, pourraient détruire n’importe quelle armée avant qu’un seul soldat ait eu le temps de traverser un des terre-pleins.

— Je doute qu’une armée accompagnée de damane soit aussi facile à écraser que des Aiels engagés dans une attaque et pris à revers…, objecta Rand. De plus, je dois défendre tout l’Illian, pas seulement sa capitale.

Torval se raidit. L’ignorant, Rand traça du bout d’un doigt des lignes sur la carte. La pointe d’Arran et la cité d’Illian étaient séparées par une vaste étendue d’eau – les abysses de Kabal – réputée, son nom l’indiquait, pour être très profonde. Selon les capitaines de bateaux illianiens, à moins d’un quart de lieue de la côte, les plus longues sondes à main ne parvenaient pas à toucher le fond. Et les déferlantes qui venaient se briser sur les rochers pouvaient sur leur passage renverser n’importe quel navire. Avec les conditions climatiques actuelles, ces tempêtes seraient encore pires…

Contourner les abysses de Kabal impliquait un détour de cent bonnes lieues, même en empruntant le chemin le plus court – et pas nécessairement le plus facile. Mais s’ils partaient de la pointe d’Arran, les Seanchaniens pourraient néanmoins atteindre la frontière en deux semaines, même avec les orages. Et peut-être un peu plus vite, s’ils avaient de la chance…

Rand préférait les affronter sur un terrain qu’il avait choisi, et non là où ils le décideraient. Son index glissa le long de la côte sud de l’Altara, sur les monts Venir, qui finissaient par se transformer en collines à une courte distance d’Ebou Dar. Cinq cents hommes ici, mille autres là… Une série de colliers de perles ayant la chaîne de montagnes pour écrin. Un assaut massif pouvait les renvoyer vers Ebou Dar, mais on aurait aussi l’option de les clouer sur place tandis qu’ils tenteraient de comprendre ce que préparait Rand. Ou…

— Il y a autre chose, dit Morr, son débit s’accélérant de nouveau. On m’a parlé d’une arme utilisée par les Aes Sedai… J’ai découvert l’endroit où on s’en est servi, à quelques lieues de la ville. Le sol était calciné sur une bande large d’environ trois cents pieds et des vergers dévastés se dressaient tout autour. Le sable était comme… vitrifié. Là-bas, le saidin était pire…

Torval eut un geste agacé.

— Quand la ville est tombée, il pouvait y avoir des Aes Sedai dans les environs, non ? À moins que les Seanchaniens soient responsables de ce désastre. Une seule sœur avec un angreal pourrait…

— Morr, coupa Rand sans ménagement, que veux-tu dire par « le saidin était pire » ?

Dashiva sursauta, regarda bizarrement le jeune Asha’man, puis tendit un bras comme s’il voulait l’attraper. Rand l’écarta sans douceur.

— Que veux-tu dire, Morr ?

Le jeune homme hésita, son pouce descendant et remontant le long de la poignée de son épée. Quelque chose en lui semblait sur le point d’exploser, et il transpirait, à présent.

— Eh bien… Le saidin était étrange… Pire à cet endroit précis, mais étrange – je le sentais sans peine – tout autour d’Ebou Dar. Et même à vingt lieues de distance… J’ai dû le combattre, mais ce n’était pas comme d’habitude. On eût dit qu’il était vivant. Parfois… Comment dire ? Par moments, il ne m’obéissait pas, faisant autre chose que ce que je voulais. Oui, c’est ça ! Et je ne suis pas fou ! Il ne m’obéissait pas !

Des bourrasques plus violentes firent trembler les parois de la tente. Alors que Morr se taisait, les clochettes de Narishma tintinnabulèrent, indiquant qu’il venait de bouger la tête.

— Ce n’est pas possible…, murmura Dashiva. Pas possible.

— Qui peut dire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas ? lança Rand. Pas moi ! Toi, Dashiva ?

L’Asha’man en sursauta de surprise, mais Rand se tourna vers Morr et prit un ton moins dur :

— Ne t’en fais pas, mon garçon…

Pas un ton compatissant – ça, il ne pouvait plus le faire – mais encourageant, au moins l’espérait-il. Car ces hommes étaient sous sa responsabilité.

— Tu seras avec moi le jour de l’Ultime Bataille, je te le promets.

Morr acquiesça, puis il se passa une main sur le visage et sembla surpris de le découvrir ruisselant de sueur. Ensuite, il regarda Torval, qui se pétrifia. Morr savait-il, au sujet du « quelque chose dans le vin » ? Quand on connaissait les alternatives, c’était un acte miséricordieux. Une miséricorde insignifiante et amère, certes, mais…

Rand prit la lettre de Taim, la replia et la glissa dans sa poche. Déjà un fou sur cinquante hommes, et d’autres à venir. Morr serait-il le prochain ? Dashiva, lui, semblait bien parti pour. Sous cet éclairage, le regard perdu de Hopwil et même la torpeur habituelle de Narishma avaient de quoi inquiéter. Devenir fou n’impliquait pas obligatoirement de sentir des araignées ramper sous sa peau.

Un jour, Rand avait demandé à quelqu’un de confiance comment il pourrait purifier le saidin. En guise de réponse, il avait obtenu une charade. Selon Herid Fel, cette charade contenait des principes fondamentaux dans les domaines de la haute philosophie et de la philosophie naturelle. Peut-être, mais le jeune homme n’avait jamais entrevu l’ombre d’une façon de les appliquer à son problème.

Fel avait-il été tué parce qu’il avait résolu l’énigme ? Rand avait son idée là-dessus, mais cette intuition pouvait se révéler catastrophiquement erronée. Les charades et les intuitions n’étaient en rien des réponses, pourtant, il devait agir. Si la souillure n’était pas éliminée, le monde risquait d’être dévasté par des fous avant même le début de l’Ultime Bataille.

Ce qu’il fallait faire devait être fait…

— Ce serait merveilleux…, souffla Torval. Mais comment quelqu’un, à part le Créateur… ?

Il n’acheva pas sa phrase.

Rand s’avisa alors qu’il venait de réfléchir à voix haute. Dans le regard de Narishma, de Morr et de Hopwil, il vit briller le même espoir fou. Dashiva, lui, semblait sonné sur pied.

J’espère ne pas en avoir trop dit, pensa Rand. Certains secrets ne devaient pas transpirer – par exemple, en ce qui concernait ses plans.

Revenant au présent, le Dragon Réincarné ordonna à Hopwil de chevaucher jusqu’à la crête avec de nouvelles consignes pour les nobles. Puis il chargea Morr et Dashiva de trouver Flinn et l’autre Asha’man et confia à Torval la mission de retourner à la Tour Noire transmettre des ordres stricts à Taim.

Il ne resta bientôt plus que Narishma. Pensant aux Seanchaniens, aux Aes Sedai et aux armes, Rand l’envoya lui aussi en mission avec des instructions très précises qui ne manquèrent pas de le surprendre.

— Surtout, ne parle à personne, acheva Rand. (Il saisit Narishma par le bras.) Et ne t’écarte pas de ce que je t’ai dit. Même d’un quart de pas !

— Je ferai ce que tu m’as dit, souffla le jeune Asha’man.

Il salua Rand et partit au pas de course.

C’est dangereux…, murmura une voix dans la tête de Rand. Très dangereux, oui, et peut-être trop dangereux ! Mais ça peut réussir. Quoi qu’il en soit, tu dois tuer Torval sans tarder.

À cet instant, Weiramon entra sous la tente en poussant de l’épaule Gregorin et Tolmeran, qui s’efforçaient eux-mêmes d’écarter Rosana et Semaradrid. Tout ce petit monde était pressé d’annoncer au seigneur Dragon que les soldats cachés dans les collines avaient pris la bonne décision.

Le découvrir en train de rire aux éclats ne manqua pas de les surprendre.

Lews Therin était revenu ! Ou alors, Rand était bel et bien cinglé ! Dans les deux cas, il y avait de quoi rigoler, pas vrai ?


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