Jack Barron émergea de l’environnement confiné du studio – avec son plateau, sa caméra, ses vidphones, ses écrans de contrôle, ses pédales et son moniteur groupés dans un micro-univers qui n’excédait pas six mètres sur cinq sur deux et demi – comme un homme ivre ou drogué ou sous le coup d’une impulsion d’adrénaline soudain mis en contact avec une réalité différente et, pendant un temps de réajustement inévitable, pas tout à fait aussi vivace.
Il le savait très bien ; si bien qu’il s’était fabriqué une image-fantasme pour concrétiser dans le flux normal de sa mémoire le moment psychédélique, essentiellement non verbal du mercredi soir. L’intérieur du studio était pour lui l’intérieur de cent millions de postes de télévision. Une créature qui portait son nom y vivait une heure par semaine (avec pour voir les yeux du moniteur, pour entendre les oreilles du vidphone et pour assurer sa coordination interne une panoplie d’écrans de contrôle aux prolongements kinesthésiques, aux images sans cesse changeantes obéissant au doigt et au pied, répercutant ses colères, ses menaces et ses faveurs dans le moindre circuit, le moindre relais de l’entité électronique à laquelle il était soudé en tant que commutateur principal), créature toute sienne, monstre de Frankenstein élaboré par lui, issu de sa volonté mais ne présentant qu’une émanation de sa personnalité intégrale.
Émerger du studio était une mort et une renaissance : l’image de pouvoir, points de phosphore sur écran de TV de Jack Barron le donneur de coups de pied au cul, mourait alors, coupée de ses prolongements électroniques et des circuits du pouvoir ; et le Jack à la chair molle, au ventre affamé, au sexe affamé, le Jack petit garçon, le desperado, le nostalgique du temps de Jack et Sara (mollo, mon vieux) revenait à la vie.
Barron quitta le studio, passa par le corridor, ouvrit une porte et entra directement dans la salle de la régie qui se trouvait juste derrière la cabine de contrôle. Il fit un signe de tête aux techniciens qui s’étiraient et se passaient des magazines d’épouvante derrière leur triple rang de consoles chargées d’écrans, et allait ouvrir la porte de la cabine de contrôle lorsque Vince Gelardi lui-même en sortit.
— C’est la vieille forme ce soir, hein, Jack, fit Gelardi. Ils ont beaucoup aimé à Peoria et autres hauts lieux du show-business.
— La vieille forme ? rétorqua Barron avec une raideur feinte car il savait qu’in extremis il avait emporté le morceau. Vieux cinglé de Rital, tu as failli me faire passer par-dessus bord ! Si tu n’avais pas devant toi le plus fameux spécialiste du rétablissement en plein vol qui ait jamais existé, toi et moi et toute cette foutue régie nous nous retrouverions demain sur le pavé en train de tendre la main.
— Je croyais que je travaillais pour Bug Jack Barron, l’émission où chacun en prend pour son grade, et non pour le Feuilleton Paroissial, dit Gelardi avec son accent traînant. Nous sommes censés faire un peu dans la polémique, non ?
— Tu l’as dit, Vince, un peu, fit Barron maintenant à moitié sérieux. Un peu mais pas trop. Nous nous en prenons aux miteux, aux méchants tyrans aux pieds d’argile, parfois même si nous sommes un peu téméraires il nous arrive de nous offrir quelque conard à la grande gueule comme Shabazz ou Withers. Mais nous ne plantons pas des banderilles enflammées dans la peau sensible des tigres qui ont pour crocs la F.C.C. et les commanditaires et pour nom Benedict Howards. Nous leur tirons bien la queue de temps à autre pour récolter des médailles de mérite, mais de là à se l’attacher autour de la taille pour asséner audit tigre des coups de nerf de bœuf, merci beaucoup !
— Tu déconnes, dit Gelardi bon enfant. Je savais sous quel angle tu attaquerais la chose et comment ça finirait, et tu sais que je le savais. Bennie s’en tire avec un début d’ulcère, mais il est loin d’être blessé à mort. Tu es mon idole, Jack, tu sais.
Barron se mit à rire.
— Et tu avais prévu aussi, je suppose, que Teddy Hennering aurait le cerveau qui partirait soudain en couilles ? demanda-t-il, pas mécontent du tout rétrospectivement de son jeu de pied pendant l’émission.
Gelardi haussa les épaules :
— Bah, ça prouve que même le grand Gelardi n’est pas parfait, dit-il. Mais pour moi ça ressemblait plutôt à une attaque de conscience.
— Parce qu’il y a une différence ? En tout cas, s’il y en a une, elle est minime car le résultat est toujours pareil. Et à propos, est-ce que la secrétaire de Howards t’a laissé son numéro ?
— Tu veux rigoler, dit Gelardi, et Barron vit (ah, bon !) qu’il était sincère.
— Vince, mon garçon, fit-il en imitant W.C. Fields, un de mes distingués amis, lisant dans un quotidien sérieux qu’une femme sur cinquante sollicitées à froid au coin d’une rue acceptait illico voulut vérifier cette théorie au coin de la 42e Rue et de la Cinquième Avenue. Il reçut pour sa peine une sévère volée de coups de parapluies, de sacs et d’autres objets douloureusement rigides. Cependant, mon garçon, il baisa aussi.
L’éclat de rire des techniciens de la régie atteignit les oreilles de Jack Barron.
— Quoi ? fulmina-t-il, toujours avec la voix de Fields, on se moque de mes sages paroles ? Fi ! Nul doute que ce ne soient des rustres tels que vous qui ont forcé Socrate à boire la ciguë !
— Te voilà d’humeur bien gaillarde ce soir, fit remarquer Gelardi.
— Gaillarde ? Où donc ? Qu’elle s’amène, cette gaillarde, je lui montrerai quelque chose. (Puis, abandonnant Fields, Barron ajouta :) Et sur ces mots, il salue bien bas l’assistance, sort de scène du côté gauche et s’enfonce dans la nuit noire.
Il fit un clin d’œil à Vince, salua ceux de la régie et… s’enfonça dans la nuit.
— Je sais qui vous êtes, dit-elle, très secrétaire de direction, froide, aux cheveux de miel, dans les vingt-sept ans, style Upper-East-Side. Je vous ai reconnu immédiatement à votre arrogance, monsieur Barron.
— Appelez-moi Jack, dit-il avec un sourire large de représentant. Tous mes ennemis m’appellent ainsi.
Il la vit grimacer, histoire d’accuser le coup, vit les nénés pigeonnants (pas si terribles), les cuisses gourmandes, imagina les petits poils noirs de fausse blonde qui devaient dépasser du slip (celle-là porte des dessous) et se dit que pour Jack Barron en couleurs vivantes l’affaire était gagnée.
Il s’appuya du coude au comptoir, lui tendit son paquet d’Acapulco Golds et s’amusa de l’air de petite fille conspiratrice avec lequel elle tira une cigarette pour l’allumer discrètement elle-même avec son briquet, ce qui signifiait qu’elle fumait la marijuana depuis bien avant la fin de la prohibition, à l’époque où l’herbe achetée furtivement au fourgueur du quartier dans une enveloppe jaune avait la saveur du danger. Pourquoi, songea-t-il, tous les camés de longue date préfèrent-ils les Acapulco Golds ?
— Vous devez avoir des ennemis de toutes sortes… Jack (deux points pour elle), dit-elle en soufflant un nuage de fumée mêlée d’haleine parfumée qui lui effleura agréablement les narines. Des ennemis puissants, importants… comme Benedict Howards.
— Ah, dit-il, je vois ! Vous avez regardé l’émission. Ne me dites pas que vous êtes une vieille et fervente admiratrice.
L’imperceptible clignement de contrariété lui apprit (jamais elle ne l’avouerait) qu’elle l’était. Elle répondit, tirant une autre bouffée :
— Je ne suis rien du tout. Mais j’ai le droit d’avoir un faible pour…
— L’odeur du sang ? suggéra-t-il.
Elle lui lança un regard farouche. L’herbe commençait sûrement à agir, à mollir les cuisses lisses, ouvrir les centres d’appétit, appétit de réalité, d’action, appétit d’accéder aux cercles du pouvoir cercles mystiques aux couleurs vivantes où tout se passe, baise-moi fais-moi réelle avec ta pine ouvre-moi les cercles du pouvoir.
— Oui, nous avons tous un faible pour l’odeur du sang, reprit Barron en jetant un coup d’œil à l’environnement factice de la salle de bar anonyme style Upper-East-Side aux lumières soigneusement filtrées, peuplée de belles vieillissantes (nous avons réussi, nous sommes arrivées ou presque, il nous reste seulement un échelon à gravir pour être dans le coup) qui n’étaient plus des filles et ne seraient plus jamais femmes. Oui, dit-il, j’aime les filles qui ont assez de couilles pour le reconnaître (tu aimes bien qu’on t’attribue métaphoriquement des organes mâles, chérie ?). Comme vous l’avez peut-être remarqué, je ne manque pas moi-même de férocité.
Il inclina la tête, capta dans le creux de ses yeux les reflets du luminaire sur le comptoir brillant, entrouvrit les lèvres pour laisser voir le bout d’une langue molle, fidèle au jeu de Bug Jack Barron.
Comme fascinés, les yeux bruns miroitants exprimèrent un instant l’embarras d’une petite fille surprise en train de regarder où il ne faut pas, trous sans fond d’appétit à contenter. Elle haussa les épaules d’un air de dire je renonce à jouer au plus fin avec ce type, ses épaules retombèrent, elle appuya ses coudes au comptoir et s’entoura le visage des deux mains sans cesser de le regarder dans les yeux. Puis elle sourit, langue rose entre ses deux lèvres mouillées.
— Je crois que vous êtes un ignoble porc, dit-elle doucement. Vous aimez jouer avec la tête des gens, et en ce moment vous jouez avec la mienne. Il y a longtemps que je me serais levée si vous n’étiez pas si fort à ce jeu.
— C’est de cette façon que je remplis la marmite. Vous voulez que je fiche le camp ? Préférez-vous que j’admire vos qualités intellectuelles ? Ou préférez-vous me laisser jouer avec votre… tête ? Ce n’est pas tellement désagréable si vous vous laissez faire et si vous fermez les yeux.
— Je ne vous aime pas du tout, Jack Barron, dit-elle, mais au même moment il sentit ses ongles sur sa cuisse à travers le tissu de son pantalon.
— Mais vous ne doutez pas un seul instant que vous allez aimer ce que je vais vous faire, c’est bien ça ?
— Je dois être attirée par l’odeur du sang, comme vous dites, répondit-elle (avec un sourire farouche de petite fille perdue qui provoqua en lui un frisson de déjà vu, sourire déjà vu de fille hip aux cheveux de miel, à la carapace fragile), même si c’est le mien. Un homme comme vous doit sentir ça du premier coup chez une fille ? O.K., monstre, menez-moi à l’abattoir.
Pas plus difficile que ça, pensa Barron. Et c’est aussi bien pour toi, ma poupée. Parce qu’il y en a douze autres aussi assoiffées d’action qui attendent, dans ce bar et dans une douzaine d’autres, douze filles aux cheveux de miel… (mollo, Jack, baby !).
— Allons dans l’antre du monstre, dit-il en prenant sa main sèche et glacée. Je vous promets que vous aurez quelque chose à raconter à vos petits-enfants.
Ce genre de levage instantané était une spécialité du mercredi soir, après le rituel de l’émission, et Claude, le portier, n’esquissa pas l’ombre d’un clin d’œil complice dans le dos de la fille aux cheveux de miel à qui il ouvrait la porte. Cet enculé de Claude commence à avoir l’habitude, se dit Barron tandis que l’ascenseur du penthouse s’élevait sans bruit. Je me fais l’effet d’un putain de fétichiste. Depuis combien de temps dure ce cirque du mercredi soir ? Combien de Sara-du-mercredi-soir… (mollo, Jack, mon vieux – trop tard, à qui crois-tu la faire ?).
Au moment où l’ascenseur s’arrêta, Barron regarda la fille sans nom qui lui tenait la main, vit ses cheveux teints couleur de miel, ses grands yeux bruns, son corps plastique, fait pour baiser, vit la dernière en date d’une interminable file de blondes aux grands yeux aux cheveux de miel dont le point commun était qu’elles n’étaient pas Sara. Il se sentit pris au piège, comme une créature enfermée dans un montage électronique, éprouva quelque chose de plus fort que le désir charnel et de plus faible que l’amour pour la fille sans nom, la fille qui convoitait l’image-phallique-en-couleurs-vivantes de Jack Barron de renommée mondiale. Donnant, donnant, se dit-il, comme pour le contrat d’Hibernation de Benedict Howards : baise-moi avec ton image, chérie, et je te baise avec la mienne.
La porte de l’ascenseur coulissa et Barron précéda la fille dans le hall d’entrée privé avec sa moquette en peau d’ours et son panneau mural kinesthopique (cascades de vibrations atténuées, spirales alternées jaunes et bleues, bousculant la rétine, instabilité étudiée image par image), puis la conduisit silencieusement par le corridor obscur aux portes fermées à l’inévitable stupéfaction du living-room.
Au vingt-troisième étage d’un immeuble new-yorkais des États-Sixties, Jack Barron vivait en Californie du Sud. Le corridor débouchait sur une galerie en surplomb agrémentée d’un bar et de tabourets, dominant un vaste living-room à moquette rouge. La paroi opposée était faite de surfaces de verre coulissantes qui s’ouvraient sur une terrasse décorée de caoutchoucs entrelacés et de palmiers nains. Comme toile de fond, le halo permanent des lumières de Brooklyn et de l’East River. Le plafond du living-room était un énorme dôme à facettes en plexiglas transparent. Le mobilier : un mur entier d’appareils électroniques encastrés – écrans de télévision en couleurs et en noir et blanc, magnétoscope, magnétophone, équipement stéréo, modulation de fréquence et d’amplitude, orgue chromatique, vidphones, blippeurs, consoles de contrôle couplées – sofas en tapisserie bleue, rouille et orangée, coussins de cuir noir, banquettes en séquoia assorties d’une douzaine de petites tables, selles de chameaux, petits tas au nombre de six de coussins multicolores style oriental disposés autour d’un foyer dallé de trois mètres sur trois encastré dans le sol (type automatique à appel d’air latéral) d’où s’élevaient déjà des flammes (activées automatiquement depuis le hall d’entrée) qui projetaient de longues ombres vacillantes et pourpres.
Barron mit en marche une console de commande à distance (il y en avait pour tous les gadgets éparpillés dans l’appartement) et un montage musical enregistré de sa composition fit vibrer électriquement l’air tandis que l’orgue chromatique faisait scintiller les facettes du dôme de couleurs changeantes en harmonie avec la musique.
La fille aux cheveux de miel le regarda en ouvrant de grands yeux (yeux de Berkeley, admiration pour le héros du campus, militant des Bébés Bolcheviques, yeux de vénération, elle avait ces yeux-là avant de lui faire une pompe), et bredouilla :
— Monsieur Barron…
Barron chassa les réminiscences, se durcit, capta dans ses cheveux, dans sa bouche, dans le creux de ses yeux les reflets vacillants de l’orgue chromatique, la chaleur du foyer, et dit d’une voix aux résonances sardoniques :
— Et vous n’avez pas encore vu la chambre à coucher !
— Je crois que j’aimerais la voir, dit-elle d’une voix âpre de petite fille. Cela risque d’être impressionnant.
Barron se mit à rire. Il se vit soudain à côté de cette fille dont il ne connaissait pas le nom, dont l’odeur était plus réelle que l’odeur-image de Sara. Elle vaut le coup, se dit-il en descendant avec elle les marches de séquoia et en la conduisant vers la chambre à coucher. Ce soir c’est elle que je veux baiser, pas Sara.
Comme un animal dépourvu de pensées, puissant, protubérant, phallique, il lui ouvrit la porte et ils pénétrèrent à l’intérieur vers l’extérieur.
Une douce nuit de mai new-yorkaise, et la chambre à coucher s’ouvrait entièrement face à eux du sol au plafond et d’un mur à l’autre sur les palmiers nains de la terrasse ciel ouvert sur le halo nocturne de la cité le plafond un dôme de verre transparent donnant sur un ciel noir sans étoiles la moquette épaisse et sensuelle ondulant sous l’effet de la brise venue librement du dehors le grand lit circulaire surélevé au milieu de la pièce, illuminé par des projecteurs de lumière dorée dissimulés dans la boiserie semi-circulaire autour du lit couverte de lierre véritable (rayons encastrés aux livres précieux, console de contrôle électronique). Bruit de la mer enregistré dans le lointain, bruits d’insectes bruits de nuit tropicale remplaçant la musique lorsque Barron ajusta la console murale.
— Mais c’est… c’est…, bégaya la fille en le regardant avec des yeux qui n’étaient plus sûrs de rien plongeant dans des abîmes qu’elle savait (et il savait qu’elle le savait) ne jamais pouvoir mesurer, réalisant l’espace d’un éclair que c’était pour cela (pas par hasard) qu’elle était une secrétaire de direction assoiffée de réalité et lui Jack Barron.
Barron lui fit un sourire de petit garçon fier de lui, prit ses deux mains dans les siennes et se paya le luxe de quelques instants de fierté désintéressée, non orientée vers la séduction, pour la façon dont le décor de la chambre à coucher attendrissait le regard de la fille, attendrissait son image à lui aussi, faisait d’eux des êtres simples se tenant par la main devant un lit par une douce nuit de printemps. Si le living-room était un tour de force qui prolongeait à dessein l’image couleurs vivantes de Jack Barron, la chambre à coucher était Jack, était le logis, là-haut sur la colline, de Jack-et-Sara-de-Berkeley, était la cabane de Los Angeles dans la tiède nuit d’été du Canyon, la maison au bord de la mer d’Acapulco l’odeur de la mer sur le corps de Sara double image (New York-Californie-New York) expatriée Californie allègre de l’esprit.
C’est elle qui rompit le charme, tombant en avant contre lui, jetant ses bras autour de son cou. Il vit les lèvres entrouvertes, la langue déjà pointant avant d’atteindre sa bouche elle aussi entrouverte, passive, dans un ironique renversement des rôles.
Sa langue animée d’une vie séparée, lui fouillant désespérément la bouche, fais-moi réelle dans ta bouche, elle pressa son corps ondulant ses épaules ses seins son ventre son pelvis dur et anguleux contre le corps de Jack Barron, langue dure fouillant sa bouche, tentative pathétique frénétique de se fondre en lui pour incorporer son image floue dans l’image réelle en couleurs vivantes image électrique à la dimension transcontinentale de Jack Barron.
Les yeux ouverts à des années-lumière de là, il la vit tendue béante aspirante attirant dans son vide l’énergie-réalité de son corps vivant, sa bouche respirant son haleine magique son souffle-réalité dans un désir total d’être imprégnée envahie transfigurée par lui.
Oscillant il se pressa contre elle fit mouvoir sa langue en la repoussant peu à peu vers le lit tandis qu’elle se laissait aller avec un soupir, soulagée de lui abandonner enfin l’initiative, festin de tendre chair féminine attendant d’être consommé, dévoré, digéré, intégré à l’image-pouvoir de chair mâle.
Laissant tomber sa sportjac, il la laissa l’attirer en arrière sur le lit, sentit les doigts aux ongles pointus défaire sa chemise s’enfoncer dans son dos nu pendant qu’il faisait glisser la fermeture du fourreau qu’elle quittait d’un mouvement de serpent qui sort de sa mue et que des mains impatientes repoussaient son pantalon qu’il envoya d’une ruade avec ses mocassins sur le plastigazon, arrachant ses chaussettes de sa main gauche dégrafant le soutien-gorge pigeonnant faisant glisser le petit slip de soie rouge (toison noire de fausse blonde, comme prévu) et ils furent nus tous les deux, sentant la brise libre sur leur peau.
Soudain un étrange moment de pause (changement de tempo) où la frénésie du déshabillage chair contre chair sous la brise virginale cède la place à un nouveau style de réalité-perception. Barron lentement abaissa son regard, les mains tendres, statiques, vit le corps féminin offert devant lui maintenant, le bout des seins, le ventre, le nombril, la fourrure pubienne, corps féminin tout tiède et tendre et simple, rien qu’un corps de femme bien faite. Elle retint sa respiration, lui fit un sourire humain, simple, yeux luisants de n’importe quelle femme qui disaient : Je suis Jane, toi Tarzan, baise-moi. Et il lui sourit en retour, à elle et pas à une autre. Doux moment d’heureuse simplicité, douce transition avant…
Elle l’enserra dans l’étau de ses jambes glissa sous lui fermant les yeux gémissant enfonçant ses ongles dans les fesses de Barron. Il gémit au-dessus d’elle en elle autour d’elle poussant avec ses mains ses pectoraux sa bouche ne sentant qu’au niveau de sa peau ses mains ses muscles son organe lentement pénétrant, plaisir, rythmique kinesthésique masculin-féminin se répandant en ondes concentriques indépendamment d’elle ou de lui.
Il ferma les yeux s’ouvrit en elle, sentit les vagues de plaisir envahir en un crescendo les organes la peau les cuisses dans un flux qui montait montait montait la sentit emportée par la vague un quart de mesure avant lui, moi-toi, moi-toi, leurs liquides mêlés leur pompe à plaisir fonctionnant selon un tempo mécanique-organique jusqu’au moment où il sentit en eux au point de synapse un spasme éclatant de plaisir-douleur elle-lui, elle-lui, et c’est là qu’elle…
Jouit. Gémit ; cria ; enfonça ses ongles « Jack, Jack, Jack », aspira son oreille dans sa bouche fit jaillir sa langue dans son oreille le faisant basculer de l’autre côté de l’abîme dans un moment intemporel d’orgasme saccadé : plaisir explosant en un spasme harmonique image d’extase tactile visuelle auditive…
Langue dans son oreille, « Jack, Jack, Jack », Berkeley, Los Angeles, la maison au bord de la mer d’Acapulco ses cheveux ses lèvres son corps mouillés odeur de la mer langue de Sara dans son oreille corps de Jack-et-Sara halètements soupirs partagés corps contre corps (il ouvrit les yeux, vit la blonde anonyme le visage déformé par l’extase) jouissant ensemble jouissant jouissant ensemble.
— Sara, Sara, Sara, cria-t-il en éjaculant sa semence image de plaisir vide bienheureux dans la tiédeur du corps ; lèvres tendres il voulut prendre sa bouche s’arrêta brusquement se retrouva mercredi soir à New York et le vent venant de la terrasse était soudain froid, glacé.
— C’est Elaine mon nom, dit la blonde d’une voix de standardiste longue-distance sous sa carapace reconstituée de secrétaire de direction style Upper-East-Side.
— Sans déconner ? demanda Jack Barron.