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— Et si vous me disiez plutôt, miss Westerfeld, ce que vous avez fait pendant ce temps ? fit Jack Barron en ôtant sa sportjac et sa chemise et en envoyant rouler ses chaussures dans un coin tandis qu’il appuyait sur un bouton de la console murale pour ouvrir les parois vitrées coulissantes de la terrasse.

Une froide bouffée d’air pur (à cette heure matinale et au vingt-troisième étage) secoua la semi-torpeur du voyage en avion et il sortit le torse nu sur la terrasse, suivi d’une Sara frissonnante de froid et mal réveillée.

— Mais je t’ai seulement demandé ce qui s’est passé à Evers ! fit-elle d’une voix humiliée.

Barron haussa les épaules, grimaça un faible sourire et la serra dans ses bras, autant pour la réchauffer que pour se réchauffer lui-même.

— Il faudrait trois heures pour te donner les détails, mais voilà à peu près ce qui s’est passé. À ma descente d’avion, Luke est là pour m’accueillir en fanfare avec la presse au grand complet et tout un putain de cinéma. Après ça je rencontre Franklin et j’apprends que quelqu’un a bien acheté sa fille mais ce n’est pas tout, quatre autres gosses sont portés manquants à peu près dans les mêmes circonstances et en remontant aux sources je trouve Benedict Howards. Je file à la Plantation de Luke où Morris, Woody Kaplan et Deke Masterson m’attendent pour me faire le coup du Complot-dans-la-salle-enfumée, je déconne un moment avec eux, je saute dans l’avion et me voici en direct en couleurs vivantes. Satisfaite ?

— Il y a quelque chose que tu ne me dis pas, fit Sara avec conviction. On dirait que quelque chose… quelque chose de terrible vient de t’arriver. Comme si… Jack, pour l’amour du ciel, dis-moi la vérité !

Barron contempla la ligne d’horizon de Brooklyn et de l’East River, claire et pure dans le matin comme une foutue carte postale en technicolor. Encore deux heures au plus, pensa-t-il, et l’air va s’emplir des miasmes de mille milliards de tonnes de saloperies de toutes sortes, et le fleuve va se mettre à puer comme un cloaque immonde et toutes les cheminées vont entrer en action. On se demande ce qu’ils fabriquent dans toutes ces putains d’usines. De la merde, probablement. Comme disait je ne sais plus qui : « Il ne fait aucun doute que la présence de l’Homme sur la Terre ne soit l’aboutissement le plus parfait et le plus efficace d’un processus évolutionnaire tendant à transformer le plus possible d’aliments en merde. » Et pour ce qui est d’être dans la mouscaille, on peut dire que je suis servi ! Alors tu vas tout dire à la petite dame, Jack, baby, parce que la prochaine fois elle pourrait très bien se trouver dans la ligne de tir.

— Benedict Howards a tenté de me faire tuer, fit-il tranquillement. (Il sentit les bras de Sara se crisper et elle appuya sa joue contre son torse glacé.) Mais la balle est passée très loin, mentit Barron. Je ne sais pas, peut-être qu’il voulait seulement me faire peur. Le coup du tueur embusqué, comme à Dallas. Mais il a eu ce pauvre Franklin, quand même. Howards voulait vraiment l’empêcher de parler.

— Mais pourquoi ? demanda Sara. Après tout le mal qu’il s’est donné pour te mettre de son côté !

— C’est justement ça la question. Mais je crois avoir trouvé en partie. Howards tue Hennering parce que ce pauvre diable a découvert quelque chose en rapport avec le traitement pour l’immortalité qui lui fout tellement les foies qu’il se sent obligé de tirer le signal d’alarme. Howards tue Franklin pour m’empêcher de découvrir que la Fondation achète des enfants noirs, et il essaie de me tuer, ou tout au moins de me faire peur, pour éviter que ça ne passe à la télé. La seule explication possible, c’est que les larbins de Howards ont dû utiliser ces pauvres gosses comme cobayes humains pour mettre au point le traitement, et que certains d’entre eux ont dû y rester. Bennie n’accepterait de risquer la chaise électrique que pour couvrir un meurtre antérieur, et une seule chose a pu le pousser à tuer au départ, c’est sa foutue immortalité.

— Qu’allons-nous faire maintenant ? demanda Sara.

Dans le regard qu’elle levait vers lui il vit d’insondables tunnels reliés à ses tripes, à des colères surgies du passé guêpe de métal effleurant son oreille Franklin gisant dans une mare sanglante s’étalant des soupentes de Berkeley à King Street, Evers, salle enfumée où quatre (cinq) baisse-froc partageaient des rêves chimériques en jouant à leurs jeux de junkies de pouvoir. « Personne ne fait ça à Benedict Howards », et l’arme au canon d’acier, froide et professionnelle sur le couvercle de poubelle, fait voler derrière lui les écorces d’orange et les détritus mouillés comme le crâne éclaté d’un junkie, et la guêpe de métal siffle à ses oreilles – « Le Cau-ca-sien Noir ! Le Cau-ca-sien Noir ! »… et ce que tu veux tu le sais très bien, Jack, baby !

Il lui sourit de son regard de mauvais garnement, sachant presque mot pour mot quelle allait être la réponse mais voulant entendre parler son ancien moi familier par les lèvres de Sara, et demanda :

— Qu’est-ce que tu veux que nous fassions ?

— Ça ne te suffit pas ? Howards est un assassin, et même si tu ne peux pas en apporter la preuve tu peux le coincer en faisant une émission avec les parents de ces gosses… mais tu sais mieux que moi comment détruire la Fondation, tu l’as presque fait déjà à deux reprises. Et nous pourrions prendre des précautions pour que personne ne puisse… ne puisse… Je n’ai pas peur.

— Je me demande si Madge Hennering disait la même chose, fit Barron. (Il savait que cette dérobade était de pure forme. Bennie Howards était acculé au mur de toute façon. Qu’est-ce qu’il peut me faire ? pensa-t-il. Avec Morris et les grands pontes du G.O.P. derrière moi il ne peut plus m’enlever l’émission. Quant à ses tueurs… maintenant que je sais qu’ils sont là, il ne doit pas être difficile de les éviter. L’enfant de putain a tout de même essayé de t’assassiner. Tu ne vas pas le laisser s’échapper comme ça ? Il verra que Jack Barron n’est pas Ted Hennering.) Tu as raison pour une fois, Sara. On ne peut pas le laisser s’en tirer comme ça. Assis sur un monceau de cadavres, faisant la loi pendant le million d’années à venir… Je peux encore couler son projet de loi et l’arranger si bien qu’il n’aura même plus assez de voix démocrates pour faire échec au Prétendant. Seulement…

Seulement peut-être que l’enjeu est trop important pour que je me permette de m’offrir cette vengeance, pensa-t-il. De l’autre côté du fleuve, des nuages de fumée dense commençaient à obscurcir un ciel bleu qui se prolongeait haut, très haut, jusqu’à un néant gris bordé par… l’éternité. Et c’est un morceau difficile à avaler, l’éternité. Il faut être un héros pour s’attaquer à ça. Jésus des hippies soi-même y aurait réfléchi à deux fois. Il est mort pour nous sauver, mais il avait son petit coin d’éternité réservé (« et si tu es noir, quand tu t’en vas plus d’espoir »). Je me demande quelle sorte de Bébé Bolchevique il aurait fait s’il avait dû mettre ça en jeu, sa précieuse immortalité, du haut de sa vieille Croix de bois ?

— Bien sûr, c’est tentant d’en parler comme ça, reprit-il. Ça nous permet d’oublier la seule chose que Bennie a à mettre dans la balance – pas de Bennie, pas d’immortalité. Tu es prête à renoncer à ça aussi, Sara ?

Cette fois-ci, Sara le regarda sans rien dire. Nul ne pouvait donner la réponse à cette question. Mais il y a ce morceau de papier, pensa-t-il.

— Écoute, dit-il brusquement. Tu es prête à tenter le grand jeu aujourd’hui, quitte ou double ?

— Que veux-tu dire ?

— Je vais appeler Bennie immédiatement, lui dire que nous partons pour le Colorado, que nous voulons subir le traitement tout de suite. Et quand ce sera fait… il ne peut plus rien contre nous. C’est son unique carte, et une fois qu’il l’aura jouée il sera à notre merci. Qu’en dis-tu ? Es-tu prête à devenir immortelle aujourd’hui ?

— Mais… qui te dit qu’il n’en profitera pas pour se débarrasser de nous ?

— La technique moderne, plus un petit peu d’astuce. J’emporte avec moi un miniphone, et je le ferai parler, je le pousserai à bout jusqu’à ce qu’il débine tout le truc et…

— Qu’est-ce qu’un… miniphone ?

— Hein ? Oh… c’est un nouveau gadget des laboratoires de Bell, un vidphone privé portatif pas encore sorti sur le marché, strictement réservé aux officiels. Ça émet directement sur le réseau de satellites normaux, et on peut s’en servir de n’importe quel endroit. Je n’ai qu’à installer un circuit multiple avec quelques postes ici et au studio et régler le miniphone sur la fréquence du circuit en branchant des magnétophones pour enregistrer tout ce que Bennie dira à des milliers de kilomètres de là et laisser à Vince des instructions pour qu’il expédie des copies de la bande à Luke, au F.B.I., à Morris et même à la presse peut-être s’il m’arrive quoi que ce soit. Il suffira que je m’arrange pour que Bennie se mouille quand il croira que nous sommes seuls, et avec ça il ne pourra rien contre nous.

— Cette fois-ci c’est pour de bon alors ? dit-elle. J’entends parler de nouveau le vrai Jack Barron…

Et les bras de Sara autour de sa taille, ses lèvres entrouvertes, son regard reflétant des abîmes nus de plaisir sans fond semblaient le dévorer insatiablement dans les draps de Berkeley rues du danger de Meridian bruits de nuit tropicale d’Acapulco, Sara qui le poussait, Sara qui l’aspirait à elle qui lançait des éclairs de vénération vorace et semblait lui crier tandis que son propre sang montait dans ses artères : « Vas-y, Jack ! Vas-y ! Vas-y ! »

Les méfaits des camés du pouvoir. De quoi reluire gratis dans chaque paquet, et un paquet gratis chaque fois qu’on reluit. Des salades à la Bébé Bolchevique et tu le sais, mais quand même ça fait quelque chose de se sentir à nouveau le feu sacré. Oui, en ce temps-là on voyait tout avec des yeux de gosses, c’était nous contre toute la saloperie du monde, et merde, on n’avait pas forcément tort. Puis est venu l’âge de raison, trente ans, tout le monde a voulu goûter à l’action, passe-moi la casse et je te passerai le séné, et ceux qui sont restés en arrière ont porté la guenon sur leur dos. Comme Luke… ce n’est pas qu’il voulait, mais il ne se rendait pas compte que la guenon du pouvoir finit par vous accrocher tôt ou tard, que vous le vouliez ou pas. C’est ce que j’ai pigé quand j’ai tout plaqué. Le baisse-froc ce n’était pas moi mais eux, ou tout au moins ils l’étaient autant que moi, et le show-business était la seule chose qui pouvait me tirer d’affaire. Oui, dans la politique tout le monde finit par vendre son père et sa mère et si je n’avais pas eu la veine d’avoir le show-business c’est ce que je serais en train de faire moi aussi. En tout cas une chose est certaine, si je laissais Benedict Howards s’en tirer comme ça je serais le plus grand baisse-froc de tous les temps…

— Je crois que je n’ai pas tellement le choix, dit-il.

Comme des cerises qui s’alignent dans un cliquetis de machine à sous, il vit l’arc-réflexe pavlovien de vénération amoureuse se fermer derrière la vitre de ses paupières. Elle descendit lentement sa bouche le long de son torse, léchant, mordant, laissant une coulée de fluides exquis tandis que ses mains dégrafaient puis libéraient le pantalon avec une dextérité proprement masculine. Elle tomba à genoux, chevelure flottante, mains ondulantes sur lui, bouche mouvante contre lui et autour de lui dans une progression à la fois sinueuse et fluide, et sa langue mobile, ses lèvres vibrantes et chaudes l’aspirèrent…

Elle s’arrêta en pleine action, leva sur lui un regard égaré comme si dans la chair de son ventre elle voyait le marbre de quelque héroïque statue ; puis miséricordieusement ses paupières se fermèrent, ses ongles s’enfoncèrent dans les rondeurs de son cul et elle le poussa dans sa bouche comme un gros morceau de melon sucré. Elle gémit une seule fois, doucement, adoptant son tempo, plus vite, plus vite, plus vite en un rythme asymptote, pétrissant, griffant, suçant, plus vite, plus vite, plus vite…

Plus vite, plus-vite plus-vite plus-vite plus-vite – et il se plia en avant, en suspens tandis qu’en lui des ondes de plaisir culminaient, culminaient-culminaient-culminaient culminaientculminaientculminaient par séries pulsées saccadées explosives qui se confondirent se dopplérisèrent s’emmêlèrent crête-à-crête en un éclair infini hors du temps… exhalant un puissant soupir, il explosa en elle en une synapse inversée de tension libérée, saisit la tête de Sara entre ses deux mains et lentement la releva à sa hauteur et déposa un doux baiser sur les lèvres moites gonflées d’amour.

La brise venue du fleuve, tiède et sereine, l’emplit d’un calme profond. Dire que tout ça c’est de la frime, tout ce putain de tourbillon quand on est en son centre ça n’a plus de réalité. Et n’importe qui peut se trouver au centre pour peu qu’il se donne la peine de s’asseoir et de regarder. Qu’est-ce qu’un autre a de plus que vous ? Prenez le plus grand ponte de la création et pelez-le jusqu’à ce qu’il soit aussi nu qu’un ver. Tout ce que vous aurez en face de vous c’est un type qui au fond de lui-même ne croit même pas à ce qu’il est. Seul contre seul vous valez bien n’importe quel autre conard, vous êtes assez grand pour regarder les autres de l’endroit où tous ces politiciens de mes deux croient pouvoir dicter au pays ce qu’il a à faire. Vous le savez mais eux pas, voilà tout. C’est ça le show-business – la seule façon de s’offrir des sensations fortes sans se faire épingler par la drogue, et sans avoir besoin de piétiner quiconque au passage. La politique ! De la merde ! Tout ce dont vous avez besoin pour faire partie du jeu, c’est un peu de muscle et beaucoup de culot.

Et un estomac vachement blindé.

Non, non, trop beau pour être vrai, se dit Benedict Howards, trop facile victoire sur les forces du cercle noir qui s’estompe Jack Barron serviteur de la mort pénétrant dans son nez et sa gorge par des tuyaux de plastique.

Comme une marionnette spasmodique, Howards fit pivoter son fauteuil et un décor hollywoodien de montagnes situées au nord-est du Bâtiment administratif du Complexe d’Hibernation des montagnes Rocheuses se déploya devant lui dans une splendeur soigneusement préservée de toute construction. Mais ce n’était pas un décor, c’étaient quatre mille hectares de Rocheuses infranchissables et inhabitées. Et la semaine prochaine, une fois signés les titres de propriété, les quelques routes venant de l’extérieur seront coupées et je serai en sécurité au milieu d’un domaine privé accessible seulement par avion et avec mon consentement – en sécurité pendant le million d’années à venir.

Vingt millions de dollars. Cet abruti de Yarborough me prend pour un fou d’acheter quatre mille hectares de désolation pour vingt millions de dollars. Pauvre mortel ! Amortis sur un million d’années, ça représente vingt dollars par an. Une assurance sur la vie pas chère quand on a tout son temps devant soi.

Tout paraît sous un autre jour quand on a un million d’années devant soi. Cinquante millions pour faire passer le projet de loi au Congrès, cent millions pour acheter un Président tous les quatre ans et, si on ne peut pas l’acheter, dix millions pour louer les services d’un professionnel pour tuer n’importe qui… Teddy Hennering, et, pourquoi pas, Teddy le Prétendant aussi, si le besoin s’en fait sentir.

On peut faire pratiquement n’importe quoi avec un capital qui travaille et des amortissements espacés sur un million d’années. Même économiser l’argent des soi-disant experts fiscaux ; c’est plus simple d’acheter une loi quand on a ce qu’il faut pour la faire tenir un million d’années.

Alors, Jack Barron, tu pourras te brosser, j’ignore quel sale coup tu prépares en venant ici subir ton traitement quand je te supplie de le faire depuis des semaines quand tu sais presque sûrement que c’est moi qui ai payé ce bougre d’abruti qui t’a raté ; mais je m’en fiche tu peux penser ce que tu voudras l’important c’est que tu sois venu. Toi et ta femme dans la gueule du loup et pas question de ressortir d’ici sans ma permission. Que vous n’aurez qu’une fois que vous aurez subi le traitement, que vous serez trop engagés pour pouvoir reculer, que le million d’années à venir sera sur la balance et pas seulement vos pauvres soixante-dix années d’espérance de vie. Alors, Barron, tu connaîtras le cercle de mort qui s’estompe, charogne grouillante livrée six pieds sous terre aux asticots becs de vautours ricanant pendant dix mille ans tubes de plastique enchevêtrés pénétrant dans ton nez et ta gorge ta vie drainée goutte à goutte dans des bocaux de plastique images de Négrillons éviscérés roulant des yeux sanglants chairs cancéreuses testicules fripés cercle de putréfaction qui s’estompe s’estompe s’estompe…

— Mr Barron est ici, fit la voix de plastique de la secrétaire à l’interphone.

Howards fit pivoter son fauteuil en clignant une fois des yeux et revint à la réalité. Il faut que je me surveille, pensa-t-il. Encore deux jours et ce sera fini. L’affaire Barron réglée je serai en sécurité, plus de visages qui s’estompent de Négrillons éviscérés roulant des yeux de peur…

La porte s’ouvrit, livrant passage à Jack Barron.

Quelque chose de dur et de noir émanait de son regard, comme un cercle tourbillonnant de danger qui s’estompe. Il traversa la pièce sans quitter Howards des yeux, prit un siège près du bureau sur lequel il posa ses pieds et alluma une de ses saloperies d’Acapulco Golds de camé en disant :

— Inutile de faire une attaque d’apoplexie, Bennie, cette fois-ci c’est fini on vide l’abcès strictement entre vous et moi. Je sais tout, Bennie, absolument tout ; je vous tiens par la peau du cou et j’ai les meilleures raisons du monde de ne pas vous lâcher, et vous savez lesquelles.

Il sait ! pensa Howards. Le cercle qui s’estompe, les Négrillons éviscérés… non, non, il ne peut pas savoir cela. Encore un de ses bluffs à la con.

— Je ne sais pas à quoi vous jouez, dit-il, mais de toute façon ça ne marchera pas. Vous êtes sur mon terrain à présent, et c’est la dernière fois que vous oserez l’oublier.

— Vous ne seriez pas des fois en train de me menacer, n’est-ce pas ? demanda Barron de sa voix de gamin arrogant. Vous savez que ça ne paye pas de menacer Jack Barron. Vous ne l’avez pas encore appris ? Apparemment non. Vous avez cru pouvoir agir avec moi comme avec Hennering. Mais vous voyez que ça n’a pas marché.

Ainsi il est au courant pour ce traître de Hennering. Et il sait que c’est moi qui ai payé ce crétin de tueur à gages du Mississippi – et il croit pouvoir se servir de ça contre moi ! Se pourrait-il que ce soit tout ? Pas de cercle noir qui s’estompe de vautours assassins de tubes de plastique chairs cancéreuses ratatinées comme des prunes fripées Négrillons éviscérés… reprends tes esprits, mon vieux. Il est impossible qu’il sache. Et même s’il sait, il est ici dans la gueule du loup. Et pour se rassurer, Howards caressa le bouton d’appel dissimulé sous le rebord du bureau.

— Mais pourquoi êtes-vous venu ? demanda-t-il.

— Je vous l’ai dit au vidphone. Sara est dans l’antichambre, et nous voulons tous les deux exercer notre droit d’option pour subir le traitement. Vous avez une objection ?

Howards avait failli éclater de rire. Ce crétin est ici pour me forcer à lui faire exactement ce que je voulais, et qu’il refusait. Mais ça ne tient pas debout !

— Pas d’objection, fit-il d’une voix quelque peu incertaine. Soyez régulier avec Benedict Howards, et vous n’aurez pas à vous plaindre.

— Parfait. La raison pour laquelle j’ai changé d’avis est que j’ai découvert le grand secret au cours de mon voyage dans le Mississippi. Cinq gosses achetés deux cent cinquante mille dollars, ensuite on essaie de me tuer pour m’empêcher de continuer mon enquête, il n’y avait qu’une seule conclusion possible puisque vous êtes le seul à avoir été au courant de mon déplacement suffisamment longtemps à l’avance pour organiser l’attentat.

« Il sait ! Il sait ! Quelqu’un a parlé. Palacci ? Un des médecins ? Yarborough, Bruce, Hennering (non, Hennering est mort !). Un enfant de putain a parlé, s’est vendu au cercle noir éviscéré de la mort dans des tubes de plastique, un salaud d’enculé a vendu un million d’années… ou est-ce qu’il bluffe encore ? Est-ce qu’il sait tout ou bien fait-il semblant ? Il faut que j’en aie le cœur net. »

— Vous n’êtes sûrement pas stupide à ce point, Barron. Vous dites vous-même que vous savez que j’ai tué Hennering. (Avouons ; lâchons-lui ça dans les gencives, pour voir comment il va réagir… Non ! Non ! pensa Howards tandis que Barron souriait placidement, sans qu’un seul muscle de son visage tressaillît. Ça, il le savait déjà, aucun doute là-dessus.) Alors qu’êtes-vous venu faire ici ? Vous vous doutez que si j’ai tué Hennering, un foutu sénateur, je n’ai pas de raison d’hésiter à vous faire subir le même sort ! Qu’est-ce qui vous fait croire que je vais vous rendre immortel alors que je peux vous tuer beaucoup plus facilement que Hennering, et à meilleur compte également ? Et sous son bureau, Howards toucha du pouce le bouton d’appel.

Barron mit la main dans la poche de sa sportjac (Une arme ? pensa Howards dans un moment de pure panique), et posa ce qui ressemblait à un minuscule transistor avec deux grilles de haut-parleurs sur le bureau. Un de ces miniphones sortis par Bell, se dit Howards.

— Voilà l’explication, dit Jack Barron. Vous reconnaissez ça ? C’est un miniphone qui émet directement sur la fréquence des satellites et qui a retransmis fidèlement chacune de vos paroles à trois récepteurs différents en trois lieux différents de New York. Et avant que vous ayez seulement réfléchi au moyen de trouver une parade, cinq copies de la bande seront entre les mains de Luke Greene, Gregory Morris, le F.B.I., l’Associated Press et les flics du Colorado – si je ne suis pas de retour mardi à New York pour les arrêter. Vous avez avoué avoir commis un meurtre, Howards, et votre propre voix est prête à le crier sur les toits au cas où il m’arriverait quoi que ce soit… ou même, si votre façon de sourire me déplaisait.

Benedict Howards poussa un soupir de soulagement. Pauvre con, pensa-t-il ; tu t’es pris au piège toi-même en croyant que tu pouvais faire quelque chose contre moi maintenant que tu es ici. M’accuser de meurtre, quelle rigolade ! En me menaçant de la chaise électrique tu ignores que tu signes ton propre arrêt de mort, Barron ! Il ne sait pas… il ne sait pas la seule chose qui compte. Demain je retournerai contre lui la même arme, la condamnation à la chaise électrique au cas où il prendrait à l’immortel Barron la fantaisie de vouloir me doubler. Et dire qu’il m’a fait marcher… Alors qu’il est venu de son propre gré au piège du cercle qui s’estompe de Négrillons éviscérés… toi et moi désormais liés, assassins immortels risquant un million d’années. Et tout ça pour venir naïvement se jeter dans la gueule du loup !

— Maintenant la partie est finie, Howards, reprit Barron. Je veux tous les détails sur votre traitement, et n’ayez pas peur de parler des techniques de labo utilisées pour le mettre au point, ça je suis déjà au courant.

Howards sourit en appuyant sur le bouton. C’était ça, il est persuadé que tous ces Nègres éviscérés du cercle de mort qui s’estompe, cette racaille qui vend sa propre chair qui ne mérite pas de vivre nous a servi de cobayes de luxe. Inutile de lui dire comme il se trompe. Mieux vaut attendre après l’opération, qu’il le sente lui-même en se réveillant immortel. Je n’aurai pas besoin alors de lui dire qui est le patron. Il le dira tout seul.

— Ne vous en faites pas, Barron. Vous aurez bientôt la réponse à toutes vos questions. Mais pas avant que vous ne soyez en mesure de comprendre ce que ça signifie.

— Je vous avertis, Howards. Je veux tout savoir immédiatement, ou bien…

À ce moment-là, deux gardes en uniforme, pistolet au poing, firent irruption.

Barron se leva, faisant volte-face et pâlit en voyant les armes braquées sur lui. Mais le temps qu’il se retourne vers Howards, il avait de nouveau son putain de sourire ironique au coin des lèvres, et paraissait vraiment se foutre de sa gueule !

— Votre bluff ne prend pas, Bennie. Allez-y, demandez à vos singes rasés de me descendre si vous l’osez, et vous allez directement sur la…

— Vous descendre, Barron ? (Benedict Howards eut un sourire de triomphe.) Pourquoi ferais-je une chose pareille ? Vous m’êtes bien trop précieux vivant et immortel. Ces messieurs vont simplement vous escorter jusqu’à la salle d’opération, je ne voudrais pas que vous vous perdiez en chemin. Vous autres, vous prendrez également au passage la femme qui attend dans l’antichambre. Vous subirez l’opération en même temps et vous serez tous les deux mardi à New York comme vous l’aviez prévu, mais avec une toute petite modification : vous serez plus que jamais disposé à prendre mes ordres.

— Vous êtes cinglé, dit Barron. Mais ça n’a aucune importance, je vous tiens exactement comme je le voulais. Jusqu’à ce que je sois sorti d’ici, c’est vous qui commandez. Je n’ai rien à y perdre et tout à y gagner. Mais pourquoi ces armes ? Vous pouvez dire à vos gorilles de les ranger, ils n’en ont pas besoin.

— Simple mesure de précaution. Quand on a à garder un million d’années, on a intérêt à se montrer prudent. Mais ne vous en faites pas, quand vous vous réveillerez immortel vous comprendrez ce que je veux dire.

Ce que ça signifie de se réveiller chaque matin de respirer l’air en sachant que ça durera l’éternité aussi longtemps que vous serez dans vos quatre mille hectares à l’abri des assassins membres du Congrès Président projet de loi d’utilité publique maintenant à distance le cercle noir qui s’estompe, à l’abri derrière les murs inexpugnables du pouvoir en sécurité pour l’éternité enfermé à double tour derrière une barrière de montagnes infranchissables.

Tu sauras ce qu’on a à perdre quand on est immortel, Barron. Tu sauras ce que c’est que d’être un larbin aux ordres de Benedict Howards, pouvoir de ce que je décrète vie éternelle contre mort éternelle livré six pieds sous terre aux asticots nègres éviscérés becs de plastique pénétrant dans ton nez ta gorge ricanant pendant un million d’années perdues rien que ma bouche close entre toi et le cercle noir qui s’estompe et ta bouche close entre la mort et moi mais elle sera close à jamais, cet enregistrement c’est la chaise électrique pour toi et pour moi chairs calcinées testicules comme des prunes fripées… toi et moi nous sommes liés pendant le million d’années à venir.

Et le cercle noir qui s’estompe et qui nous tient est toujours là pour être repoussé par quatre mille hectares de montagnes infranchissables, Congrès, Président, silence… et il nous attend avec ses tuyaux de plastique ses bassins grouillants d’asticots ses fluides vitaux drainés goutte à goutte… mais personne n’aura Benedict Howards, les assassins à la chaise électrique Nègres éviscérés roulant des yeux de peur n’auront jamais la force de refermer sur moi le cercle noir qui s’estompe, non, jamais… jamais… Jamais ! Je repousserai le cercle avec mon pouvoir de vie et de mort ! Jamais… Jamais… Ils ne m’enlèveront jamais l’Éternité !

Il s’aperçut que Baron le dévisageait bouche bée, et que dans son regard se lisait un mélange de crainte, de confusion et d’horreur. Seigneur, de quoi dois-je avoir l’air ? Il faut que je me contrôle… savoir voir les choses de loin, de très loin… Un million d’années d’amortissement ! Oui, reprends-toi, tu n’as rien à craindre jamais le cercle noir cancéreux de Négrillons éviscérés condamnation à la chaise électrique ne t’enlèvera…

Il entendit sa propre voix, étrangère pâle et croassante crier :

— Conduisez-le à la salle d’opération ! Emmenez-le ! Emmenez-le ! Jamais ! Jamais ! Ils ne me feront pas mourir… cercle noir qui s’estompe… tu ne gagneras jamais… Je te tuerai ! Tuerai ! Je ne mourrai jamais !

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