Chapitre 9

Hiram occupait un minuscule bureau entre la voiture à incendie et la grande échelle des pompiers. Il y avait à peine la place pour une table et deux chaises. Au mur était accroché un calendrier bariolé orné d’une photo de femme nue.

Et, sur la table, il y avait un téléphone. Un téléphone sans cadran.

Hiram le montra du doigt.

— « Qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-il.

— « Un téléphone. Tu es donc devenu tellement important qu’il t’en faille deux ? D

— « Regarde-le mieux. »

— « J’ai beau le regarder… C’est toujours un téléphone. »

— « Regarde-le encore mieux. »

— « C’est un drôle de téléphone. Il n’a pas de cadran. »

— « Tu ne remarques rien d’autre ? »

— « Non. En dehors du fait qu’il n’a pas de cadran, je ne vois rien de particulier. »

— « Il n’a pas de fil non plus. »

— « Tiens… C’est vrai. »

— « C’est drôle, » murmura Hiram.

— « Drôle ? Pourquoi ? Tu ne m’as quand même pas fait venir ici uniquement pour me montrer un téléphone ? »

— « Ce qui est drôle, c’est qu’il était dans ton bureau. »

— « Qu’est-ce que tu racontes ? Ed Adler a coupé ma ligne hier après-midi parce que je n’avais pas réglé mes quittances. »

— « Assieds-toi, Brad. »

Je m’assis. Il en fit autant. Nous étions face à face. Il était souriant mais une petite lueur dansait dans ses yeux. Une petite lueur que je connaissais bien pour l’avoir souvent vue briller dans ses prunelles à l’époque où nous étions gamins tous les deux, quand il m’acculait dans un coin pour m’obliger à me battre. Et qu’est-ce que je dérouillais !

— « Tu n’as jamais vu ce téléphone ? »

Je fis non de la tête. « Quand j’ai quitté mon bureau hier, je n’avais plus de téléphone. Ni celui-là ni un autre. »

— « Bizarre. »

— « Mais où veux-tu en venir ? Si tu t’expliquais un peu ! »

Je savais que, à long terme, mentir ne me servirait à rien mais, dans l’immédiat, cela me permettait de gagner du temps, d’autant que j’étais sûr et certain qu’Hiram ne pouvait faire de rapprochement entre moi et ce téléphone.

— « Eh bien, écoute-moi, Brad. C’est Tom Preston qui l’a repéré. Il avait chargé Ed de couper ta ligne. Un peu plus tard, en passant par hasard devant ton bureau, il a remarqué cet appareil sur ta table. Il n’a pas été content du tout, tu t’en doutes ? »

— « Oui. Je l’imagine facilement. Je le connais, Tom ! »

— « Il a pensé que tu avais baratiné Ed. Ou que celui-ci n’avait pas suivi ses instructions. Il n’ignorait pas que vous êtes amis, tous les deux. »

— « Alors il était tellement furieux qu’il s’est introduit chez moi par effraction et qu’il a embarqué le téléphone ? C’est bien ça ? »

— « Pas du tout. Il est allé à la banque et s’est fait remettre la clé par Daniel Willoughby. »

— « Qui la lui a donnée sans tenir compte du fait que je suis locataire ! »

— « Il y a trois bons mois que tu n’as pas payé ton loyer. Si tu veux mon avis, Daniel était dans son droit. »

— « Personnellement, je considère que Tom et Daniel se sont introduits illégalement chez moi et que c’est un cambriolage caractérisé ! »

— « Mais non, mais non ! D’ailleurs, Daniel n’est pas dans le coup, sauf qu’il a confié le double de la clé à Tom. Par ailleurs, je te ferai remarquer que tu m’as déclaré n’avoir jamais vu ce téléphone. »

— « C’est en dehors de la question. Tom n’avait aucun droit de prendre quelque chose qui se trouvait dans mon bureau, que j’en fusse ou non le propriétaire. Si ça se trouve, il ne s’est pas contenté de piquer cet appareil ! »

— « Tu sais très bien qu’il ne t’a rien volé. Tu veux connaître la suite, oui ou non ? »

— « Vas-y… continue. »

— « Bon… Donc, Tom est allé chercher la clé et il est entré dans ton bureau. Il s’est tout de suite rendu compte que ce n’était pas un téléphone de sa compagnie : il n’avait ni cadran ni fil. Alors, il a fait demi-tour mais, au moment de passer la porte, ça a sonné. »

— « Pardon ? »

— « Ça a sonné. »

— « Mais puisque ce téléphone n’était pas branché ? »

— « Il a quand même sonné. »

— « Alors Tom a décroché et c’est le Père Noël qui lui a répondu ! »

— « Il a décroché et c’est Tupper Tyler qui lui a répondu. »

— « Tupper ! Mais Tupper… »

— « Oui, je sais. Tupper a disparu de la circulation depuis une dizaine d’années. Seulement, Tom affirme que c’était sa voix. Il dit qu’il n’y a pas d’erreur possible. »

— « Et qu’est-ce que Tupper lui a raconté ? »

— « Tom a fait : Allô. Tupper a demandé : Qui est à l’appareil ? Tom s’est nommé. Alors Tupper lui a répondu : Raccrochez. Vous n’êtes pas autorisé à vous servir de cet appareil. Et la communication a été coupée. »

— « Voyons, Hiram… Tom s’est fichu de toi. »

— « Non. Il a pensé que quelqu’un lui faisait une blague. Que c’était un canular que vous aviez monté, Ed et toi. Histoire de lui rendre la monnaie de sa pièce. »

— « C’est ridicule ! » protestai-je. « Même si nous avions concocté une farce dans ce genre, comment aurions-nous pu deviner que Tom rappliquerait ? »

— « Je sais bien. »

— « Tu veux dire que tu crois à toute cette histoire ? »

— « Tu parles que j’y crois ! Il y a quelque chose d’anormal là-dessous. De terriblement anormal. »

Il était manifestement sur la défensive et c’était moi qui avais l’avantage. Il m’avait mis au pied du mur mais il ne se sentait pas tellement à l’aise. Seulement, bientôt, il allait jouer les méchants. C’était dans son tempérament.

— « Quand est-ce que Tom t’a raconté tout ça ? » lui demandai-je.

— « Ce matin. »

— « Ce matin ? Pourquoi n’est-il pas venu te voir hier soir s’il trouvait que c’était tellement important ? »

— « Je te répète que, justement, il n’a pas jugé que c’était important. Il a supposé que tu lui avais monté un bateau. Et puis, ce matin, les choses ont pris une tout autre tournure. »

— « Si je comprends bien, il est maintenant persuadé que c’était bien Tupper qui lui avait répondu et que l’appel m’était destiné ? »

— « En effet. Il a emmené le téléphone chez lui et, à deux reprises, il a décroché. Il y avait la tonalité mais personne au bout du fil. Ça l’a intrigué. Ça l’a même pas mal troublé. Puisque cet appareil n’était pas connecté… »

— « Et vous voulez me chercher des crosses, Tom et toi ! »

L’expression d’Hiram se durcit. « Je sais que tu es en train de mijoter quelque chose, Brad. Je sais que tu es allé chez Stiffy cette nuit pendant que je le conduisais à Elmore. »

— « C’est vrai, j’y ai été. J’ai pris ses clés – elles étaient tombées de sa poche. Je voulais m’assurer que sa cabane était bien fermée. »

— « Seulement, tu y es allé en douce. Tu as éteint les phares avant de prendre l’embranchement qui conduit à son gourbi. »

— « Je ne les ai pas éteints, il y a eu un court-circuit. J’ai fait la réparation avant de repartir. »

L’explication était assez peu plausible mais il avait fallu que je réagisse tout de suite et je n’en avais pas trouvé de plus convaincante. D’ailleurs, Hiram ne s’appesantit pas sur ce point de détail.

— « Ce matin, » continua-t-il, « je me suis rendu avec Tom chez l’ami Stiffy. »

— « C’était donc Tom qui m’espionnait ? »

Il grommela : « Cette histoire de téléphone le tracassait. Ça l’a rendu soupçonneux. »

— « Et vous avez forcé la porte de Stiffy. Ne me dis pas le contraire : j’avais refermé le cadenas avant de partir. »

— « Oui, on a enfoncé la porte. Et on a trouvé d’autres téléphones. Une caisse entière ! »

— « Pas la peine de me regarder avec cet air-là ! Moi je n’en ai pas vu, de téléphones. Je ne me suis pas amusé à fureter partout. »

Je les voyais d’ici, tous les deux, Hiram et Tom Preston, flanquant tout en l’air dans la cabane, convaincus qu’ils avaient découvert l’existence de quelque complot aussi sinistre qu’énigmatique auquel Stiffy était mêlé ― et moi aussi.

Et, en vérité, il y avait effectivement un complot, un complot dont nous faisions partie, Stiffy et moi. J’espérais seulement que le clochard en savait un peu plus long que moi. Et Gerald Sherwood, s’il ne m’avait pas menti (et j’inclinais à penser que ce n’était pas le cas), était tout aussi ignorant que moi.

Soudain, je songeai que c’était une chance qu’Hiram ignorât que Sherwood possédait aussi un téléphone. Qu’il ignorât que pas mal de gens de Millville, les « lecteurs », en détenaient également.

Qui pouvaient être ces « lecteurs » ? À peine m’étais-je posé cette question que la réponse m’apparut, lumineuse. Ce devaient être tous les pauvres types, les paumés, les veuves qui n’avaient ni économies ni assurance, les vieux dans le besoin parce que leur retraite était insuffisante pour assurer leurs vieux jours, les ratés, les bons à rien, les gars qui n’avaient pas eu de chance.

C’était comme cela que les choses s’étaient passées pour Sherwood et pour moi : Sherwood n’avait été contacté (je ne sais pas si c’est le mot juste) que lorsqu’il avait été au bord de la faillite et mes mystérieux correspondants ne s’étaient intéressés à moi qu’à partir du moment où je m’étais retrouvé sur le sable. D’ailleurs, qui était embringué jusqu’au cou dans cette histoire sinon le clochard de la ville ?

— « Alors ? » fit Hiram.

— « Tu veux que je te dise ce que je sais ? »

— « Un peu ! Et dans ton propre intérêt, je te conseille… »

— « Attention ! Pas de menaces, Hiram. Parce que si tu fais mine de… »

Je me tus car, au même instant, Floyd Caldwell glissait sa tête par la porte.

— « La barrière… » s’exclama-t-il. « La barrière… Elle s’éloigne ! »

Nous bondîmes sur nos pieds, Hiram et moi, et nous nous précipitâmes au-dehors. Les gens couraient en tous sens, ils criaient. Grand-Maman Jones, sa capeline flottant au vent, trépignait au milieu de la rue. La voiture de Nancy était en face, moteur tournant au ralenti. Je m’élançai au pas de charge et montai en voltige. Nancy démarra sur les chapeaux de roues.

— « Tu sais ce qui se passe ? » me demanda-t-elle.

Je hochai la tête. « Tout ce que je sais, c’est que la barrière bouge. »

Nancy brûla le stop qui protégeait la grande route. À quoi bon s’arrêter, en effet, puisque celle-ci était coupée et qu’il n’y avait pas de circulation ?

La barrière n’était plus là. Certes, elle échappait aux regards, mais il n’y avait pas à s’y tromper. Nous voyions devant nous une foule de gens se débander comme refoulés par une force invisible. Et, derrière les fuyards, un amoncellement de végétation retournée, où l’on apercevait ici et là des arbres déracinés, matérialisait la progression du rempart. La barrière s’éloignait, comme animée d’une vie propre, repoussant lentement la végétation.

Nancy freina et coupa le contact. Dans le silence, on n’entendait plus que l’étrange bruissement de cette avancée ponctuée de craquements de branches, du fracas soudain d’un tronc arraché.

Je mis pied à terre et me faufilai à travers l’enchevêtrement des voitures immobilisées. Derrière la barrière, le sol était nu à l’exception de deux arbres morts. C’était normal, me dis-je, puisque la barrière était neutre pour tout ce qui était sans vie. Peut-être le raisonnement de Len Streeter était-il juste. Dans ce cas, il fallait admettre que le rempart n’était sensibilisé qu’à un certain type ou à certaines conditions de vie. Toujours est-il que, à l’exception de ces deux cadavres d’arbres, il n’y avait rien ― pas un buisson, pas un brin d’herbe. Je me mis à genoux sur le bas-côté et palpai la terre. Elle n’était pas seulement nue : on aurait dit qu’elle avait été labourée par quelque gigantesque engin pour préparer les semailles. J’avais beau fouiller l’humus, je ne trouvais pas une racine, pas même un fragment de radicelle. Rien.

Un sourd grondement fit frémir l’air alentour. Je me retournai. L’orage qui menaçait depuis ce matin était sur nous. Mais on ne voyait dans le ciel que des lambeaux de nuages déchiquetés.

— « Nancy ! »

Comme elle ne répondait pas, je me relevai. Elle avait disparu.

Je revins sur mes pas. Soudain, je vis une petite conduite intérieure bleue déboîter. Nancy était au volant. Je compris : elle avait examiné les voitures immobilisées jusqu’à ce qu’elle en trouve une avec sa clé de contact. L’auto bleue me dépassa à faible allure et je me mis à courir. Par la fenêtre entrouverte s’échappaient les commentaires hachés d’un speaker fébrile. J’ouvris la portière et grimpai au vol.

« … garde nationale réquisitionnée. Washington a publié un communiqué officiel. Les premiers détachements partiront d’ici… Non, une dépêche qui tombe à l’instant signale qu’ils ont déjà commencé de faire mouvement… »

— « C’est de nous qu’on parle, » murmura Nancy.

Je réglai le volume du son. « … apprenons à l’instant que la barrière se déplace ! Je répète : la barrière se déplace. Nous ignorons à quelle vitesse mais elle s’éloigne du village. La foule qui s’était rassemblée devant elle au-delà de Millville fuit frénétiquement. Un dernier renseignement nous parvient : la barrière se meut à la vitesse d’un homme au pas. Elle a déjà parcouru près de deux kilomètres… »

C’était faux : elle n’était pas à plus d’un kilomètre de son point de départ.

« … où s’arrêtera-t-elle ? Toute la question est évidemment là. Jusqu’où ira-t-elle ? Existe-t-il un moyen de l’arrêter ? Continuera-t-elle de progresser indéfiniment ? »

— « Brad, crois-tu qu’elle va chasser tout le monde de la Terre ? Tout le monde sauf les gens de Millville ? »

Je répondis, assez stupidement, il faut l’avouer :

— « Je ne sais pas. »

— « Et où les parquera-t-elle ? Où iront-ils ? »

« … Londres et Berlin, » claironnait le speaker. « Il semble que la population russe soit tenue dans l’ignorance de l’événement. Les autorités soviétiques n’ont fait aucune déclaration officielle. Elles ne sont d’ailleurs pas les seules dans ce cas. Il est évident qu’une prise de position pose un problème délicat pour tous les gouvernements. À première vue, il n’apparaît pas qu’il s’agisse d’une initiative humaine imputable à quelque nation que ce soit. Mais on peut se demander si l’on n’a pas affaire aux essais d’un moyen de défense inédit. Pourtant, il est difficile d’imaginer que Millville ait été choisi pour être le théâtre d’un test de ce genre. En général, les expériences de ce type ont lieu sous le sceau du secret dans une zone militaire. »

Nous n’étions plus qu’à une trentaine de mètres de la barrière. Je me retournai. Une masse de gens observaient les événements. Tout Millville était là.

— « Attention, Nancy ! Ne rentre pas dans la barrière ! »

— « Ne t’en fais pas, » répondit-elle d’une voix un rien trop soumise.

« … chassant tout devant elle, » glapit le speaker, « comme un vent arrachant l’herbe, les arbres, tout ce qui pousse devant lui. »

Au même instant, un coup de vent fit tourbillonner la poussière et une soudaine bourrasque prit la voiture en écharpe.

C’était l’orage qui éclatait, songeai-je, l’orage qu’on attendait depuis le début de la matinée. Mais il n’y avait ni éclairs ni coups de tonnerre. Je penchai la tête par la portière. C’étaient toujours les mêmes nuages déchiquetés.

Nancy, arc-boutée sur le volant, essayait de lutter contre ce vent de tempête qui nous prenait de flanc.

— « Brad ! » s’écria-t-elle.

C’est alors que des gouttes martelèrent le toit de la voiture.

L’auto fit mine de chavirer et, cette fois, je compris qu’il n’y avait rien à faire, qu’il était impossible de la contrôler. Mais, soudain, elle heurta brutalement un obstacle et se dressa sur ses roues arrière. Le vent l’avait précipitée contre la barrière.

Les gouttes continuaient de tambouriner. Des gouttes de pluie comme je n’en avais jamais vues.

— « C’est de la grêle ! » me cria Nancy.

Non, ce n’était pas des grêlons mais de petits objets ronds et brunâtres qui rebondissaient sur le capot.

— « Ce sont des graines ! » lui répondis-je.

Il ne s’agissait pas d’une tempête ordinaire. Ce n’était pas un orage ― il n’y avait pas de tonnerre. C’était une avalanche de graines emportées par un vent puissant, totalement insouciant des lois de la météorologie terrestre.

Dans un éclair de logique qui n’avait d’ailleurs rien à voir avec la logique, je songeai qu’il était désormais inutile que la barrière continue de glisser : elle avait labouré le sol, l’avait préparé pour les semailles. Et, maintenant, l’heure des semailles était arrivée. Le vent s’apaisa, les graines cessèrent de tomber. Au tohu-bohu succéda un silence qui nous laissa étourdis. L’atmosphère avait quelque chose d’étranger qui vous donnait la chair de poule. C’était comme si les lois de la nature avaient été modifiées. Des graines pleuvant du ciel. Un vent venu de nulle part…

Nancy posa sa main sur mon bras qu’elle étreignit avec force.

— « Je crois que je commence à avoir peur, Brad. Pour la première fois de ma vie. »

— « C’est fini, » lui répondis-je. « La tempête s’est arrêtée et la barrière ne bouge plus. Tout va bien. »

— « Non… Ce n’est qu’un commencement, » souffla-t-elle.

J’aperçus un homme qui courait. Il venait dans notre direction. Tous les spectateurs s’étaient égaillés ; sans doute étaient-ils rentrés au village pour se mettre à l’abri quand la tempête de graines s’était déchaînée.

L’homme criait quelque chose tout en courant. Je le reconnus : c’était Ed Adler.

Nous descendîmes et allâmes à sa rencontre.

— « Je ne sais pas si tu es au courant, Brad, » fit-il en haletant, « mais Hiram et Tom Preston sont en train d’ameuter la population. Ils prétendent que tu as quelque chose à voir avec cette histoire. J’ai entendu parler d’un téléphone… Je ne sais pas trop quoi. »

— « C’est absurde ! » s’exclama Nancy.

— « Bien sûr, mais les gens sont à bout de nerfs, » dit Ed. « Ils sont prêts à croire n’importe quoi. Il leur faut une explication et la première qu’on leur donnera fera l’affaire. Ils ne se demanderont pas si elle est valable ou pas. »

— « Tu as une idée. Laquelle ? »

— « Tu devrais te planquer en attendant que les esprits se calment, Brad. D’ici un jour ou deux… »

Je secouai la tête. « J’ai trop de choses à faire. »

— « Mais… »

— « Écoute-moi, Ed. Je ne sais pas ce qui s’est passé et je ne suis pour rien dans ces événements. Absolument pour rien. »

— « Va donc raconter ça aux gens ! »

— « C’est pourtant la vérité. »

— « Hiram et Tom disent qu’ils ont trouvé ces drôles de téléphones… »

Nancy se prépara à l’interrompre mais je pris les devants.

— « Hiram m’en a parlé. Je te donne ma parole que ces téléphones ne sont pour rien dans cette histoire. Ce sont deux choses entièrement différentes. »

Du coin de l’œil, je vis que Nancy me regardait.

J’espérais qu’elle comprendrait et, apparemment, elle dut comprendre car elle s’abstint de tout commentaire. Savait-elle que son père possédait un de ces appareils ? Je l’ignorais mais je ne voulais courir aucun risque.

— « Tu es en danger, Brad, » fit Ed.

— « Que veux-tu que je fasse ? Que je me cache ? Pas question ! Je n’ai peur de personne – surtout pas d’une paire d’oiseaux comme Tom et Hiram. »

Il me dévisagea.

— « En un sens, je te comprends. Est-ce que je peux te rendre un service ? »

— « Peut-être. J’aimerais que tu raccompagnes Nancy. »

Je jetai un coup d’œil à celle-ci. « Entendu, Brad. Mais j’ai la voiture et je peux rentrer toute seule. »

— « Il est préférable que tu prennes un chemin détourné. Si Ed a raison, tu passeras inaperçue en coupant à travers champs. »

— « Je ne la quitterai que quand elle sera en sécurité, » m’assura Ed.

Voilà où l’on en était arrivé en l’espace de deux heures : à craindre qu’une jeune fille se promène toute seule sur la route !

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