Après cela, personne ne s’attend à voir arriver un nouveau vaisseau tosok avant longtemps : le message de Kelkad n’atteindra Alpha du Centaure que dans 4,3 années et la réponse – vaisseau ou nouveau message – mettra au mieux le même temps pour parvenir jusqu’à la Terre… Du moins, c’est ce que tout le monde croit.
Mais il semble qu’en l’espace de deux siècles, les Tosoks aient trouvé le moyen de déjouer les théories d’Einstein. Quatre ans et demi tout juste après le message de Kelkad, on découvre brusquement un second vaisseau en orbite auprès du premier. Des astronomes affirment avoir détecté des traces de rayonnement Cerenkov alors qu’il apparaissait ; d’autres tiennent d’obscurs discours où il est question d’hyperespace et de conversion des tardyons en tachyons.
Le nouvel arrivant a une longueur de quatre-vingts mètres et son extérieur ne présente pas le moindre angle droit. Sa coque parfaitement lisse – sans aucun relief ni ouvertures apparentes – est décorée d’une sorte de fresque abstraite dont on ignore ce qu’elle représente, jusqu’à ce que quelqu’un ait l’idée de la filmer avec des caméras sensibles aux ultraviolets. Des montagnes de cristal se dessinent alors sur le flanc de l’appareil, de même que des sortes d’arbres aux troncs constitués d’une succession de sphères et qu’un lac sur lequel on aperçoit une ville flottante, ou une île, d’où s’élève une forêt de flèches et de tours majestueuses.
Sur l’autre face du vaisseau, on distingue très nettement la Voie lactée ainsi qu’Andromède et les deux nuages de Magellan.
Le lendemain de son arrivée, une petite sphère translucide se détache du vaisseau et tombe en direction de la Terre à une vitesse de cinq cents kilomètres heure – rapide, mais pas assez pour qu’elle s’enflamme au contact de l’atmosphère. À environ trois mille mètres du sol, elle ralentit sa course et se pose aussi doucement qu’une plume devant le siège de l’ONU, juste à côté de la navette tosok à bord de laquelle Hask et Seltar sont arrivés la veille. On pourrait en conclure que les nouveaux venus sont conscients de la signification des Nations unies, à moins qu’ils n’aient tout bonnement repéré l’appareil tosok à l’aide d’un radar.
Les troupes onusiennes et américaines leur ont réservé un accueil musclé, avec chars et bazookas. Il est peu probable que ceux-ci soient assez puissants pour détruire le vaisseau, mais il ne sera pas dit que la Terre succombera sans avoir livré bataille.
Le président des États-Unis en exercice a rejoint le poste de commandement souterrain conçu en.as de guerre nucléaire, quelque part en Virginie. Frank Nobilio se trouve à ses côtés. Un satellite de communication leur permet de rester en contact avec les troupes à New York ; parallèlement, ils suivent les événements en direct sur CNN.
Dix minutes après que le vaisseau s’est posé au sol, une porte se matérialise dans son flanc jusqu’ici parfaitement uni. Le panneau incurvé s’incline lentement vers le sol, formant une passerelle. L’image se brouille une fraction de seconde, le temps que le cameraman de CNN obtienne un gros plan de la créature qui vient de s’avancer sur le seuil… Une créature qui n’a rien à voir avec un Tosok.
Le nouvel arrivant, d’une taille d’environ un mètre vingt, présente une organisation de type radiaire, telles les étoiles de mer. Il est porté par six jambes alternant avec six bras ou tentacules qu’il tient bizarrement dressés, comme en signe de reddition.
— Est-ce que c’est vivant ? interroge le Président. Ou bien est-ce un robot ?
Le cameraman se tient à plusieurs centaines de mètres de la créature, ce qui explique que le moindre mouvement de l’objectif se traduise par un brusque soubresaut de l’image.
— On dirait que c’est en métal, remarque Frank – il occupe les mêmes fonctions de conseiller scientifique auprès de ce Président-ci qu’auprès de son prédécesseur.
La créature vient de faire un pas sur la passerelle. CNN introduit un plan de coupe sur les troupes. Toutes les armes sont pointées sur l’étoile de mer géante. Comme celle-ci entreprend de descendre la passerelle, Frank se rapproche de l’écran pour mieux l’observer.
— Non, dit-il, ce n’est pas un robot. Cela porte une combinaison spatiale. Vous voyez ?
Il montre du doigt les jambes de la créature. À chacune est fixé un tube cylindrique contenant probablement les gaz que respire l’alien.
— Mais les Tosoks respirent notre atmosphère, remarque le Président.
— Cela veut dire que non seulement cet être n’est pas un Tosok, mais qu’il ne vient pas de la même planète.
— Pourquoi lève-t-il les bras comme ça ?
— Pour faire voir qu’il n’est pas armé ? hasarde Frank. Monsieur le Président, reprend-il après un silence, vous devriez ordonner à nos soldats de baisser leurs armes.
— On ne sait toujours pas à quoi on a affaire, objecte un des généraux assis aux côtés du Président.
— Bon Dieu, Karl, s’impatiente Frank, vous avez jeté un coup d’œil à son vaisseau ? Si cette créature avait voulu nous tuer, elle aurait pu le faire depuis là-haut.
Le Président s’empare d’un téléphone.
— Nous demandons à l’officier commandant les forces de l’ONU de mettre ses troupes au repos, lâche-t-il dans le combiné.
Pendant ce temps, l’alien continue d’avancer.
— Frank, il faut qu’on parle à cette chose, décide le Président. Croyez-vous qu’on puisse communiquer avec elle comme avec les Tosoks ?
— Je l’ignore, répond Frank.
Puis il lui vient une illumination.
— Cette créature a beau ne pas être un Tosok, je suis prêt à parier qu’elle comprend leur langue. Après tout, il est probable qu’elle est là en réaction au message de Kelkad.
— Alors ?
— Alors, dites à Hask de s’avancer à sa rencontre.