Chapitre 27

L’ambulance a débarqué Frank et Kelkad juste à l’entrée des urgences.

— De tous les membres de l’équipage, Stant paraît le plus qualifié pour pratiquer l’opération, indique le capitaine des aliens.

Stant est arrivé à bord d’une des voitures de police quelques minutes après l’ambulance. Il frictionne son bras dorsal qui a souffert d’être comprimé contre le dossier de la banquette, mais son toupet esquisse un signe d’assentiment.

— Je peux opérer, assure-t-il, mais j’aurai besoin d’un humain pour m’assister, moins pour la procédure elle-même qu’à cause du matériel.

Il considère les docteurs et infirmiers rassemblés dans le hall du service ainsi que les nombreux patients plus ou moins ensanglantés (pour la plupart, des Latinos indigents) qui attendent d’être pris en charge.

— Quelqu’un veut-il m’aider ?

— Certainement, fait un Noir d’une cinquantaine d’années.

— J’en serais ravi, renchérit un de ses collègues blancs.

Une femme aux cheveux poivre et sel coupés court se manifeste alors en toussotant :

— Navrée, messieurs, mais j’ai sur vous le privilège du rang. Carla Hernandez, chirurgien en chef de cet hôpital, se présente-t-elle à Stant. Ce sera un honneur pour moi que de vous assister.

— Dans ce cas, au travail. Avez-vous des instruments qui permettent de voir l’intérieur du corps ?

— Oui, des appareils à rayons X ou à ultrasons.

— Les rayons X feront l’affaire. Il nous faut prendre des clichés afin de déterminer à quelle profondeur a pénétré la balle.

— Je me charge d’emmener Hask en salle de radio, acquiesce Hernandez, puis je le préparerai pour l’opération. Paul, poursuit-elle en désignant le Noir qui s’était porté volontaire quelques secondes plus tôt, veuillez accompagner Stant à la réserve de matériel afin qu’il fasse son choix.

L’intervention elle-même sera vite expédiée. À l’évidence, Stant est un chirurgien chevronné – tellement chevronné que Frank, qui assiste à l’opération depuis la galerie d’observation au milieu d’un public nombreux, se fait la réflexion qu’il est très capable d’avoir disséqué le corps de Clete.

Très peu de sang a coulé, bien que Stant ait dû inciser profond. Les médecins qui entourent Frank s’amusent de sa manière de procéder : de sa main dorsale, il tient les radios devant sa deuxième paire d’yeux tout en maniant le scalpel de son autre main. Il lui faut à peine huit minutes pour extraire la balle. L’ayant saisie avec une pince, il la laisse tomber dans la cuvette en inox que lui tend le docteur Hernandez.

— Comment faites-vous pour refermer une incision ? demande Stant.

Frank a du mal à distinguer ses paroles, tant les haut-parleurs grésillent.

— À l’aide d’une suture, répond Hernandez. On recoud les bords de la plaie.

Stant reste silencieux durant quelques secondes, peut-être horrifié par la barbarie d’une telle pratique.

— Ah ? dit-il enfin. Dans ce cas, je vous laisse faire.

Il s’écarte, cédant sa place à Hernandez qui achève son travail en moins de deux minutes.

— Quand va-t-il reprendre conscience ? interroge le chirurgien.

— Auriez-vous de l’acide ascétique ?

— De l’acide… Oh ! Vous voulez dire du vinaigre ? Vous devriez trouver ça à la cafétéria.

— Demandez qu’on en apporte, reprend Stant. Une gorgée devrait suffire à le réveiller. Merci de votre aide, conclut-il à l’adresse d’Hernandez. – Ça a été un plaisir.


Hask ayant besoin de repos, la Cour est dans l’incapacité de siéger le lendemain. Toutefois, Dale et Linda Ziegler se retrouvent dans le cabinet du juge Pringle.

— Votre Honneur, attaque Ziegler, le ministère public demande l’ajournement du procès.

Apparemment, le juge s’attendait à une telle démarche.

— Pour quel motif ?

— Le jury n’étant pas séquestré, ses membres ont certainement eu connaissance de l’attentat perpétré contre l’accusé.

— Votre Honneur, riposte Dale, le présent jury donne toute satisfaction à la défense. Nous nous opposons fermement à une motion qui reviendrait à jeter par les fenêtres le fruit de tant de mois de travail, sans parler de l’argent de milliers de contribuables.

— Votre Honneur, reprend Ziegler d’un ton pressant, la vision d’un accusé couvert de pansements, titubant en pleine salle d’audience, risque de provoquer chez le jury un élan de sympathie susceptible d’influer sur le verdict.

— Je doute que vous trouviez quelque part douze personnes qui ignorent tout de cette tentative d’assassinat, remarque le juge Pringle en levant les sourcils.

— De plus, renchérit Dale, le fait qu’au moins une personne considère Hask comme un démon pourrait porter préjudice à mon client.

— Si c’était le cas, répond sèchement Ziegler, mon confrère de la défense aurait tout intérêt à soutenir ma demande d’ajournement. Il ne le fait pas pour une raison évidente : si ce fanatique, ce Jensen, s’est donné tant de mal pour supprimer Hask, c’est qu’il redoutait son acquittement. Son acte est un message adressé au jury, lui indiquant comment le perçoit l’opinion.

— L’opinion d’une personne isolée, la corrige Dale. Et puis, ai-je besoin de rappeler à ma consœur que Hask était censé être sous la protection de la police de cette ville quand on a tenté de l’assassiner ? L’État est ici fautif ; n’aggravons pas le dommage subi par mon client en lui imposant un second procès.

— Mais, le jury…

— Comme maître Ziegler ne peut l’ignorer, j’ai fondé toute ma carrière sur la certitude que les jurés sont capables-de surmonter leurs préjugés.

— Que dit la jurisprudence ? s’interroge le juge. Je me rappelle plusieurs cas où l’accusé était décédé durant son procès, mais aucun où il avait réchappé d’un attentat.

— Nous n’avons encore rien trouvé, répond Ziegler.

— Eh bien, à moins d’un motif déterminant, je suis plutôt de l’avis de maître Rice. Un ajournement coûte cher.

— Dans ce cas, réplique Ziegler, Votre Honneur m’autorise-t-elle à requérir une instruction spéciale pour les jurés ?

Après un instant de réflexion, Drucilla Pringle lui signifie son consentement de la tête.

— Accordé. Je les aviserai que les blessures de l’accusé ne doivent en aucun cas être un motif d’indulgence. Je leur dirai aussi, poursuit-elle à l’adresse de Dale, que le fait qu’un homme isolé ait pu assimiler Hask au démon ne présume en rien de sa culpabilité.

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