Jason a suggéré que nous prenions des chambres à Cocoa Beach et y attendions son arrivée le lendemain. Il effectuait une dernière série de rencontres avec les médias à Périhélie mais avait libéré son agenda pour les lancements, auxquels il voulait assister sans qu’une équipe de CNN le harcèle de questions stupides.
« Super, a dit Diane lorsque je lui ai transmis cette information. Je vais pouvoir toutes les poser moi-même. »
J’avais réussi à calmer ses angoisses quant à la santé de Jason : non, il n’était pas mourant, et tout problème médical temporaire ne regardait que lui. Elle a accepté cela, du moins en apparence, mais elle tenait toujours à voir son frère, ne serait-ce que pour se rassurer, comme si le décès de ma mère avait ébranlé sa foi dans les étoiles fixes de l’univers Lawton.
J’ai donc utilisé mes papiers d’identité Périhélie et mon lien avec Jase pour nous louer deux suites voisines dans un Holiday Inn avec vue sur Canaveral. Peu après la conception du projet Mars – une fois les objections de l’Agence de protection de l’environnement notées et ignorées –, on avait construit une douzaine de plates-formes de lancement en eau peu profonde au large de l’île Merritt. C’était ces structures-là que l’on voyait le mieux de l’hôtel. Le reste de la vue consistait en parkings, en plages et en eau bleue.
Nous nous trouvions sur le balcon de la suite de Diane. Nous étions venus en voiture d’Orlando, Diane avait pris une douche et changé de vêtements, et nous nous apprêtions à descendre affronter le restaurant de l’hôtel. La moitié des autres balcons présents dans notre champ de vision se hérissaient d’objectifs et de caméras : le Holiday Inn était l’hôtel affecté aux médias. (Simon pouvait se méfier de la presse séculaire, Diane s’y retrouvait soudain plongée jusqu’au cou.) On ne voyait pas le coucher du soleil, mais sa lumière se reflétait au loin sur les portiques et les fusées, les rendant plus éthérés que réels, escadron de robots géants en marche vers une bataille se déroulant dans une fosse sous-marine au milieu de l’Atlantique. Diane s’est éloignée de la balustrade comme si le spectacle l’effrayait. « Pourquoi y en a-t-il autant ?
— Écopoïèse à la chevrotine. »
Elle a ri de manière un peu réprobatrice. « C’est une des expressions de Jason ? »
Non, du moins pas vraiment. Le terme « écopoïèse » avait été formé par un dénommé Robert Haynes en 1990, à une époque où la terraformation, alias écogenèse, restait une science purement spéculative. Techniquement, il désignait la création d’une biosphère anaérobie autorégulée là où il n’en existait aucune, mais dans son usage moderne, le mot désignait n’importe quelle modification purement biologique de Mars. Verdir Mars faisait intervenir deux genres d’ingénierie planétaire : une terraformation sommaire, afin d’élever la température de surface et la pression atmosphérique à un niveau acceptable pour le développement de la vie, et une écopoïèse : l’utilisation de vie microbienne et végétale pour conditionner le sol et oxygéner l’air.
Le Spin avait déjà accompli le plus difficile à notre place. Toutes les planètes du système solaire, à l’exception de la Terre, avaient vu leur température augmenter de manière significative suite à l’expansion du Soleil. Il ne restait plus à effectuer que la tâche plus subtile de l’écopoïèse. Mais cela pouvait passer par de nombreux chemins, de nombreux organismes candidats, de la bactérie vivant dans les rochers jusqu’aux mousses alpines.
« À la chevrotine parce que vous les envoyez toutes, a présumé Diane.
— Toutes et autant que possible, car on n’a aucune garantie qu’un des organismes s’adaptera et survivra. Mais il n’est pas impossible que cela se produise.
— Il y en aura peut-être même plus d’un.
— Tant mieux. On cherche à obtenir une écologie, pas une monoculture. » En fait, les lancements seraient échelonnés avec précision. La première vague ne transporterait que des organismes anaérobies et photoautotrophiques, formes de vie simples qui n’avaient pas besoin d’oxygène et tiraient leur énergie de la lumière solaire. S’ils se développaient et mouraient en nombre suffisant, ils créeraient une couche de biomasse pour nourrir des écosystèmes plus complexes. La vague suivante, un an plus tard, introduirait des organismes oxygénateurs, et les derniers lancements inhabités emporteraient des plantes primitives chargées de fixer le sol et de réguler les cycles pluie/évaporation.
« Toute cette histoire semble tellement improbable.
— On vit une époque improbable. De toute manière, on n’est pas sûrs que cela va fonctionner.
— Et alors, si cela ne fonctionne pas ? »
J’ai haussé les épaules. « Qu’aurons-nous perdu ?
— Beaucoup d’argent. Beaucoup d’efforts.
— Je ne leur imagine pas meilleur usage. Oui, c’est un pari, et non, ce n’est pas garanti, mais les gains potentiels valent le coût. Et tout le monde en a bénéficié, du moins jusqu’à maintenant. Au point de vue moral du pays et promotion de la coopération internationale.
— Mais vous aurez induit en erreur beaucoup de gens ordinaires. Vous les aurez convaincus que le Spin est gérable, qu’on peut y trouver une solution technologique.
— On leur aura donné de l’espoir, tu veux dire.
— Le mauvais genre d’espoir. Et si vous échouez, vous ne leur en laissez pas le moindre.
— Qu’aurais-tu voulu qu’on fasse, Diane ? Qu’on batte en retraite sur nos tapis de prière ?
— Cela ne serait pas revenu à admettre la défaite, loin de là… la prière, je veux dire. Et si vous réussissez, l’étape suivante consiste à envoyer des gens ?
— Oui. Si nous verdissons la planète, nous y envoyons des gens. » Projet bien plus difficile et bien plus complexe sur le plan éthique. Nous expédierions des volontaires par équipes de dix. Ils auraient à subir un trajet d’une longueur imprévisible dans des quartiers ridiculement exigus en se nourrissant de rations limitées. Ils auraient à supporter, après des mois d’apesanteur, un freinage atmosphérique à un delta-V quasi mortel suivi d’une descente périlleuse vers la surface de la planète. Si tout se passait bien, et si leur maigre matériel de survie effectuait sa descente parallèle pour se poser non loin d’eux, il leur faudrait apprendre à survivre dans un environnement mal adapté à l’habitat humain. Le but de leur mission n’était pas de revenir sur Terre mais de vivre assez longtemps pour se reproduire en nombre suffisant et transmettre à leur progéniture un mode d’existence viable.
« Quelle personne saine d’esprit accepterait cela ?
— Tu serais surprise. » Je ne pouvais parler pour les Chinois, les Russes ou les autres volontaires internationaux, mais les candidats au vol nord-américains formaient un groupe d’hommes et de femmes terriblement ordinaires. On les avait sélectionnés pour leur jeunesse, leur résistance physique et leur capacité à tolérer et subir l’inconfort. Seuls quelques-uns avaient été pilotes d’essai dans l’armée de l’air mais tous possédaient ce que Jason appelait « une mentalité de pilote d’essai » : l’aptitude à accepter de courir de grands risques physiques pour accomplir un exploit spectaculaire. Et bien entendu, la plupart étaient sans doute condamnés, tout comme la plupart des bactéries embarquées là-bas dans les fusées. Le meilleur résultat qu’on pouvait raisonnablement espérer était qu’une bande de survivants nomades errant dans les canyons moussus de Valles Marineris rencontre un groupe similaire de Russes, de Danois ou de Canadiens et engendre une humanité martienne viable.
« Et tu approuves cela ?
— Personne ne m’a demandé mon opinion. J’espère néanmoins que tout ira bien pour eux. »
Diane m’a regardé d’un air ça-ne-suffit-pas mais a préféré ne pas poursuivre la discussion. Nous sommes descendus au rez-de-chaussée en ascenseur pour prendre place dans la file d’attente du restaurant derrière une douzaine de techniciens de journaux télévisés dont elle a dû sentir l’excitation croissante.
Après que nous avons passé commande, elle a tourné la tête pour capter les bribes de conversations – des mots comme « photodissociation », « crypto-endélithique »… et même « écopoïèse » – qui flottaient entre les tables bondées, les journalistes répétant le jargon pour leur travail du lendemain ou s’efforçant juste de le comprendre. Il y avait aussi les rires et le tintement téméraire des couverts, une atmosphère d’attente enivrante quoique incertaine. Jamais depuis le premier alunissage, plus de soixante ans auparavant, l’attention du monde ne s’était autant focalisée sur une aventure spatiale, aventure à laquelle le Spin conférait de surcroît un véritable sentiment d’urgence et une impression globale de risque dont même cet alunissage avait manqué.
« Tout cela est l’œuvre de Jason, pas vrai ?
— Sans Jason et E.D., cela se produirait peut-être tout de même. Mais différemment, et sans doute avec moins de rapidité et d’efficacité. Jase en a toujours été au cœur.
— Et nous à la périphérie. En orbite autour de son génie. Je vais te dire un secret. J’ai un peu peur de lui. Peur de le revoir si longtemps après. Je sais qu’il désapprouve ce que je suis.
— Pas ce que tu es. Ta manière de vivre, peut-être.
— Ma foi, tu veux dire. Ça ne me gêne pas d’en parler. Je sais que Jase se sent un peu… trahi, j’imagine. Comme si Simon et moi avions répudié tout ce en quoi il croit. Mais ce n’est pas vrai. Jason et moi n’avons jamais été sur la même voie.
— À la base, tu sais, c’est juste Jase. Le même Jase qu’avant.
— Mais moi, suis-je la même Diane qu’avant ? »
Question à laquelle je n’avais pas de réponse.
Elle a mangé avec un appétit manifeste, et après le plat de résistance, nous avons commandé des desserts et du café. « Quelle chance que tu aies pu prendre du temps pour venir.
— Que Simon m’ait lâché la bride ?
— Ce n’est pas ce que je voulais dire.
— Je sais. Mais c’est vrai, d’une certaine manière.
Simon peut être un peu directif. Il aime savoir où je suis.
— C’est un problème, pour toi ?
— Tu veux dire : est-ce que cela menace mon mariage ? Non. Pas du tout, je ne le permettrais pas. Ce qui ne veut pas dire qu’on est toujours d’accord. » Elle a hésité. « Si je t’en parle, je le partage avec toi, d’accord ? Pas avec Jason. Juste avec toi. »
J’ai hoché la tête.
« Simon a pas mal changé depuis que tu l’as rencontré. Nous avons tous changé, tous ceux de l’époque NR. On pouvait résumer le NR à des jeunes formant une communauté de croyance, une sorte d’espace sacré dans lequel nous n’avions pas à avoir peur de notre prochain, dans lequel nous pouvions l’étreindre au sens figuré mais aussi au sens propre. L’Éden sur Terre. Sauf que nous nous trompions. Nous pensions que le sida n’avait aucune importance, que la jalousie n’avait aucune importance… Comment pourraient-ils en avoir alors que nous avions atteint la fin du monde ? Mais c’est une Affliction lente, Ty. L’Affliction est l’œuvre de toute une vie, et il nous faut garder santé et force pour elle.
— Simon et toi…
— Oh, nous sommes en bonne santé. » Elle a souri. « Merci d’avoir posé la question, Dr Dupree. Mais plusieurs de nos amis sont morts du sida ou d’overdose. Le NR ressemblait à un tour sur les montagnes russes, l’amour tout au long de la montée et le chagrin pendant toute la descente. Tous ceux qui y ont participé te le diront. »
Sans doute, mais je ne connaissais pas d’autre vétéran NR que Diane. « Les dernières années n’ont été faciles pour personne.
— Simon a eu du mal à gérer cela. Il nous voyait vraiment comme une génération bénie. Il m’a dit un jour que Dieu s’était tellement approché de l’humanité que cela ressemblait à rester assis à côté d’un poêle une nuit d’hiver, qu’il pouvait pratiquement se réchauffer les mains au Royaume des Cieux. Nous avions tous ce sentiment, mais cela a vraiment fait apparaître Simon sous son meilleur jour. Et quand cela a commencé à mal tourner, quand tant de nos amis se battaient contre la maladie ou s’embourbaient dans telle ou telle addiction, il en a vraiment souffert. Au même moment, on s’est mis à manquer d’argent et Simon a fini par être obligé de chercher du travail… moi aussi, d’ailleurs. J’ai fait de l’intérim pendant quelques années. Simon n’a pas réussi à trouver d’emploi séculier mais il travaille comme concierge dans notre église à Tempe, le Tabernacle du Jourdain, qui le paye comme elle peut… il étudie pour devenir tuyauteur.
— Pas vraiment la Terre Promise.
— Ouais, mais tu sais quoi ? Je ne pense pas que ce soit censé l’être. C’est ce que je lui dis. Peut-être qu’on sent arriver le chiliasme, mais qu’il n’est pas encore là… il faut jouer jusqu’à la dernière minute de la partie même si le résultat est acquis. Et peut-être qu’on nous juge là-dessus. Il faut jouer le jeu comme si cela comptait. »
Nous avons repris l’ascenseur. Diane s’est arrêtée à la porte de sa chambre. « J’avais oublié à quel point parler avec toi était agréable, a-t-elle dit. On se parlait beaucoup, tu te rappelles ? »
On se confiait nos peurs par le chaste intermédiaire du téléphone. L’intimité à distance. Elle avait toujours préféré que cela se passe de cette manière. J’ai hoché la tête.
« On pourrait peut-être recommencer. Je dois pouvoir t’appeler d’Arizona, de temps en temps. »
Bien entendu, c’était elle qui m’appellerait, parce que Simon n’apprécierait pas forcément que je téléphone à Diane. C’était bien compris. Comme la nature de la relation qu’elle proposait. Un copinage platonique. Je serais quelqu’un d’inoffensif à qui se confier en période de trouble, comme l’ami homo dans un drame de cinéplex. On bavarderait. On partagerait. Personne ne serait blessé.
Ce n’était ni ce que j’avais voulu ni ce dont j’avais besoin. Mais je ne pouvais le lui dire alors qu’elle me regardait d’un air impatient et un peu perdu. J’ai donc répondu : « Ouais, bien sûr. »
Alors elle a souri, m’a serré dans ses bras et m’a abandonné dans le couloir.
Je suis resté debout plus tard que je ne l’aurais dû, au milieu du bruit et des rires venus des chambres voisines, à soigner les blessures faites à ma dignité, à penser à tous ces savants et ingénieurs de Périhélie, du Jet Propulsion Laboratory et de Cap Kennedy ou à tous les journalistes de presse écrite et télévisée en train de regarder la lumière des lampes à arc jouer au loin sur les fusées, chacun d’entre nous occupé à travailler ici, au bout de l’histoire de l’humanité, à faire ce qu’on attendait de nous, à jouer le jeu comme si cela comptait vraiment.
Jason est arrivé le lendemain à midi, dix heures avant le moment prévu pour la première vague de lancements. Il faisait un temps radieux et calme de bon augure. Parmi tous les sites de lancement global, le seul non-partant manifeste, retenu par une féroce tempête de mars, était celui de l’ESA, l’Agence spatiale européenne, à Kourou en Guyane française. (Les micro-organismes de l’ESA seraient retardés d’un jour ou deux… ou d’un demi-million d’années, selon le temps du Spin.)
Jase est venu directement dans ma suite, où Diane et moi l’attendions. Il portait un vilain anorak en plastique et s’était enfoncé une casquette des Marlins sur le crâne pour éviter que les reporters logeant à l’hôtel le reconnaissent. « Tyler, a-t-il dit lorsque je lui ai ouvert la porte. Je suis désolé. Je serais venu si j’avais pu. »
Aux funérailles. « Je sais.
— Belinda Dupree est ce que la Grande Maison avait de meilleur. Et je le pense vraiment.
— Je t’en suis reconnaissant », ai-je répondu avant de m’écarter pour le laisser entrer.
Diane s’est approchée avec une expression prudente. Jason a refermé la porte derrière lui sans sourire. Ils sont restés à se regarder à un mètre de distance. Dans un silence pesant. Que Jason a brisé.
« Ce col te donne l’air d’un banquier victorien. Et tu devrais prendre un peu de poids. C’est si difficile que ça de se faire un repas dans ton pays plein de vaches ?
— On y trouve davantage de cactus que de vaches, Jase », a répondu Diane.
Et ils ont ri en tombant dans les bras l’un de l’autre.
Nous nous sommes risqués sur le balcon à la nuit tombée, en y apportant des chaises confortables et après avoir demandé qu’on nous monte un plateau de crudités (choix de Diane). La nuit était aussi sombre que tout autre nuit privée d’étoiles par le Spin, mais le reflet des plates-formes de lancement qu’illuminaient de gigantesques projecteurs dansait sur les vagues paisibles.
Jason consultait un neurologue depuis plusieurs semaines. Le spécialiste avait posé le même diagnostic que moi : Jason souffrait d’une grave sclérose en plaques qui ne réagissait pas aux traitements et contre laquelle on ne pouvait guère qu’user de palliatifs. En fait, le neurologue avait voulu soumettre le cas de Jason au Centre des maladies contagieuses pour leur étude en cours sur ce que certains appelaient SEPA – sclérose en plaques atypique. Jase l’avait convaincu d’y renoncer, par la menace ou la corruption. Et, du moins pour le moment, la nouvelle combinaison de médicaments le gardait en rémission. Il était aussi fonctionnel et mobile que jamais. Les soupçons que pouvait nourrir Diane se sont vite dissipés.
Il avait apporté une onéreuse bouteille de champagne authentiquement français pour fêter les lancements. « On pourrait avoir des places de VIP, ai-je dit à Diane. Dans les tribunes devant le bâtiment d’assemblage de véhicules. Côtoyer le président Garland.
— La vue est aussi bonne d’ici, a contré Jason. Mieux : ici, personne ne nous prendra en photo comme des bêtes curieuses.
— Je n’ai jamais rencontré de président », a dit Diane.
Bien entendu, le ciel était noir, mais le téléviseur de la chambre d’hôtel (que nous avions allumé pour suivre le compte à rebours) parlait de la barrière Spin, et Diane a regardé le ciel comme si un miracle avait pu rendre visible le couvercle enfermant le monde. Jason a remarqué qu’elle penchait la tête. « Ils ne devraient pas l’appeler barrière, a-t-il affirmé. Aucun journal ne lui donne plus ce nom.
— Ah oui ? Et ils l’appellent comment, alors ? »
Il s’est raclé la gorge. « Une “membrane étrange”.
— Oh non. » Diane a ri. « Quelle horreur. Ce n’est pas acceptable. On dirait le nom d’un problème gynécologique.
— Ouais, mais “barrière” est impropre. Ça ressemble plus à une couche frontière. Il ne s’agit pas d’une ligne qu’on traverse, mais d’une chose qui s’empare d’objets de manière sélective et les accélère pour les projeter dans l’univers extérieur. Le processus ressemble davantage à une osmose qu’à, disons, un choc dans une clôture. Par conséquent, membrane.
— J’avais oublié à quoi ressemblait de discuter avec toi, Jase. Ça peut être un peu surréaliste.
— Chut, leur ai-je intimé. Écoutez. »
La télévision était passée au direct de la NASA et l’on entendait la voix monotone du centre de contrôle égrener le compte à rebours. Trente secondes. Il y avait douze fusées, les réservoirs pleins, prêtes à décoller sur le pas de tir. Douze lancements simultanés, acte que par le passé, une agence spatiale moins ambitieuse aurait qualifié d’irréaliste et de radicalement dangereux. Mais nous vivions une époque plus audacieuse, ou plus désespérée.
« Pourquoi doivent-elles toutes partir en même temps ? a demandé Diane.
— Parce que… a commencé Jason avant de renoncer. Non. Attends. Regarde. »
Vingt secondes. Dix. Jase s’est levé et penché sur la balustrade. Les balcons de l’hôtel étaient bondés. La plage aussi. Mille têtes et objectifs se tournaient dans la même direction. On a par la suite estimé à environ deux millions le nombre de personnes dans et autour de Canaveral. Selon les rapports de police, plus de cent portefeuilles ont été subtilisés cette nuit-là. On a recensé deux coups de couteau mortels, quinze tentatives de viol et un accouchement prématuré. (L’enfant, une fille d’un kilo huit, est née sur une table à tréteaux du Palais des crêpes à Cocoa Beach.)
Cinq secondes. Dans la chambre, la télé s’est tue. Pendant un instant, on n’a plus entendu que le bourdonnement et le chuintement des appareils photographiques.
Puis la lueur du feu a illuminé l’océan jusqu’à l’horizon.
Aucune de ces fusées n’aurait impressionné à elle seule une foule des environs, même dans le noir, mais il n’y avait pas là une seule colonne de feu, il y en avait cinq, sept, dix, douze. Les portiques maritimes se sont découpés un instant comme des gratte-ciel squelettiques avant de se noyer dans des tourbillons d’eau de mer vaporisée. Douze colonnes de feu blanc, séparées par des kilomètres mais rapprochées par la perspective, ont griffé un ciel que leur lumière conjuguée avait rendu indigo. Sur la plage, les gens ont commencé à pousser des acclamations, dont le bruit s’est mêlé à celui des propulseurs à combustible solide cherchant à toute vitesse à gagner plus d’altitude, pulsation qui vous comprimait le cœur comme l’extase ou la terreur. Mais nous n’acclamions pas uniquement le spectacle. Chacune ou presque de ces deux millions de personnes avait sûrement déjà assisté à un lancement de fusée, au moins à la télévision, et même si cette ascension multiple était magnifique et bruyante, elle était surtout remarquable par son but, par sa finalité. Nous n’allions pas juste planter le drapeau de la vie terrestre sur Mars, nous défiions le Spin lui-même.
Les fusées montaient. (Et sur l’écran rectangulaire du téléviseur, auquel j’ai jeté un coup d’œil par la porte-fenêtre du balcon, des fusées similaires fonçaient dans le jour nuageux à Jiuquan, Svobodny, Baïkonour et Xichang.) L’ardente lumière horizontale est devenue oblique et a commencé à diminuer tandis que la nuit revenait à toute vitesse par l’océan. Le bruit s’est étouffé dans le sable, le béton et l’eau salée surchauffée. J’ai imaginé sentir l’âcre odeur des feux d’artifice arriver avec la marée sur le rivage, l’agréable puanteur des chandelles romaines.
Mille appareils photographiques ont cliqueté comme des criquets agonisants et se sont tus.
Les acclamations ont continué, sous une forme ou sous une autre, jusqu’à l’aube.
Nous sommes rentrés dans la chambre dont nous avons tiré les rideaux pour masquer l’obscurité décevante. Nous avons ensuite ouvert la bouteille de champagne et regardé les nouvelles de l’étranger. À part le retard pour raisons météorologiques des Français, tous les lancements s’étaient déroulés sans accroc. Une armada de bactéries se dirigeait vers Mars.
« Bon, alors pourquoi faut-il qu’elles partent toutes en même temps ? » a redemandé Diane.
Jason l’a longuement regardée d’un air songeur. « Parce qu’on veut qu’elles arrivent à peu près au même moment à destination. Ce n’est pas aussi simple que cela en a l’air. Il faut qu’elles pénètrent dans la membrane Spin plus ou moins en même temps, sinon elles en ressortiront avec des années ou des siècles de différence. Non que ce soit bien grave pour des cargaisons anaérobies, mais on s’entraîne pour quand ce sera vraiment important.
— Des années ou des siècles ? Comment cela se peut-il ?
— C’est dans la nature du Spin, Diane.
— D’accord, mais des siècles ? »
Il a pivoté sur sa chaise pour lui faire face, les sourcils froncés. « J’essaye en ce moment d’évaluer l’étendue de ton ignorance…
— C’est juste une question, Jase.
— Compte-moi une seconde.
— Quoi ?
— Regarde ta montre et compte-moi une seconde. Attends, je le fais. Une…» Il a marqué un petit temps d’arrêt. « … seconde. Tu comprends ?
— Jason…
— Un peu de patience. Tu comprends le ratio Spin ?
— En gros.
— En gros, ça ne suffit pas. Une seconde terrestre vaut 3,17 années Spin. Si l’une de nos fusées entre dans la membrane Spin une seconde après les autres, elle arrivera en orbite avec un retard de plus de trois ans.
— Ce n’est pas parce que je suis incapable de donner les chiffres…
— Ce sont des chiffres importants, Diane. Suppose que notre flottille vienne d’émerger de la membrane, juste maintenant, maintenant…» Il a dressé l’index. « Une seconde, finie. Pour la flottille, c’était trois et quelques années. Une seconde plus tôt, elles étaient en orbite terrestre. Maintenant elles ont livré leur cargaison à la surface de Mars. Je veux dire maintenant, Diane, littéralement maintenant. Cela s’est déjà produit, c’est fait. Alors laisse s’écouler une minute à ta montre. C’est environ cent quatre-vingt-dix ans pour une horloge extérieure.
— C’est beaucoup, bien sûr, mais on ne peut pas transformer une planète en deux cents ans, si ?
— Bon, on est donc deux cents années Spin après le début de l’expérience. En ce moment, au moment même où nous parlons, les colonies bactériennes qui ont survécu au voyage se reproduisent sur Mars depuis deux siècles. Dans une heure, elles auront été là depuis onze mille quatre cents ans. Demain à la même heure, elles se seront multipliées depuis presque deux cent soixante-quatorze mille ans.
— D’accord, Jason, je vois.
— Même jour même heure la semaine prochaine : 1,9 million d’années.
— D’accord.
— Le mois prochain : 8,3 millions d’années.
— Jason…
— Même date l’année prochaine : cent millions d’années.
— Oui, mais…
— Sur Terre, cent millions d’années, c’est environ ce qui sépare le moment où la vie est sortie des océans de ton dernier anniversaire. Cent millions d’années suffisent à ces microorganismes pour extraire du dioxyde de carbone des gisements de carbonate présents dans la croûte, lessiver l’azote des nitrates, éliminer les oxydes de la régolithe et l’enrichir en mourant en grandes quantités. Tout ce CO2 libéré est un gaz à effet de serre. L’atmosphère s’épaissit et se réchauffe. Dans un an, nous enverrons une autre armada d’organismes respirateurs qui entreprendront de recycler le CO2 en oxygène libre. Encore un an… ou dès que la signature spectroscopique de la planète nous semblera adéquate, nous introduirons l’herbe, les plantes et d’autres organismes complexes. Et lorsque tout cela se sera stabilisé en une espèce d’écologie planétaire grossièrement homéostatique, nous expédierons des humains. Tu sais ce que cela signifie ?
— Dis-le-moi, a répondu Diane de mauvaise grâce.
— Cela signifie que d’ici cinq ans, il y aura une civilisation humaine prospère sur Mars. Avec des fermes, des usines, des routes, des cités…
— Il y a un mot grec pour cela, Jase.
— Écopoïèse.
— Je pensais plutôt à “hubris”, l’orgueil démesuré. »
Il a souri. « J’ai beaucoup de sujets d’inquiétude. Mais offenser les dieux n’en fait pas partie.
— Offenser les Hypothétiques non plus ? »
Cela lui a cloué le bec. Il s’est calé sur son siège et a bu quelques gorgées de champagne, désormais un peu éventé, dans son verre de chambre d’hôtel.
« Je n’ai pas peur de les offenser, a-t-il fini par répondre. Au contraire. J’ai peur que nous agissions exactement comme ils veulent nous voir agir. »
Mais il n’a pas voulu s’expliquer et Diane tenait à changer de sujet.
Le lendemain, j’ai conduit Diane à Orlando pour qu’elle rentre en avion à Phœnix.
Au cours des jours précédents, il était devenu évident que nous ne discuterions pas, ne mentionnerions pas ni ne ferions allusion de quelque manière que ce soit à l’intimité physique partagée cette nuit-là dans les Berkshires avant son mariage avec Simon. La seule manière dont nous en reconnaissions l’existence était par les circonvolutions embarrassantes avec lesquelles nous évitions le sujet. Lorsque nous nous sommes étreints (en toute chasteté) devant le portique de sécurité de l’aéroport, elle a dit « Je t’appellerai » et je savais qu’elle le ferait – si Diane promettait peu, elle tenait scrupuleusement ses promesses – mais j’avais tout autant conscience du temps qui s’était écoulé depuis la dernière fois où je l’avais vue et de celui qui, inévitablement, s’écoulerait avant que je la revoie : non du temps Spin, mais quelque chose d’aussi érosif et d’aussi avide. Elle avait au coin des yeux des rides assez semblables à celles que je voyais tous les matins dans mon miroir.
Étonnant, ai-je pensé, que nous nous soyons si activement transformés plus ou moins en inconnus l’un pour l’autre.
Il y a eu d’autres lancements durant le printemps et l’été, cette année-là, des dispositifs de surveillance qui passaient des mois en orbite terrestre haute et revenaient avec des images photographiques ou spectrographiques de Mars… des clichés de l’écopoïèse.
Les premiers résultats se sont révélés ambigus : un modeste accroissement du CO2 atmosphérique qui pouvait être un effet secondaire du réchauffement solaire. Mars restait un monde froid et inhospitalier selon tous les critères plausibles. Jason a admis que même les OMGC – les Organismes Martiens Génétiquement Conçus emportés pour l’ensemencement initial – avaient pu ne pas s’adapter comme il convenait à la régolithe infestée d’oxydant ou à la quantité d’UV dans la lumière non filtrée qui arrivait sur la planète.
Mais au milieu de l’été, nous avions des preuves spectrographiques solides d’une activité biologique. Il y avait davantage de vapeur d’eau dans l’atmosphère, elle-même plus dense, davantage de méthane, d’éthane et d’ozone, et même une quantité infinitésimale mais détectable d’azote libre en plus.
À Noël, ces changements, bien qu’encore subtils, dépassaient de manière si spectaculaire ce qu’on pouvait attribuer au réchauffement du soleil qu’il ne subsistait plus aucun doute. Mars était devenue une planète vivante.
On a apprêté une nouvelle fois les pas de tirs, préparé et emballé de nouvelles cultures de vie microbienne. Cette année-là, on a consacré plus de deux pour cent du produit intérieur brut des États-Unis – et un pourcentage similaire de celui des autres nations industrialisées – au travail aérospatial lié au Spin – pour l’essentiel, au programme Mars.
Jason a fait une rechute en février. Il s’est réveillé incapable de voir net. Son neurologue a adapté son traitement et lui a prescrit un cache-œil comme remède temporaire. Jason s’est remis sans tarder mais n’a pu aller travailler pendant presque une semaine.
Diane a tenu parole. Elle s’est mise à m’appeler au moins une fois par mois, en général davantage, souvent la nuit, quand Simon dormait à l’autre bout de leur petit appartement. Ils vivaient dans quelques pièces au-dessus d’une bouquinerie à Tempe : c’était tout ce qu’ils pouvaient se permettre avec le salaire de Diane et les revenus irréguliers que Simon rapportait du Tabernacle du Jourdain. Par temps chaud, j’entendais en fond sonore bourdonner un refroidisseur à évaporation, et l’hiver, une radio réglée à faible volume dissimulait le son de sa voix.
Je l’ai invitée à revenir en Floride pour la prochaine série de lancements, mais bien entendu, elle ne pouvait pas : elle avait trop de travail, ils recevaient des amis de l’église à dîner ce week-end-là, Simon ne comprendrait pas. « Simon traverse une petite crise spirituelle. Il est confronté au problème du Messie.
— Il y a un problème du Messie ?
— Tu devrais lire les journaux », a dit Diane en surestimant peut-être la fréquence avec laquelle la presse généraliste relayait ces débats religieux, du moins en Floride, la situation était peut-être différente chez elle dans l’Ouest. « L’ancien mouvement NR croyait à une parousie sans Christ. C’est ce qui nous distinguait des autres. » Ça et leur penchant pour la nudité en public, ai-je pensé. « Les écrivains du début, Ratel et Greengage, considéraient le Spin comme un accomplissement direct de la prophétie biblique, ce qui signifiait que la prophétie elle-même était redéfinie, reconfigurée par les événements historiques. Il n’y avait pas besoin d’une Affliction au sens propre ou même d’un Second Avènement physique du Christ. On pouvait réinterpréter et ignorer tous ces trucs dans l’Épître aux Thessaliens, aux Corinthiens ou dans l’Apocalypse, le Spin était une authentique intervention divine dans l’histoire humaine, un miracle tangible qui remplaçait et annulait les Écritures. Cela nous a libérés pour faire le Royaume sur Terre. Soudain, nous nous retrouvions responsables de notre propre chiliasme.
— Je ne suis pas sûr de te suivre. » En fait, elle m’avait perdu aux environs du mot « parousie ».
« Cela signifie… eh bien, tout ce qui compte vraiment est que le Tabernacle du Jourdain, notre petite église, a renoncé officiellement à toute la doctrine NR, même si la moitié de la congrégation est constituée d’anciens du NR comme Simon et moi. Tout à coup, on voit surgir une pléthore de débats sur l’Affliction et sur la manière dont le Spin ne concorde pas avec la prophétie biblique. Les gens choisissent leur camp. Les béréens contre les progressistes, les covenantaires contre les prétéristes. Y a-t-il un Antéchrist et si oui, où se trouve-t-il ? L’Extase arrive-t-elle avant l’Affliction, pendant ou après ? Des problèmes de ce genre. Qui peuvent paraître insignifiants, mais comportent de très importants enjeux spirituels, et les gens engagés dans ces débats comptent pour nous, ce sont nos amis.
— Et toi, tu te situes où ?
— Moi personnellement ? » Elle s’est tue, et j’ai à nouveau entendu la radio murmurer dans son dos, un speaker à la voix de Valium donner les dernières nouvelles aux insomniaques. Du nouveau sur la fusillade à Mesa. Parousie ou non. « On pourrait dire que je suis partagée. Je ne sais que croire. Parfois, le bon vieux temps me manque. Quand on préparait le Paradis au fur et à mesure. On dirait que…»
Elle a marqué un temps d’arrêt. Il y avait désormais une autre voix en plus du murmure de la radio : Diane ? Tu es encore debout ?
« Désolée », a-t-elle murmuré. Simon en patrouille. Il était temps de mettre fin à notre rendez-vous téléphonique, à son acte d’infidélité sans contact physique. « Je te rappelle bientôt. »
Elle a raccroché avant que je puisse lui dire au revoir.
La deuxième série de lancements d’ensemencement s’est aussi bien déroulée que la première. Les médias ont à nouveau envahi Cap Canaveral, mais c’est par l’intermédiaire d’une grande projection numérique dans l’auditorium de Périhélie que j’ai observé les lancements et les ai vus éparpiller, comme des confettis brillants, des hérons dans le ciel ensoleillé au-dessus de l’île Merritt.
Un autre été d’attente a suivi. L’ESA a expédié une série de télescopes orbitaux et d’interféromètres de nouvelle génération, et les données emmagasinées qu’elle a récupérées étaient encore plus nettes et plus belles que celles de l’année précédente. En septembre, tous les bureaux de Périhélie étaient tapissés d’images haute résolution de notre succès. J’en ai encadré une pour la salle d’attente de l’infirmerie : une restitution en fausses couleurs de Mars montrant Olympus Mons souligné de givre ou de glace et balafré de canaux de drainage, du brouillard coulant comme de l’eau dans Valles Marineris, des capillaires verts serpentant sur Solis Lacus. Au sud, les régions montagneuses de Terra Sirenum étaient encore désertiques, mais l’érosion provoquée par un climat plus venteux et plus humide y avait rendu quasi invisibles les cratères d’impact.
La proportion d’oxygène dans l’atmosphère a connu des hauts et des bas pendant quelques mois à cause des oscillations de la population d’organismes aérobies, mais en décembre, elle avait atteint vingt millibars et s’y tenait. À partir d’un mélange potentiellement chaotique de gaz à effet de serre en augmentation, d’un cycle hydrologique instable et de boucles de rétroaction biogéochimiques originales, Mars découvrait son propre équilibre.
Cette kyrielle de succès était bénéfique à Jason. Il restait en rémission et ses occupations le gardaient heureux, voire le soignaient. Seule lui déplaisait son émergence en tant que génie iconique de la Fondation Périhélie, ou du moins sa célébrité scientifique, l’incarnation de la transformation de Mars. L’œuvre d’E.D. plutôt que la sienne : E.D. savait que le public voulait un visage humain pour Périhélie, un visage de préférence jeune, intelligent mais pas intimidant, et il poussait Jase devant les caméras depuis l’époque où la Fondation n’était qu’un groupe de pression dans le domaine aérospatial. Jase le supportait – il expliquait bien, sans s’impatienter et était assez photogénique – mais en détestant cela, et il aurait préféré quitter une pièce plutôt que se voir à la télévision.
Cela a été l’année des premiers vols PEN inhabités, que Jase a suivis avec une attention particulière. Ces véhicules transporteraient les humains sur Mars, et contrairement à la relative simplicité des appareils d’ensemencement, ils relevaient d’une technologie nouvelle. PEN signifiait « Propulsion à Électricité Nucléaire » : des réacteurs nucléaires miniatures alimentant des moteurs à ions largement plus puissants que ceux des vaisseaux d’ensemencement, assez puissants pour emporter d’énormes cargaisons. Mais mettre ces géants en orbite nécessitait des propulseurs aussi grands que tout ce que la NASA avait jamais lancé, actes que Jason appelait « d’ingénierie héroïque », d’un coût héroïque. Ce coût avait fait se dresser des drapeaux rouges jusqu’au Congrès, qui nous soutenait pourtant en grande majorité, mais le flot de succès notables gardait cette opposition sous le boisseau. Jason craignait que le moindre échec manifeste ne change la donne à ce niveau.
Peu après le nouvel an, un véhicule de test PEN n’a pas restitué sa capsule de rentrée contenant les données de test et a été présumé hors service en orbite. Il y a eu des discours accusateurs au Congrès de la part d’une coterie d’élus ultraconservateurs sur le plan fiscal et sans investissements significatifs dans l’aérospatiale, les amis qu’E.D. comptait dans le corps législatif ont neutralisé ces objections et la réussite d’un autre test, une semaine plus tard, a enterré la controverse. Mais selon la formule de Jason, nous avions senti le vent du boulet.
Diane avait suivi le débat sans toutefois le considérer d’une quelconque importance. « Ce dont il faut que Jase s’inquiète, a-t-elle dit, c’est de ce que cette histoire de Mars est en train de faire au monde. Pour l’instant, il n’y a que de la bonne presse, pas vrai ? C’est tout feu tout flamme, on veut tous que quelque chose nous rassure à propos de… je ne suis pas sûre de savoir comment l’appeler… de la puissance de l’espèce humaine. Mais l’euphorie finira par retomber, et en attendant, les gens deviennent extrêmement bien informés sur la nature du Spin.
— C’est embêtant ?
— Oui, si le projet Mars échoue ou n’est pas à la hauteur des espérances. Et pas seulement parce que les gens seront déçus. Ils ont suivi la transformation d’une planète entière… ils ont un critère avec lequel prendre la mesure du Spin. Son côté complètement dément, je veux dire. Le Spin n’est pas qu’un phénomène abstrait… vous leur avez fait regarder la bête dans les yeux, et tant mieux pour vous, j’imagine, mais si votre projet échoue, cela les privera de ce nouveau courage, ce qui sera encore pire parce qu’ils ont vu la chose. Et ils n’apprécieront pas que vous échouiez, Tyler, car cela les laissera encore plus effrayés qu’ils ne l’ont jamais été. »
J’ai cité le poème de Housman qu’elle m’avait appris si longtemps auparavant : L’enfançon n’a pas conscience/De s’être fait manger par le grizzly.
« L’enfançon commence à s’en rendre compte, a-t-elle réagi. C’est peut-être ce qui définit l’Affliction. »
Peut-être. Certaines nuits, quand je n’arrivais pas à dormir, je pensais à ces choses ou ces êtres qu’on appelait les Hypothétiques. Il n’y avait que cela de véritablement évident, de saillant, à leur sujet : non seulement ils avaient la capacité d’enfermer la Terre dans cette… membrane étrange, mais ils étaient là – à nous posséder, à réguler notre planète et le passage du temps – depuis presque deux milliards d’années.
Rien d’un tant soit peu humain ne pouvait avoir une telle patience.
Le neurologue de Jason a attiré mon attention sur une étude publiée cet hiver-là par le Journal of the American Medical Association. Des chercheurs de l’université Cornell avaient découvert un marqueur génétique pour une SEP aiguë résistante aux médicaments. Le neurologue – un gros Floridien affable du nom de David Malmstein – avait inspecté l’ADN de Jason, dans lequel il avait déniché la séquence suspecte. Je lui ai demandé ce que cela signifiait.
« Cela signifie que nous pouvons adapter son traitement avec un peu plus de précision. Cela signifie aussi que nous ne pourrons jamais lui procurer le genre de rémission permanente à laquelle s’attend un patient atteint de SEP typique.
— Il me semble être en rémission depuis presque un an, maintenant. N’est-ce pas du long terme ?
— Ses symptômes sont maîtrisés, c’est tout. La SEPA continue à brûler, un peu comme un feu dans un gisement de charbon. À un moment, nous ne pourrons plus compenser cela.
— Le point de non-retour.
— Pour ainsi dire.
— Combien de temps peut-il passer pour normal ? »
Malmstein a marqué un temps d’arrêt. « Vous savez, a-t-il dit, Jason m’a posé exactement la même question.
— Que lui avez-vous répondu ?
— Que je n’étais pas devin. Que la SEP était une maladie dépourvue d’étiologie bien établie. Que le corps humain suivait son propre calendrier.
— Je sens qu’il n’a pas apprécié la réponse.
— Il a bruyamment exprimé sa désapprobation. Mais c’est vrai. Il peut passer la prochaine décennie sans symptômes. Ou se retrouver en chaise roulante à la fin de la semaine.
— Vous lui avez dit ça ?
— De manière plus douce, plus gentille. Je ne veux pas lui faire perdre espoir. Il a l’esprit combatif, ce qui compte beaucoup. Le fond de ma pensée est qu’il s’en sortira bien à court terme… Deux ans, cinq, peut-être plus. Ensuite, on ne peut jurer de rien. J’aimerais disposer d’un meilleur pronostic. »
Je n’ai pas dit à Jason que j’avais parlé avec Malmstein, mais j’ai bien vu de quelle manière, les semaines suivantes, il redoublait d’efforts dans son travail, comptant les succès contre le temps et la mortalité. Non le temps et la mortalité du monde, mais les siens.
Le rythme des lancements d’ensemencement, sans parler de leur coût, a commencé à monter en flèche.
La dernière vague (la seule à emporter, entre autres, de véritables semences) s’est produite en mars, deux ans après que Jase, Diane et moi avons regardé douze fusées similaires partir de Floride à destination de ce qui était à l’époque une planète stérile.
Le Spin nous avait fourni les moyens nécessaires pour une longue écopoïèse. Maintenant que nous avions lancé les graines de plantes complexes, toutefois, le minutage devenait crucial. Si nous attendions trop longtemps, l’évolution de Mars pouvait nous échapper : une espèce de graine comestible ayant évolué un million d’années dans la nature pouvait ne plus ressembler à sa forme ancestrale, être devenue immangeable ou même toxique.
Ce qui signifiait que les satellites de reconnaissance devaient être lancés quelques semaines seulement après l’armada d’ensemencement, et les vaisseaux PEN habités, si les résultats semblaient prometteurs, tout de suite après.
J’ai eu un autre appel nocturne de Diane, la nuit suivant le lancement des satellites de reconnaissance. (Leurs données avaient été récupérées mais étaient encore en route pour Pasadena où le JPL les analyserait.) Elle semblait tendue et a admis, lorsque je l’ai questionnée, avoir perdu son emploi au moins jusqu’à juin. Simon et elle avaient des problèmes avec leur arriéré de loyer. Elle ne pouvait pas demander de l’argent à E.D. et il était impossible de discuter avec Carol. Elle rassemblait son courage pour parler à Jase, mais l’humiliation ne la réjouissait guère.
« De quelle somme est-il question, Diane ?
— Tyler, je ne voulais pas…
— Je sais. Tu n’as pas demandé. C’est moi qui propose.
— Eh bien… ce mois-ci, même cinq cents dollars feraient une grosse différence.
— J’imagine que la fortune du cure-pipe s’est tarie.
— Le fonds en fidéicommis s’est asséché. Il reste de l’argent dans la famille, mais Simon ne leur parle plus.
— Il ne va pas avoir du mal à comprendre, si je t’envoie un chèque ?
— Il ne va pas aimer. J’ai pensé lui dire avoir retrouvé et encaissé une ancienne police d’assurance-vie. Quelque chose dans ce goût-là. Le genre de mensonge qui ne compte pas vraiment comme un péché. J’espère.
— Vous habitez toujours Collier Street ? » J’y envoyais tous les ans une carte de vœux poliment neutre et en recevais une en retour, des paysages enneigés sans caractère, avec en signature : Simon et Diane Townsend, que Dieu vous bénisse !
« Oui », a-t-elle répondu. Puis : « Merci, Tyler. Merci beaucoup. C’est incroyablement vexant, tu sais.
— Les temps sont durs pour pas mal de monde.
— Mais toi, ça va ?
— Ouais, ça va. »
Je lui ai envoyé six chèques postdatés au quinze de chaque mois, la valeur d’une demi-année, sans trop savoir si cela cimenterait ou empoisonnerait notre amitié. Ou si cela avait une quelconque importance.
Les données de reconnaissance ont montré un monde toujours plus sec que la Terre mais marqué de lacs comme des turquoises brillantes incrustées dans un disque de cuivre ; une planète doucement balayée de massifs nuageux, les tempêtes lâchant de la pluie sur les pentes au vent d’anciens volcans et alimentant les bassins fluviaux et les deltas limoneux des basses terres, les uns et les autres verts comme des pelouses de banlieues résidentielles.
On a rempli de carburant les gros propulseurs sur leur pas de tir et près de huit cents êtres humains, répartis dans divers cosmodromes ou installations de lancement du globe, sont montés dans les portiques pour s’enfermer dans des compartiments de la taille de placards et affronter une destination tout sauf certaine. Les arches PEN embarquées au sommet de ces propulseurs contenaient (en plus des astronautes) des embryons de moutons, de bovins, de chevaux, de cochons et de chèvres, ainsi que les matrices métalliques dans lesquelles ils pourraient, avec de la chance, être amenés à maturité ; les graines de dix mille plantes ; les larves d’abeilles et d’autres insectes utiles ; des douzaines de cargaisons biologiques similaires qui pourraient survivre ou pas au voyage et aux rigueurs de la renaissance ; des archives condensées de l’essentiel du savoir humain, à la fois sous forme numérique (avec les outils pour les lire) et imprimées en petits caractères ; ainsi que des pièces et fournitures pour des abris simples, des générateurs solaires, des serres, des purificateurs d’eau et des hôpitaux de campagne élémentaires. Dans le scénario le plus optimiste, tous ces vaisseaux expéditionnaires humains atteindraient à peu près les mêmes terres équatoriales sur une période de quelques années, suivant leur transit dans la membrane Spin. Au pire, même un seul vaisseau, s’il arrivait raisonnablement intact, pourrait permettre à son équipage de survivre durant la période d’acclimatation.
Je me suis donc retrouvé à nouveau dans l’auditorium de Périhélie, avec tous ceux qui n’avaient pas remonté la côte pour assister en personne à l’événement. Je me suis installé à côté de Jason au premier rang et nous avons levé la tête vers la liaison vidéo de la NASA, un spectaculaire plan d’ensemble des plates-formes de lancements offshore, îles de métal reliées par d’immenses ponts ferroviaires, avec dix énormes propulseurs Prométhée (du moins lorsqu’ils sortaient des usines Boeing ou Lockheed Martin : les Russes, les Chinois et les Européens fabriquaient un modèle similaire mais les appelaient et les peignaient différemment) baignant dans la lumière des projecteurs, alignés comme des piquets de clôture blanchis à la chaux jusque loin dans le bleu de l’Atlantique. On avait consenti beaucoup de sacrifices pour en arriver là : impôts et trésor, littoral et récifs de corail, carrières et vies. (Une plaque au pied de chaque portique au large de Canaveral rappelait le nom des quinze ouvriers morts durant l’assemblage.) Jason tapotait violemment du pied tandis que le compte à rebours atteignait sa dernière minute, et je me suis demandé s’il s’agissait d’un symptôme, mais il m’a surpris à l’observer et s’est penché pour me glisser à l’oreille : « Je suis juste nerveux. Pas toi ? »
Il y avait eu des problèmes. Quatre-vingts de ces gros propulseurs avaient été assemblés et préparés dans le monde entier pour le lancement synchronisé de ce soir. Mais il s’agissait d’une conception nouvelle dont toutes les bogues n’avaient pas été extirpées. Quatre s’étaient retrouvés hors service avant le lancement du fait de divers problèmes techniques. Trois avaient interrompu leur compte à rebours – dans un lancement censé être synchrone sur toute la planète – pour les raisons habituelles : alimentation en carburant dangereuse, pépins logiciels. C’était inévitable et prévu, mais semblait néanmoins de mauvais augure.
Tant de choses étaient arrivées si vite. Nous transplantions cette fois non de la biologie mais l’histoire de l’humanité, et l’histoire de l’humanité, avait dit Jason, brûlait comme le feu en comparaison de la lente corrosion de l’évolution. (Lorsque nous étions beaucoup plus jeunes, après le Spin mais avant de quitter la Grande Maison, Jase avait un truc de salon pour démontrer cette idée. « Tends les bras, intimait-il, tends les bras de chaque côté de ton corps », et lorsqu’on avait adopté la position cruciforme attendue, il disait : « Du bout de ton index gauche au bout du droit en passant par ton cœur, voilà l’histoire de la Terre. Tu sais ce qu’est l’histoire de l’humanité ? L’histoire de l’humanité est l’ongle de ton index droit. Et même pas l’ongle entier. Juste cette petite partie blanche. La partie que tu coupes lorsqu’elle grandit trop. C’est la découverte du feu, l’invention de l’écriture, Galilée, Newton, l’alunissage, le 11-Septembre, la semaine dernière et ce matin. Comparés à l’évolution, nous sommes des nouveau-nés. Comparés à la géologie, nous existons à peine. »)
La voix de la NASA a alors annoncé : « Mise à feu », et Jason a inspiré entre ses dents en tournant à moitié la tête tandis que neuf des dix fusées, tubes remplis de liquide explosif plus grands que l’Empire State Building, détonaient en direction du ciel contre toute logique de gravité et d’inertie, brûlant des tonnes de carburant pour atteindre les quelques premiers centimètres d’altitude et vaporisant l’eau de mer afin d’assourdir un événement sonique qui les aurait sans cela tellement secouées qu’elles se seraient désintégrées. Puis cela a été comme si elles avaient fabriqué des échelles de vapeur et de fumée, échelles qu’elles escaladaient avec une vitesse désormais visible, volutes de feu devançant les nuages bouillonnants qu’elles avaient créés. Elles sont montées et ont disparu, comme dans tout lancement qui réussit : rapides et aussi vives qu’un rêve, puis évaporées dans le ciel.
La dernière fusée, retenue par un capteur défaillant, est partie avec dix minutes de retard. Elle arriverait sur Mars presque mille ans après le reste de la flotte, mais un tel cas de figure avait été pris en compte et pourrait se révéler bénéfique, car il permettrait d’injecter de la technologie et du savoir-faire terriens longtemps après que les livres et les lecteurs numériques des premiers colons seraient tombés en poussière.
Quelques instants plus tard, on nous a montré des images venues de Guyane française, le vieux et très élargi Centre national d’études spatiales à Kourou, où l’une des grandes fusées fabriquées par EADS s’était élevée d’une trentaine de mètres avant de perdre sa poussée et de retomber sur son pas de tir dans un champignon de feu.
Douze personnes ont trouvé la mort, dix à bord de l’arche PEN et deux au sol, mais cela a été la seule tragédie manifeste de toute la séquence de lancements, ce qui est plutôt chanceux, tout compte fait.
Mais ce n’était pas la fin de l’exercice. À minuit – ce qui, m’a-t-il semblé, était encore le signe le plus manifeste de la grotesque disparité entre le temps terrestre et le temps Spin – la civilisation humaine sur Mars avait soit échoué du tout au tout, soit connu un développement de presque cent mille ans.
Ce qui équivalait à peu près à l’intervalle de temps entre l’apparition de l’Homo sapiens en tant qu’espèce distincte et l’après-midi de la veille.
Cela s’est passé pendant que je rentrais chez moi en voiture. Il était fort possible que des dynasties martiennes se créent et disparaissent tandis que j’attendais au feu rouge. J’ai pensé à ces vies, ces vies humaines vraiment réelles – chacune enfermée dans un intervalle de moins d’une minute, telle que ma montre comptait les minutes – et cela m’a un peu donné le vertige. Le vertige du Spin. Ou quelque chose de plus profond.
Une demi-douzaine de satellites de reconnaissance ont été lancés cette nuit-là, programmés pour la recherche de signes de vie humaine sur Mars. Leurs chargements sont redescendus en parachute et ont été retrouvés avant le matin.
J’ai vu les résultats avant qu’ils soient rendus publics.
C’était une semaine après le lancement des Prométhée. Jason avait pris rendez-vous à 10 h 30 à l’infirmerie, rendez-vous dépendant de l’arrivée de nouvelles du JPL. Il ne l’a pas annulé mais s’est présenté avec une heure de retard et une enveloppe en papier kraft à la main, manifestement impatient de discuter d’un sujet sans aucun rapport avec sa santé. Je l’ai aussitôt fait entrer dans une salle d’examen.
« Je ne sais pas quoi dire à la presse, m’a-t-il confié. Je sors d’une conférence téléphonique avec le directeur de l’ESA et une bande de bureaucrates chinois. On essaye de jeter les bases d’une déclaration conjointe des chefs d’État mais dès que les Russes se déclarent d’accord sur une phrase, les Chinois veulent y mettre leur veto et vice versa.
— Une déclaration à quel propos, Jase ?
— Les données satellites.
— Vous avez les résultats ? » En fait, ces résultats étaient en retard. Le JPL mettait en général moins de temps à partager ses photos. Mais vu ce que venait de dire Jason, j’ai compris que quelqu’un les avait gardées sous le coude, ce qui signifiait des résultats ne correspondant pas aux attentes. Des mauvaises nouvelles, peut-être.
« Regarde », a dit Jason.
Il a ouvert son enveloppe et en a sorti deux photos télescopiques en fausses couleurs, l’une sur l’autre. Toutes deux représentaient Mars vue de l’orbite terrestre après le lancement des Prométhée.
La première m’a coupé le souffle. Elle n’était pas aussi nette que l’image que j’avais encadrée et accrochée au mur de la salle d’attente, puisque dans celle-ci la planète ne se trouvait pas au plus près de la Terre, et sa précision témoignait de l’efficacité des technologies d’imagerie modernes. À première vue, elle ne semblait guère différente de la photo encadrée : je voyais assez de vert pour comprendre que l’écologie transplantée était toujours intacte, vivante.
« Regarde d’un peu plus près », a dit Jason.
Il a passé le doigt sur la ligne sinueuse d’une plaine fluviale. Il y avait là de la verdure pourvue de limites nettes et régulières. Plus je regardais, plus j’en voyais.
« De l’agriculture », a dit Jase.
J’ai retenu ma respiration et réfléchi aux implications. J’ai pensé : Il y a maintenant deux planètes habitées dans le système solaire. Et il ne s’agissait pas d’une hypothèse, mais de la réalité. D’endroits où des gens vivaient, où des gens vivaient sur Mars.
J’ai voulu regarder à nouveau. Mais Jase a glissé l’impression dans l’enveloppe, me montrant celle du dessous.
« La deuxième photo, a-t-il annoncé, a été prise vingt-quatre heures plus tard.
— Je ne comprends pas.
— Par la même caméra du même satellite. Nous avons des images parallèles pour confirmer ce résultat. On a pensé à un défaut du système d’imagerie jusqu’à ce qu’en poussant le contraste, on décèle un peu de lumière des étoiles. »
Mais il n’y avait rien dans la photographie.
Quelques étoiles, avec au milieu un gros rien en forme de disque. « Qu’est-ce que c’est ?
— Une membrane Spin, a répondu Jason. Vue de l’extérieur. Mars en a une aussi, maintenant. »