Le soleil était couché depuis deux ou trois heures lorsque Everard regagna le palais. L’heure était fort tardive au regard des indigènes. Les sentinelles l’inspectèrent à la lueur de leurs lampes, puis appelèrent leur supérieur. Quand il eut identifié Eborix, ce dernier eut droit à de plates excuses. Son rire indulgent avait plus de valeur qu’un bon pourboire.
Il n’avait pourtant pas le cœur à rire. Les lèvres pincées, il suivit un photophore jusqu’à sa chambre.
Bronwen dormait. Une seule chandelle brûlait encore. Il se déshabilla et, l’espace de quelques secondes, contempla son corps dans la pénombre. Ses cheveux dénoués faisaient sur l’oreiller une corolle blonde. Un sein encore juvénile affleurait sous un bras alangui. Mais ce fut sur son visage qu’il s’attarda. En dépit de tout ce qu’elle avait enduré, il demeurait innocent, enfantin, vulnérable.
Si seulement... Non. Peut-être sommes-nous déjà un peu amoureux. Mais cela ne durerait pas, nous ne pourrions jamais vivre ensemble, seuls nos corps pourraient s’accorder. Trop de siècles nous séparent.
Que va-t-elle devenir ?
Il s’allongea, soucieux de prendre un peu de repos. Elle se réveilla aussitôt. Les esclaves apprennent à avoir le sommeil léger. Il vit la joie éclairer ses yeux. « Mon seigneur ! Sois mille fois bienvenu ! »
Ils s’étreignirent avec chaleur. Mais il s’aperçut qu’il avait surtout envie de parler avec elle. « Comment s’est passée ta journée ? demanda-t-il, les lèvres collées à la chaleur de sa gorge.
— Hein ? Je... ô maître...» Elle était surprise qu’il s’intéresse à elle. « Eh bien, de fort agréable façon, sans doute parce que ta chère magie s’attardait sur moi. Ton valet Pummairam et moi avons passé un long moment à bavarder. » Gloussement. « Il est adorable, ce petit brigand, n’est-ce pas ? Mais il pose parfois des questions indiscrètes... N’aie crainte, seigneur, j’ai refusé d’y répondre et il n’a pas insisté. Plus tard, après avoir fait savoir où mon seigneur pouvait me trouver, je suis allée voir mes enfants à la garderie. Comme je les aime ! » Elle n’alla pas jusqu’à lui proposer de faire leur connaissance.
« Hum. » Un détail tracassait Everard. « Qu’a fait Pum pendant ce temps-là ? » Ça m’étonnerait qu’il soit resté tranquille dans son coin, agité comme il est.
« Je l’ignore. Enfin, je l’ai aperçu deux ou trois fois dans les couloirs du palais, mais j’ai supposé que mon seigneur lui avait confié quelque... Seigneur ? »
Elle se redressa, inquiète, comme Everard se levait. D’un geste vif, il ouvrit la porte du réduit. Personne. Où diable était passé Pum ?
Peut-être ne faisait-il rien de mal. Mais un serviteur trop curieux risque d’attirer des ennuis à son maître.
L’esprit en proie à de sombres pensées, debout sur un sol glacé, Everard sentit des bras lui enserrer la taille, une joue lui caresser les omoplates, et entendit une voix lui susurrer : « Mon seigneur est-il fatigué ? Dans ce cas, sa servante va lui chanter une berceuse de son pays. Mais sinon...»
Au diable les tracasseries. Elles attendront demain. Everard porta son attention sur un sujet plus agréable.