13, rue du Horla
Troisième étage – Club philatéliste / Appartement de mademoiselle Rose
— Réveille-toi, démon.
— Je ne dors jamais, sorcière. C’est bien mon problème, d’ailleurs. L’éternité paraît encore plus longue.
— Je sais que tu ne dors pas. C’était manière de dire.
— Toi, tu as la tête de quelqu’un qui a reçu une bonne nouvelle !
— C’est vrai. Je me suis dit que partager un peu de positif avec toi me changerait agréablement.
— Ah bon ? Vas-y, je t’écoute. De toute façon, je n’ai pas le choix.
— L’équipe des nettoyeurs que j’ai envoyés au manoir des vampires vient de me faire son rapport. L’Agent stagiaire Jules n’avait pas exagéré… Un véritable massacre. Dommage que le manque de temps ait empêché des investigations poussées.
— Que rapportent les premiers résultats ?
— Les vingt-sept vampires ont tous succombé à une hémorragie.
— Bon sang…
— Chaque corps compte au moins trois blessures fatales. Un vampire a été retrouvé à l’étage, en plusieurs morceaux. Les vingt-six autres victimes se trouvaient rassemblées dans une salle qu’elles n’ont pas pu quitter. L’attaque a été fulgurante. Et d’une sauvagerie inouïe. Je ne m’attarde pas sur les détails, mais…
— Mais ?
— Jules a évoqué dans son rapport une odeur de soufre, que les nettoyeurs n’ont pas relevée. Faut-il incriminer l’imagination galopante d’un jeune Agent stagiaire pressé de rentrer chez lui ou bien le manque de réceptivité des hommes envoyés sur place ? Tu as peut-être un avis. Après tout, le soufre, c’est ton rayon.
— Je souffre d’être enfermé dans ce miroir, ça c’est mon rayon ! Pour le reste… Du soufre, tu dis ? Je ne vois pas. Aucun démon passé dans votre monde n’aurait pu conserver assez de force pour vaincre ces vampires. Tu sais comment ça marche : on s’affaiblit en traversant la Barrière. Je crois plutôt que ton stagiaire a fumé !
— Je me demande qui a bien pu perpétrer ce massacre. Et pour quelle raison.
— Le chamane, sûrement ! Je t’ai dit, sorcière, de te méfier de lui.
— L’Oyun, à la suite d’un désaccord avec ses hôtes ? En l’absence de preuves, je préfère laisser le sujet ouvert…
— J’ai une proposition à te faire.
— N’y pense même pas, démon.
— Tu es seule, sorcière ! Et tu as bien besoin d’aide ! Si tu me libérais de ce miroir, je pourrais traquer ce chamane et…
— Tu seras encore dans ce miroir quand le monde s’écroulera.
— Je cherche juste à me rendre utile.
— En ce cas, reste à ta place, démon. Et puis, je m’en sors très bien. Malgré nos moyens limités, nous avons su réagir avant que la police s’en mêle.
— C’est donc ça l’élément positif que tu évoquais au début de notre passionnante discussion.
— En effet. De plus, la poursuite du chamane a perdu son caractère d’urgence. L’alliance de l’Oyun avec les vampires ne semble plus d’actualité.
— C’est le moins qu’on puisse dire. Eh bien, il ne te reste plus qu’à mettre la main sur Nina et à régler une centaine d’autres problèmes urgents !
— Jules a retrouvé, par hasard, la piste de Nina. Je l’ai transféré sur ce dossier.
— Tu te prives d’un précieux atout, sorcière. De tous les Agents dont tu disposes, c’est le seul capable de remonter jusqu’au chamane.
— Sitôt que Jules aura localisé Nina, je le remettrai sur sa mission initiale.
— Et le Sphinx ?
— Aucune nouvelle du Sphinx.
— Et Jasper ?
— Toujours aux abonnés absents.
— Et Walter ?
— Il continue de faire le mort. Ça y est, tu as terminé ?
— Pour l’instant, sorcière. Rien ne presse, j’ai tout mon temps.