Prise de tête

La mort. La mort… J’ai lu quelque part que c’est cette prise de conscience – savoir qu’on peut mourir, ou plutôt cesser de vivre – qui marque le passage de l’enfance à l’état adulte.

Je ne sais pas si c’est vrai et je m’en fous.

J’ai le souvenir, gamin, d’une rue descendue à fond sur mon vélo. Elle débouchait sur une route, et, si une voiture était passée à ce moment-là, je ne serais pas ici à me prendre la tête (et celle des autres). J’étais alors inconscient du danger et la notion même de risque n’existait pas pour moi.

C’était amusant, c’était excitant, voilà tout.

C’est pour cette raison qu’il n’y a jamais de héros parmi les gamins. Parce que pour pouvoir défier le danger, il faut savoir qu’il existe.

Est-ce qu’aujourd’hui je remonterais sur le vélo pour m’élancer dans la pente ? Sûrement pas. D’abord parce que le vélo serait beaucoup trop petit. Ensuite parce que j’ai autre chose à faire que m’emplafonner une bagnole : sorciers méchants, démons ricanants, vampires baveux, j’ai l’embarras du choix !…

On peut vivre sans penser à la mort. On peut aussi vivre en pensant à elle.

Je ne dis pas être obsédé par elle, non. Mais simplement se rappeler qu’elle est là, pas loin. Juste à côté. Histoire de ne pas gaspiller sa vie.

C’est ce que j’ai choisi de faire. De toute façon, puisque la mort existe, c’est idiot de l’ignorer.

On a souvent le sentiment qu’on ne peut pas mourir. Parce qu’on imagine que la mort nous attend loin devant, tout au bout. Au bout de quoi ?

On se dit : je n’ai encore rien fait, ma vie est si vide, c’est impossible que tout s’arrête brusquement. Eh bien si, c’est possible. Ce n’est pas parce qu’une vie est vide qu’elle ne peut pas être courte.

C’est pour ça que, malgré les injustices de Walter ou les indifférences de mademoiselle Rose et même si les missions qu’on me confie débouchent généralement sur des situations délicates, ma vie d’Agent (stagiaire) de l’Association me convient parfaitement.

Je sais que, demain, je pourrai rejoindre Ombe, je n’aurai pas sur la conscience le poids d’une vie insipide…

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