Il sentit le besoin criant de la créature du vallon, il sentit qu’il y avait quelque chose dont elle manquait, quelque chose qu’elle cherchait, et qu’elle souffrait le martyre. Il s’arrêta si brusquement qu’Étoile du Soir qui le suivait de près lui rentra dedans.
— Qu’est-ce que c’est ? murmura-t-elle.
Raidi, ressentant ce manque, ce besoin, il ne répondit pas. Le flot de sentiments qui venait du vallon se déversait sur lui, en lui : l’absence d’espoir, le doute, le désir éperdu et le besoin. Les arbres se dressaient, droits et silencieux dans l’après-midi sans un souffle d’air et, pendant un instant, la forêt toute entière – les oiseaux, les petits animaux, les insectes – tomba dans le silence. Rien ne bougeait, rien ne faisait plus le moindre bruit, comme si la nature elle-même retenait son souffle pour écouter la créature du vallon.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Étoile du Soir.
— Il y a quelque chose qui souffre, répondit-il. Ne sens-tu pas cette souffrance ? C’est juste devant nous.
— On ne peut pas sentir la souffrance, dit-elle.
Il avança lentement. Le silence se poursuivait. Il se trouva devant la créature – un épouvantable tas de vers blotti contre l’amas de rochers qui se trouvait sous le bouleau voûté. Mais il ne voyait pas le tas de vers, il entendait seulement ce cri de détresse. Quelque chose se passa dans son cerveau et, pendant un instant, il appréhenda mentalement cette détresse.
Étoile du Soir recula et s’appuya contre le solide tronc d’un chêne qui se dressait au bord du sentier. Le tas de vers ne cessait pas de bouger, exactement comme aurait bougé un tas de vers, tous les animaux rampant les uns vers les autres, grouillants comme poussés par une impulsion sans nom, sans rime ni raison. Et, de cette masse grouillante parvint un cri de bonheur et de soulagement – sans le moindre son, cri bizarrement mêlé à un sentiment de compassion et de puissance qui n’avait rien à voir avec le tas de vers. Et tout cela était recouvert, comme par un manteau d’espoir et de compréhension, par ce que le grand chêne blanc avait dit, ou essayé de dire, ou n’avait pas réussi à dire. Dans l’esprit d’Étoile du Soir, l’univers s’ouvrit comme une fleur au soleil levant. Pendant un instant, elle appréhenda et connut (elle ne vit, n’entendit, et ne comprit rien car cela se passait au-delà de la vue ou de la simple compréhension) l’univers entier, du centre à ses confins les plus lointains – son mécanisme, l’objet de son existence et la place qu’y tenait tout ce qui était vivant.
Cela ne dura qu’un instant, une fraction de seconde d’illumination, de connaissance, qui disparut, et elle se retrouva en elle-même – forme de vie incomplète et insignifiante blottie contre l’arbre, sentant contre ses épaules et son dos la dureté du tronc du chêne massif, avec David Hunt à ses côtés, debout dans le sentier, et dans le vallon ce tas de vers qui se tortillait et semblait illuminé de lumière divine, si brillant et étincelant qu’il était beau comme jamais aucun tas de vers ne l’avait été, criant de manière persistante dans son esprit quelque chose dont le sens lui échappait.
— David ! cria-t-elle. Qu’avons-nous fait ? Qu’est-il arrivé ?
Car elle savait que quelque chose de prodigieux – ou plusieurs choses prodigieuses – s’était passé. Elle se sentait l’esprit confus, mais dans cette confusion même il y avait à la fois bonheur et étonnement. Elle se blottit plus étroitement contre l’arbre et l’univers sembla se pencher vers elle. Elle sentit des mains la saisir, l’élever, et elle se retrouva dans les bras de David, s’accrochant à lui comme elle ne s’était jamais accrochée à personne auparavant, heureuse qu’il soit présent dans ce qu’elle pressentait être un grand moment de sa vie, en sécurité contre son corps mince et dur.
— Toi et moi, disait-il, toi et moi, ensemble. À nous deux…
Sa voix faiblit et elle sut qu’il avait peur. Elle mit ses bras autour de lui, lui donnant tout le réconfort, qu’elle pouvait.