Jason n’arrivait pas à dormir. Il ne pouvait s’empêcher de penser au Principe. Il ne savait pas comment il avait commencé à y penser. Pour se libérer de ses réflexions, il tenta sans y parvenir de retourner en esprit au point de départ de ses réflexions, mais celui-ci était trop confus, il ne put le retrouver et continua à s’interroger.
Il fallait qu’il dorme, se dit-il. Thatcher allait le réveiller tôt le lendemain matin, et il descendrait avec John le sentier qui menait au camp de Horace Nuage Rouge. Il était impatient de remonter le fleuve, ce serait intéressant – il y avait longtemps qu’il ne s’était pas éloigné de chez lui. Mais, si intéressant que ce soit, ce serait une dure journée et il avait besoin de sommeil.
Il essaya de compter des moutons et d’additionner des colonnes de chiffres imaginaires. Mais les moutons se refusaient à sauter et les chiffres retournaient au néant d’où il les avait tirés. Il continuait à s’inquiéter et à s’interroger au sujet du Principe.
Si l’univers était en création continue, s’il n’avait ni commencement, ni fin, s’il avait toujours existé et était destiné à exister à jamais, à quel point de cette éternité le Principe était-il né ? Ou bien, était-il lui aussi éternel, comme l’univers ? Si, par contre, l’univers était évolutif, s’il avait commencé à une date précise, en un lieu précis, et s’il devait prendre fin à une date et en un lieu précis, le Principe était-il déjà là, avant, à attendre, étrangeté sortie du néant ? Ou bien ne s’était-il développé qu’à une date ultérieure ? Et à partir de quoi s’était-il développé ? Et pourquoi dans cette galaxie ? se demanda-t-il. Pourquoi le Principe avait-il choisi de résider dans cette galaxie quand il aurait pu en choisir des milliards d’autres ? Y était-il né et y était-il resté ? Et si tel était le cas, quelles caractéristiques uniques offrait celle-ci pour déterminer son apparition ? Ou bien s’agissait-il de quelque chose de beaucoup plus grand que ce que l’on pouvait imaginer, et sa manifestation dans la galaxie n’était-elle que l’antenne d’une unité centrale beaucoup plus importante ?
Tout cela était absurde, bien entendu. Il n’avait aucun moyen de trouver une réponse, aucun moyen logique d’arriver même à deviner ce qui s’était réellement passé. Il n’était pas en possession des données du problème. Personne ne les avait. Le seul qui pouvait savoir était le Principe lui-même. Toute sa réflexion était un exercice imbécile, Jason le savait. Il n’avait pas de raisons impératives de chercher une réponse. Et pourtant, son esprit continuait à s’interroger, il ne parvenait pas à l’arrêter, s’accrochant désespérément à une impossibilité à laquelle il n’aurait jamais dû prêter attention.
Il se retourna nerveusement et essaya d’enfoncer plus profondément sa tête dans l’oreiller.
— Jason, dit la voix de Martha dans le noir, dors-tu ?
— Presque, lui répondit-il en marmonnant. Presque.