ÉPILOGUE

C’est donc à moi qu’est échue cette énorme responsabilité. J’en tremble encore au moment de prendre la plume. Je me sens quelque peu… écrasée par mes prédécesseurs, le moncle Artien, Lahiva et Gmezer. Leurs parcours sont certes différents comme ne manque pas de le souligner Gmezer, mais je me dois ici de reconnaître qu’ils possèdent, chacun à leur manière, une personnalité dont je m’estime totalement dépourvue. Cependant, il ne s’agit probablement pas d’un hasard si leurs écrits me sont parvenus. J’y ai vu un signe du destin, une façon inespérée d’échapper à la médiocrité de mon existence.

Comment ces précieux rouleaux et ce matériau que le moncle Artien appelle le papier se sont-ils retrouvés en ma possession ?

La réponse est d’une simplicité terrifiante : je les ai trouvés dans un grenier ! J’ignore comment ils sont arrivés là. Gmezer, comme elle l’écrit elle-même, les a-t-elle confiés à l’une de ses anciennes amies qui, effrayée par leur contenu, s’est empressée de les ranger dans ce grenier ?

Qu’importe dans le fond ! Ils m’ont choisie, moi, Esrel, la troisième fille d’une servante du mathelle de Sliozia, c’est à moi de me montrer digne d’eux. J’ai décidé d’attendre un peu avant de les porter à la connaissance des mathelles. Les choses ont changé ces derniers temps, mais je préfère attendre que les flambées de violence se soient définitivement éteintes dans le secteur de Cent-Sources.

Sous l’impulsion d’un homme du nom d’Ankrel, la plupart des protecteurs des sentiers ont abandonné le masque et la craine. Les mathelles qu’ils retenaient prisonnières ont été délivrées et ont pu regagner leurs domaines saines et sauves. Dont Merilliam, qui est en passe de devenir la grande figure féminine héroïque des plaines. Des batailles opposent encore les partisans d’Ankrel et les frères de Maran, de moins en moins nombreux.

Nous pouvons désormais nous promener sans craindre les umbres, même si nos vieux réflexes nous poussent à garder un œil levé sur le ciel. Cela fait maintenant une année qu’ils n’ont pas reparu. La rumeur court que nous devons cette double délivrance à un homme et une femme qui vivent sur le deuxième continent. On dit d’eux qu’ils sont les descendants de l’Agauer, les magiciens qui apportent la paix et le bonheur, et, si j’en juge par les rires et les chants dans les allées des domaines, je crois que c’est vrai. J’en ignore les raisons, mais j’ai la conviction qu’il existe une relation entre ce couple extraordinaire et mes trois prédécesseurs. Non, ne me demandez pas d’explication, je ne suis pas historienne. Un jour peut-être, je ferai comme ces pèlerins, ventresecs ou permanents, qui se rendent sur le deuxième continent par le passage de Grand-Maran, j’irai rencontrer Orchéron et Alma et recevoir leur bénédiction. En attendant, je me prépare pour la fête de Grande Délivrance qui aura lieu dans trois jours. La vie a repris à Cent-Sources après toutes ces années de terreur, et le moindre hommage qu’on puisse rendre à nos magiciens du deuxième continent, c’est d’en jouir.

Le journal d’Esrel.


FIN
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