Chapitre 4

Le rêve vint la hanter, comme toujours après une journée éprouvante.

Une Mari âgée de huit ans se tenait dans l’embrasure de la porte de la maison de ses parents, les yeux écarquillés sur les mécaniciens venus la chercher. Elle revit son père s’emporter et sa mère pleurer tandis qu’on l’emmenait. « Tu as très bien réussi les tests. Tu deviendras mécanicienne. »

Changement de décor. Mari regardait les rues de Caer Lyn défiler autour d’elle, comme si elle flottait dans les airs. Les gardes de la ville en cottes de mailles, armés d’épées courtes, les gens du commun observant, impuissants, les mécaniciens qui entraînaient Mari et un autre enfant qu’ils avaient récupéré. Les bateaux à voile emplissaient le port, leurs mats et les caissons de voilure formaient une forêt hérissée tanguant au rythme lent des ondulations qui gonflaient les flots. Un navire à vapeur de la guilde des mécaniciens prenait la mer, laissant dans son sillage un long panache de fumée. Puis se dressa devant elle l’hôtel de la guilde des mécaniciens ; leur petit groupe franchit les portes, elle-même fixant, bouché bée, les lampes électriques qu’elle voyait pour la première fois et les armes étranges arborées par les mécaniciens.

Autre scène : une Mari jeune, debout devant le bureau de distribution du courrier. Elle avait grandi et portait un uniforme d’apprenti avec l’aisance de ceux qui sont habitués aux harnachements de la guilde. Sur sa manche, l’insigne des apprentis de deuxième année.

Le mécanicien à la retraite assis face à elle secoua la tête avec tristesse, comme il le faisait d’ordinaire.

« Il n’y a rien pour vous, apprentie Mari. C’est souvent comme ça avec les gens du commun, vous savez : vous devenez mécanicien et ils n’acceptent pas que vous soyez meilleur qu’eux. Ils ont sans doute oublié jusqu’au jour de votre naissance. Ils vous abandonnent. À l’inverse de la guilde. Nous sommes votre famille désormais.

— D’accord, qu’il en soit ainsi, dit la jeune Mari en ravalant ses larmes. Mais moi, je n’oublierai jamais personne. Je n’abandonnerai jamais personne. »

Une lettre apparut sur le bureau. Cependant, à l’instant même où elle s’en empara pour en connaître le destinataire, elle savait que le courrier ne lui était pas adressé.

Mari ouvrit les yeux sur un ciel matinal d’azur aux reflets cuivrés. Le cauchemar familier né de ses souvenirs se mua en cauchemar éveillé du présent. Alors que son esprit s’extirpait des voiles du sommeil, Mari se rappela les dernières pensées qui avaient précédé son endormissement et se raidit. Elle baissa le regard vers son buste et ses jambes. Ses vêtements n’avaient pas été dérangés.

Tournant la tête avec précaution, elle vit le mage couché à l’autre extrémité du promontoire, aussi loin d’elle que possible, la tête dissimulée sous la capuche de ses robes. Tout comme il dissimulait ses émotions, se dit-elle. Peut-être avait-il été aussi épuisé qu’elle la veille au soir, trop fatigué pour agir selon ses instincts mâles. Ou peut-être le mage Alain était-il tout simplement différent de tous les mages dont elle avait entendu parler.

Elle resta allongée sans bouger pendant encore quelque temps, s’efforçant de chasser les dernières bribes du rêve trop familier et tendant l’oreille à l’affût du moindre son en provenance de la caravane en contrebas. Puis elle s’empara maladroitement d’une des bouteilles d’eau, en retira précautionneusement le bouchon et but bien moins qu’elle ne l’aurait voulu avant de la refermer.

Son remue-ménage réveilla le mage qui se redressa doucement et plissa les yeux pour les protéger de la morsure du soleil levant. Il ne dit rien, saisit une bouteille et se désaltéra avec parcimonie. Il ouvrit un autre paquetage et en sortit des rations de voyage qu’il avait récupérées dans le convoi. Il en tendit une portion à Mari avant de se servir.

La jeune femme mangea lentement, l’appétit coupé par le problème qui occupait ses pensées. La veille, elle n’avait eu ni le temps ni l’énergie pour réfléchir, mais dans la lumière crue du matin sa situation lui sautait à la figure : elle était coincée dans le désert seule avec un mage, sans la moindre idée de la façon de rejoindre un lieu sûr. Comme le lui avait aimablement rappelé Alli lors de son hallucination, les mages mâles étaient tristement célèbres pour leur comportement de prédateurs envers les femmes sur lesquelles ils jetaient leur dévolu. Alain était un mage mâle et elle était une femme.

Néanmoins, la nuit venait de se dérouler sans incident. La veille, il n’avait jamais posé la main sur elle, l’instabilité du terrain offrant pourtant la meilleure des excuses. De ce qu’on lui avait dit, les mages ne cherchaient même pas à justifier cette attitude. Mais rien dans le comportement du mage Alain, la bizarrerie mise à part, ne lui avait donné matière à s’inquiéter. Un homme étrange et dangereux était une chose, un homme étrange et prévenant en était une autre. Je me demande s’il me trouve étrange. Il y aurait eu beaucoup de mécaniciens émérites et d’instructeurs de l’académie pour l’approuver. Ces mêmes mécaniciens et mécaniciens émérites qui estimaient que tous les membres de la guilde auraient dû se vêtir, agir et réfléchir à l’identique.

Oh, lâche-lui un peu les basques, Mari. Nous ne pouvons pas être amis… Ouah, c’est curieux que cette pensée me soit seulement venue à l’esprit… Même si tous les autres mages sont des ordures, tant qu’il ne me donnera pas de raison de changer d’avis, tant que nous n’aurons pas trouvé d’aide, je considérerai le mage Alain comme un allié. Insolite, certes, mais allié.

Avec des mouvements très lents, elle se hissa jusqu’au bord du promontoire et regarda en contrebas. Des silhouettes allaient et venaient autour des restes de la caravane, une demi-douzaine à vue de nez. Il n’y avait aucun moyen de savoir combien étaient dissimulés par le terrain ou combien s’étaient suffisamment éloignés et n’étaient plus à portée d’oreille d’un coup de feu. Elle se laissa retomber et secoua négativement la tête en direction d’Alain.

« Ils sont toujours là.

— J’ai une idée », acquiesça-t-il. Après le long silence qui avait suivi leur réveil, l’absence d’émotions dans sa voix sonnait de nouveau de manière inquiétante.

Pourtant, Mari lui adressa un bref sourire.

« Bien. Ça en fait une de plus que moi. »

Le mage la regarda attentivement, comme si, une fois encore, il cherchait à comprendre ses paroles.

« Je propose que nous passions ici le reste de la journée et prenions autant de repos que possible. À la nuit tombée, nous redescendrons dans le défilé et suivrons la piste vers Ringhmon. Nous devrions être à l’abri dans l’obscurité, tant que nous ferons preuve de vigilance.

— Hier, tu jugeais que la route ne serait pas sûre. Et si les bandits nous tendaient une embuscade quelque part en chemin ?

— Nous aurons plus de chances de nous en sortir dans le noir, que ce soit pour fuir ou nous battre. Tu as ton arme de mécanicien, j’ai mes sortilèges ; nous ne sommes pas sans défense. La route recèle des dangers, mais je pense que nos probabilités de survie sont nulles si nous décidons de couper par ces monts et ces collines. »

Mari contempla le paysage désolé de rochers brisés sous un soleil de plomb et se rappela la lenteur de leur progression, la veille.

« Je déteste l’admettre, mais tu as raison. La route représente notre seule chance. À moins que ceux de ta guilde n’envoient quelqu’un te chercher. Crois-tu qu’ils le feront ?

— Non. »

Elle aurait dû s’en douter. Les mages semblaient peu enclins à perdre du temps sur des concepts comme l’optimisme. Une guilde qui déployait autant d’efforts pour inculquer à ses membres que rien n’avait d’importance ne s’inquiéterait pas pour un mage dont la caravane était en retard.

« Et les tiens ? demanda le mage Alain.

— La guilde de Ringhmon finirait bien par dépêcher quelqu’un pour découvrir ce qui m’est arrivé, mais le temps que la décision soit prise, nous serons morts », lâcha Mari. Attendre le terme de la période réglementaire préalable à toute déclaration de disparition, remplir les documents adéquats, les faire approuver, obtenir l’autorisation de dépense de fonds dans une mission de recherche, etc., etc. Une vieille blague prétendait qu’un mécanicien pouvait mourir de vieillesse avant que la guilde ne valide officiellement sa naissance.

Mari leva les yeux vers le ciel, rassemblant son courage pour faire ce qu’elle savait être son devoir.

« Très bien, mage Alain. Ces bandits en ont après moi. Peut-être devrions-nous nous séparer, pour augmenter tes chances de survie. »

Alain garda longuement le silence. Mari le dévisagea et le vit plongé dans une intense introspection, le regard dans le vague.

« Hé ! Je te parle. »

Le mage prit une profonde inspiration avant de secouer la tête.

« Je choisis de ne pas procéder ainsi. »

C’était la dernière chose à laquelle elle s’attendait. Pourquoi un mage déciderait-il de demeurer aux côtés d’un mécanicien alors que ses chances de survie seraient bien meilleures dans le cas contraire ?

« Pourquoi ?

— Si tout n’est qu’illusion », dit-il lentement comme s’il pesait chacun de ses mots, « peu importe le chemin que je choisis de suivre. Je resterai donc avec toi.

— Ouah ! Merci d’être aussi enthousiaste, lança Mari en le fusillant du regard pour cacher la peur qui la rongeait de se retrouver seule dans le désert avec des bandits à ses trousses. Écoute, on est dans le monde réel, là.

— Rien n’est réel.

— Par les étoiles ! J’essaie d’augmenter tes chances de survie, imbécile de mage ! Profites-en ! Hier, tu m’as suivie pour survivre. Aujourd’hui, tu dois me quitter dans le même but. Alors, fais-le ! »

Alain la gratifia d’un regard dépourvu d’émotion.

« Es-tu en train de me donner des ordres, maîtresse mécanicienne Mari ?

— Ça ne servirait pas à grand-chose, pas vrai ?

— Non, en effet. Était-ce une fois de plus un sarcasme ?

— Tu es aussi têtu que moi, on dirait, lâcha-t-elle en soufflant d’exaspération. Quel âge as-tu, mage Alain ? »

Elle le vit se raidir.

« Je suis un mage.

— Bien sûr. Je n’en ai jamais douté. Quel âge as-tu, mage Alain ? »

Elle crut sincèrement qu’il n’allait pas répondre, mais il se résolut à affronter son regard.

« J’ai dix-sept ans.

— Vraiment ? N’est-ce pas inhabituel pour un mage ? »

Il la considéra intensément pendant quelques instants, comme s’il cherchait à découvrir la raison de cette question, puis il hocha la tête.

« Je dois faire mes preuves.

— Oh. » Mari laissa échapper un soupir. Sa colère face à l’entêtement du mage se mua en un soulagement terni par la culpabilité qu’il eût décliné sa proposition. « Je sais ce que c’est. J’ai dix-huit ans. Le plus jeune maître mécanicien de tous les temps. J’ai atteint le rang de mécanicien à seize ans. Du jamais vu. » Elle détestait se vanter, mais elle en avait assez de ne pas pouvoir dire tout ce qu’elle avait accompli sans passer pour quelqu’un de prétentieux. Au moins, en parlant avec un mage, elle pouvait évoquer son parcours sans que personne ne la soupçonne de vouloir impressionner son auditoire. « J’ai réussi chacun des tests. Je connais mon boulot. Mais tous les mécaniciens émérites que je rencontre pensent que j’ai été promue trop rapidement.

— Beaucoup de mes doyens pensent la même chose à mon sujet. Sans doute ont-ils raison. » Il fit un geste en direction de la caravane détruite. « Après tout, n’ai-je pas échoué ici, à mon premier test ?

— Crois-tu qu’un autre mage, que n’importe qui, aurait pu sauver ce convoi ? Ceux qui nous ont attaqués disposaient d’une puissance de frappe incommensurable. Cette caravane n’avait aucune chance.

— Mais il était de ma responsabilité de la protéger. Tel était le contrat.

— Ne m’as-tu pas dit que les mages considéraient que rien n’avait d’importance ? Ne viens-tu pas de décider de rester à mes côtés plutôt que de partir seul, malgré de meilleures chances de survie, au motif que ton propre chemin ne comptait pas ?

— Si.

— Dans ce cas, pourquoi le sort de la caravane t’importe-t-il ? »

Une fois encore, le mage Alain faillit froncer les sourcils, comme l’indiqua l’ombre d’une ride venue lui barrer le front. Mais il ne dit rien.

« En vérité, reprit Mari, je pense que tout ça a de l’importance. Mais je pense aussi que tu as fait le maximum de ce que quiconque aurait fait. Je le pense sincèrement. Tu étais prêt à rester sur place et à mourir. Que demander de plus ? »

Le mage réfléchit à ces paroles et regarda à nouveau Mari dans les yeux.

« L’important, c’est que le commun doit toujours vivre dans la peur des mages ; qu’un mage échoue, et cette peur risque de s’amoindrir. Quant à ta dernière question, on peut toujours en demander plus. »

Mari sentit un sourire lui étirer les lèvres devant l’ironie de cette ultime remarque.

« On dirait que celui qui dirige la guilde des mages a des points communs avec les gens à la tête de la guilde des mécaniciens. »

Les deux guildes étaient ennemies. La haine n’était pas un terme trop fort pour désigner la manière dont on apprenait aux mécaniciens à considérer les mages. Pourtant, de nombreux préceptes énoncés par ce mage lui étaient familiers.

Avant qu’elle ait pu ajouter quoi que ce fût, Mari perçut un cri en contrebas et l’angoisse l’envahit.

Le mage jeta un coup d’œil furtif par-dessus les rochers.

« Je dirais qu’ils se préparent à partir. Ils ne nous ont pas entendus.

— Dorénavant, ce serait quand même mieux de nous faire discrets. »

Il hocha la tête, s’installa confortablement et ferma les yeux. Il avait l’air si paisible qu’elle ne pouvait douter de la sincérité de ses paroles quand il lui avait soutenu que rien n’avait d’importance. Mari l’observa quelques instants et se demanda pourquoi c’était justement à un mage qu’elle avait ressenti le besoin de se confier. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas eu d’amis avec qui discuter librement. Peut-être était-ce le soleil qui lui déliait la langue. Après tout, quelles compétences étaient requises pour devenir un mage ? On lui avait enseigné qu’il suffisait d’apprendre une série de tours de passe-passe voués à abuser les gens du commun. Mais cela était faux. Le mage Alain avait traversé des épreuves physiques bien pires que celles qu’elle-même avait endurées. Et il y avait toujours ce truc de surchauffe qu’il avait fait.

Nombre de mécaniciens émérites prétendaient que les mages n’étaient que des bons à rien. Jamais personne ne les avait contredits.

Mari braqua ses yeux vers le ciel, pensive. Depuis l’âge de huit ans, je n’ai jamais quitté les hôtels de la guilde ni l’académie à Palandur. Je n’ai jamais croisé de mages durant tout ce temps, sauf ceux que j’ai aperçus de loin quand nous sortions dans les rues de Palandur avec d’autres apprentis ou mécaniciens. Mais si le mage Alain est capable de faire quelque chose comme son truc de chaleur, il y a sûrement des gens qui ont vu d’autres mages réaliser des tours similaires. Des mécaniciens plus âgés qui ont voyagé de par le monde.

Pourquoi tous les mécaniciens soutiennent-ils que les mages ne sont que des imposteurs ?

Néanmoins, quelle que fût la réponse à cette question, le mage Alain n’était pas ce qu’on pouvait appeler un collaborateur de confiance. Des embûches très violentes avaient à l’évidence jalonné son parcours, mais elle ne pouvait lui rendre son humanité ni son enfance. Elle devait désormais garder ses pensées pour elle-même, à moins qu’elles ne concernent le moyen d’atteindre un endroit où ils pourraient trouver de l’aide.

Quand le soleil toucha au zénith, transformant la cachette des fugitifs en fournaise, le dernier groupe de bandits avait quitté le défilé en suivant la route vers l’ouest, vers Ringhmon. Ils avaient mis le feu aux dernières voitures encore intactes et, marquant leur départ, de fines colonnes de fumée s’étaient élevées dans les airs. Mari et le mage avaient attendu quelque temps malgré l’inconfort croissant, puis la mécanicienne avait décidé que, quitte à mourir, elle préférait être tuée par les malfrats sur la route que grillée vive sur le promontoire.

La descente s’avéra difficile, même en pleine journée. Une fois en bas, Mari inspecta les restes de la caravane, examinant gardes et conducteurs en quête du moindre objet susceptible de leur être d’un quelconque secours. Elle s’y employa aussi longtemps que son estomac put le supporter. Mais depuis l’incursion du mage au cours de la nuit, les bandits avaient consciencieusement détruit ou mis hors d’usage tout ce qui subsistait.

Elle retrouva le mage Alain au bord du cratère creusé par la première explosion qui avait anéanti l’avant du convoi. On avait utilisé beaucoup d’explosifs pour créer une détonation d’une telle puissance, et la guilde des mécaniciens les vendait au prix fort. Cette bande avait à sa disposition des ressources colossales.

Si le mage Alain avait raison à propos des objectifs poursuivis par les brigands – et l’absence d’impacts de balles sur sa voiture tendait à confirmer cette hypothèse –, on avait dépensé tout cet argent et tué tous ces gens dans le seul but de l’enlever. Pourquoi ?

Le mage Alain observait le cratère en secouant la tête.

« Le maître caravanier n’a pas survécu. Je pense qu’une poignée de gardes a pu quitter le défilé en fuyant vers l’est, mais ils n’auront pas échappé aux bandits.

— Je suis désolée de l’apprendre. » Ce n’étaient que des gens du commun, lui souffla son entraînement de mécanicienne. Des êtres inférieurs destinés à servir la guilde. Ils ne comptent pas.

Pourtant, ils comptaient.

Le mage Alain plissait les yeux en regardant au loin et se massait la nuque.

« Cela ne devrait pas avoir d’importance… ils ne comptent pas », dit-il, comme pour se convaincre lui-même, en employant sans le savoir la même phrase qui était venue à l’esprit de Mari, un écho de son éducation.

« Peux-tu me donner une seule bonne raison de ne pas nous mettre en route dès maintenant, sans patienter jusqu’à la tombée de la nuit ? demanda Mari en grimaçant.

— Non. Nous ne rattraperons pas les bandits, à moins qu’ils ne s’arrêtent pour nous attendre. Et s’ils ont décidé de nous tendre une embuscade, je pourrai au moins venger ceux qui sont tombés ici. » L’absence d’émotion dans sa voix reflétait parfaitement l’impassibilité de son visage.

Cependant, Mari aurait juré voir la colère bouillonner au tréfonds de ses yeux. Elle aurait pu lui faire remarquer que son désir de vengeance signifiait que ce qui s’était passé dans le défilé ne lui était pas indifférent. Elle se contenta d’acquiescer en silence, rassurée de savoir que pour ce mage, au moins, le sort des autres comptait.

Ils marchèrent vers l’ouest jusqu’au crépuscule, profitant au mieux de chaque ombre ménagée par les hauteurs entourant le défilé. Juste avant le coucher du soleil, ils quittèrent la route qui amorçait une descente en lacets sur une pente assez raide, avant de s’incurver vers le nord-ouest en un long arc de cercle fendant l’étendue plate du désert qui s’étirait à perte de vue. Regrettant de ne pas disposer d’un voit-au-loin, Mari étudia le panorama qui s’offrait à elle à la recherche de la moindre trace des bandits, mais, à part un petit nuage de poussière au loin sur la piste, elle ne vit rien.

Après avoir dîné modestement d’une ration de voyage et bu aussi peu d’eau que possible, ils attaquèrent la descente en coupant en ligne droite les lacets destinés au passage des caravanes. Ils gagnèrent ainsi beaucoup de temps et arrivèrent au pied des monts avant le lever de la lune.

La clarté de cette dernière les aida à suivre la route. Mari s’efforça de marcher à une vitesse constante tandis qu’ils progressaient à travers la plaine désertique, dans un silence rompu uniquement par le crissement de leurs pas sur le sable, le souffle de leur respiration, et les soupirs occasionnels d’une brise aussi fatiguée que les fugitifs évoluant sur cette piste qui paraissait ne jamais devoir finir. Elle ne vit aucun mouvement aux alentours, aucun être vivant, hormis son compagnon, mais elle entendit les bruissements de petites créatures à proximité.

Jamais Mari n’avait vu d’étoiles aussi brillantes ; elle n’osait cependant pas lever les yeux vers le ciel de peur de trébucher et de tomber. Les mécaniciens n’observaient pas beaucoup les astres et leur étude était fortement découragée, même si, selon l’histoire officielle, les mécaniciens constituaient un groupe d’êtres supérieurs qui en étaient venus. Malgré ces origines – et la majorité des membres de sa guilde que Mari connaissait considéraient cette histoire comme un mythe grandiose –, on apprenait aux mécaniciens à garder les yeux rivés au sol et leurs esprits concentrés sur le seul monde qui existât : Dematr.

Mari titubait d’épuisement lorsqu’elle vit les cieux pâlir en direction de l’est.

Le mage Alain parla d’une voix rendue encore plus atone par la fatigue.

« Nous devrions passer la journée à nous reposer. Nous ne pourrons pas avancer à cette vitesse sous la chaleur du soleil.

— Je suis incapable de faire un pas de plus, même en me forçant. Est-ce que tu vois un endroit qui pourrait nous offrir ombre et protection ? »

Le mage secoua la tête. Ils continuèrent quelques centaines de mètres, jusqu’à ce que le soleil se montrât au-dessus de l’horizon. Alors que leurs ombres s’étiraient perpendiculairement à la piste, Mari repéra un léger renfoncement dans le sol ; un peu à l’écart de la route, c’était le seul abri à des lieues à la ronde. D’un geste, la jeune femme enjoignit au mage Alain de la suivre.

« Je prendrai le premier tour de garde », dit-il tandis qu’ils se désaltéraient.

Mari opina du chef, l’air sombre. Elle se délesta de son paquetage avec un immense soulagement et roula sur le côté pour ne plus bouger.

« Tu devrais enlever ta veste et te couvrir la tête. »

Elle ne voulait pas se défaire de son unique signe d’autorité, de sa seule armure, même si, à cet instant précis, l’habit ne procurait ni l’un ni l’autre.

« Je suis une mécanicienne.

— Je le sais. Y a-t-il quelqu’un dans le coin que tu veuilles impressionner ? »

Fichu mage ! Était-elle en train de lui apprendre l’usage du sarcasme ? Pour toute réponse elle roula sur l’autre côté et lui tourna le dos. La veste lui faisait l’effet d’un carcan surchauffé et l’empêchait de respirer. Mari compta lentement jusqu’à dix, puis sans souffler mot la retira maladroitement et s’en protégea le crâne, en laissant involontairement échapper un soupir d’aise.

Le mage Alain se garda sagement de tout commentaire et elle sombra rapidement dans le sommeil, vaincue par la fatigue.

Mari se réveilla avec une sensation de désorientation et des vertiges provoqués par la chaleur. Elle repoussa sa veste et parvint à s’asseoir en clignant des yeux dans la lumière intense du soleil. Le mage s’était endormi à l’autre extrémité de leur cavité, la tête cachée dans le capuchon de ses robes. Mari tira sur sa chemise qui, imbibée de sueur, lui collait à la peau. Il faudra que je remette ma veste quand le mage Alain se réveillera. Je ne veux pas qu’il me voie ainsi, avec le chemisier trempé. Me faire reluquer par un mage… ça me répugne rien que d’y penser.

C’est injuste. Ce mage s’est toujours comporté respectueusement avec moi.

Mais, je suis désolée, mage Alain. Même toi, tu n’auras pas droit au spectacle du corsage mouillé.

Mari but une petite gorgée, se rallongea en tournant le dos au mage et étala sa veste de manière à couvrir son buste et sa tête.

Le mage Alain la réveilla au crépuscule. Elle le fixa, les yeux écarquillés, songeant qu’elle aurait dû être prise de panique en voyant un mage pareillement dressé au-dessus de sa couche. Mais elle était incapable de focaliser son esprit sur quelque pensée que ce fût, tout à son étonnement de voir le visage de son compagnon se brouiller continuellement pour redevenir net quelques instants après.

« Bois », lui ordonna-t-il. Elle avala une gorgée. « Encore. Termine la bouteille. »

La petite quantité qu’elle venait d’ingurgiter lui raviva suffisamment l’esprit pour penser à nouveau. « Nous devons garder des réserves.

— Nous ne survivrons pas à la nuit si nous ne nous hydratons pas davantage. »

Elle voulut répliquer, mais sa faiblesse physique lui fit prendre conscience du bien-fondé de cette affirmation. Elle avala à contrecœur tout le contenu. Le mage jeta le flacon vide avant d’inspecter leur stock de vivres d’un air préoccupé.

« Est-ce que tu peux marcher ?

— Laisse-moi un peu de temps. » En prononçant ces mots, Mari se demanda s’il allait l’attendre ou tenter sa chance seul.

Le mage Alain s’assit à deux mètres d’elle.

« Tu as attendu que je reprenne des forces quand nous avons échappé à l’embuscade, ajouta-t-il comme s’il avait lu dans ses pensées.

— On ne m’avait jamais dit que les mages remboursaient leurs dettes.

— Les mages ne croient pas en ce genre de choses. Les mages croient…

— En rien. Je sais. Merci quand même. » Après s’être reposée encore quelques minutes, Mari se leva précautionneusement. « Bien. Je peux marcher.

— Il nous reste trois bouteilles. »

La peur n’était plus qu’un sentiment diffus, amoindri par la douleur, la fatigue et la soif que l’eau qu’elle avait bue n’était pas parvenue à étancher.

« Combien de temps pouvons-nous les faire durer ?

— Je pense que nous devrions en boire chacun une cette nuit et partager la dernière demain. »

Au moins le mage avait-il cessé de lui demander pourquoi elle voulait connaître son avis.

« Et si nous ne trouvons pas de puits ni d’aide avant la nuit prochaine ? »

Fixé au sol, le regard du mage demeura impassible. « Nous devons accepter de courir ce risque. Je ne vois pas d’autre solution. »

Mari se frotta les yeux, ils étaient secs et irrités. « Je ne me serais jamais attendue à être d’accord avec un mage sur quoi que ce soit, mais ça arrive très souvent ces derniers temps. J’approuve ta suggestion. » Vacillant sur ses jambes, elle eut toutes les peines du monde à hisser le paquetage sur ses épaules. Le mage l’observa d’un air détaché jusqu’à ce qu’elle fût prête.

Ils se remirent en marche sans souffler mot. Mari se demanda si leur silence avait pour seul but d’économiser leurs forces ou si leur alliance temporaire face à l’adversité touchait à sa fin inéluctable. Les mages et les mécaniciens ne se mélangeaient pas plus que l’huile et l’eau. Tout le monde le disait. Et pourtant, elle savait si peu de choses à propos des mages, de leurs origines.

« Mage Alain.

— Oui, maîtresse mécanicienne Mari.

— As-tu toujours été mage ? »

Il prit son temps pour répondre.

« J’ai servi comme acolyte avant de le devenir.

— En fait, ce que j’aimerais savoir, c’est si tu es né dans un hôtel de la guilde des mages. Est-ce que tes parents étaient mages ?

— Non. »

Ce mot unique, qui résonna comme une porte qu’on claque, contenait plus de violence émotionnelle que toutes les paroles que Mari l’avait entendu prononcer jusqu’à cet instant. « Désolée. » De toute évidence, il ne voulait pas évoquer ses parents, et ce n’était pas un sujet qu’elle souhaitait aborder. Il y avait pourtant autre chose qui la tracassait.

« Tu sais ce qu’on raconte sur les mages, pas vrai ? Qu’ils font et disent ce que bon leur semble sans se soucier du mal qu’ils pourraient causer à autrui. »

Sa réponse fut aussi dépassionnée que d’ordinaire.

« Il n’y a pas de vérité, il n’y a personne à blesser et la douleur elle-même n’est qu’une illusion.

— Tu le crois vraiment ?

— Oui.

— Dans ce cas, pourquoi n’as-tu pas profité de mon sommeil pour partir en emportant toute l’eau ? Pourquoi ne m’as-tu pas agressée pendant que je dormais ?

— Je ne sais pas, dit-il après un long silence.

— J’imagine que les deux possibilités t’ont traversé l’esprit », insista Mari.

Dans les ténèbres, elle vit à peine le regard qu’il lui lança.

« Je sais que j’aurais pu essayer d’emporter toute l’eau. Mais ce n’est pas une option que j’aurais envisagée. Quant à la seconde… » Sa voix s’érailla. Puis il ne proféra qu’un mot.

« Non.

— Eh bien, merci. » C’était étrange de dire cela à quelqu’un qui venait de nier toute velléité d’agression physique à son encontre, mais Mari n’avait trouvé aucune autre formule. « T’a-t-on enseigné qu’il ne fallait pas commettre de tels actes ?

— On m’a enseigné que ces actes étaient parfaitement acceptables. »

Mari se concentra sur le sol qui défilait sous ses pieds.

« Pour être tout à fait franche, sire mage, c’est également l’enseignement que j’ai reçu. Si, en arrivant dans un hôtel de ma guilde, je rapportais avoir tué un mage et pris ses réserves d’eau pour survivre dans le désert, personne ne verrait à y redire.

— Il en serait de même dans ma guilde si je venais à faire un tel rapport. » Alain se tut quelques secondes et reprit, en pesant chaque terme. « On m’a inculqué que les autres ne comptent pas parce qu’ils n’existent pas, mais aucun de nos doyens ne m’a jamais dit que les mécaniciens recevaient les mêmes enseignements.

— D’une certaine manière, oui. » C’était douloureux à admettre, mais Mari se sentait tenue à l’honnêteté. « Les mécaniciens comptent, mais les gens du commun et les mages n’ont aucune importance. Même si nous pensons que ces gens sont aussi réels que nous, nous ne sommes pas censés nous préoccuper de quoi que ce soit les concernant. Ils ne sont là que pour faire nos quatre volontés.

— Mais toi, tu ne suis pas les enseignements de ta guilde. Est-ce que c’est accepté ? »

Mari eut un rire triste.

« Disons simplement que ma guilde et moi ne voyons pas toujours les choses de la même façon. Comment cela se passe-t-il dans ta guilde pour les mages qui ne suivent pas les enseignements ? »

Alain mit un long moment à répondre.

« Les mages doivent se conformer aux préceptes des doyens.

— Je suis heureuse que, vis-à-vis de moi, tu aies dérogé à la règle, lança Mari. Je promets de ne rien leur dire. »

Le mage Alain la gratifia d’un de ces regards qui ne révélaient rien de ses émotions, mais dans lesquels on devinait le trouble.

« Mes doyens ne t’adresseront pas la parole.

— Je sais. Je voulais juste… Laisse tomber. Je suis contente de ne pas avoir fait ce que les mécaniciens émérites auraient attendu de moi quand je t’ai rencontré. Ce n’est pas parce qu’on te dispense un enseignement que tu es obligé de le suivre à la lettre. Sauf si ce sont des trucs techniques ou des modes d’emploi. Ceux-là, il faut s’y soumettre scrupuleusement. Mais ce n’est pas la même chose. »

Il ne répondit pas et Mari se demanda s’il avait choisi de l’ignorer ou s’il réfléchissait à ce qu’elle venait de dire. Trop fatiguée cependant pour essayer de le tirer de son mutisme, elle concentra ses efforts à poser un pied devant l’autre.

La nuit avançait. Son paquetage semblant s’alourdir à chacun de ses pas, Mari éprouva bientôt une certaine rancœur envers le mage qui, chargé des restes d’eau et de vivres, charriait un poids bien moindre qu’elle. Elle savait pertinemment que son amertume était irrationnelle : nul mécanicien ne confierait ses outils à un mage et les mages étaient aussi réputés pour leur orgueil que les mécaniciens. Elle ne pouvait pas lui demander de porter son barda et il ne s’y abaisserait pas, même si elle le faisait.

Un autre sentiment croissait peu à peu en elle tandis que les étoiles valsaient lentement dans le ciel, reproduisant le ballet joué depuis des temps immémoriaux. Ses dix-huit ans lui permettaient de récupérer relativement rapidement de la fatigue, mais même un corps jeune avait ses limites. Mari sentait ses dernières réserves d’énergie drainées jusqu’à l’épuisement et la nuit continua de s’étirer inlassablement sans qu’aucun signe de vie humaine ne vînt les réconforter. Les cieux étaient clairs, porteurs du froid mordant des nuits dans le désert et annonciateurs d’un jour nouveau où le soleil les frapperait sans merci.

Je vais porter tes affaires, lui proposa Calu.

Mari secoua la tête, sans regarder vers Calu qui marchait à ses côtés. Je peux y arriver.

Tu ne laisses jamais personne t’aider, Mari, la tança Calu. Il avait l’air parfaitement à l’aise, bien que lesté lui aussi d’une veste de mécanicien. Tu étais toujours comme ça quand nous étions apprentis. Tu n’as pas besoin de tout prendre sur tes épaules.

Dans ce cas, pourquoi les gens ne cessent-ils de me demander ce qu’ils doivent faire ? Pourquoi, dès que survient un problème, nombre d’apprentis et de mécaniciens se tournent-ils vers moi ? Je vais mourir ici et je n’ai, moi, personne à qui demander ce que je dois faire.

Tu as le mage, lâcha Calu, mais tu ne peux pas lui faire confiance.

Je sais ! Nous avons bu une bouteille chacun vers minuit, nous n’en avons plus qu’une, que nous devons partager. Et si le mage m’avait menti ? Et s’il en restait d’autres ? Et s’il avait bu en cachette de notre dernière bouteille ? Et si ce mage avait prévu de me faire marcher à en crever, pour ensuite continuer sa route avec toute cette eau dissimulée jusqu’à atteindre un endroit sûr ?

Mari était sur le point de faire volte-face pour lancer ces accusations à la figure du mage quand elle se reprit. Calu ne marchait pas à ses côtés. Il n’y avait personne. Je commence à délirer.

« Nous ferions mieux de boire un peu, croassa-t-elle.

— C’est probablement nécessaire. » La voix du mage Alain était aussi lasse et sèche qu’elle-même se sentait à cet instant. Il sortit la dernière bouteille de son sac et la lui tendit. « Prends-la. »

Elle but lentement en espérant que le liquide imbiberait les tissus de sa gorge en descendant vers son estomac, mais elle s’arrêta lorsque le récipient fut à moitié vide.

« Tiens. Le reste est pour toi.

— Non. Termine-la. »

Sa suspicion s’emballa de nouveau, puis Mari dévisagea le mage et lorgna vers le paquetage assurément vide où il transportait leurs vivres.

« Tu es dans un aussi sale état que moi. Prends ta part.

— Il n’y en a pas assez pour deux. Ce n’est pas grave. Tout ceci n’est qu’un rêve.

— Non ! » Mari lui fourra la bouteille entre les mains, la colère et la frustration lui donnant un regain de forces. « Je t’ai déjà dit que, si je le peux, je n’abandonnerai jamais personne. Il est hors de question que je te laisse mourir pour moi !

— Je ferai comme bon me semblera, répondit-il avec un calme effrayant.

— Bois !

— Je ne reçois pas d’ordre des mécaniciens.

— Fais ce que tu veux, mais je n’avalerai pas cette eau ! » Elle se retourna dans le sens de la marche, déchirée entre la rage face à son entêtement et le désarroi devant ce désir inexplicable du mage de se sacrifier pour autrui. « Bois ta part, s’il te plaît, et allons-y. » Sans attendre sa réponse, Mari fit un pas.

Et s’arrêta.

Le mage la rejoignit. « Que se passe-t-il ?

— Écoute. » Ils tendirent l’oreille et le bruit qu’elle avait entendu devint de plus en plus précis. C’était l’écho de sabots ferrés résonnant sur la terre compacte de la piste. Venant de derrière, le son enflait lentement. « Est-ce que ce sont les bandits ? » souffla Mari.

Le mage Alain la saisit par le bras et l’entraîna avec lui. Elle le suivit à l’écart de la route. Ils se jetèrent au sol pour guetter leurs poursuivants. Mari sortit le pistolet de son holster, en éjecta le chargeur, vérifia son contenu et le remit en place. Elle joua sur la glissière pour introduire la première balle dans le canon et fit sauter le cran de sûreté. Elle remarqua alors que le mage observait la manœuvre d’un regard plein d’incompréhension.

À mesure que le bruit des sabots se faisait plus distinct, il devint évident que la colonne en approche comptait un grand nombre de chevaux, marchant d’un pas lent et régulier susceptible de résister des heures. Un certain temps s’écoula avant que les montures ne parviennent à leur hauteur. Un temps que Mari passa à scruter les ténèbres et à se demander si, après tout, une mort rapide aux mains des bandits n’était pas préférable à une longue agonie dans la fournaise. Laquelle fournaise, s’ils ne se faisaient pas repérer par les cavaliers, aurait de toute façon raison d’eux avant la fin du jour.

La mort paraît inéluctable. Si ce ne sont pas des brigands, ces gens sur la route sont ta seule chance de survie. Mari prit sa décision et, tandis que les premiers cavaliers approchaient, leurs silhouettes se dessinant à peine dans l’obscurité, elle se leva, fit quelques pas titubants vers la piste et braqua son arme sur eux. « Holà ! De la route ! » cria-t-elle d’une voix qui, bien que cassée, sembla résonner à travers la Désolation silencieuse. Soucieuse de ne pas passer pour une petite fille exténuée et effrayée, Mari mit dans les mots qu’elle prononça ensuite tout le poids des commandements des mécaniciens qu’elle put rassembler. « Au nom de la guilde des mécaniciens, arrêtez-vous ! »

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