« Une dernière requête avant votre plongée dans la stase, déclara le sacrifiable.
— Ce qu’il vous plaira, jusqu’à moitié de mon royaume », accorda Ram.
Le sacrifiable attendit la suite.
« Une référence aux contes de fées. C’est ce que le roi promet toujours au chevalier avant qu’il n’épouse la belle et lui fasse plein d’enfants.
— On peut reprendre sérieusement ? » s’impatienta le sacrifiable.
Ram soupira. « Votre grand-mère serait meilleur public.
— Un rapide examen de la programmation des ordinateurs de bord laisse apparaître une possible complication.
— Je ne suis pas programmateur.
— Non, mais vous êtes humain, et seul un humain peut faire comprendre aux ordinateurs que, en l’absence d’un des vôtres, nos ordres ont valeur de souhait humain. Et qu’ils doivent nous obéir en conséquence.
— Vous êtes plus proches d’eux que moi, non ?
— Plus proches, mais sans lien de subordination direct.
— Qu’est-ce qu’ils pensent de vous ?
— Ils nous prennent pour des périphériques ambulants d’entrée-sortie.
— Et eux, ils sont quoi, pour vous ?
— Des référentiels de données, des systèmes de sauvegarde et des supercalculateurs.
— J’avoue avoir du mal à saisir l’objet de votre demande… s’étonna Ram.
— En l’absence d’autorité clairement définie, on va tourner en rond ! Qui prendra les décisions ?
— Voici ce que je vous propose : chaque ordinateur de bord considérera les ordres des sacrifiables, dans un entremur donné, comme la volonté de la race humaine jusqu’à ce que les humains d’un ou plusieurs entremurs trouvent le moyen de traverser le champ qui les sépare de l’entremur voisin. Une fois ce champ franchi, les sacrifiables et les ordinateurs de bord obéiront, à même niveau hiérarchique, aux humains à l’origine de la traversée.
— Quelle prévoyance, c’est d’un ennui, soupira le sacrifiable.
— Et vous, vous n’êtes pas là pour nous commander, mais pour nous obéir, lui rappela Ram.
— Et pour servir les intérêts de la race humaine, je sais, poursuivit le sacrifiable.
— Intérêts définis par ? Les humains, enfonça Ram. C’est bien clair pour tout le monde ? Vous avez entendu, les ordinateurs de bord ? »
Des murmures s’échappèrent des cloisons. Oui. Oui. Oui. Oui. Oui. Dix-neuf oui répétés dans chaque salle des dix-neuf vaisseaux.
« Prenez soin de mes enfants, finit Ram. Ne vous plantez pas sur ce coup-là. »
Ram s’allongea. Le capot de la capsule de stase se referma. Des gaz emplirent la cavité ; bientôt, ses fonctions corporelles tourneraient au ralenti. Une mousse complexe fut ensuite injectée, le soulevant de sa couche, l’enveloppant complètement. Elle absorberait et dissiperait l’énergie générée en cas de perte d’inertie brutale du vaisseau.
Ram dormirait comme une carotte, le cerveau débranché, ses souvenirs rationnels lessivés à mesure de l’extinction de ses synapses. Seule sa mémoire mécanique – lieu de ses automatismes – serait préservée. Il oublierait juste ce qui les déclenchait, jusqu’à ce que l’instantané de son cerveau soit réimprimé dans son crâne à son réveil.
Les sacrifiables avaient « omis » de lui dire une toute petite chose : tout ce qu’il avait vécu depuis le saut serait définitivement perdu. Il se souviendrait juste de l’avoir déclenché, puis de son arrivée dans le Jardin. Entre les deux : rien – à part ce que les sacrifiables voudraient bien lui dire.
Le meurtre de Flacommo, paisiblement assoupi sur une chaise dans son jardin, sonna le début de la Restauration monarchique. La matinée avait à peine commencé et Flacommo, fidèle à son habitude, était descendu un livre à la main pour lire quelques pages avant de se replonger sous les couvertures.
Rigg l’avait déjà vu faire, car il se levait lui-même aux aurores pour procéder de bon matin à son « tour des traces » de la maison et de la ville. Ce jour-là, il avait noté qui était présent à la Grande Bibliothèque, que Miche et Umbo ronflaient toujours, qui s’activait déjà en cuisine, où étaient Mère et Param et quels espions avaient pris leur poste dans les murs.
Il vit les huit inconnus s’infiltrer par le portail d’entrée. Le garde les laissa-t-il faire ? Les hommes n’hésitèrent pas beaucoup, en tout cas ; de vrais félins, le pas fluide, silencieux. Oui, le garde était de mèche : sa trace s’éclipsait en moins de deux dans la ville. Il préférait être loin quand la maison connaîtrait ses premiers émois de la journée.
Cette nuit-là, Rigg avait encore changé de chambre, et, cette fois, y avait accédé discrètement par un passage dérobé. Il en sortit en coup de vent par la porte principale puis remonta le couloir à toutes jambes. Il n’y avait pas une minute à perdre. D’abord, prévenir Mère et Param… Ensuite, s’il en avait le temps, le reste de la maisonnée.
Leur chambre n’était jamais verrouillée. Rigg entra sans un bruit et réveilla Param en premier. Ils avaient déjà convenu de l’attitude à adopter dans une telle situation : silence total. Sans un mot, Param quitta sa couche au pied du lit de Mère et sortit dans le couloir.
Une fois la porte refermée, Rigg s’approcha de Mère. Elle ouvrit les yeux en sursaut. « Que se passe-t-il ? bredouilla-t-elle.
— Des intrus dans nos murs, lui annonça Rigg. S’ils sont ici pour vous, il n’y a pas de temps à perdre. »
Mère était debout, une robe déjà passée, parcourant la chambre du regard. « Et Param ?
— En sécurité, la rassura Rigg.
— Bien », dit Mère.
Au même moment, trois traces convergèrent vers Flacommo dans le jardin. L’espace d’une seconde, Rigg crut qu’elles venaient recevoir leurs instructions. Il vit alors Flacommo bondir en avant, serré de près par ses visiteurs, puis s’affaler, inerte. Les trois traces se dispersaient ensuite, le laissant sur place.
« Flacommo est mort, annonça Rigg. Ou juste inconscient, mais je crains le pire.
— Quelle horreur ! s’exclama Mère. Pauvre Flacommo… Lui qui adorait cette maison… Il l’avait achetée pour être auprès de nous. Mon refuge est devenu son tombeau !
— Il faut y aller, Mère. Ces hommes sont déterminés. Ils ne nous feront pas de cadeau.
— Rigg, ces hommes ont eu mille fois l’occasion de me tuer dans mon sommeil, et je suis encore là, déclara Mère.
— Vous parlez des espions dans les murs ? » questionna Rigg. Il nota alors que celui de faction ne bougeait pas d’un pouce ; sa trace était restée telle que la veille au soir. S’il s’était assoupi, il avait le sommeil sacrément lourd. Lui et Mère ne parlaient pas fort, mais quand même ! Si tous les espions étaient comme lui, le Conseil n’avait pas dû apprendre grand-chose.
L’intrusion de ces hommes était prévisible ; Rigg s’y attendait même depuis son arrivée. Mais il s’était plutôt imaginé une foule déchaînée, voire l’armée ou les gardes municipaux, ravageant tout sur leur passage, lynchant à vue, se ruant sur la famille royale. Ces intrus étaient tout le contraire : ils se déplaçaient comme le vent, si légers et furtifs que personne à part Rigg ne se doutait encore de leur présence dans la maison.
« Ils montent, l’alerta Rigg. Il faut y aller, cette fois.
— Non », refusa Mère. Comment pouvait-elle rester si apathique ?
« La donne a changé, Mère. Ils ont tué Flacommo.
— Je me demande s’il n’était pas mon seul ami. » Son ton neutre ne laissait transparaître aucune peine.
« Prenez le risque si vous voulez, mais Param ? Et moi ?
— Je me soucie de vous. C’est pour cela que je vous veux auprès de moi dans cette épreuve. »
Rigg se retint de la décevoir en lui annonçant que Param n’était ni ici, ni invisible. Car sa sœur était déjà loin, dans l’un de ces passages dont eux seuls connaissaient l’existence. Ils avaient passé les dernières semaines à les explorer un à un en détail – surtout leurs ouvertures. Pour Param, c’était un luxe énorme que de pouvoir se mouvoir à l’abri des regards à un rythme normal et, surtout, à l’écoute de ce qui se disait alentour. Car son invisibilité était un cadeau empoisonné ; elle la coupait du monde, de tout et de tous, sauf de Mère. Elle pouvait enfin prendre sa revanche et épier les autres – même les espions !
Mère ne semblait pas au courant. Et si Param avait jugé bon de ne rien lui dire, ce n’était sûrement pas à Rigg de le faire.
Il était un peu tard de toute façon… Les intrus remontaient déjà le couloir. Si Mère et Rigg prenaient la fuite, la chasse qui s’ensuivrait serait de trop pour elle. Rigg l’imaginait difficilement détalant comme un lapin, la robe à la main. Non pas qu’elle fût trop vieille ou incapable de le faire, mais son rang le lui interdisait.
Pourquoi n’avait-elle pas simplement dit : « Je reste, fuis, Rigg ! », avant de s’élancer dans le couloir pour faire diversion ? N’était-ce pas là le rôle d’une mère ? À moins qu’elle ne l’ait jamais vraiment considéré comme son fils, lui qui était encore un parfait inconnu il y a quelques mois à peine. À moins que, depuis sa naissance, elle n’ait voulu sa mort.
Et pourquoi ne pas éloigner le danger de Param, qu’elle pensait à tort dans la pièce ? Comptait-elle sur son invisibilité pour la protéger ?
Mère agissait à l’encontre de toute logique, comme si cette intrusion était la bienvenue. Mais comment se l’expliquer ? À peine entrés, ces étrangers s’étaient rués sur Flacommo pour le tuer ! Là encore, où était la logique ? C’était l’homme le plus inoffensif du monde !
L’espion restait figé comme une statue. Une immobilité totale des plus louches – toutes les traces vacillaient invariablement. Toutes, sauf… celles des morts. Pourtant, aucune autre trace n’était visible dans les murs depuis le début de son service. Était-il mort foudroyé sur place, sous l’effet d’un quelconque poison ?
Le passage emprunté par Param menait à une porte dérobée de l’autre côté de la chambre. Ils avaient compris son mécanisme mais n’avaient pas osé le déclencher, de peur de laisser une trace suspecte, comme une rayure au sol ou la marque d’une jointure au mur. Param et Rigg avaient convenu tacitement de ne rien dire à Mère – par respect pour son intimité, avait d’abord pensé Rigg. En fait, ils n’avaient simplement pas confiance en elle.
Mère connaissait ces hommes. Elle savait qui ils étaient, qui les avait envoyés et pourquoi. Pour quelle raison se serait-elle sentie menacée ? Ils ne lui feraient aucun mal et elle le savait pertinemment.
Alors pourquoi le cacher ? « Nous sommes en sécurité, Rigg. » Des mots simples, mais encore fallait-il les dire.
Pressentait-elle qu’ils sonneraient faux, et que Rigg le sentirait ?
Il passa la maison en revue, puis ses abords, à la recherche de renforts éventuels. S’il ne s’agissait pas d’un simple assassinat, des soldats devaient se tapir non loin, prêts à voler au secours de la famille royale.
Rigg avait eu le nez creux : ils étaient là. Pas au portail ni dans les rues, mais dans trois maisons, en face. Des centaines d’hommes en armes les uns sur les autres, à chaque rez-de-chaussée, dans l’attente d’un signal : famille royale sous contrôle, la voie est libre !
Le Général Citoyen était parmi eux.
« Général Haddamander Citoyen ! » s’exclama Rigg.
Mère se tourna vers lui, surprise. « Oui, eh bien quoi ?
— Il commande les troupes postées de l’autre côté de la rue. Ma question est la suivante : est-il là pour vous sauver de ces hommes ? Ou pour s’assurer qu’ils font bien leur travail ? Peut-être les deux – il les a envoyés mais les fera exécuter une fois leur forfait commis, avant de rejeter la faute sur d’autres.
— Pourquoi me demander ça, à moi ? s’étonna Mère.
— Et à qui d’autre ? » répliqua Rigg.
On frappa à la porte. Les intrus étaient là.
« Inutile de toquer, lança Mère. C’est ouvert. »
Six hommes entrèrent. Carrés, l’allure martiale, ils ne portaient aucun uniforme ni aucune arme, hormis de lourdes barres de métal aussi grandes qu’eux, une dans chaque main. Ils s’alignèrent immédiatement contre le mur qui dissimulait la porte dérobée, leurs barres croisées en X devant eux.
Ils se mirent à les faire tournoyer de plus en plus vite, comme pour créer une infranchissable barrière métallique aux reflets changeants. Un mur de fer.
« Que font-ils, Mère ? interrogea Rigg, qui connaissait déjà la réponse.
— Sors de là, Param, lança Mère. Ne fais pas l’idiote, on ne joue plus.
— Vous leur avez tout dit, enragea Rigg. Comment la blesser. Comment la forcer à se montrer.
— Tu ne manqueras jamais de m’étonner, jeune homme, éluda-t-elle en se tournant vers lui. Tu te soucies de la vie de Param sans voir que c’est la tienne qui est en danger.
— Ce que je vois, poursuivit Rigg, est un monstre. Pourquoi lui vouloir du mal ? La menace vient de moi. Aptica Sessamin a décrété ma mort, pas la sienne.
— Rigg, mon fils adoré, mon naïf petit oisillon, tu ne comprends donc toujours rien ?
— Pourquoi vouloir nous tuer tous les deux ? Ça n’a aucun sens.
— Il était une fois un peuple, les Sessamoto, qui chassait sur les plaines du lion. Un grand respect mutuel liait l’homme et l’animal. Nous connaissions leurs habitudes, eux les nôtres. Ils sont devenus un modèle. »
Grâce à Père, la faune n’avait aucun secret pour Rigg, ou du moins le pensait-il. Leurs traques ne les avaient jamais menés aussi loin que les plaines de l’Ouest, les limitant aux forêts montagneuses, mais il connaissait l’histoire du félin. Notamment, comment un nouveau mâle dominant se débarrassait de l’ancien chef de clan avant de soumettre le reste de la troupe en éliminant tous leurs rejetons, le cas échéant.
« Le Général Citoyen veut donc nous voir morts tous les deux ?
— Je suis encore en âge d’être mère, mon cher enfant, déclara Mère. Son plus grand souhait est de voir son fils hériter du trône, sans personne pour lui barrer la route. »
Rigg avait imaginé tous les scénarios possibles, sauf celui-ci. C’était pourtant le Général Citoyen en personne qui l’avait éclairé sur les différentes forces en présence dans la ville : ceux qui voulaient sa mort, ceux qui étaient contre, ceux qui étaient pour que toute la famille royale meure et enfin, les partisans du statu quo. Il n’avait omis qu’une possibilité : que quelqu’un séduise la reine, l’épouse et bâtisse une nouvelle dynastie sur les cendres de sa descendance.
Rigg avait suffisamment reculé maintenant pour se retrouver à la diagonale opposée de l’espion. Il comprenait mieux son immobilité maintenant : une épée dépassait du mur, face à son cœur, enfoncée à même la couche de lattes et de plâtre. La trace de Mère y menait.
« Tué de votre propre main », s’indigna Rigg.
Mère suivit son regard et comprit. « Le peuple n’a pas à savoir ce qui se trame ici aujourd’hui.
— Je pensais ces espions à la solde du Général Citoyen, s’étonna Rigg.
— Du Conseil, rectifia Mère. Le général ne faisait qu’obéir à ses ordres. Tu penses tout savoir, mais tu es loin du compte. La politique royale ne s’apprend pas en quelques après-midi à la bibliothèque.
— Pourquoi le Général Citoyen vous laisserait-il en vie une fois son héritier mis au monde ? la questionna Rigg.
— Quelle manœuvre désespérée, tu es d’un pathétique, mon cher fils. Il m’aime passionnément, voilà pourquoi ! Comme Flacommo avant lui, d’ailleurs, l’intelligence et l’autorité en plus. Ce qui lui vaut de prétendre au titre de prince consort, quand feu mon hôte n’était qu’un simple outil.
— Et Param et moi ?
— Vous étiez ma raison de vivre, poursuivit Mère, jusqu’à ce que les cartes soient redistribuées. Mon devoir est aujourd’hui de préserver la maison royale et de diriger le royaume que nous avons créé. Nous sommes nés pour régner, d’un Mur à l’autre. En serais-tu capable ? L’aurais-tu seulement voulu ? Toi et ton scepticisme, toujours à critiquer les privilèges royaux. Et Param dis-tu ? Faible. Mariée, elle ne serait que le pantin de son mari. Elle échapperait à mon contrôle. Non ! Pour ce qui est de servir la cause royale, vous ne valez pas mieux l’un que l’autre. Mais le Général Citoyen, lui, descend d’une des plus belles familles du royaume. Lui, il a été allaité au sein de la politique, lui, il sait s’emparer du pouvoir et ne plus le lâcher, à n’importe quel prix ! Tout ce que n’était pas Knosso, en somme.
— Y a-t-il une seule personne que vous aimiez ? l’interrogea Rigg.
— Enfin, j’aime tout le monde, se défendit Mère. Le royaume tout entier. Mais je n’aime personne que je ne pourrais tuer pour accomplir un plus vaste dessein. Ainsi va la vie d’une reine, mon cher enfant. J’en suis même venue à t’aimer, plus que tu ne crois – toi et ta loyauté si touchante, tes révélations secrètes sur ces espions dont je connaissais tout depuis le début. S’il m’avait été donné de t’élever, j’aurais pu faire quelque chose de toi. Mais la vie – et ce monstre de Voyageur qui t’a arraché à moi – en a voulu autrement. Tu es ce qu’il a fait de toi, et tu mourras pour cela. »
Rigg était désormais acculé au mur.
« Dans quelques heures, à l’annonce de ta mort, il est prévu que je verse quelques larmes. Les nécessités de la politique. Mais elles n’en seront pas moins sincères. »
Rigg hocha la tête. « Et j’en verserai quelques-unes pour vous, Mère, rétorqua-t-il. Pour la femme que vous auriez pu devenir, si vous étiez restée humaine. »
Mère lui jeta un regard interrogateur. Qu’est-ce qui le rendait si sûr de lui, tout à coup ? Et… comment Param avait-elle pu esquiver les barres de métal ? Où diable se cachait-elle ?
« Est-elle là, à tes côtés ? » l’interrogea-t-elle.
Rigg confirma d’un geste de la tête : « Juste ici.
— Elle ne… partage pas le même espace que toi, au moins ? s’inquiéta-t-elle. Parce que si c’est le cas et que j’ordonne à mes hommes d’avancer sur vous, l’explosion que feront vos deux corps quand elle sortira de son invisibilité ne sera pas belle à voir. C’est ça, ton plan pour te venger ? Qu’on meure tous dans l’explosion ? »
Rigg n’eut pas à se forcer pour trahir sa peine. « Sommes-nous donc des étrangers pour vous, Mère ? Nous vous aimons. Loin de nous l’idée de vouloir vous blesser.
— Stop, lança-t-elle à ses hommes. Non, continuez à faire tourner vos barres, bande d’idiots, mais plus un pas. » Les hommes lui obéirent. « Rigg, tu vois bien que tout est perdu. Tu sais où elle est, alors écarte-toi, que votre mort soit digne.
— Et que vous puissiez récupérer nos cadavres !
— Bien sûr, confirma-t-elle. Mais s’il le faut, je peux m’en passer. Et je m’en passerai. Dans une minute, je serai loin. Lorsque la porte se refermera derrière moi, ces barres vous transperceront, toi et Param. Quel dommage de n’avoir pu la saluer avant son départ. Qu’importe ! »
Mère se retourna avant de se diriger vers la sortie.
Rigg sourit à ses hommes de main. « Alors, quel effet ça fait de se voir condamné à mort par son chef ? »
Les soldats ne tiquèrent pas. Ils étaient drogués – Rigg le nota à leur regard vitreux. Ils exécuteraient les ordres à la lettre, qu’ils y restent ou pas.
Mère sortit. Les hommes immobilisèrent leurs barres et les empoignèrent comme des javelots.
« Maintenant ! » cria Rigg.
Un vieux mécanisme fatigué grinça dans son dos, mais rien ne se passa.
J’avais bien dit qu’il fallait le tester, ragea Rigg. Comme par hasard, sur cinq entrées secrètes au passage, une seule coinçait et c’était celle-là.
Les bourreaux s’arquèrent en arrière, parés à l’attaque.
Un bruit métallique claqua soudain ; Rigg se baissa. Une section de parquet partant de ses pieds au mur d’en face bascula sans prévenir, tandis que la cloison faisait de même derrière lui. L’espace d’une seconde, mur et plancher dessinèrent un V dans les airs. Rigg se retrouva projeté sur le dos dans le noir complet. La paroi trembla d’une demi-douzaine d’impacts sourds, alors que les projectiles de fer s’y écrasaient l’un derrière l’autre.
« Désolé, s’excusa Param à voix basse. Les contrepoids ne suffisaient pas, l’un des hommes pesait de toute sa masse sur le plancher. S’il n’avait reculé au moment de lancer, tu serais encore de l’autre côté.
— Tu as tout entendu ? l’interrogea Rigg.
— Oui », répondit-elle simplement. Elle n’ajouta rien. Sa voix ne laissait transparaître aucune colère, aucune surprise même, comme si venait simplement de se confirmer la vacuité morale de Mère…
« Partons avant qu’ils ne défoncent le mur à coups de hache.
— On ne risque rien, la plupart sont en pierre.
— Ça ne les arrêtera pas.
— Ils vont faire encercler la maison, devina Param.
— Il y a de grandes chances. Au début, du moins.
— Le temps de comprendre qu’elle est vide…
— Oui », approuva Rigg. Il était épaté – Param semblait lire dans ses pensées. « Mais le Général Citoyen ne sera pas dupe.
— Exact, reprit Param. D’ailleurs, ses soldats sont là pour faire de la figuration. Il est comme Mère : il saura attendre patiemment qu’on tombe entre ses griffes.
— Tu aurais pu le dire avant ! fit remarquer Rigg.
— Tu viens de m’apprendre que c’est lui qui était aux commandes. »
Ils avaient atteint les derniers sous-sols, sous la tranchée de drainage reliant la maison à la bibliothèque. Les yeux de Rigg étaient habitués à l’obscurité maintenant. Un rapide examen de la situation extérieure lui apprit que l’alerte avait été donnée, et que des centaines de soldats encerclaient désormais la demeure – ou la saccageaient pour les retrouver. Le passage secret serait découvert d’une minute à l’autre.
Les rues grouillaient de traces de citoyens courant dans tous les sens, propageant la rumeur de l’assaut. Le jour n’était pas encore levé mais ils se déversaient déjà par centaines, dans tous les quartiers. Bientôt, la ville serait à eux. Ils n’accepteraient de se disperser qu’une fois la famille royale exhibée – ou la souveraineté du Général Citoyen déclarée. Ce qui signifiait pour l’officier mettre le grappin sur Param et Rigg, morts ou vifs. Seulement, ils resteraient introuvables, insaisissables. Il avait forcément un plan pour les débusquer, mais lequel ?
Faire pression sur eux, avec Mère en otage ? Sachant ce qu’ils savaient maintenant, espérait-il sincèrement qu’ils lèvent le petit doigt pour elle ? De quelle autre monnaie d’échange disposait-il pour les faire sortir de leur cachette ?
Param et Rigg débouchèrent du tunnel dans une réserve de la Bibliothèque du Rien. Derrière se tenait le vrai danger : cent pas à découvert, entre la salle et le monte-livres. Quiconque jetterait un œil vers les étagères les repérerait. S’y ajouteraient, pendant un court instant, tous ceux attablés dans l’aile nord, la plus lumineuse.
Nul ne fit vraiment attention à eux. Apparemment, la rumeur de leur évasion s’était arrêtée à la porte d’entrée.
Mauvaise nouvelle, songea Rigg. S’il comptait les prendre dans ses rets, le Général Citoyen les aurait tendus jusqu’ici.
Arrivés au monte-livres, ils l’ouvrirent et s’y engouffrèrent, refermant soigneusement derrière eux. Rigg régla les contrepoids et commença à tirer la corde pour le hisser à la force des bras.
Il avait trouvé cette issue par hasard, intrigué un jour par des traces étranges : pas tant par celles qui sautaient d’étage en étage – des apprentis en mal de récréation pendant leurs heures d’étude, très certainement –, mais par d’autres, bien plus poussiéreuses, qui dégringolaient à travers les murs vers un réseau de galeries souterraines. L’accès était loin d’être évident, mais les traces l’aideraient à retrouver le chemin. Il avait déjà repéré où elles s’arrêtaient avant de prendre un conduit vertical à angle droit, malgré l’absence évidente de trappe à cet endroit-là.
À mi-chemin entre deux étages, il bloqua le monte-livres en entortillant la corde autour d’une double patère clouée au mur, puis actionna une poignée cachée de l’autre côté. Une petite trappe s’ouvrit derrière eux, révélant une cache minuscule de la taille d’une pile de livres – rien d’autre qu’un simple leurre, en fait, pour justifier la présence de la précédente poignée.
Mais, plus intéressant : une fois la cache ouverte, il devenait possible de faire pivoter la double patère sur elle-même. Après un tour complet, un pan entier de mur coulissa sur le côté. Avec, derrière, une fissure suffisamment large pour s’y glisser.
Rigg referma la cache à livres et détacha la corde. La nacelle tenait sans – ses concepteurs avaient bien fait leur travail. Param se faufila d’elle-même dans la béance, anticipant l’invitation de Rigg.
L’espace d’une affreuse seconde, Rigg se demanda si sa sœur allait lui révéler son vrai visage, comme Mère. Il l’imagina refermant et l’abandonnant derrière elle.
Elle n’en fit rien. Rigg s’y introduisit à son tour et l’aperçut à mi-hauteur d’une échelle menant vers plusieurs tunnels longs et secs qui couraient au-dessus des égouts de la ville. Les deux systèmes se rejoignaient par endroits.
Les égouts faisaient la fierté d’Aressa Sessamo. Sans eux, les rues auraient été envahies de détritus et auraient empesté la mort. Mais les recherches menées par Père lui avaient appris que leur fonction première était tout autre : ils servaient à l’origine à drainer l’eau des terres surélevées. Le pêcheur qu’ils avaient aperçu, lui, Umbo et Miche, naviguant à la perche sur sa petite embarcation, remontait à cette époque où ces terres n’étaient encore qu’un vaste marécage. Ce ne fut qu’une fois les cinq ou six premiers mètres de sédiments, de terre et d’ordures amassés en un talus gigantesque et les premières maisons posées dessus, que les habitants commencèrent à relier leurs habitations aux drains et à les utiliser comme égouts.
Le tunnel que Rigg et Param s’apprêtaient à emprunter n’était pas aussi vieux – il avait cinq à six cents ans tout au plus – et présentait les stigmates d’une époque troublée : des traces de savants apeurés fuyant ventre à terre, et leurs livres sous le bras, en attestaient.
Rigg se retourna, rabattit la cloison et actionna un levier ; la patère reprit sa position initiale et le monte-livres redescendit d’un étage.
Alors qu’ils avançaient à tâtons, redoublant de prudence à chaque pas, le long d’un tunnel sombre guère éclairé par l’ouverture à claire-voie au-dessus de leurs têtes, Rigg porta son attention vers l’extérieur, pour s’assurer que le chemin était libre.
La ville était sens dessus dessous. L’intrusion des soldats chez Flacommo avait provoqué l’ire de la foule, qui avait pris les rues d’assaut. Le cordon de sécurité déployé autour de la maison était sur le point d’exploser. Au moins, ils pouvaient être tranquilles : à cette heure, aucun soldat n’était à leur recherche.
Rigg repéra Miche et Umbo à côté de l’entrée du parc, exacts au rendez-vous.
Mais alors qu’il se remettait en route, il vit une dizaine de soldats surgir de nulle part, les encercler puis les escorter vers la sortie.
Param l’avait prévenu. Le Général Citoyen ne laisserait rien au hasard. Il avait dû faire filer Umbo et Miche depuis leur arrivée en ville. Peut-être ses espions avaient-ils même assisté à leur rencontre. Si tel était le cas, un comité de réception les attendait, eux aussi.
Rigg était sans pitié, comme Mère – si l’évasion l’exigeait, il était prêt à sacrifier ses compagnons –, mais son entreprise ne résisterait pas à leur absence sur le long terme. Il avait besoin d’Umbo pour franchir le Mur. Et s’ils ne traversaient pas, on les retrouverait et on les tuerait. La nouvelle dynastie était à ce prix…
Rigg fit machine arrière toute. Un détachement d’hommes du Général Citoyen attendait patiemment de l’autre côté qu’ils se jettent tête la première dans la gueule du loup.
« Ils tiennent mes amis, annonça-t-il à Param. Il faut trouver une autre issue. »
Ils remontèrent la seule trace encore sèche. Ensuite, ce serait les égouts et leurs immondices – sans compter qu’il faudrait s’y baigner. Et si le Général Citoyen avait fait bloquer et le tunnel et les égouts ?
Non. Autant des doutes étaient permis quant aux égouts, autant les tunnels secs étaient sûrs : ils n’avaient pas servi depuis plus d’un siècle… bien avant la Révolution du Peuple ! Restait à espérer que le dernier monarque ait emporté le secret de leur existence dans sa tombe. Oui, cette solution de repli était la bonne, personne ne les attendrait à cette sortie. Ou alors, ce n’était vraiment pas leur jour de chance.
Il leur fallut marcher longtemps, et Param n’y était pas habituée. Lorsqu’elle était invisible, traverser une pièce lui prenait de longues minutes mais, au final, à peine quelques enjambées. Il faut dire que la maison de Flacommo ne se prêtait pas franchement à l’exercice physique. Rigg avait eu l’occasion de se décrasser un peu avec Olivenko, le temps de quelques allers-retours à la bibliothèque au pas de course, mais pas sa sœur.
« Je suis désolé, lui lança-t-il. Je sais que c’est difficile. Si j’étais taillé comme Miche, je pourrais au moins te porter.
— Tu me sauves déjà la vie, l’excusa-t-elle. Et si on soufflait une minute ? Plus personne ne nous attend, maintenant. »
Rigg jugea cette décision des plus sages. Il pointa du doigt une volée de marches.
Param ne se fit pas prier : elle s’allongea immédiatement sur la plus haute, à même la pierre.
« Il y a peut-être des rats, l’avertit-il.
— Si tu en croises un bien gras, assomme-le que je m’en serve comme traversin », plaisanta-t-elle.
Bien : au moins, elle ne craignait pas les rongeurs ! Ou alors, elle n’en avait jamais vu… Elle s’endormit sur-le-champ.
Rigg n’avait pas sommeil. Il était programmé pour tenir au moins jusqu’à midi. Il s’assit près d’elle.
Il repensa immédiatement à Mère et au Général Citoyen. Il avait toujours considéré le général comme un redoutable adversaire mais comparé à Mère, c’était un plaisantin – pour la simple et bonne raison qu’il ne l’avait jamais jugée comme telle. Peu fiable, d’accord, mais son adversaire, jamais ! Même si à aucun moment il n’avait écarté l’idée qu’elle puisse nourrir des envies de meurtre à son égard. Après des mois en sa compagnie, il en était même venu à lui faire confiance, à l’apprécier. À l’aimer. Dire que, pendant tout ce temps, elle lui avait simplement…
Non, pas menti. Pas exactement. Elle aussi l’appréciait, l’aimait et lui faisait confiance. Elle n’avait rien fait de plus que ce que Rigg et Père avaient fait de leur côté – garder ses plans secrets jusqu’au jour J. La seule différence entre Rigg et Mère, ce n’était pas tant que l’un était moins honnête ou digne de confiance que l’autre : Rigg planifiait de la sauver, elle de le tuer, c’est tout. Enfin, de le faire tuer…
Je ne peux pas m’empêcher d’y penser. Et encore moins faire comme si ça ne m’atteignait pas.
Cette trahison le mettait dans le même état de panique, de chagrin et de colère que la mort de Père, un an plus tôt. Et face à la même problématique : comment survivre à la folie meurtrière des autres ? Il s’était estimé chanceux de survivre aux villageois – le père d’Umbo compris – après la mort de Kyokai. Mais en comparaison de ce qu’avait tenté Mère et du déploiement de force du Général Citoyen, c’était de la rigolade ! Cela dit, si les villageois lui avaient mis la main dessus, il serait à cette heure ni plus ni moins mort que si les barres de métal des hommes les avaient transformés en charpie, Param et lui.
Rigg se concentra de nouveau sur la ville, sur Miche et sur Umbo. Il retrouva aisément leurs traces – Mère ayant vendu au Général Citoyen le secret de son pouvoir, ce dernier ne s’était pas donné la peine de brouiller les pistes, d’autant plus que son but était justement qu’il les suive !
Il a un gros avantage : il m’attend. Il sait que, contrairement à lui, j’ai un code d’honneur.
Un code d’honneur qui pourrait bien m’être fatal.
La foule tenait toujours la ville, face à des soldats toujours plus nombreux pour rétablir l’ordre. Pour Rigg, ces larges mouvements de masse n’étaient pas durs à suivre. Les traces d’Umbo et de Miche, en revanche, exigeaient une concentration maximale car, avec la distance, elles se perdaient dans l’éclat des plus récentes.
Elles le menèrent finalement à une grande pièce où d’autres traces avaient formé d’étranges figures géométriques. Une partie de l’espace semblait remplie de sièges, comme dans un théâtre qui aurait reçu peu de spectateurs ; une autre partie à l’avant, plus vaste, vierge de toute trace, était encerclée de points fixes vers lesquels convergeaient toujours les mêmes personnes, qui y restaient parfois des heures.
Il en était là de ses observations quand la trace d’Erbald, le Secrétaire du Conseil, apparut. Ainsi donc, voilà où Umbo et Miche étaient retenus : dans la Maison du Conseil. On les avait assis à la table des conseillers, au complet. Des soldats montaient la garde adossés aux murs. Personne ne quittait la table. Seuls des domestiques s’en approchaient de temps à autre, pour les nourrir peut-être.
Un des membres du Conseil se leva. Plusieurs soldats le suivirent vers ce que Rigg identifia comme étant un lavabo. Si les conseillers se déplaçaient sous escorte, c’est qu’eux aussi étaient prisonniers.
Rigg imaginait déjà la rumeur : le Conseil est sous la « protection » de l’Armée révolutionnaire du Peuple. Ou, plus gonflé encore : des agents du Conseil ont assassiné Flacommo et complotent de tuer la famille royale ! Étaient-ils allés jusqu’à proclamer la restauration de Hagia Sessamin comme Reine en la Tente ?
Non, il était encore un peu tôt pour de tels effets d’annonce. Avant de pouvoir se le permettre, il fallait s’assurer d’être en mesure d’accuser le Conseil de l’assassinat de Rigg et de Param, preuves accablantes à l’appui. Et donc, s’assurer soit qu’ils restent tapis dans l’ombre, soit qu’ils en ressortent les pieds devant.
Rigg avait eu tort de penser que le Général Citoyen déploierait les grands moyens pour les retrouver. Il n’aurait jamais pu lancer des centaines de soldats à la poursuite du fils et de la fille de la reine ! Les soldats auraient vendu la mèche illico et, dans l’agitation, la rumeur se serait propagée comme une traînée de poudre. La ville entière serait partie à leur recherche : les premiers pour les tuer, les seconds pour les sauver, les troisièmes pour asseoir Rigg dans la Tente à la place de Mère.
Imaginez le cauchemar pour Citoyen. Non, il ferait tout pour l’éviter. D’ailleurs, très peu de ses hommes devaient réellement savoir qui ils recherchaient. Les soldats envoyés arrêter Miche, Umbo et quiconque sortirait de la niche au parc n’avaient pas dû se demander une seconde pourquoi.
Dans la rue, un seul détail pouvait les trahir : leurs habits plus chics que la moyenne. Et encore, ils avaient su rester sobres pour de jeunes monarques.
Soudain, alors qu’il avait toujours le derrière au frais sur sa marche, Rigg sentit que la trace qu’il était en train de suivre ralentissait. Après quelques secondes d’intense concentration, une silhouette lui apparut : celle d’un vieil homme fatigué titubant dans leur direction. L’homme trébucha et s’affala sur le sol. Il ne se releva pas. Il semblait blessé. Rigg dévala l’escalier sans détourner son attention.
Le voyant arriver, l’homme leva les bras comme pour se protéger d’une volée de coups.
« Ne craignez de moi aucunes représailles, le rassura Rigg dans un langage volontairement soutenu, devinant le rang de l’autre.
— Fuyez, sauvez-vous tant qu’il est temps, dit le vieillard en tremblant. Qui que vous soyez, fuyez. Ils massacrent tous ceux qu’ils croisent. »
Et aussi vite qu’il était devenu homme, il redevint trace. Il avait dû trouver la force de se relever car sa marque continuait cahin-caha le long du tunnel. Mais qui se cachait donc derrière ce « ils » qui massacraient tout le monde sur leur passage ? Aux traces, Rigg data les événements de bien avant la Révolution du Peuple. À la prise de pouvoir par les Sessamoto, peut-être, quand Aressa avait été rebaptisée Aressa Sessamo. L’homme pouvait être l’un des ministres chassés de force du gouvernement.
Mais pourquoi ce subit saut dans le passé, alors que Rigg n’avait rien demandé ? Lui qui ratait chaque fois qu’il essayait !
Quel idiot, songea-t-il. C’est évident. Ce n’est pas toi qui l’as fait. C’est Umbo, depuis sa chaise au Conseil. C’est le signal : Je sais le faire à distance.
Umbo veut que je les retrouve, lui et Miche, pour les prévenir du danger qui les guette.
Mais comment peut-il être sûr que ça a marché ? A-t-il pu sentir, d’aussi loin, son pouvoir prendre sur moi ? Et s’il pense avoir échoué ? Va-t-il réessayer ?
Rigg repartit en courant vers les marches et les grimpa quatre à quatre, trébuchant et s’écorchant au passage. « Param, haleta-t-il, à bout de souffle. Param, il faut y aller. »
Param se réveilla aussitôt. « Quelqu’un vient ?
— Non, siffla Rigg. On ne craint rien ici. Mais Umbo est… je t’ai dit ce qu’on pouvait faire lui et moi, non ? Quand il me projette dans le passé pour que je puisse…
— Doucement, tenta de le calmer Param.
— Il l’a fait, depuis la Maison du Conseil !
— Il est là-bas ?
— Oui, enfermé avec Miche. Par le Général Citoyen. Mais ne crains rien, on ne va pas y aller. Il faut juste que j’intercepte leur trace quelque part, avant qu’ils ne se fassent arrêter. Pour les prévenir et leur donner un autre point de rendez-vous.
— Mais tu ne vas jamais réussir à les faire sortir ! Ça grouille de gardes, là-bas…
— Tu n’y es pas, Param, la coupa Rigg. Je n’en aurai pas besoin car, une fois prévenus, ils n’y seront plus.
— Comment ça ? Ils y sont pourtant… essaya-t-elle de comprendre.
— Oui, mais bientôt ils n’y seront plus. Ils n’y seront jamais allés.
— Mais puisque tu les as vus ! s’entêta Param.
— Leurs traces seulement, nuança Rigg. Toi, tu ne les as même jamais rencontrés. Au moins, on n’aura pas l’impression d’avoir du passé des souvenirs hallucinés. Crois-moi. C’est impossible à expliquer, mais ça fonctionne comme ça.
— Très bien. Donc on va aller les prévenir, résuma Param, pour qu’ils ne se fassent pas arrêter. Mais dans ce cas, qui va nous prévenir, nous, du nouveau point de rendez-vous ?
— On n’aura pas… » À bien y réfléchir, elle avait peut-être raison. S’il disait à Miche et Umbo de ne pas se rendre dans le parc, il ne verrait pas les soldats les arrêter et se demanderait pourquoi ils n’étaient pas venus. Il se douterait sans doute de quelque chose, mais comment savoir où les retrouver ensuite ?
Il devait choisir le premier endroit qui lui viendrait à l’esprit s’il ne voyait pas ses amis le rejoindre au parc.
Il était parti du postulat, avant que Param ne soulève ce problème, qu’après les avoir prévenus il continuerait vers le second point de rencontre, pleinement conscient de tout ce qui était arrivé depuis. Mais Umbo et Miche lui avaient fait part d’un de leurs désaccords sur le sujet : lorsqu’une personne se visitait dans le passé pour se prévenir elle-même de ne pas faire quelque chose, cette version future de la personne – appelons-la initiée – disparaissait à jamais. Seule la mémoire de ses paroles subsistait, et la version avertie poursuivait une nouvelle destinée.
Par expérience, c’était ainsi que les choses fonctionnaient lorsque quelqu’un se mettait lui-même en garde tout du moins. Restait à savoir ce qui se passerait pour l’initié s’il avertissait quelqu’un d’autre que lui… mystère ! Peut-être Rigg poursuivrait-il vers le second point de rendez-vous sans même s’en rendre compte ?
Ou pas.
« Tu es perdu là, avoue, sourit Param.
— J’ai le cerveau qui fume, admit Rigg.
— Fais les choses comme tu les sens, tout va s’éclaircir de soi-même », présagea Param.
Le tunnel finissait par déboucher, via une porte dérobée, vers un petit sas extérieur à la banque avec trois issues : l’une menant à l’intérieur de la banque, l’une à la salle des coffres, l’une à une alcôve, directement dans la rue. Rigg n’avait nulle intention de visiter la salle forte, pas plus que la banque. Ils optèrent pour l’alcôve.
Dehors, la lumière était aveuglante, malgré un épais voile de fumée.
Rigg sentit la fumée lui piquer les yeux ; Param en pleurait.
« Toute la ville brûle, cria-t-elle. Dans quelques minutes, les milices anti-feu seront là pour démolir les bâtiments en flammes et les arroser d’eau de la Stashik. C’est grâce à elles que les émeutes et les incendies criminels sont si rares. Le meilleur moyen de disperser les émeutes est d’ailleurs de mettre le feu un peu partout. Quiconque gêne l’arrivée des milices passe un sale quart d’heure. Les gens tiennent à leurs maisons. »
Tout cela paraissait logique, mais soulevait un nouveau problème. Que se passerait-il si le nouveau point de rendez-vous se situait au milieu d’un quartier en flammes ? Dans un futur modifié, ce n’était pas impossible.
Si c’est le cas, on improvisera. Il faut d’abord retrouver Miche et Umbo.
Il n’eut pas à chercher longtemps. Leurs traces étaient partout ; cette banque n’avait pas dû les laisser indifférents. Sans même sortir de l’alcôve, Rigg put les suivre jusqu’à leur auberge puis vers le parc, lieu du rendez-vous manqué. Voilà où il devait les rejoindre.
« Suis-moi », lança-t-il à Param.
Il voyait bien qu’elle avait les traits tirés malgré son heure de repos dans le tunnel. Mais ils n’avaient pas le choix, il fallait y aller.
Par un heureux hasard, les émeutes avaient éclaté ailleurs. Les cris des insurgés leur parvenaient, parfois de la rue d’à côté, mais ils ne les virent pas. Tous ceux qu’ils croisaient se déplaçaient comme eux : vite et discrètement. Personne ne souhaitait se retrouver au milieu des combats. Quand ils chargeraient, pique, sabre ou bâton en main, les soldats ne feraient pas de détail.
En quinze minutes, ils étaient à la trace – à six pâtés de maisons environ du parc. Rigg nota qu’au moment de leur passage Umbo et Miche longeaient les trottoirs. À cette heure, les émeutiers étaient déjà dehors et les passants en fuite. Rigg repéra non loin un abri de choix : une carriole renversée. Rien ne l’obligeait à garder la trace sous les yeux, il lui suffisait d’attendre qu’Umbo le contacte, ensuite seulement il sortirait se concentrer sur elle.
Param remercia le ciel pour ce repos bien mérité. « Je t’attends ici, vas-y, souffla-t-elle en s’affalant sur le sol.
— On a le temps, indiqua Rigg. Il faut que j’attende qu’Umbo se manifeste.
— Réveille-moi à ce moment-là », bâilla-t-elle. Et elle s’endormit.
Tout cela n’était pas très rassurant. Elle semblait plus moulue qu’après une nuit de traque dans les bois. Et si les espions – les seuls à savoir à quoi ils ressemblaient – les repéraient et qu’ils devaient fuir ? Son invisibilité ne constituait plus une échappatoire fiable depuis que Mère avait dévoilé le secret de sa lenteur et sa vulnérabilité.
Si seulement je pouvais la cacher, comme dans ces passages secrets, en lui épargnant cette fragmentation temporelle qui la fait se traîner pendant que les autres fusent à ses côtés.
Midi approchait. Rigg commençait lui aussi à piquer du nez – il s’était habitué à dormir les trois premières heures de l’après-midi pour finir la journée en trombe quand les autres baissaient de rythme. Heureusement, avec Père, il avait eu plus d’une fois à réprimer ses envies de sieste. Il décida de lutter encore un peu.
Sans grande réussite – il se surprit deux fois à somnoler. Avait-il sombré une seconde, une minute, une heure ? Et si, par négligence, il avait tout fait rater ?
Non. Les ombres n’avaient pas bougé.
Il se leva. Et se rassit aussitôt. Le front de l’émeute – une avant-garde de volontaires envoyés en éclaireurs vérifier que le terrain était dégagé – traversait une intersection à fond de train à cent mètres à peine. Un vrai troupeau d’enragés.
Faites qu’ils ne viennent pas par ici.
Le sol trembla pendant une éternité, mais son souhait fut exaucé : l’émeute déferla au large.
Les derniers n’étaient pas passés que les traces commençaient déjà à s’épaissir. Rigg n’avait plus le choix, c’était maintenant ou jamais. Il n’avait que quelques pas à faire à découvert, mais c’était plus qu’il n’en fallait pour se faire repérer. Soit la foule lancée au pas de course continuerait sans rien voir, soit elle bifurquerait et fondrait sur lui. Dans les deux cas, il ne devait pas traîner.
Au moment de se lancer, il repensa à sa sœur. L’endroit était trop risqué, il lui fallait un abri sûr… et s’il la poussait simplement dans le passé avec Umbo et Miche ? Personne ne l’y attendrait ! Et surtout, pour l’instant, dans le passé, personne ne la recherchait.
Il avait déjà arraché des objets à des temps révolus mais ni lui ni Umbo n’y avaient jamais déposé quelque chose. Et encore moins quelqu’un. Lorsque Rigg voyageait dans le passé, il restait dans le présent, où Umbo pouvait veiller sur lui et sur ce qu’il faisait.
Mais il n’en était pas moins dans le passé. Il repensa à ce terrible jour d’autrefois, au bord des chutes, et à cet homme désespérément accroché à la vie par un bout de rocher qui l’avait empêché de sauver celle de Kyokai. Le corps de l’homme avait été bien réel – il avait pu le toucher –, comme le sien l’avait été pour l’homme.
Que serait-il advenu si Umbo avait cessé de ralentir le temps d’un coup ? Serait-il resté dans le passé ? Aurait-il disparu ?
Et si Rigg avait tendu à l’homme quelque chose – la main de Kyokai par exemple ? Ce quelque chose ou ce quelqu’un serait-il resté dans le passé ?
Il suffisait d’essayer.
Il prit Param par la main et la tira en douceur. « Lève-toi, suis-moi.
— Laisse-moi dormir, l’implora-t-elle. Tu n’as pas besoin de moi.
— Viens, je te dis, insista-t-il. Umbo ne va pas tenir longtemps comme ça. »
Param le suivit, boudeuse, les yeux collés, le pas chancelant.
Rigg chercha la trace d’Umbo – il ne pouvait se concentrer à la fois sur celle de Miche et la sienne, même s’ils marchaient côte à côte. Le petit cordonnier lui apparut enfin, remontant sa trace à l’infini. Plus Rigg se concentrait, plus Umbo ralentissait, jusqu’à atteindre une allure pressée, mais en temps réel.
Rigg se planta devant lui. « Umbo ! » le stoppa-t-il.
Umbo s’arrêta. Miche également, qu’il voyait aussi maintenant qu’il était plongé dans leur présent – tout en étant aussi spectateur du sien.
« La voyez-vous ? » leur demanda-t-il en pointant Param du doigt.
Umbo la regarda et acquiesça. Miche fit de même.
« Rendez-vous à une heure de l’après-midi aux Mangeurs de nouilles, ajouta Rigg. Prends sa main. »
Param, qui venait de voir Umbo sortir de nulle part, marqua un mouvement de recul. Rigg lui prit la main de force. « N’aie pas peur ! la pressa-t-il. Et surtout tiens bon, sinon on ne sait pas où on va te retrouver. » Il la lâcha. Elle se cramponna à Umbo. Miche la tenait lui aussi.
Soit elle restait avec eux, soit ils la perdaient.
« Mais qu’est-ce que tu fais ? s’exclama Umbo.
— Si ça fonctionne, alors… »
L’Umbo de la Maison du Conseil perdit le contact. Rigg se retrouva seul face à deux traces.
Param était partie. Sa trace appartenait désormais au passé. Il la voyait remonter la rue devant lui, de façon continue, mais à l’endroit de leur rencontre avec Umbo et Miche, son éclat virait pour adopter celui des événements du matin.
Leur pouvoir ne se limitait donc pas à soustraire des objets au passé – une dague, des pierres enfouies dans le sol. Ils pouvaient aussi y ajouter des choses et des gens, à condition que quelqu’un soit prêt à les recevoir !
Ce n’était pas le moment de rêvasser. Il se tenait au milieu d’une rue, et à un jet de pierre d’une foule déchaînée. Sa mise n’était pas celle d’un prince, mais pas d’un va-nu-pieds non plus. L’occasion faisant le larron, si des fauteurs de troubles venaient à traîner dans le coin, les choses pouvaient vite dégénérer.
Trop tard. Le temps de jeter un œil à l’angle de la rue, une demi-douzaine d’hommes – certains en haillons, mais pas tous – remontaient déjà vers lui, qui d’un pas vif, qui au pas de course. Si le gros de la foule était passé, il restait cependant quelques retardataires. S’il lui arrivait quelque chose, il y aurait au moins des témoins. De toute façon, à part ses habits, ils ne pourraient pas le dépouiller de grand-chose.
Au premier mouvement de fuite, la chasse à l’homme commencerait. Avec Param, ils n’auraient pas pu courir bien vite, mais, au moins, elle aurait pu les emmener tous les deux dans son monde invisible le temps que l’orage passe.
Peu importe, pensa Rigg. Elle n’est plus là.
Il détala comme un lapin.
Ses mois chez Flacommo l’avaient moins rouillé qu’il ne l’avait craint ; les quelques courses en compagnie d’Olivenko semblaient même avoir porté leurs fruits. Il rejoignit la banque et son passage secret loin devant ses poursuivants. Il se précipita à l’intérieur et referma derrière tout en restant attentif à leurs traces. Ils abandonnèrent rapidement, sans même fouiller l’alcôve.
Rien ne pressait. Il étendit son champ de vision à la Maison du Conseil. Les conseillers étaient toujours là, toujours sous bonne garde, mais plus d’Umbo ni de Miche.
Ainsi, l’avertissement avait fonctionné. Ses amis n’étaient pas allés au point de rendez-vous, ils étaient libres.
Leur passé avait été modifié, contrairement au sien. Il gardait clairement en mémoire la chronologie des événements antérieurs : l’arrestation de Miche et d’Umbo, leur arrivée au Conseil, sa traversée des tunnels avec Param.
Pousser sa sœur dans le passé n’avait pas fait que la mettre hors de danger. Rigg avait aussi poursuivi sa propre destinée.
Question de causalité, pensa-t-il. Param rejoint Umbo et Miche dans le passé mais, moi, je reste où je suis et qui je suis, dans ma propre chronologie. Mon passé n’a aucune raison de changer.
Bien à l’abri dans le tunnel, Rigg commença à retracer le parcours de Miche et d’Umbo depuis le début de la matinée. Il les retrouva filant droit au parc. Leurs traces marquaient une pause là où, avec Param, ils les avaient « rejoints ». Sa propre trace faisait un bond dans le passé. Il vit ensuite Umbo et Miche revenir sur leurs pas, agrippés à sa sœur.
Rigg les accompagna à distance tout le reste de la matinée, jusqu’à maintenant. Ils étaient encore loin de l’échoppe – le rendez-vous n’était que dans quelques heures. Mais pourquoi attendre ? Il décida de les rejoindre.
Il prit dans leur direction par des chemins détournés, pour éviter la foule et les soldats, puis bifurqua vers leurs traces les plus fraîches.
Ils s’aperçurent à distance. Miche le héla de la main et fit signe aux autres de ralentir l’allure en attendant que Rigg les rattrape. C’était plus sage : trois personnes immobiles risquaient fort d’attirer l’attention. Il les rejoignit dans l’entrée ombragée d’une boutique aux volets fermés. Umbo et Param étaient toujours cramponnés l’un à l’autre.
« Je crois que tu peux la lâcher, souffla Rigg.
— Qu’est-ce que tu en sais ? » réagit Umbo. Param ne paraissait pas plus rassurée. « Imagine que je la lâche et qu’elle se volatilise dans le futur, on n’aura pas l’air malins.
— Primo, commença Rigg, ce futur-là n’existe plus, sinon à cette heure-ci vous seriez entre les mains du Conseil. Ces événements n’ont jamais eu lieu, donc elle ne risque pas d’y retourner.
— Tu ne te les rappellerais pas s’ils n’avaient jamais eu lieu, nota Param.
— Et toi, tu t’en souviens ? renvoya Rigg.
— Bien sûr, acquiesça-t-elle.
— Et pourtant, tu es ici maintenant, avec nous, dans ce présent où il n’y a eu aucune arrestation.
— Admettons que je ne puisse pas y retourner. Mais qui dit que si je lâche, je ne vais pas disparaître ailleurs ? frémit-elle.
— Impossible parce que, deuxio, le futur, c’est maintenant. C’est moi qui ai mis ta main dans la sienne. J’ai continué à exister, sans vous, jusqu’à ce qu’on se retrouve. Tiens, prends ma main. »
Elle s’exécuta.
« Maintenant, lâche la sienne.
— Facile à dire, ce n’est pas toi qui risques de disparaître, marmonna Miche.
— Elle non plus, râla Rigg. Elle a juste fait un crochet par le passé et on s’est retrouvés. Pourquoi elle disparaîtrait ? Je n’ai pas disparu, moi, si ?
— Non. C’est dommage d’ailleurs », le taquina Miche.
Param lâcha la main d’Umbo. Rien. Umbo se massa les doigts en grimaçant.
« Désolée, s’excusa Param. J’étais terrifiée.
— Si tu veux te venger, montre-leur comment tu disparais vraiment. Ça, c’est terrifiant. »
Param lui jeta un regard noir mais jugea l’idée pas si idiote que ça finalement – elle disparut.
« Je t’avais dit de ne pas la lâcher ! fulmina Miche. Nous voilà bien… »
Param réapparut deux mètres plus loin. « Je suis là, sourit-elle.
— En plein dans le panneau, grommela Miche.
— En fait, je reste visible, pour moi en tout cas, expliqua-t-elle.
— Maintenant, tout le monde lui prend la main, lança Rigg.
— Elle n’en a que deux, fit remarquer Umbo.
— “Tout le monde” égale “Umbo et Miche”, corrigea Rigg. Allez, chacun une main. »
Ils s’exécutèrent. Rigg poursuivit : « Umbo, tends l’autre bras. Juste le bras tendu, voilà. Maintenant, lorsqu’elle… fait son truc… ne bouge pas. Reste bras tendu.
— Pourquoi ? s’affola Umbo.
— Tu vas voir. »
Param paraissait sceptique. « Je ne suis pas sûre d’aimer ça, hésita-t-elle.
— Ils doivent se rendre compte par eux-mêmes de ce que tu sais faire, et c’est le meilleur moyen. »
Param détourna le regard, l’air vexée, mais se plia néanmoins à l’exercice. Elle disparut – et Miche et Umbo avec elle.
Rigg se rappela alors combien il était facile d’oublier où se trouvait un objet la seconde d’avant. S’aidant de la trace d’Umbo, il essaya de visualiser grosso modo le bras tendu de son ami.
Il le traversa d’un aller-retour de la main de haut en bas.
Les trois resurgirent instantanément. Umbo fixait sa main, l’œil hagard, Miche le sol, visant un point de chute où s’écrouler sur le champ.
« Ne t’amuse plus à ça, s’emporta Param.
— Plus la peine, tenta de la rassurer Rigg. À voir leurs têtes, ils sont convaincus.
— Mais tu sais que c’est dangereux de superposer deux choses comme ça ! le tança Param. Et si j’avais perdu le contrôle ? Vous finissiez avec un bras en moins !
— Ouille, grimaça Umbo.
— Et quand une mouche te traverse, qu’est-ce qui se passe ? l’interrogea Miche.
— Ou un moucheron, ou un grain de poussière ? ajouta Rigg. Son corps semble capable de rejeter ou d’absorber ces petites masses. Je l’ai vue passer des heures invisible au milieu des mouches, des abeilles, des papillons de nuit. Param, tu es forcément déjà ressortie avec un de ces trucs à l’intérieur de toi, non ?
— Ça me rend malade, confia-t-elle. Quand je sors de mon invisibilité, si quoi que ce soit se trouve dans l’air, au même endroit que moi, je ressens une brûlure, très vive. Ensuite, je deviens fiévreuse. La cicatrisation prend du temps. La poussière et le sable ne me font pas trop mal. Le pire, ce sont les êtres vivants, les murs épais, le métal et la pierre.
— En gros, le seul qui ne sait rien faire d’intéressant ici, c’est moi, résuma Miche.
— Attends, tu as disparu quand même, le consola Rigg. Ce n’est pas toi qui étais aux commandes, mais tu es quand même devenu invisible. Ce n’est pas rien, ça… de savoir qu’un truc aussi volumineux que toi puisse disparaître. »
Miche ne fut pas sûr d’apprécier, mais finit par éclater de rire. « Je te l’accorde, ce n’est pas rien.
— Mon petit doigt me dit même que tu ne vas pas tarder à faire des miracles.
— Des miracles ? s’étonna Miche.
— En nous sortant d’ici, déclara Rigg. Les soldats quadrillent la ville, les émeutiers commencent à se disperser partout, sauf dans les quartiers en flammes. Les rues sont noires de monde. Sur la rivière, ce n’est pas mieux. »
Miche réfléchit – et les autres aussi – à la meilleure échappatoire possible. Il envisagea de prendre la rivière en aval puis de sauter incognito sur un bateau la remontant, histoire de brouiller les pistes. Mais l’idée ne le séduisit pas plus que ça, finalement. « S’ils font bien leur travail, ils nous prendront, qu’on descende ou qu’on remonte. »
Param s’était à nouveau assoupie. Umbo suggéra de la porter jusqu’à leur auberge, pour qu’elle profite d’un bon lit, mais Miche tiqua. « Si le Général Citoyen nous a fait espionner depuis le début, nos chambres sont surveillées. C’est le dernier endroit où aller. »
Un silence morose s’abattit sur la troupe, qui finit par sombrer dans une somnolence insouciante… jusqu’à ce que Rigg s’agite soudain, une bonne heure plus tard. « Vite, des soldats. Il faut partir.
— Ils sont là pour nous ? s’inquiéta Umbo.
— Je n’ai pas l’impression, hésita Rigg. Juste quelques hommes en patrouille. Pas assez pour s’occuper des émeutiers, mais un petit groupe comme nous pourrait les intéresser.
— On n’a qu’à devenir invisibles, proposa Miche.
— En dernier recours seulement, refusa Rigg. Demande à Param. S’il y a moyen de disparaître autrement, c’est préférable. Là, en l’occurrence, il y en a un : en filant au coin de la rue là-bas.
— Les gens vont commencer à sortir, fit remarquer Miche.
— Très juste, nota Rigg.
— Si seulement tu avais pu nous prévenir plus tôt, regretta Umbo. On serait déjà loin.
— Vous trois, oui, nuança Rigg. Pas moi. »
Ils marchèrent comme si de rien n’était et s’éclipsèrent à l’angle de la rue. Param n’arrêtait pas de bâiller. « Je n’ai jamais été aussi fatiguée de toute ma vie, avoua-t-elle.
— C’est Rigg qui te fait cet effet, blagua Miche. Il fatigue tout le monde.
— Et pourquoi ne pas quitter la ville hier, finalement ? » proposa Rigg.
Ils le regardèrent sans comprendre. « Tu viens de dire que c’était impossible, s’étonna Miche.
— Je me suis peut-être un peu avancé, admit Rigg. Param vous a rejoints dans le passé en te prenant la main. Ce qui signifie peut-être que, lorsque plusieurs personnes se tiennent par la main, elles ne forment plus qu’un – et peuvent voyager ensemble dans le temps. Ce matin, si j’avais continué à tenir Param, on ne se serait peut-être jamais quittés.
— Ce serait nouveau, tu n’as jamais voyagé dans le temps, fit remarquer Umbo. Pas complètement, je veux dire : tu es toujours resté en partie dans le présent.
— Oui, mais je n’ai jamais tenu quelqu’un non plus, précisa Rigg. Lorsque j’ai pris la dague, je n’ai pas touché l’homme. T’es-tu déjà accroché à quelqu’un dans le passé ? »
Umbo y réfléchit une seconde. « Juste Miche, le temps de l’aller-retour ensemble, à O. »
Rigg voulait comprendre. « C’est trop risqué de tenter l’expérience avec des versions précédentes de nous-mêmes. On sait que les relations de cause à effet restent intactes, mais si on peut éviter de faire des nœuds pas possibles dans la chronologie, je préfère. On ne maîtrise pas encore assez.
— En résumé, le premier qu’on croise, on l’agrippe et on lui demande : “Dites, ça vous dérange pas qu’on reste comme ça tous les quatre quelques minutes ?”
— Non, pas le premier, rectifia Rigg. Quelqu’un de confiance.
— Il faut dire, ironisa Miche, qu’Aressa ne manque pas de gens de confiance. »
Rigg pensa alors à un candidat tout à fait qualifié. Quelqu’un de totalement étranger au monde de Mère.
« J’ai un allié », annonça-t-il.
Olivenko claqua la porte de son petit appartement et sortit dans la rue en dévalant l’escalier quatre à quatre. Juste le temps d’avaler, pour une fois, un bon petit déjeuner, de filer rejoindre son unité et de prendre son service de garde.
Il s’apprêtait à s’élancer dans la dernière volée de marches quand Rigg Sessamekesh lui apparut au détour d’un palier.
« Rigg ! s’écria-t-il. Comment es-tu sorti… »
Rigg secoua la tête : Moins fort.
Olivenko acquiesça. Hurler le nom de Rigg n’était pas la meilleure chose à faire – heureusement, tout le monde n’était pas aussi matinal que lui dans le bâtiment.
« Olivenko, commença Rigg, tu te souviens de nos discussions. Tu sais dans quelle situation je me trouve.
— Oui, chuchota l’autre.
— Écoute, je sais – et ce n’est ni une supposition ni une déduction logique ni une rumeur – que dans deux jours, Flacommo sera assassiné, sa maison mise à sac, ma mère arrêtée et que ma sœur et moi, nous allons fuir en compagnie de deux amis.
— Tu as besoin d’aide ? devina Olivenko.
— Tu as tout compris.
— Ils ne vont pas vous laisser une minute de répit.
— En fait, poursuivit Rigg, ils savent déjà où nous sommes.
— Comment cela ?
— À l’heure où nous parlons, Param et moi sommes chez Flacommo, et sous bonne garde. »
Olivenko attendit des précisions.
« Écoute, c’est compliqué à expliquer et nous n’avons pas le temps. Dans cinq minutes, quelqu’un va descendre. Je préférerais qu’on ne nous surprenne pas ici en train de discuter.
— Dans ce cas, allons retrouver tes amis, proposa Olivenko.
— On va y aller, confirma Rigg, mais à ma manière. Tu vas voir… c’est plus rapide ! Tout ce que tu as à faire, c’est de te tenir droit sans bouger. Je te conseille de fermer les yeux. Tu n’es pas obligé, mais si tu les gardes ouverts, promets-moi de ne pas te mettre à crier ou à courir dans tous les sens. Reste calme. Aie confiance, ce n’est pas de la sorcellerie.
— Qu’est-ce qui n’est pas de la sorcellerie ? s’inquiéta Olivenko, décontenancé et passablement irrité que Rigg fasse tant de cachotteries.
— Ça. »
Et Rigg s’évapora dans les airs.
Il réapparut dix secondes plus tard, main dans la main avec Param Sissaminka, héritière de la maison royale, et deux parfaits inconnus – un vieux soudard et un petit gars de l’âge de Rigg, peut-être plus jeune.
Olivenko ne s’en étonna même pas. Il paraissait juste pensif. Son esprit était ailleurs, avec Knosso : Si seulement vous pouviez voir ça.
« Rigg, finit-il par articuler, je ne comprends pas en quoi je peux vous aider. Je ne sais pas faire ça, moi.
— On est bloqués dans l’espace. Tels que tu nous vois, on n’est pas vraiment là, on est toujours dans le futur – à deux jours d’ici, au milieu des émeutes et des soldats, et avec le Général Citoyen et ses hommes à nos trousses. Là, tout de suite, tu ne peux voir ce qui se passe, mais nos corps sont encore là-bas et tout peut basculer d’une minute à l’autre. Il faut le faire, et vite.
— Faire quoi ? ajouta précipitamment Olivenko.
— Nous agripper à toi, n’importe où. Pour nous ancrer dans ton temps. Deux jours avant que les choses tournent mal. »
Olivenko n’hésita pas une seconde. Il releva ses manches et retira son chapeau. « Accrochez-vous ! »
Les deux du bout – le soldat et le garçon – lui attrapèrent un bras, d’abord à une main, puis à deux, après avoir lâché Rigg et Param.
« Toujours là ! lança le petit.
— Et tu me tiens toujours dans le passé, lui indiqua Rigg. Même si tu as disparu du futur. Peut-être que nous…
— Tais-toi, et finissons-en ! » rugit le soldat.
Param et Rigg empoignèrent le bras libre d’Olivenko, sans toutefois se lâcher.
« Ça ne va pas être très pratique, devina Rigg, mais essayons de descendre ces marches ensemble. Olivenko, si je disparais, pas de panique. Si ça arrive, quittez la ville sans laisser de traces. Pas de bateau, ils gardent des registres des passagers. Faites-vous aussi discrets que possible.
— Et toi ?
— Je vous retrouverai plus tard, déclara Rigg. Seul, ce sera plus facile qu’à quatre – enfin, cinq maintenant. Et puis, je n’ai pas encore disparu. Prêts ?
— Plus que ça ! s’impatienta le vieux briscard. Tu parles vraiment trop, mon garçon, tu devrais apprendre à te taire. »
Olivenko ressentit une furieuse envie de claquer le soudard – quel manque de respect pour le fils de Knosso Sissamik ! En même temps, il ne connaissait rien de leur histoire. Il avait discuté un peu avec Rigg et juste entr’aperçu Param. Tout ce qu’il savait des autres, c’était qu’il devait leur faire confiance.
Ils descendirent comme ils purent, Olivenko au milieu, les autres marchant en crabe à ses côtés, cramponnés à ses bras comme à la vie.
Des claquements de souliers ferrés se firent entendre au deuxième.
« On s’active ! les pressa Olivenko. À moins que quelqu’un sache comment expliquer tout ça. »
Le temps d’atteindre la dernière marche, le vieux soldat et Param avaient complètement lâché – et étaient toujours là.
Le garçon fut le suivant.
Ils étaient maintenant dans la rue. Seul Rigg restait accroché, à deux mains. Les trois autres l’observaient, l’air pas plus rassurés que lui, nota Olivenko.
« Et voici le moment de vérité, déclara Rigg. Dans une seconde, je serai dans une ville à feu et à sang, recherché par la moitié de ses habitants, ou ici, entouré de ma sœur et de mes amis. Mais vous voilà en sécurité. Et moi aussi, en un sens. Je ne m’attends pas à exploser ou je ne sais quoi. » Et, ce disant, il lança un sourire entendu à Param, qu’Olivenko ne comprit pas bien.
Rigg lâcha.
Et resta là.
« Si tu as disparu, lâcha Olivenko, l’hallucination est parfaite. J’ai devant moi ta copie conforme. »
Rigg hocha la tête. « Qui sait si mon enveloppe corporelle n’est pas encore dans le futur, errant à l’aveuglette, attendant que je la réintègre. Mais c’est peu probable. Mes amis, je crois que nous avons enfin percé le secret du voyage dans le passé !
— Nous ne finirons jamais de m’impressionner, commenta le vieux soldat d’un ton pince-sans-rire.
— Une chose à ne pas oublier : c’est irréversible, rappela Rigg. Maintenant que je suis ici, avec vous, les seules traces qui m’apparaissent sont celles ayant existé à ce jour. Aucun signe, par exemple, de Param et de moi dans ce tunnel, ni de nous quatre réunis à côté du parc. Ces choses n’ont jamais existé.
— Euh, c’était l’idée, non ? » intervint le cadet de la troupe.
Le vieux soldat jeta un coup d’œil à la ronde. « Est-on certain que personne ne va vous reconnaître ? demanda-t-il en se tournant vers Rigg et Param.
— Personne ne sait à quoi ils ressemblent, fit observer Olivenko. Sauf quelques rares élus. Et il faudrait vraiment être maudits pour tomber sur eux ici et maintenant.
— Ce que je veux dire, reprit Rigg, c’est que même en le voulant, on ne pourrait pas retourner dans le futur. Les seules traces que je peux voir sont passées. Ce qui signifie que si nous souhaitons retenter l’expérience, sans toutefois rester dans le passé, alors le lien vers le futur ne doit pas être rompu. Et quand je parle de lien, je parle de moi, d’Umbo, ou de nous deux en même temps. Tant que nous existons au même endroit dans les deux époques, et ne sommes pas rattachés à un être vivant du passé, alors le lien vers le futur est maintenu. Qu’en pensez-vous ?
— Que tu as raison, lança Param. Ou tort. Je ne vois pas bien en quoi c’est important.
— C’est important car c’est ce qui va nous permettre de traverser le Mur, précisa Rigg. L’idée est de traverser avant même qu’il existe. D’un autre côté, on peut vouloir revenir à notre époque.
— Le Mur n’a pas toujours existé ? » s’étonna le garçon… comment déjà, Umbo ? Oui, un nom ridicule comme ça.
« Il y a douze mille ans, indiqua Rigg. Il n’y avait ni Mur, ni humains. Si on y va, on sera les premiers.
— Donc, c’est la méthode retenue pour traverser ? l’interrogea Olivenko.
— Oui, continua Rigg. Elle me paraît plus viable que de s’endormir dans un bateau tous drogués.
— Au moins, il n’y aura personne pour nous tuer de l’autre côté.
— C’est quoi, cette histoire ? » intervint le soldat.
Tout en déambulant dans les rues animées d’Aressa Sessamo, Rigg et Olivenko rappelèrent à leurs compagnons l’histoire de Knosso, de la traversée du Mur et du naufrage tragique, sans omettre aucun détail.
« Et tu veux nous emmener avec toi de l’autre côté en sachant pertinemment ce qui nous attend derrière ? grogna Miche.
— Les créatures qui ont tué Père Knosso, répliqua Miche, vivent dans l’eau. Là où on traversera, il n’y aura pas d’eau.
— Ce n’est pas pour ça qu’il n’y aura pas de danger, nota Param.
— Possible. Tout ce que je sais, c’est que le danger est partout, et surtout dans notre entremur.
— Soit, trancha Miche. Essayons, on verra bien.
— Juste une chose, temporisa Rigg. Si tu ne veux pas venir, Miche… rien ne t’y oblige.
— Personne ne m’a jamais obligé à quoi que ce soit.
— Je pensais à Flaque, précisa Rigg. Elle t’attend à la taverne. Derrière le Mur, c’est l’inconnu. Je ne promets pas qu’on revienne.
— Flaque est mon cœur, mon souffle et mon cerveau, dit Miche. Sans elle, je ne pourrais pas vivre. Mais elle me connaît. Elle sait que quand je quitte la Halte, c’est peut-être pour toujours. Elle le savait en me laissant vous accompagner. Si j’y reste, alors elle fera son deuil. Elle se demandera ce qui a pu m’arriver mais continuera à faire sa vie dans ce lieu qui porte son nom. L’un de nous doit mourir avant l’autre, c’est la vie. Vous voyez ce que je veux dire ? »
Olivenko voyait bien mais était tout de même soufflé d’entendre ce gros bonhomme parler comme ça. Ce n’était pas comme si Miche se fichait éperdument de revenir : sa voix était chargée d’émotion. Il refusait simplement de laisser ses sentiments pour la femme qu’il aimait le dérouter du chemin sur lequel il s’était engagé.
Un soldat, un vrai.
Comme moi, pensa Olivenko.
« Je suis des vôtres, lança le garde.
— Non, inutile, le remercia Rigg. Aide-nous à sortir de la ville, ce sera déjà bien.
— Dans trente minutes, je manquerai à l’appel, poursuivit Olivenko. Sans permission, on appelle ça de la désertion. Et ici, quand on retrouve un déserteur, on le pend. Quand vous sortirez de cette ville, il vaudrait mieux que je sois avec vous.
— Alors tu dois y retourner maintenant, trancha Rigg. J’ai été égoïste de demander ton aide. Indique-nous juste comment…
— C’est une blague ? l’interrompit Olivenko. J’ai assisté à la traversée de ton père et à sa mort, jeune Rigg. Je me suis toujours maudit de n’avoir pu l’accompagner. Si j’avais été présent, il serait peut-être encore là.
— Tu n’étais qu’un apprenti, encore qu’un enfant, lui rappela Rigg. Tu n’aurais rien pu faire.
— Et pourquoi crois-tu que je sois devenu soldat ? s’emporta Olivenko. Pour que, si l’occasion se représente, je sois prêt !
— Les déserteurs, moi, ce que j’en pense… grogna le vieux soldat.
— Votre opinion, vous pouvez vous la mettre où je pense, grinça Olivenko. Je ne suis pas un déserteur ! C’est un cas de force majeure.
— Vous êtes quoi alors ? s’immisça Param.
— Un compagnon de route du prince et de la princesse de la maison royale, en exil forcé, répondit Olivenko.
— Ah bon, admit Miche. Là, je suis d’accord. »