Chapitre 4 Érudit

« Nous avons pour mandat, dit le sacrifiable, non pas de servir un seul être humain aux dépens de l’espèce, mais plutôt de préserver puis de faire évoluer l’espèce, même si cela doit se faire aux dépens d’un nombre disons… économique de ses représentants.

— Économique ? s’étouffa Ram. On parle de vies humaines, là.

— Oui, de valeur égale, poursuivit le sacrifiable.

— Égale à ?

— À toute autre vie humaine.

— Donc un de mort pour deux de sauvés, c’est économique.

— Ou un milliard, si cela permet à un milliard et un de voir le jour.

— Un peu glacial comme raisonnement.

— Nous sommes un peu de glace, concéda le sacrifiable. Mais les chiffres bruts ne constituent qu’une part infime de notre mandat.

— Et sur quels critères, le questionna Ram, vous basez-vous pour conclure à la conservation et à l’évolution de la race humaine ? Dites-moi tout.

— Sur tout ce qui améliore la capacité humaine à survivre face aux menaces.

— Quelles menaces ?

— Par ordre décroissant de probabilité d’extinction de la race humaine : collisions avec des météorites d’un rapport masse-vélocité supérieur à un certain seuil, éruptions de volcans libérant une quantité d’éjectas supérieure à un certain seuil, fléaux à taux de mortalité et de contagion supérieurs à un certain seuil, guerres entre nations dotées d’armes plus destructrices, sur un plus long terme, qu’un certain seuil, catastrophe cosmique aux retombées néfastes immédiates sur la race humaine…

— Arrêtez-moi si je me trompe, l’interrompit Ram, mais si nous parvenons à implanter une colonie humaine viable sur ce nouveau monde, rien de tout cela ne constituera plus une menace pour notre espèce.

— Et si nous parvenons à en implanter dix-neuf viables…

— Chacune serait tout autant sous la menace de l’une de vos réjouissances. Une météorite, et dix-neuf colonies disparaissent.

— Affirmatif, confirma laconiquement le sacrifiable.

— Mais qu’il y en ait dix-neuf, et non une seule, semble avoir son importance d’après vous.

— Affirmatif », répéta le sacrifiable.

Un long silence.

« Vous attendez de moi une décision ?

— Affirmatif, confirma le sacrifiable.

— Il va falloir m’aider un peu, s’impatienta Ram.

— On ne peut penser à une chose à laquelle on ne peut penser, philosopha le sacrifiable. C’est impensable. »

Cette dernière phrase laissa Ram pensif de longues minutes. Il émit de nombreuses hypothèses sur la décision à prendre, la plupart pour lui-même, quelques-unes à voix haute. À chacune, le sacrifiable confirmait leur utilité, mais jamais leur nécessité absolue.

Une décision qui expliquerait l’importance de disposer de dix-neuf colonies pour conserver et faire évoluer la race humaine. Ram les passa en revue une à une. Il envisagea même le degré de destruction de la faune et de la flore indigène potentiellement nécessaire. À condition, nuança-t-il – et les sacrifiables approuvèrent –, de tout mettre en œuvre pour établir la banque de données génétiques la plus complète et la plus représentative possible de toutes les semences, de tous les embryons et autres formes de vies originelles du Nouveau Monde. Toute espèce qui viendrait à disparaître lors de la phase d’implantation de la colonie devait pouvoir être restaurée par la suite.

« Très bien, mais insuffisant », répondirent en chœur les sacrifiables.

Puis un matin, il comprit. Le jour se fit comme ça, alors qu’il se demandait pourquoi les ordinateurs et les sacrifiables s’accordaient tous à dire que le saut dans le passé et le clonage des vaisseaux étaient de sa faute. La plupart des humains ne pouvaient influer sur le cours du temps. On pouvait même déclarer qu’aucun ne l’avait jamais pu. Et si cette déclaration tenait toujours…

« Je suis humain, lança Ram, avec peut-être un peu plus d’emphase que n’en nécessitaient réellement ces quelques mots.

— Merci, répondit simplement le sacrifiable.

— C’était ça la réponse que vous attendiez ?

— Si c’est celle que vous attendiez, elle nous convient. »

Irrité par l’ambiguïté de la réponse, Ram exigea des explications.

« Mais il n’y a rien à expliquer, coupa le sacrifiable. C’est votre décision finale, nous agirons en conséquence.

— Ce ne sera ma décision finale que lorsque j’aurai compris ce qu’elle implique de A à Z.

— Les êtres humains ne sont pas faits pour comprendre les implications de quoi que ce soit de A à Z. Ils ne vivent pas assez longtemps. »

Ram avait retourné la situation dans tous les sens. Suffisamment, en tout cas, pour l’exposer en termes clairs. « Ce dont vous semblez avoir besoin, poursuivit-il, c’est de pouvoir définir très précisément ce qu’est l’“espèce humaine” avant de vous lancer dans l’implantation des colonies. D’où votre besoin d’analyser en détail les circonstances susceptibles de remettre en cause votre définition.

— Nous en analysons des milliards, précisa le sacrifiable.

— Pourquoi pas toutes ?

— Parce que nous aussi, nous avons nos limites », admit le sacrifiable.

Une autre question traversa l’esprit de Ram. « Avez-vous détecté sur la nouvelle planète la présence d’espèces dotées d’une intelligence semblable à celle des humains ?

— Négatif.

— Et supérieure ?

— Négatif. »

Au moins ils n’essayaient pas de caser une espèce étrangère dans leur définition de l’humain.

En revanche, pensa Ram, ils veulent être sûrs que moi, j’entre bien dans leur définition. Sans quoi, je leur aurais servi de base pour faire progresser la survie des cotons et de leur descendance. Mais ma propre survie génétique, elle, aurait été en danger. Tout ça parce qu’un truc s’est produit dans ma tête, qui a détraqué le cours du temps et des choses.

Si je me reproduis, cette différence pourrait se retrouver dans les gènes de mes descendants. Et, à vivre isolés du reste de nos congénères pendant 11 191 années, bien malin qui pourrait prédire quelles autres spécificités nous pourrions développer par rapport à ceux restés sur Terre.

Ram tenta d’éclaircir son propos, à la manière d’un scientifique ou d’un avocat. « La définition de l’“espèce humaine’’ doit balayer le spectre complet de variabilité génétique existante ainsi que toutes ses variations possibles dans le futur, sous réserve que lesdites variations ne nuisent pas à la survie de l’espèce humaine en général.

— Trop vague, tiqua le sacrifiable.

— Sur ce monde et n’importe quel autre », ajouta Ram.

La machine resta de marbre.

Ram marqua une pause puis repartit de plus belle. « L’“espèce humaine” définit le vivier de gènes inter-reproductibles aujourd’hui connu sous le nom d’humains, auquel il convient d’ajouter toutes les variations futures du génome humain, même si ces génomes ne peuvent s’inter-reproduire avec le vivier de gènes existant, et sous réserve que les variantes futures ne menacent pas de détruire ou d’amoindrir les chances de survie du vivier de gènes existant, délibérément ou accidentellement. »

Cinq secondes s’écoulèrent avant que le sacrifiable ne prenne la parole.

« Nous avons discuté votre définition et analysé ses ramifications à une profondeur raisonnable. Nous l’acceptons, conclut-il.

— Autrement dit, vous avez ce que vous vouliez ?

— L’ambition et le désir sont des caractéristiques typiquement humaines. Vous nous avez donné ce qui nous manquait. »


* * *

Rigg pouvait percevoir n’importe quelle trace malgré les murs et la distance mais, dans la confusion d’Aressa Sessamo, ses capacités rencontraient leur limite : il finissait par les perdre dans l’enchevêtrement de traces serpentant dans la ville en tout sens. Ici, dans la maison de Flacommo, le problème était tout autre : les traces étaient faciles à suivre mais d’un intérêt minime. Rigg préférait se cantonner aux plus récentes, d’un an maximum, et à celles qui menaient aux passages secrets.

Il tenta bien de traquer quelques espions, mais une fois dehors, leurs traces sinueuses se perdaient dans l’effervescence des rues, comme celles de fugitifs pataugeant volontairement dans les rivières pour perdre les chiens pisteurs lancés à leurs trousses. Avaient-ils eu vent de son don ? Non, leurs pistes remontaient à bien avant son arrivée – avant même que quiconque dans la ville ne le sache vivant. Sans doute ne faisaient-ils qu’emprunter les rues principales et si Rigg ne pouvait remonter jusqu’à leurs commanditaires, c’était uniquement parce que son champ de vision ne portait pas aussi loin. Ou alors, parce que quelqu’un d’autre les filait et qu’ils avaient cherché à s’en débarrasser.

Une seule certitude : Flacommo était hors du coup. Personne dans la maison – pas même les domestiques – ne lui rendait de comptes. Les cuistots et les boulangers préparaient ce qu’ils voulaient, la gouvernante était libre de ses horaires. Flacommo ne faisait qu’errer ici et là, s’arrêtant au hasard des rencontres. Comme un petit s’invitant au milieu des grands, mais qui finit toujours par gêner.

Rigg n’était pas certain que la Grande Bibliothèque résoudrait son problème. Il pouvait voir les traces sinuer entre ses bâtiments resserrés mais, si claires et ordonnées fussent-elles comparées au fatras de la ville, elles lui apprenaient surtout qu’aucun espion n’y avait jamais mis les pieds.

Là-bas, ses recherches risquaient de se résumer à ce qu’il avait pressenti : une vaine tentative pour en apprendre autant que son père biologique. Soit trois fois rien en définitive, à part que la traversée du Mur se faisait mieux inconscient. Inutile de connaître les lois de la physique fondamentale sur le bout du doigt pour s’en douter.

Mais Père Knosso avait aussi étudié le cerveau humain, pour élaborer lui-même ses sédatifs. Et s’il était une chose que Rigg avait absolument besoin de comprendre, c’était comment le cerveau humain fonctionnait ; le sien en particulier. Sans parler de ceux d’Umbo, de Param et, pourquoi pas, de Nox, dans un deuxième temps.

Il saisissait mal les raisons qui avaient poussé le Conseil révolutionnaire à lui accorder un droit de sortie – surtout pour aller faire ce que lui avait décidé. Si le fils unique de la maison royale, dont la simple existence représentait un affront aux yeux du Conseil et de la monarchie matriarcale, exprimait une quelconque requête, quoi de plus logique que de la lui refuser ?

Visiblement, soit les partisans de la lignée mâle pesaient plus lourd que prévu, soit la décision de le tuer dehors l’emporta, car une ribambelle de savants débarqua un beau matin à l’improviste chez Flacommo. « Pour vous prendre à froid, expliqua le vieux botaniste qui semblait présider le groupe.

— J’ai eu toute ma vie pour me préparer, fit remarquer Rigg.

— Cela va sans dire, acquiesça le botaniste.

— Pardonnez ma curiosité mais… je m’interroge sur vos critères d’évaluation. Dois-je posséder l’immensité de votre savoir ? N’y a-t-il point parmi vous de savants plus jeunes, aux connaissances moindres ?

— Ce qui nous intéresse, fit savoir le botaniste, ce n’est pas tant l’étendue de votre savoir que la vivacité et la qualité de votre esprit.

— Il y a bien des savants plus lents que d’autres, parmi vous, non ?

— Certains mettent plus de temps que d’autres à se souvenir de choses que d’aucuns considèrent comme fondamentales dans la vie, c’est vrai, approuva le botaniste, mais tous ont l’esprit vif quand il s’agit de raisonner et de reconnaître les illogismes, les erreurs, les improbabilités. Et au cas où vous vous demanderiez, le test a commencé, et je ne suis pas sûr d’apprécier la manière avec laquelle vous tentez sournoisement d’influencer nos critères.

— Vous tirez des conclusions hâtives. Mon but n’est pas de les influencer, mais simplement de les connaître, rectifia Rigg.

— Cela ne vous avancera à rien, déclara le botaniste. Vous êtes ici pour réfléchir en érudit. Si vous ne le faites pas, c’est que vous n’en êtes pas capable et si vous n’en êtes pas capable, connaître les règles n’y changera rien.

— Je m’incline, concéda Rigg. Un point pour vous.

— Nous ne sommes pas là pour compter les points, poursuivit le botaniste. Seule l’impression compte.

— Très bien, dans ce cas, j’arrête là mes questions et m’en remets aux vôtres.

— Par cette simple phrase, vous essayez à nouveau de vous justifier, quand le silence aurait été de mise. »

Rigg se tut.

La commission de savants prit place dans le plus confortable des salons, Rigg sur un tabouret, dans la pièce attenante. De là, il ne pouvait les voir mais entendrait leurs questions.

Rigg repéra deux espions dans les murs : un chez lui, un chez les juges.

Les premières questions restèrent gentillettes. À tel point même que Rigg s’efforça de tarabiscoter ses réponses, de peur de se faire piéger. Le botaniste finit par soupirer d’impatience. « Si vous continuez comme ça, j’ai peur que plusieurs d’entre nous – dont moi – ne trépassent avant la fin de l’exercice. Rassurez-vous, il n’y a aucun piège. Nous essayons juste de vous connaître. À question simple, réponse simple. Poursuivons.

— Bien reçu », lança Rigg.

Ce recadrage accéléra les choses. Quelques mots suffisaient bien souvent pour répondre. Il fut testé sur des questions générales d’histoire, de botanique, de zoologie, de grammaire, de physique, d’astronomie, de chimie, d’anatomie et d’ingénierie. Rien sur la musique ou les arts, ni qui touchât de près ou de loin à l’histoire de la glorieuse Révolution et aux événements postérieurs.

Les savants compliquèrent un peu ; Rigg commença à sécher. Seuls les zoologistes échouèrent à le coller, après toutes ses années à traquer, piéger, écorcher, disséquer, cuisiner et manger tout ce qu’il y avait de vivant dans les collines du Sud. Il leur répondait avec force détails, plus que nécessaire, trop content de pouvoir montrer qu’il savait.

Même dans les domaines où, en comparaison, il ne connaissait pour ainsi dire rien, il s’en sortit avec les honneurs. Père l’avait soumis à un questionnement perpétuel. Rigg répondit à ses examinateurs comme il l’avait fait avec Père, ni plus ni moins – quoique avec un peu moins de désinvolture, peut-être. Quand il ne savait pas, il le disait. S’il pensait avoir quelque élément de réponse, il indiquait partir d’une simple supposition puis développait.

Il se rendit rapidement compte que ses suppositions les intéressaient plus que son savoir véritable. Une fois rassurés sur sa maîtrise des vertébrés, ils laissèrent la zoologie de côté. En revanche, dès que Rigg pédalait un peu, ils y allaient de bon cœur. Ils le poussaient dans ses derniers retranchements, jusqu’à l’entendre concéder : « Je n’en sais pas assez sur la question pour formuler une réponse claire.

— Où penseriez-vous la trouver, dans ce cas ? l’interrogea l’un des physiciens. À quel endroit de la bibliothèque ?

— Je l’ignore, avoua Rigg.

— Si vous ignorez où chercher, quel intérêt à demander un accès à la Grande Bibliothèque ? » s’étonna son interrogateur.

Rigg laissa poindre dans sa réponse une note d’impatience. « Je viens d’en amont de la rivière. Je n’ai jamais mis les pieds dans une bibliothèque de ma vie. Voilà la raison de cette demande. Ainsi, je pourrais commencer à chercher au plus vite les réponses à des questions comme celles auxquelles vous me soumettez depuis tout à l’heure.

— Il y avait une bibliothèque à O, indiqua le botaniste. Pourquoi ne pas avoir décidé d’étudier là-bas ?

— Ce n’était pas dans mes plans, expliqua Rigg. Je poursuivais alors ceux de mon père – de celui que j’appelais Père du moins. Ce n’est qu’ici que je me suis rendu compte que, soit je m’étais mépris sur ses dernières volontés, soit elles m’avaient mené à l’impasse. Je me retrouve aujourd’hui seul maître de mon destin, et dans l’incapacité de prendre la moindre décision faute d’informations. Je pensais parachever l’éducation reçue de mon père qui, de toute évidence, était incomplète.

— On apprend toute sa vie, piaffa l’historien.

— Mais face à une décision cruciale, tout homme sage cherche à en savoir plus, philosopha Rigg.

— À quelle décision pensez-vous ? l’interrogea le botaniste.

— Je n’en sais pas suffisamment sur ce que j’ai besoin de savoir pour décider ce que j’ai besoin de décider », esquiva Rigg.

Il sentit l’une des savantes se lever puis arpenter la pièce. Sa voix était éraillée par les ans. « Certains pourraient penser que votre position ici, en tant que fils de la famille royale déchue… »

Plusieurs membres du jury se levèrent à leur tour. L’un d’eux fit un pas dans sa direction.

« Je ne parle pas de trahison. Je ne fais qu’exprimer ce que tout le monde sait dans cette pièce, alors assieds-toi et écoutons ce qu’il répond à cela ! »

Rigg ne reconnut pas la voix. Cette femme prenait la parole pour la première fois.

« Comme je le disais, certains n’ont que faire de vos décisions, quelles qu’elles soient. Toute votre vie, d’autres décideront pour vous et, notamment, si vous devez vivre ou mourir. »

La femme reprit sa place sur sa chaise. Des murmures de protestation s’élevèrent mais Rigg les devança. « Ma situation ne m’effraie pas. Je ne suis pas dupe, mon pouvoir de décision est aujourd’hui limité et pourrait disparaître du jour au lendemain. On a attenté à ma vie deux fois depuis mon arrestation – deux dont j’ai eu connaissance, du moins. Mon extrême vigilance m’a sauvé la vie, mais pour combien de temps encore ? L’un de vous va devoir écrire sur le sujet une fois la réponse connue. »

Quelques gloussements nerveux éclatèrent à côté.

« Cela dit, la possibilité que je vive quelques années supplémentaires n’est pas exclue. Comment les occuper ? En étudiant, voilà mon choix. Dans quel domaine puis-je espérer exceller, je l’ignore encore. La Grande Bibliothèque me le dira. Mais pourquoi ne pas m’imaginer contribuer un jour à la somme des connaissances humaines ? Et si j’échoue, au moins aurai-je rempli mes journées. Plus qu’en restant emmuré dans cette maison que semblent fuir les livres. »

Les murmures enflèrent en un brouhaha, puis quelqu’un tenta de prendre la parole. Rigg ne lui en laissa pas le temps. « S’il vous plaît ! Les éminents docteurs et philosophes que vous êtes disposent dorénavant de suffisamment d’éléments sur mon compte, je pense, pour faire leur choix. Laissez-moi vous poser une question.

— Ce n’est pas nous qui sommes évalués ici, intervint sèchement le botaniste. Et ce n’est pas à vous de décider quand…

— Bien sûr que si, vous êtes évalués, le contredit Rigg. À en juger par le soin mis par chacun et chacune d’entre vous dans la formulation de vos questions, ne me dites pas que vous n’avez pas essayé d’impressionner vos pairs par votre profondeur. Moi, vous m’avez impressionné, en tout cas. Maintenant dites-moi : qu’attendez-vous d’un enfant de mon âge ? À part mon potentiel, je n’ai encore rien prouvé. Si j’étais votre disciple, quel avenir me prédiriez-vous ? Mettriez-vous un livre entre mes mains ? Me jugeriez-vous digne de vos enseignements ? Mon père me pensait digne des siens. Il m’instruisait et me testait du matin au soir, en me soumettant des questions semblables aux vôtres ou des problèmes qui dépassaient mes connaissances, pour que j’aboutisse à mes propres conclusions. Il est mort sans que je sache si je lui avais donné satisfaction, si j’en savais ou non assez. Avait-il raison ? Si m’enseigner est une perte de temps, pourquoi tant d’heures à me questionner toujours plus avant ? Quel intérêt à mesurer avec la plus fine précision l’incapacité de mon cerveau à absorber des connaissances ?

— L’examen est terminé », conclut le botaniste.

Reconnaissant, Rigg se leva de son tabouret. Il avait le dos en compote, pire qu’après une nuit sur de la pierre glaciale. Ses dernières questions les avaient probablement offensés, mais à un moment donné, il fallait savoir dire stop. À quoi bon continuer cet examen quand tout le monde perdait son temps ?

À sa grande surprise, les membres de son jury ne se dirigèrent par vers le jardin mais vers la salle où il avait commencé à s’étirer. Certains, le port exagérément digne, d’autres d’un pas vif, bras ouverts. Aucun ne parlait. Chacun lui tendit la main tour à tour, et Rigg saisit chacune d’elles, la tenant un moment dans la sienne, plongeant son regard dans les leurs.

Chaque visage lui renvoyait le même message, auquel il n’osait vraiment croire. Tous ces hommes et femmes venus le rejoindre dans cette même pièce le regardaient avec chaleur. Avec affection.

Lors de cet échange de poignées de main, les savants et les savantes énoncèrent leur spécialité. Pas leur discipline générale, comme botaniste ou physicien, mais le sujet de recherche qui les avait rendus célèbres. « Mutation végétale par pollinisation inter-espèces. » « Libération contrôlée de vapeur au service de la propulsion mécanique. » « Redéveloppement des déclinaisons nominales à travers l’accrétion des particules dans la transition entre Moyen et Haut Umik. » « Les queues de comètes, témoins de la fusion glaciaire sous l’effet de la chaleur solaire. »

Une fois leur sujet décliné et leurs échanges de poignées de main terminés, chacun marqua un pas de recul pour laisser place au suivant. Ils finirent en deux colonnes, entre lesquelles s’avancèrent le botaniste et la femme à l’origine du débat qui avait animé la fin de l’examen. Son visage était dur et fermé – comme si le botaniste l’avait rabrouée. Encore maintenant, elle se tenait en retrait, laissant l’honneur des présentations au président de la commission.

Le botaniste prit les mains de Rigg et dit : « Altération d’espèce par injection directe de noyaux cellulaires d’un organisme aux caractéristiques ciblées. »

La vieille femme s’avança enfin. Elle lui prit les mains, comme les autres, mais resta muette.

« Allez-y », l’invita le botaniste.

Elle pencha délicatement la tête de côté et esquissa un sourire. « De la possibilité d’origines distinctes pour la faune et la flore de notre entremur. »

Rigg n’avait jamais entendu parler d’une chose pareille – ni par Père ni par qui que ce fût d’autre. « Distinctes ? lâcha-t-il instinctivement. Comment est-ce possible ? L’origine de la vie serait-elle double ? »

Elle lui lança un clin d’œil, malgré les signes de mécontentement manifestes de plusieurs membres de l’assemblée.

« Ce n’est pas son sujet de recherche principal, trancha le botaniste. C’est celui qu’elle réserve aux âmes suffisamment bonnes pour l’écouter. Elle n’a jamais rien publié là-dessus.

— Vous verrai-je à la bibliothèque ? » demanda Rigg à la femme.

Son visage s’illumina d’un nouveau sourire. « Demandez-moi plutôt : Nous y verrons-nous ? » Ils se séparèrent et elle sortit dans le jardin.

Flacommo avait dû faire le pied de grue dehors car Rigg l’entendit pester immédiatement contre elle : elle ne pouvait pas leur faire faux bond ainsi, sans même honorer le somptueux banquet dressé pour eux !

« C’était l’une des meilleures d’entre nous », souffla le botaniste.

Rigg se retourna ; l’homme la suivait du regard à travers l’embrasure de la porte.

« Quel est son nom ? lui demanda Rigg.

— Bleht. L’inventrice, pour ainsi dire, de la microbiologie. Celle à l’origine de sa renaissance, en tout cas. Mais elle s’est complètement discréditée à propos de deux mouvements d’évolution distincts qui se seraient rejoints il y a onze mille ans à peine – des foutaises mystiques. Si les vieux calendriers religieux et la science étaient liés, ça se saurait », soupira-t-il.

Rigg n’avait pas besoin d’un dessin. Il avait dépecé plus d’une « créature anormale », comme les appelait Père – ces bêtes aux anatomies uniques. Sans compter les « plantes anormales », absolument indigestes pour l’homme, et même toxiques.

En quelques mots, cette femme avait réussi à semer le doute dans son esprit : et si ces anomalies animales et végétales n’étaient pas le fruit du hasard, mais étaient corrélées ? Et si l’évolution n’avait pas suivi un mais deux chemins, tous deux cohérents sur toute la ligne ?

« Ses propos ne vous laissent pas indifférent, nota le botaniste.

— Il est jeune », ajouta une physicienne, la cadette du groupe à vue de nez. Rigg ne lui donnait pas trente ans. « À son âge, on prend tout au sérieux. »

Et comment. Son cerveau tournait à plein régime, passait en revue tout ce qu’il avait pu sortir des intestins des mare-becs et des pipours. Quels points avaient-ils en commun ? Quels charognards s’étaient rués sur leurs carcasses, une fois dépouillées ? Présentaient-ils des anomalies, eux aussi ? Il bouillait de pouvoir y retourner – Umbo dans son sillage –, pour suivre les créatures anormales à la trace et voir si elles se nourrissaient exclusivement de plantes et d’autres animaux anormaux.

Si une telle chose existait, Père lui en aurait parlé.

À moins d’avoir omis de le faire délibérément, en attendant qu’il s’en rende compte par lui-même.

Voilà qui était fait. Il s’était contenté de survoler le sujet, la prudence était donc de mise. Mais tous ses souvenirs confirmaient pour l’instant la théorie de la microbiologiste.

Tous les savants, Bleht mise à part, dînèrent ensemble, discutant à bâtons rompus avec Rigg. S’ils comptaient remettre une appréciation négative de leur examen, ils cachaient bien leur jeu.

Il n’en fut rien. Le lendemain matin, quatre hommes en uniforme de la Garde municipale emmenaient Rigg sous bonne escorte de chez Flacommo à la bibliothèque.

Si Rigg espérait en profiter pour admirer les charmes d’Aressa Sessamo, ce fut raté : il entendit à peine les rumeurs de la ville, au loin. La maison de Flacommo était flanquée sur trois côtés d’immenses bâtisses au tracé similaire, avec leurs hauts murs d’enceinte aveugles encerclant un jardin central. Dans les rues ne se croisaient que des gens du quartier – domestiques en courses, riches résidents à pied ou à cheval, quelques mères avec leurs enfants.

Sur son quatrième et dernier côté, sa maison s’ouvrait directement sur les jardins de la bibliothèque. Seule une avenue bordée d’arbres les séparait.

Rigg savait déjà, pour avoir étudié les traces alentour, que de vastes espaces séparaient les imposants bâtiments de la bibliothèque, chacun dégageant plus de monumentalité que le voisin, dans un style architectural typique de sa période de construction. Ils avaient été bâtis sur des talus artificiels – tout était plat dans le delta – tout comme plusieurs maisons de maîtres installées en contrebas. Entre elles, de l’autre côté de l’avenue, se tenaient les minuscules appartements mis à disposition des savants de passage. Les bibliothécaires occupaient d’étroites mansardes aux planchers presque posés sur les piles de livres de l’étage inférieur.

Rigg comptait sur Miche et Umbo pour se mettre en route vers Aressa Sessamo dès qu’Umbo aurait appris à délivrer ses messages dans le passé. Il avait secrètement espéré faire de la bibliothèque leur point de rencontre, mais il faudrait trouver autre chose : ils ne feraient pas cinquante mètres dans le quartier en faux chercheurs, on se méfiait trop des intrus. Ils allaient devoir ruser.

Le premier matin, Rigg fut escorté à la Bibliothèque de la Vie. À sa grande déception, ce ne fut pas Bleht mais une jeune assistante bibliothécaire qu’on chargea de la visite, les gardes à distance de pique. Âgée de vingt ans à peine, la jeune femme fit toute une histoire d’avoir à trimballer cet enfant dans les travées, manifestement scandalisée de se retrouver victime d’une telle corvée. Elle prit soin de signaler au passage son étonnement de voir le Conseil révolutionnaire accorder de tels privilèges à un membre de la famille royale.

Rigg laissa couler. Il se garda bien d’engager la conversation – avec elle comme avec les gardes d’ailleurs, l’expérience vécue avec Aboyeur lui ayant servi de leçon. Mais si une question lui venait spontanément, il n’hésitait pas à la poser à la guide, qui devenait soudain intarissable sur cet endroit qu’elle aimait tant. Ses élans d’enthousiasme étaient brefs, mais la glace finit par se briser petit à petit au fil de la visite.

De l’extérieur, le bâtiment ressemblait à un simple rectangle. Dedans, c’était un vrai labyrinthe – sans son don, Rigg n’aurait pu s’y retrouver – parcouru de longues travées chargées de livres mais aussi de casiers où s’entassaient pêle-mêle des parchemins d’un autre âge, ainsi que des catalogues d’écrits conservés sur différents supports : fines plaques métalliques, tablettes d’argile cuite, écorces d’arbres, dépouilles animales.

« Leur science ne date-t-elle pas un peu pour nous apprendre quoi que ce soit de nouveau ? s’étonna Rigg.

— Cette bibliothèque ne conserve pas que des ouvrages de biologie contemporaine, s’offusqua froidement la bibliothécaire. Toute l’histoire des sciences de la vie est conservée ici. Sans ce passé, nous ne pourrions expliquer notre présent.

— Savez-vous si des civilisations nous étaient supérieures autrefois dans certains domaines de la biologie ?

— Je ne suis pas historienne en biologie, rétorqua-t-elle. Mon domaine, c’est la gestion des registres dans les laboratoires. Comme c’est très calme aujourd’hui, les chercheurs m’ont demandé de venir perdre ma matinée avec vous ici.

— Vous contribuez tout de même, à votre façon, aux progrès de la science », tenta de l’amadouer Rigg.

Elle ne répondit rien – mais se décrispa un peu. Quand la cloche sonna midi et la fin de la visite, elle partit tout de même sans prendre la peine de le saluer.

Sur le chemin du retour, les gardes durent s’avouer perdus et s’en remirent à Rigg pour retrouver le chemin de la sortie. Cinq minutes plus tard, ils étaient chez Flacommo, déjeunaient, puis repartaient dans l’autre sens, direction la Bibliothèque des Vies Passées. Son guide était cette fois un jeune chercheur mobilisé pour l’occasion. D’humeur joviale, il n’aurait pas été contre l’idée de passer l’après-midi à harceler Rigg de questions sur l’Impératrice Hagia Sessamin et sa fille Param, mais les regards noirs de leurs bouledogues de service l’en dissuadèrent.

En fin de journée, alors que la bibliothèque s’apprêtait à fermer ses portes, Rigg demanda à voir le responsable.

« Le responsable ? s’enquit le jeune savant, pris de court. Chaque bibliothèque est régie par un doyen ou un recteur ou encore un supérieur – tous ont des titres différents –, mais aucun ne supervise l’ensemble.

— En fait, je cherche à rencontrer mon responsable.

— Le vôtre ? s’écria le chercheur. Mais ces hommes…

— Quelqu’un a organisé ces visites. Vous avez été choisi par quelqu’un. Qui est derrière ces décisions ?

— Oh, je vois. Bonne question…

— Profitons-en, nous sommes dans une bibliothèque, lança Rigg. Il suffit de demander.

— Un instant. »

Les gardes poussèrent un soupir et s’assirent, insistant pour que Rigg fasse de même. Quinze longues minutes s’écoulèrent avant que le chercheur ne revienne accompagné d’une femme d’âge mûr. Elle posa sur Rigg un regard sévère. « Que me voulez-vous ? l’apostropha-t-elle.

— Arrêtez de faire perdre leur temps à de jeunes chercheurs et bibliothécaires, répondit Rigg. Les spécificités de chaque bibliothèque pourraient m’être expliquées en quinze minutes, mais c’est déjà trop. J’aimerais si possible pouvoir me plonger dans mes recherches sans attendre.

— J’ai reçu pour consigne d’organiser cette visite, continua la femme d’un ton sec.

— Et elle m’a ravi, repartit Rigg, toujours aussi courtois. Mais le temps presse. Je dois absolument rencontrer la personne chargée de garder les travaux de mon père.

— Et votre père est… ? »

Rigg tomba des nues.

« Knosso Sissamik », intervint le jeune guide après une seconde d’hésitation. Sa voix dénotait un certain mépris, bien malgré lui. Qu’on puisse encore ignorer le nom du père de Rigg Sessamekesh le dépassait. « Un chercheur réputé, mort au Mur.

— Certains conservent les travaux d’anciens membres de la famille royale, pas moi, grinça la vieille dame. Et si Knosso machin truc était physicien, ses travaux relevaient de la Bibliothèque du Rien.

— Du Rien ? »

La réponse de la vieille femme semblait déjà bien rodée. « Les physiciens ont décrété, il y a des lustres, que tout l’espace ou presque était vide, que tous les atomes ou presque l’étaient aussi et que, par conséquent, la caractéristique principale de l’univers était le néant absolu, à l’exception d’infimes interruptions qui expliqueraient à elles seules l’existence de toutes choses. Leur bibliothèque porte donc le nom de ce Rien qui leur est si cher. Ils la partagent avec les mathématiciens qui, eux, ne sont pas peu fiers de déclarer leur sujet d’étude encore plus abstrait que celui des physiciens. L’espace qui leur est réservé a donc logiquement été baptisé Bibliothèque du Moins que Rien. »

Rigg aimait déjà ces physiciens. Quant aux mathématiciens, ils avaient l’air sacrément joueurs. Il n’allait pas s’ennuyer.

On l’emmena dès le lendemain à la Bibliothèque du Rien, où la liste – longue comme le bras – des ouvrages consultés par Knosso Sissamik au cours des deux dernières années de sa vie lui fut remise. Rigg en emprunta quelques-uns, mais buta rapidement sur leur jargon technique et d’obscures équations mathématiques. Il décida donc de se lancer dans une remise à niveau de son cru, dans l’espoir d’y voir un peu plus clair dans ce à quoi Knosso avait jugé bon d’occuper ses journées.

Après quelques semaines d’un tel régime, Rigg pouvait au moins déchiffrer les termes utilisés, à défaut de comprendre de quoi les livres parlaient. Encore quelques efforts et il commencerait à percer le mystère des théories de son père.

Bien souvent, assis à sa table, quelques livres ouverts devant lui, il profitait de l’assoupissement des gardes pour explorer les traces autour en fermant les yeux. L’une d’elles, il le savait, appartenait forcément à Père Knosso. S’il n’avait jamais vécu chez Flacommo – sa veuve et sa fille y ayant emménagé après sa mort –, il était en revanche venu ici. Il lui suffisait de retrouver les livres empruntés ; une seule trace les reliait tous, et c’était celle qu’il recherchait.

Il finit par la retrouver en en filant une plus suspecte que les autres toujours plus loin dans le temps, jusqu’à la voir sortir d’une maison : celle que Père partageait alors avec Mère. Leurs deux traces se croisaient, se décroisaient, se recroisaient… aucun doute n’était permis.

Il regretta sur le coup l’absence d’Umbo, le seul capable de faire apparaître son père. Les peintres avaient reçu l’interdiction formelle de faire le portrait de la famille royale – Rigg n’avait pas la moindre idée de ce à quoi il ressemblait. Heureusement, sa trace était reconnaissable entre toutes. Il finirait bien par retomber dessus.

Ses découvertes ne s’arrêtèrent pas là. Si Père Knosso avait effectivement étudié tous les livres de la liste, il s’était aussi aventuré dans deux autres bibliothèques : la Bibliothèque des Vies Passées et la Bibliothèque des Mots Perdus. Rigg prétexta un quelconque besoin de s’y rendre pour remonter sa trace. D’après les bibliothécaires, aucun livre n’avait changé de place. Seulement, son père n’en avait emprunté aucun, et aucun registre des livres uniquement consultés n’était tenu.

Ses efforts furent tout de même récompensés. De la Bibliothèque des Mots Perdus, il rapporta la liste des langues que Père Knosso jugeait dignes d’intérêt ; de celle des Vies Passées, les périodes et sujets de l’Histoire sur lesquels il avait planché. Les choses prenaient forme.

Ses recherches avaient impliqué la physique, d’accord, mais il s’était aussi intéressé aux observations du Mur faites par diverses cultures et dans divers langages, et sur une période étendue, plus de huit mille ans. Pensait-il que, dans les temps anciens, une civilisation avait percé le mystère de sa traversée ? Des histoires de saints et de héros sortis d’Outremur, ou repartis là-bas les pieds devant, circulaient. Mais il y était aussi question de voyage dans les étoiles, de tremblements de terre et d’éruptions volcaniques qu’ils auraient provoqués, de machines qu’ils auraient fabriquées avant qu’elles ne prennent vie.

Rigg les laissait aux illuminés. Et même si Père y avait accordé quelque crédit, lui en était incapable – surtout après avoir participé à créer le mythe du saint Voyageur.

Quoi d’autre, dans ce cas ? Père Knosso pensait-il possible une époque antérieure au Mur ? Il aurait bien été le seul – tout le monde savait que le Mur avait toujours été là. Maintenant, vrai ou faux, cela restait à démontrer.

Pourquoi un tel soin de ne laisser derrière lui aucune trace de ses recherches sur le passé ? Tout cela dépassait la simple physique ; Père Knosso ne se serait pas montré si prudent s’il n’y avait pas eu un peu de politique là-dessous.

Mais sans savoir précisément quels livres il avait étudiés, impossible de le découvrir…

La bibliothèque occupait désormais ses journées mais ni ses soirées, ni ses nuits, ni ses débuts de matinée, que Rigg passait chez Flacommo. Il dormait chaque jour à un endroit différent, souvent simplement recroquevillé dans le jardin, en souvenir des nuits à la belle étoile passées contre Père. Il continua à aider en cuisine et à se lier d’amitié avec les boulangers de jour et de nuit, avec le fils de Lolonga notamment, Long, pour qui Rigg n’était ni plus ni moins qu’un des leurs, pas un gamin de la haute. Bizarrement, dès que le bruit de leur camaraderie commença à courir, Long fut cordialement invité à rendre des comptes, un jour dans une taverne, un autre dans le secret d’un parc, un troisième dans une échoppe.

Dès que Rigg en eut vent, il dit à Long : « Tu n’as qu’à leur dire tout ce que je dis, tout ce que je fais. Ce n’est un secret pour personne. » Long en fut soulagé.

Rigg aurait dit vrai s’il n’avait délibérément omis de préciser « avec toi ». Car, seul, il restait actif – et préférait garder ses activités secrètes.

La principale d’entre elles consistait à tenter de communiquer avec Param. D’une part, pour respecter la dernière volonté de Père, d’autre part, parce qu’il mourait d’envie de mieux la connaître et de gagner sa confiance. Les messages transmis par le truchement de Mère ne servaient à rien – il le savait bien, ils restaient lettre morte ; mais surtout, Rigg désirait discuter de choses avec elle que Mère n’avait nul besoin de savoir.

Il prit l’habitude de garder à portée de main une ardoise, comme un écolier. « Pour travailler les équations mathématiques que je rencontre dans mes livres de physique », expliqua-t-il à Flacommo pour justifier sa demande. Elle lui servait d’ailleurs à ça… quand Param n’était pas dans les parages, du moins.

Dès qu’il la voyait s’approcher, il nettoyait vite un angle et y griffonnait un message, en gros caractères d’imprimerie. Il tenait ensuite l’ardoise sans bouger, et elle lisait. Il le voyait aux rondes qu’elle faisait autour de lui pendant qu’il écrivait, même si elle ne pouvait lui répondre, ni par écrit ni autrement.

Il lui raconta sa vie par petits bouts – Père, sa mort, leur vie de trappeurs. Comment il avait appris la vérité aussi, la vérité sur l’existence de sa sœur, révélée par Père dans son dernier soupir avant qu’il ne lui dise de partir la retrouver.

Il lui parla un peu d’Umbo aussi, moins de Miche. Mais suffisamment pour lui faire comprendre qu’il ne s’était pas lancé seul dans l’aventure. Il tut le reste – les pierres précieuses, la dague volée dans le passé, le pouvoir d’Umbo –, se limitant finalement à ce que Général Citoyen savait.

Il mentionna les passages secrets aussi, ceux utilisés par les espions et les autres, abandonnés depuis des siècles. « Je ne sais pas s’ils ont été oubliés ou condamnés », écrivit-il avant d’effacer puis d’ajouter : « Mais je ne sais pas comment y accéder. » Un dernier ajout : « Quand je disparais trop longtemps, on part à ma recherche. »

Un matin, il chercha l’ardoise là où il l’avait cachée la veille avant de s’allonger pour la nuit dans le jardin. Quelqu’un l’avait déplacée. Un petit mot était gribouillé dessus en pattes de mouche à peine lisibles – les craies n’étaient pas faites pour écrire si petit.

« Frère, j’ai peur. Mère complote. On va chercher à nous tuer. »

Rigg, les deux mains cramponnées à l’ardoise, relut le message, puis l’effaça soigneusement mot à mot. Param avait dû attendre que tout le monde dorme pour venir à lui et sortir de son invisibilité le temps de laisser son message.

Mère complote ? Son innocence n’était donc que de façade. Mais complote avec qui ? Qui peut l’approcher sans être vu ?

Mais surtout, Param avait peur. On va chercher à nous tuer, tels étaient ses mots. Que devait-il y comprendre, que le Conseil les ferait exécuter si le complot ourdi par Mère échouait ? Que ce complot incluait un plan pour les faire assassiner ? Que Mère décidât de le sacrifier, il l’entendait. Mais Param ? Pourquoi vouloir sa mort ? Le danger devait venir d’ailleurs. Ou alors, Mère projetait de s’évader de chez Flacommo pour renverser le Conseil et laissait Param et Rigg en pâture, comme cadeau d’adieu.

Il était plus que temps de s’entretenir avec Param. Il retrouva sa trace de la veille. Visiblement, elle ne s’était pas attardée – à l’aube, elle était déjà de retour dans la chambre de Mère.

Il l’aperçut le soir même, à peine un pied posé dans le jardin. « Il faut qu’on parle, écrivit-il sur son ardoise. Je sais comment sortir de la maison… par les passages secrets… l’un d’eux mène à la bibliothèque… on y sera plus tranquilles… il faudra faire vite… sinon on va remarquer notre absence. »

Il effaça « notre » et remplaça par « mon ». Personne ne remarquerait l’absence de sa sœur.

Cette nuit-là, il lutta contre le sommeil en espérant qu’elle viendrait mais finit par sombrer. Il fut réveillé d’une secousse sur l’épaule. Alors qu’il émergeait, un doigt se posa avec douceur sur ses lèvres. Il distingua une silhouette féminine, mais aucun visage.

Il se leva sans bruit et la suivit. Elle se déplaçait mécaniquement, fidèle à son habitude, rasant les murs des couloirs, prenant au plus court à chaque virage. On la sentait chez elle dans la nuit – et pourquoi en aurait-il été autrement ? Ils ne croisèrent personne.

Ils finirent par rejoindre un corridor rarement utilisé, qui menait à une chambre pour invités de passage. Elle s’arrêta, Rigg s’approcha. « Param ? » souffla-t-il.

En réponse, elle le prit dans ses bras et lui chuchota à l’oreille : « Ô mon frère, il m’avait dit que tu viendrais. »

Père était donc venu ici aussi, comme chez Umbo et Nox, pour l’aider à maîtriser son pouvoir. Car qui d’autre aurait pu lui promettre quoi que ce fût sur Rigg ? Lui seul connaissait son existence. Et pourtant, de mémoire, Père n’avait jamais quitté Gué-de-la-Chute assez longtemps pour partir vers Aressa Sessamo et en revenir. En même temps, avec Père, rien n’était impossible. Et dans un monde où Umbo, Param, Nox et Rigg avaient tous des pouvoirs plus bizarres les uns que les autres, qui savait de quoi Père était capable ?

« Il y a une entrée vers les passages abandonnés tout près d’ici », la pressa-t-il à voix basse.

Elle lui tendit la main, il l’y conduisit. De vieilles traces menaient tout droit vers le passage, mais à travers un mur plein. Rigg le parcourut de la main. Il n’y avait aucun signe d’ouverture.

Elle le tira doucement par l’épaule. « Il y a vraiment une porte ici ? murmura-t-elle.

— Il y avait une porte. Elle n’a pas été utilisée depuis deux cents ans.

— C’est que le mur n’est ni en pierre, ni en ciment, ni en brique alors, déduisit-elle.

— C’est juste une cloison. Ils l’ont montée pour sceller le passage. Ça doit être plâtré, sur du bois peut-être. Impossible d’être sûr. Ce n’est pas très important de toute façon, un bon coup de pied la fera voler en éclats. En revanche, on ne pourra pas refermer derrière nous. »

Pour toute réponse, elle lui posa la main sur le torse et le fit délicatement reculer jusqu’au mur de derrière : Attends-moi là. Sa silhouette s’estompa puis il la vit traverser, sa trace se mêlant à celles des anciens visiteurs du passage.

Alors qu’il commençait à s’impatienter, curieux de savoir ce que sa sœur trafiquait derrière, un bruit étouffé se fit entendre, suivi d’un tintement sonore – celui d’un ressort métallique relâché après des années de compression. À sa grande surprise, aucune porte ne s’ouvrit. La cloison entière coulissa vers le haut, révélant Param derrière.

Rigg la rejoignit. Param abaissa un levier et la cloison redescendit sans un bruit. Rigg aurait pu chercher longtemps. Une limite de plus à son don ; les traces lui indiquaient par où les autres étaient passés, pas comment.

Il fut surpris de trouver un couloir non pas plongé dans le noir, mais illuminé d’une faible lueur argentée. Il s’avança vers ce qui semblait être sa source – un puits de lumière par lequel seraient entrés les rayons du Grand Anneau, peut-être ?

La lumière était en fait réfléchie par des miroirs placés à chaque coude du tunnel – mais sur combien, il n’aurait su le dire. Il avait vu juste au moins sur un point : c’était bien le Grand Anneau qui baignait cet endroit de sa lumière. Les nuits nuageuses, une bougie – ou un bon guide – ne devait pas être de trop.

« Ça ne t’a pas fait mal de traverser ? s’inquiéta-t-il.

— Un peu, si », avoua-t-elle. Elle tendit la main. En la touchant, il frémit. Elle était brûlante, comme celle d’un enfant fiévreux. Il toucha son front, ses joues. Brûlants eux aussi.

« Tu ne peux pas faire ça à chaque fois, déclara-t-il.

— Il faudra bien. On ne sait pas comment l’ouvrir de l’extérieur. J’ai connu pire. Les murs de pierre ou de brique par exemple, ils me brûlent vraiment, mes habits prennent feu. Je ne m’en approche jamais. »

Il la prit dans ses bras. « J’ai été tellement heureux d’apprendre que j’avais une sœur. Tu n’as pas idée.

— Moi aussi, confia-t-elle. Il m’a dit de ne jamais révéler à Mère ton existence. Et aussi, que tu viendrais me libérer.

— Il avait raison. En suivant ces passages, on arrivera dehors.

— Comment ? Par en dessous ? demanda-t-elle.

— Le terrain sur lequel ces maisons ont été construites a été surélevé. Il s’est tassé depuis. Ce qui signifie que certains passages sont peut-être inondés – dans ce delta, l’eau court partout sous la surface. Si c’est le cas, il faudra tenir en apnée jusqu’à la sortie. Je connais un passage qui mène à la Bibliothèque du Rien. Mais il est assez long.

— Comment tu sais ça ? Tu l’as déjà emprunté ?

— Non, répondit Rigg. Mais j’ai suivi les traces de ceux qui l’ont fait. C’est mon don à moi – voir les traces que laissent les gens, même s’ils se cachent derrière un mur ou sous terre.

— Il est plus utile que le mien, souligna-t-elle.

— Ce n’est pas le mien qui nous a fait entrer ici. Et il ne me permet pas de disparaître en plein jour.

— Oui, mais il ne te brûle pas quand tu traverses quelque chose.

— À ce propos… je m’excuse de t’avoir traversée la dernière fois.

— Pas grave, l’excusa-t-elle. On marchait, on n’a fait que se croiser. Les murs sont stationnaires, c’est différent. Le contact dure. »

Il serra ses mains dans les siennes. « Comment l’appelais-tu ? Père ?

— Marcheur, révéla-t-elle.

— Il est venu ici, dans cette maison ?

— Oui, confirma-t-elle. J’ai raconté à Mère qu’un des savants m’avait appris par hasard à maîtriser mon don. En fait, c’était lui. Il s’était fait passer pour un jardinier. Le jardin porte encore sa marque d’ailleurs. Mais tu as dû voir sa trace, non ?

— Père – Marcheur – n’en laissait pas.

— Comment cela ?

— Peut-être qu’il l’effaçait… s’il en avait une. Je ne l’explique pas. C’est un saint, je crois. Un héros. Il a des pouvoirs uniques.

— Mais quand j’étais invisible, il ne pouvait pas me voir. Toi si.

— Non. Je vois juste où tu étais, par où tu es passée. Je ne te vois pas à strictement parler. Je te sens. Même dans mon dos ou les yeux fermés.

— Il a dit que tu étais le meilleur d’entre nous.

— Nous ?

— Ses élèves.

— Il t’a parlé des autres ?

— Il a dit que le monde s’était mis en quatre pour nous créer. Que nos pouvoirs étaient le cœur même de cet entremur. Tout repose sur nous.

— Tout quoi ? s’étonna Rigg. La restauration de la monarchie ? Pas très important, je trouve.

— Mais moi non plus, admit-elle. Et lui non plus.

— Il t’a dit plein de choses, bougonna Rigg. À moi, presque rien.

— Tu es jaloux ?

— Oui, marmonna-t-il. Et énervé qu’il ne m’ait pas fait confiance.

— Il te faisait confiance plus qu’à personne d’autre. D’après lui, tu étais le seul vraiment prêt. Tu étais son meilleur élève.

— Je ne sais rien faire seul. Sans Umbo, mes traces ne me servent à rien, c’est lui qui m’ouvre les portes du passé comme toi tu m’as ouvert ce passage. Tout seul, je ne sers à rien.

— C’est toi qui nous as menés ici. »

Ils perdaient leur temps, elle ne parviendrait pas à le réconcilier avec son don. « Nous devons faire vite. Ils vont bientôt se mettre à notre recherche.

— Il n’y a rien de moins sûr, contesta-t-elle. Tout le monde dort.

— Tu serais surprise de voir comme on nous surveille, ajouta-t-il.

— Et toi, tu sembles oublier que j’ai arpenté ces pièces et ces corridors pendant des années, lui rappela-t-elle.

— À tourner en rond.

— C’est-à-dire ?

— Dès que tu t’arrêtes, tu réapparais. Pour rester invisible dans une pièce, tu tournes en rond. Un vrai tourbillon.

— Un vrai cauchemar, surtout, gémit-elle. Je n’en peux plus de tourner. Ça me rend malade.

— Alors pourquoi ne pas réapparaître ?

— Pour rester en vie.

— Je pensais… ils ont juste parlé d’un homme qui… t’avait enlevé tes habits.

— Ces exactions, ce n’était rien. Presque le quotidien. Mais cet homme, il avait un couteau. J’ai tout juste eu le temps de foncer sur lui – “foncer”, c’est comme ça que je dis – et de le traverser. Il n’a rien compris. À l’époque, je ne savais même pas que j’en étais capable. Eux non plus, d’ailleurs, mais maintenant si. Mère m’a raconté pour les espions. Ils savent tout.

— Ils ne savent que ce qu’ils voient et entendent, nuança Rigg.

— Moi je n’entends rien quand je fonce, poursuivit-elle. Ton idée, l’ardoise, c’était bien vu. Mère n’y a jamais pensé.

— Il faut y aller, maintenant. Mais avant, sais-tu si on peut actionner le mécanisme de l’extérieur ? Il faudrait pouvoir ouvrir du dehors. »

Ils inspectèrent les murs en vain. À part le levier enfoncé dans le mur, rien ne dépassait.

« Je peux inspecter l’intérieur du mur, si tu veux, proposa-t-elle, mais je ne vais pas voir ni sentir grand-chose. À part le brûlé, peut-être.

— Non, non, je te l’interdis. Mais… quel crétin ! Il me suffit de remonter à la construction de ce passage, et je retrouverai les traces de ceux qui ont mis en place le mécanisme ! En les suivant, je saurai comment il fonctionne.

— Les traces ne s’effacent pas, avec le temps ?

— Pas exactement, expliqua Rigg. Elles perdent de leur éclat en quelque sorte, deviennent plus distantes, sans que ce soit de la distance à proprement parler… Une fois quelque part, elles y restent. Bon, laisse-moi me concentrer, maintenant. »

Il lui fallut cinq minutes pour remonter à la bonne époque. Un autre bâtiment se tenait là. Cette aile de la maison de Flacommo, nota Rigg tout en luttant pour repérer les traces, avait d’ailleurs été simplement accolée à l’ancienne bâtisse, pour que ses habitants puissent agir dans le plus grand secret.

Rigg tomba enfin sur ce qu’il cherchait. « Le mécanisme déclencheur se trouve dans le plafond du couloir, annonça-t-il. Trop haut pour nous, même en sautant. Il faudrait un balai, une épée ou… quelque chose avec un manche… il y a deux boutons, un à chaque angle de la cloison. Il faut peut-être les enfoncer en même temps. À moins qu’un ne serve à ouvrir et l’autre à fermer.

— Retournons vérifier de l’autre côté », suggéra Param.

Rigg agrippa le levier.

« Attends, cria-t-elle. Et s’il y avait quelqu’un derrière ?

— Je le sentirais, la rassura Rigg. Il n’y a personne.

— On ne pourra plus se parler, une fois dehors.

— Mais on pourra demain. Et les jours suivants.

— Rigg, dit-elle en le prenant dans ses bras, chaque jour à t’attendre m’a rajeunie, tu sais.

— Rajeunie ?

— Lorsque je fonce, mon temps s’arrête. Plus j’accélère et plus le temps accélère au-dehors. Les journées du monde extérieur ne représentent que quelques minutes pour moi.

— Comment sais-tu combien de temps s’est écoulé pour toi ? l’interrogea Rigg. Comment mesures-tu la durée lorsque tu fonces ?

— Disons que j’ai ma propre méthode de calcul. Je connais le nombre de jours écoulés à l’extérieur et dans mon monde, je compte en mois. Tu comprends ? Depuis le début de ma retraite, deux mois se sont écoulés, mais les autres ont vécu plus d’un an. J’ai seize ans pour eux, mais mon corps en a vécu quinze à peine. À ce rythme-là, je vais vivre éternellement – si on peut appeler ça vivre. »

Elle pleurait. Pas comme une enfant, le visage tordu et pleurnichant, mais comme une vraie femme, les épaules soulevées en silence. « Param, nous allons te sortir d’ici, la consola Rigg en la serrant contre lui.

— Quitter cette maison ne suffira pas. Ils vont nous pourchasser dans la ville, dans la bibliothèque, partout où nous irons.

— Umbo et Miche seront là, poursuivit Rigg. Il faut y croire. Tu retrouveras ta vie d’avant. Et moi la mienne.

— C’est moi, la grande sœur, dit-elle. C’est moi qui suis censée te dire tout ça.

— Je sais, dit Rigg. Tu me berceras avec tes comptines une fois qu’on sera sortis d’affaire. Maintenant, allons-y. Après, il sera trop tard pour comprendre comment fonctionne ce truc de l’extérieur. »

Ils ne prirent pas la peine de chercher un balai – la courte échelle suffisait. Mains jointes, Rigg fit grimper Param sur ses épaules. En appui contre le mur, elle pressa le premier bouton. Le mauvais, naturellement ; rien ne se passa. Alors que Rigg commençait à désespérer, Param tendit le bras vers le second et appuya de toutes ses forces – si fort qu’elle en broya les épaules de son pauvre frère. La cloison redescendit en silence. Rien ne permettait de la distinguer des autres murs.

De retour au sol, elle embrassa son frère sur la joue et disparut.

Malgré tout ce temps passé ensemble, Rigg avait à peine aperçu son visage. Entre la lumière argentée du passage secret et la lueur vacillante des bougies dans le couloir, il n’était même pas sûr de pouvoir la reconnaître en plein jour.

Au moins, elle existait et il l’avait retrouvée, il avait accompli sa mission. Surtout, elle l’attendait. Père lui avait promis que Rigg la libérerait.

Père me faisait confiance.

Elle me fait confiance maintenant.

À toi de ne pas les décevoir.

Загрузка...