Les dix-neuf vaisseaux tournaient maintenant en orbite distante autour du Jardin. C’était une planète magnifique, voisine de la Terre par ses bleus, ses blancs et ses bruns, encerclée d’un vif anneau lumineux. Sa surface foisonnait d’une vie telle que le vert de la chlorophylle n’était pas que visible ; il inondait de vastes espaces de continents.
Le plan initial – que Ram découvrait seulement en détail – était d’envoyer en mission d’exploration une grosse dizaine de scientifiques appuyés par quatre ou cinq tireurs d’élite, pour tenir à distance d’éventuels prédateurs. Ram attendrait à bord.
La surface, osèrent suggérer les sacrifiables, resterait le terrain de jeux exclusif des explorateurs, qui échantillonneraient et consigneraient hardiment des années durant. Le programme de Ram était beaucoup plus limité : stase de deux siècles, le temps nécessaire à l’éradication des espèces indigènes et à l’implantation du biote terrestre, puis réveil.
Ram plaida immédiatement la cause des hommes. « Des yeux humains doivent se poser sur ce nouveau monde. Des pieds humains doivent le fouler, pour qu’un humain puisse parler du Jardin à ses semblables. Je demande à ce que mes mots soient consignés avec les premiers échantillons. Ensuite, je retournerai au vaisseau et plongerai dans ma stase en attendant que le Jardin connaisse un avenir tout autre que celui qui lui était destiné.
— Votre recours à des arguments délibérément fallacieux me semble logique. Ils reflètent votre sentimentalité et non une quelconque perte de lucidité, analysa le sacrifiable.
— Oui, approuva Ram. Les planètes n’ont aucune intention, si vous voulez mon avis.
— Nous savons l’impossibilité pour les humains de dissocier évolution et intention. Votre penchant naturel à interpréter les résultats en termes d’intentions est inscrit dans votre ADN. C’est même ce qui vous place juste au-dessus de l’animal sur l’échelle du traitement des causalités.
— Mais en dessous du sacrifiable, supputa Ram.
— Nous ne traitons pas les causalités per se, indiqua le sacrifiable. Nous traitons des associations d’événements selon une chronologie linéaire, et les considérons sous l’angle des probabilités. »
Ram étudia les zones de dépose prévues ; il en désigna une. Il en choisit six autres pour la collecte des échantillons. Tous les vaisseaux détachèrent un sacrifiable. Dix-neuf explorateurs, plus Ram. De tous, c’était lui le moins efficace, le moins capable, le plus brouillon – et même au milieu de scientifiques humains, il n’aurait pas fait meilleure figure.
Il apporterait à l’expédition son inexpérience, son ignorance et sa naïveté. Il ne chercherait pas à catégoriser immédiatement ses découvertes, à créer une nouvelle taxonomie du Jardin ni à tirer de conclusions sur son histoire géologique en fonction de ce qu’il savait de celles de la Terre.
Il se contenterait de découvrir le Jardin avec un regard d’ingénu : celui du premier être sensible à en fouler le sol.
Il pilota la navette d’exploration comme s’il avait fait ça toute sa vie – l’air ressemblait à de l’air, le climat à un climat terrestre, et les systèmes de pilotage assisté compensèrent les écarts de pression atmosphérique entre le Jardin et la Terre. Ils se posèrent comme une fleur.
À la sortie de la navette, aucune pensée profonde qui marquerait à jamais la première et dernière visite de l’homme sur ce nouveau monde dans son état virginal ne lui vint spontanément à l’esprit. Il portait un appareil respiratoire et une combinaison sous vide le protégeant de toute incursion d’un corps étranger, mais si transparent pour l’un et léger pour l’autre que l’osmose était presque parfaite avec le milieu ambiant. L’herbe ployait, vigoureuse, sous ses pieds. Il ne pouvait rien sentir et l’air frais sur son visage était soufflé par son respirateur, mais des sons filtraient ; le bourdonnement sourd et strident des insectes, le bruissement des feuilles caressées par la brise. Il voyait l’herbe ondoyer, les arbres projeter leur ombre, et les montagnes se dresser à l’horizon.
Il regretta d’en savoir si peu sur sa propre planète – son éducation, sa formation, son entraînement ne lui avaient donné qu’un maigre aperçu des habitats terrestres. Dans son ignorance, il ne savait s’il devait s’émerveiller devant le foisonnement d’insectes rebondissant à l’infini dans les herbes hautes, ou devant ces reptiles de toutes tailles qui en jaillissaient, tous membres palmés dehors, comme des parachutes, avant de replonger, un insecte au bout de la langue, dans les mâchoires ou dans leurs griffes.
Les sacrifiables confirmèrent que le vert des herbes et des feuilles émettait une fréquence différente de celui des végétaux terrestres. Ram constata pour sa part que l’herbe ressemblait à de l’herbe et les feuilles à des feuilles, comme sur Terre. La fonction détermine la forme, songea-t-il. L’implantation d’une vie terrestre ne bouleverserait peut-être pas tant que ça la destinée de cette planète, finalement.
Un insecte vint se coller à sa combinaison. Un second. Un troisième. En quelques secondes il se retrouva dans le noir complet, à l’exception de quelques rares rayons qui parvenaient à se frayer un passage à travers la masse de pattes et d’ailes collée à son masque. Ils étaient si nombreux qu’il sentait jusqu’à leur poids sur lui.
Il ne bougea plus.
Si ces insectes étaient des parasites – et à leur comportement, c’était à parier –, ses cinq litres de sang ne suffiraient pas. La faune locale avait dû développer des défenses naturelles pour se protéger de telles nuées, mais lui, il était à leur merci. Et même si son sang était inexploitable par leur organisme, une fois pompé, il y resterait.
Ce qui soulevait un problème de taille pour les colons. Car quelle option préférer ? La cohabitation au prix de dix mille ans de lutte ou l’éradication pure et simple, avec tout le reste, pour mieux repartir à zéro ?
De nombreux insectes y échapperaient, mais pas les parasites, privés de leurs hôtes.
Et ces sauteurs, insectes ou reptiles, survivraient-ils ?
Ram traversa la prairie, tomba sur un ruisseau et s’agenouilla au bord de l’eau. Il regorgeait de poissons gris argenté et d’anguilles. Il remonta la berge jusqu’à un arbre isolé et posa la main à plat sur l’écorce. Je t’ai touché, lui dit-il en silence. J’ai caressé cette feuille de la main.
Pendant ce temps, les sacrifiables s’activaient, fidèles aux consignes : collecter toute la vie animale et végétale présente dans cette prairie en échantillons d’analyse, pas de conservation – il était encore trop tôt pour ça. Ram continua à musarder jusqu’à ce que les sacrifiables estiment leurs containers suffisamment pleins pour un premier voyage.
La planète fut ratissée : forêts tropicales, déserts, hautes montagnes, bords de mer, tout y passa. Ils suivaient la rotation du Jardin pour profiter du plein jour à chaque arrêt. Les échantillons nécessaires à la première série d’analyse collectés, les sacrifiables décrétèrent cette phase terminée. Ram était exténué ; il tombait de fatigue.
« C’est fini ? se rassura-t-il.
— Oui.
— Très bien, alors je vais faire un somme avant de reprendre les commandes, annonça-t-il.
— Nous n’avons pas besoin de vous pour rentrer, déclarèrent les sacrifiables de concert. Allez dormir, vous arriverez reposé au vaisseau.
— Pourrai-je explorer à nouveau la surface du Jardin ?
— À chacune de vos visites, cette surface sera celle du Jardin, indiqua le sacrifiable. Maintenant, si votre question est “À ma prochaine visite, la surface du Jardin sera-t-elle toujours dans sa forme originelle ?”, la réponse est non. Mais tous vos actes et paroles ont été enregistrés. Prenez le temps d’y ajouter vos dernières observations avant la stase. De notre côté, nous vous communiquerons tout résultat d’analyse susceptible de modifier notre plan initial. »
Ram bâilla à s’en décrocher la mâchoire.
« C’est un endroit magnifique, déclara-t-il. Étrange à plus d’un titre, mais en tout point aussi beau que la Terre. Notre but est d’offrir à l’humanité un nouveau monde où vivre sans recourir aux artifices des dernières technologies, et ainsi de protéger notre race de l’extinction. À ces fins, nous allons raser un biote dont le seul crime est d’avoir failli à développer une espèce sensible avant notre arrivée.
— Ce qui est exactement ce qu’une intelligence supérieure fera très certainement subir un jour à la Terre, intervint le sacrifiable, justifiant ainsi l’expansion humaine sur d’autres planètes, seul moyen d’assurer sa survie dans l’éventualité d’une catastrophe. La vie se développe partout où elle le peut. Aucune planète habitable ne saurait rester inhabitée. Si cela peut vous consoler, en cette minute de profonde mélancolie qui est la vôtre, rappelons à toutes fins utiles que tout n’est que remplacement de certaines formes de vie par d’autres. Une espèce incapable de rivaliser avec une autre cède sa place. Nous ne faisons rien d’autre à cette planète que ce qu’elle aurait fini par se faire à elle-même.
— J’ignorais que la ratiocination fût inscrite dans votre programme, observa Ram.
— C’est l’une des raisons pour lesquelles nous faisons de si bons compagnons. »
L’escorte de Rigg était réduite à un seul garde, mais pas des moindres – peu disert et athlétique, son cerbère semblait n’attendre qu’un faux pas de sa part pour pouvoir le plaquer au sol. En quittant la maison de Flacommo, un matin, Rigg lui annonça : « Je dois aller à la Bibliothèque de la Vie.
— Ce n’était pas le domaine de recherche de votre père, rétorqua le garde.
— Je ne suis pas mon père, ça tombe bien, poursuivit Rigg. D’ailleurs, la décision de reprendre ses recherches vient de moi seul. Aucune bibliothèque ne m’est interdite. »
Le garde fixa Rigg du regard, suspicieux. Puis céda ; si Rigg avait raison, inutile de perdre son temps à vérifier. « S’ils vous mettent à la porte, c’est votre problème, déclara-t-il.
— Ça ne vous dérange pas qu’on y aille en courant ? Ensemble, je veux dire. Je n’ai pas couru depuis que je suis à Aressa Sessamo, je manque d’exercice.
— Si, ça me dérange, répondit le garde.
— Vous êtes plus rapide que moi, sinon je ne vous aurais pas demandé. Même si j’essaie de vous semer, en trois foulées vous serez sur moi. Vous avez un physique de coureur, ça se voit. »
Les flatteries de Rigg laissèrent le garde sceptique mais finirent par faire leur chemin. « Restez devant moi, finit-il par céder.
— C’est plutôt à vous de rester derrière moi. Je me sens tout rouillé… une grand-mère me doublerait. »
Rigg courut jusqu’à la Bibliothèque de la Vie. Le garde le suivit au train, la foulée légère, prêt à l’empoigner par les cheveux au moindre signe de fuite. À l’arrivée, Rigg était en nage, à bout de souffle. Le garde, à peine chaud. Tu te laisses aller, attention, pensa Rigg. Et si tu devais t’échapper ?
Et Param ? Pendant toutes ses années recluse, à vivre dans un cocon, elle n’a jamais eu à travailler son endurance ou sa vitesse. Elle est plus que svelte : elle n’a que la peau sur les os. Même en trottinant, j’irais plus vite qu’elle. C’est ce qui arrive aux prisonniers, si luxueuse soit leur cellule. Le corps finit par se ramollir, s’affaiblir, tant et si bien qu’à la fin toute tentative d’évasion devient vaine.
À peine le seuil de la bibliothèque franchi, Rigg interpella la première bibliothécaire venue. « Avez-vous vu Bleht, aujourd’hui ?
— Qui… ?
— Bleht – une microbiologiste.
— Je sais qui est Bleht, merci, s’offusqua la bibliothécaire. Qui, voulais-je dire, la demande ?
— Rigg Sessamekesh. »
La bibliothécaire jeta un œil au garde par-dessus son épaule, qui approuva certainement à en juger par l’adorable rougissement de la demoiselle. « Tout de suite. » La bibliothécaire se mit en quête de la microbiologiste avec une diligence empesée.
« Je ne m’en lasserai jamais, murmura Rigg au garde. La réaction des gens à mon nom, comme si la royauté signifiait encore quelque chose.
— Elle signifie plus que vous ne pourriez l’imaginer, et pour beaucoup de monde, confirma le garde.
— Et pour vous ? s’enquit Rigg.
— Elle signifie que je dois vous tenir à l’écart du danger.
— Et si le danger, pour moi, c’était vous ? poursuivit Rigg.
— Vous n’êtes pas un garçon ordinaire, déclara le garde. Comme votre père. Qui était un homme bon. »
Rigg en profita pour scruter les lieux à la recherche de traces fréquentes de Père Knosso… bingo, une flottait là, sous ses yeux, très ancienne. Son père l’avait laissée alors qu’il avait à peine son âge.
« Vous le connaissiez, devina Rigg.
— Je l’escortais à la bibliothèque, confia le garde. C’est moi qui ai mis son bateau à l’eau pour son dernier voyage.
— Vous avez vu les mains de ces créatures sortir de l’eau ?
— Je n’avais pas de télescope. Mais quelque chose l’a fait passer par-dessus bord, c’est une certitude. Quelque chose plus proche de bras que de tentacules.
— Et mon père, à quoi ressemblait-il ? demanda Rigg.
— À vous, lâcha le garde.
— Vous vous appelez comment ?
— Pour un prisonnier, personne.
— Et pour les autres ?
— Ça dépend.
— Pourquoi tant de secret ? »
Le garde laissa échapper un petit rire. « Olivenko, céda-t-il. C’était aussi le nom de mon père.
— Vous étiez là quand le mien a découvert qu’il pouvait traverser le Mur inconscient ?
— Oui.
— Étudiait-il quelque chose en particulier à ce moment-là ? s’enquit Rigg.
— Pas que je me souvienne, dit Olivenko. Nous n’étions pas à la bibliothèque. »
Rigg soupira. « Ça lui est juste venu comme ça, alors.
— Je le crois aussi.
— J’en conclus qu’à part le mener dans l’impasse, ses recherches n’auront servi à rien.
— Si, à savoir quelles pistes ne pas suivre pour justement éviter d’y tomber. C’est ce qu’il m’a confié. »
Qu’est-ce que tu attendais pour le dire ? eut envie de le secouer Rigg. Mais si Olivenko avait attendu, c’est qu’il avait ses raisons. Et le braquer était inutile.
Jusque-là, Rigg avait eu de son garde du corps l’image du pur antiroyaliste – le genre à faire l’unanimité auprès du Conseil pour le surveiller.
Mais il connaissait son père et semblait l’avoir plutôt apprécié. Peut-être son humeur maussade venait-elle tout simplement de ce qu’il n’aimait pas Rigg. Ce qui expliquerait aussi son manque d’entrain à révéler ce qu’il savait sur Père Knosso. En même temps, si tu voulais savoir, il fallait demander.
« Donc il a risqué sa vie, résuma Rigg, sur une intuition.
— C’est ce que je lui ai dit, déclara Olivenko.
— Et qu’a-t-il répondu ?
— Qu’on risquait sa vie chaque jour sur des intuitions.
— Mais celle-là, Père Knosso l’a payée cher. »
Olivenko acquiesça d’un hochement de tête. Rigg nota chez lui une légère crispation.
« Ça vous dérange que je l’appelle “père”, fit-il remarquer.
— Appelez-le comme vous voulez », s’irrita le garde. Son ton était devenu glacial.
« Vous doutez de notre filiation, c’est pour ça ?
— Vous lui ressemblez. Vous avez la même voix. La même arrogance, aussi.
— Si vous le dites, poursuivit Rigg. Le seul père que j’ai eu, à ma connaissance, est mort l’automne dernier dans les Hautes Forêts. Si je suis là, c’est parce que d’autres que moi me croient le fils de Knosso et Hagia. Je n’étais qu’un moucheron dans ce monde, je virevoltais l’esprit léger. Et puis, un jour, j’ai eu le malheur de chatouiller la mauvaise oreille. »
Olivenko resta de marbre.
« Qu’est-ce qui vous déplaît dans le fait que j’appelle Knosso “père” ?
— Rien.
— Vous vous êtes raidi, pourtant.
— Vraiment ? Alors je me suis trahi. »
Un peu d’humour briserait peut-être la glace. « Et pour une telle trahison, que prévoit la cour martiale ? Cent coups du plat d’une épée ? Quel crime, un soldat trahissant ses émotions…
— Ce n’est pas le soldat Olivenko qui a failli, rétorqua le garde. C’est le lanceur d’argile. »
Les « argiles » était un jeu d’argent joué avec des perles creuses, percées ou pleines : après tirage au sort dans un sac de toile, neuf perles d’argile étaient lâchées du haut d’un petit toboggan de bois, face aux joueurs. Chacun à tour de rôle pouvait en soupeser trois, pas plus, pour deviner leur poids. Les perles percées étaient les plus trompeuses car en tombant, les trous restaient invisibles. Tout l’art du lanceur d’argile résidait dans sa capacité à demeurer impassible pendant la pesée. Se raidir, et a fortiori le montrer, était le pire aveu d’échec.
« Alors, à combien s’élevait la mise ? interrogea Rigg. J’ai gagné, mais le tapis semble vide.
— Il n’y avait rien à gagner, jeune citoyen, indiqua Olivenko.
— Si, de précieuses informations au contraire, le contredit Rigg, qui aurait été bien incapable, au demeurant, de dire lesquelles.
— Tout ce que vous avez appris, c’est que je ne devrais pas jouer.
— Pas seulement, bluffa Rigg pour qui les choses s’éclaircissaient soudain. Vous vous êtes crispé quand j’ai appelé mon père par son nom. Sur le coup j’ai pensé à de la colère rentrée, mais non. C’était du chagrin : “Père Knosso”, c’est comme ça que vous l’appeliez vous aussi, n’est-ce pas ? »
Olivenko détourna le regard. « Un point pour vous. Je m’incline.
— Je crois rêver. Le Conseil m’a affecté comme garde du corps un ami de mon père.
— Peu de gens sont au courant. À l’époque je n’étais pas soldat. Je vous ai dit que je l’escortais à la bibliothèque. En fait, je l’accompagnai, comme jeune apprenti. Je lui apportais de l’eau, lui portais ses livres. Il réfléchissait souvent à voix haute, moi je transcrivais, lui m’épelait les mots difficiles. C’était ma façon à moi d’apprendre.
— Pour finir simple garde, quel gâchis !
— Un minimum d’éducation ne peut pas faire de mal à un soldat.
— Sauf quand il faut obéir à une hiérarchie composée d’abrutis finis, déclara Rigg.
— Très juste, approuva Olivenko. Ça explique sans doute pourquoi je n’en ai pas. »
Rigg s’apprêtait à lui proposer de s’asseoir avec lui à une table, pour tout lui raconter sur son père, quand Bleht apparut. Les confidences du jeune homme attendraient.
La microbiologiste semblait impatiente et suspicieuse. Rigg la dérangeait visiblement dans son travail, quel qu’il fût. Il s’excusa et en vint directement au fait.
« Je pense que Knosso mon père n’a fait aucune découverte majeure en physique avant de tenter sa traversée du Mur par la mer.
— À moins que, par “physique”, vous n’entendiez “microbiologie”, je vois mal en quoi je pourrais vous aider.
— Il avait commencé à orienter ses recherches dans un tout autre domaine.
— Microbien ?
— Non, historique, précisa Rigg. Calendaire, plus exactement. Je le soupçonne d’avoir lu votre article sur la dualité de la faune et de la flore de cet entremur. Sur la possibilité d’une vie aux deux origines distinctes. Il vous a écrit, vous a fait passer des missives. Vous vous êtes rencontrés à plusieurs reprises à la Bibliothèque des Vies Passées. » Rigg était sûr de son coup, il avait vu leurs traces s’y croiser – mais il y avait alors prêté un tout autre sens.
Bleht s’assit et caressa de sa paume la chaise voisine. « Le visage de votre ami me revient maintenant, observa-t-elle avec un sourire enjoué, les yeux sur Olivenko. Vous étiez son garçon à tout faire, je me trompe ? Comme vous avez grandi.
— Le jeune citoyen Rigg a demandé à vous rencontrer avant que je ne lui en parle, se justifia Olivenko, crispé comme jamais.
— Ce qui ne veut pas dire qu’il l’ignorait.
— Le fait est que je l’ignorais, mais quelle importance ? intervint Rigg. Ce que je cherche à savoir, c’est de quoi vous parliez.
— De la pluie et du beau temps, ironisa Bleht.
— Très juste, de la pluie et du beau temps. Et du climat en général, ajouta Rigg. Et de tout un tas d’autres choses. Vous aviez fouillé le passé de votre côté et lui du sien, pour vos recherches. Il désirait comparer vos découvertes.
— Si vous êtes si malin, reprit Bleht, qu’en a-t-il déduit ?
— Vous allez me le dire. Comment le saurais-je ?
— Si vous n’aviez pas déjà une petite idée sur la question, vous ne seriez pas là. Je crois même que vous savez tout mais que ça vous amuse de jouer les naïfs.
— J’ai fait une découverte accidentelle à la Bibliothèque des Vies Passées : une frise chronologique. Une bande de papier, très large, mais pliée si fin qu’elle tenait dans la couverture d’un vieil ouvrage rédigé par un ancien savant de la Dynastie Perdue. La frise avait été recopiée trois fois à en croire le nombre d’initiales des copistes. »
Bleht resta silencieuse. En avait-il déjà trop dit ? Moins elle l’encouragerait à développer, plus il prendrait confiance en ses hypothèses.
« Sa chronologie démarre en l’an 11 191.
— Comme toute chronologie basée sur notre calendrier, intervint Bleht. Et malgré tout, certaines ne veulent rien dire.
— Sauf qu’il y a une note dans la marge, signée de l’auteur de la frise et fidèlement reproduite par les copistes, disant qu’après des recherches approfondies, en comparant tous les calendriers connus, l’histoire humaine serait née il y a onze mille ans exactement. Soit près de deux siècles après le début du calendrier.
— La datation d’événements historiques imaginaires est un exercice des plus délicats, indiqua Bleht.
— Mon père Knosso désirait savoir s’il existait une corrélation quelconque entre la chronologie de la dynastie et l’historique que vous aviez établi pour l’un des courants de vie.
— Sur quel genre de calendrier pourrait bien se baser un microbiologiste ?
— Vous ne le dites pas dans votre article…
— Vous l’avez lu ? Tout seul ?
— J’ai un peu bougé mes lèvres et compté sur mes doigts, mima Rigg, ce qui lui valut un petit rire de la chercheuse. Ce que votre article oublie de mentionner, c’est que l’un des courants d’évolution, et de loin le plus important, n’est apparu dans l’entremur qu’il y a onze mille ans seulement. Nous appartenons à ce groupe. Nous sommes liés génétiquement les uns aux autres et aux animaux que nous tuons pour survivre ou que nous domestiquons, mais à aucune forme de vie originelle.
— Originelle ? Notre variété biochimique, la plus répandue, ne se serait pas développée localement ? C’est là où vous voulez en venir ?
— J’ignore où je veux en venir, mentit Rigg, plus convaincu que jamais que son article traitait précisément de cela, sans qu’elle l’avoue de peur de compromettre sa crédibilité scientifique. J’aimerais savoir de quoi vous et mon père discutiez.
— De vous », assena Bleht.
Rigg fut pris de court. « De moi ?
— Vous n’étiez qu’un enfant, poursuivit-elle. Ensuite, vous avez disparu. Kidnappé, tombé dans un puits ou peu importe le sort que vous avait fait subir le Conseil dans les conclusions de ses enquêtes. Nous avons discuté de ce qui avait pu vous arriver. Pas de je ne sais quelle frise chronologique pliée en accordéon dans la couverture d’un livre de l’époque dynastique.
— Vous mentez ! s’insurgea Rigg.
— Soit, s’il vous plaît de le croire…
— Vous aviez des raisons de penser qu’aucune fouille archéologique portant sur les onze mille dernières années ne présente la moindre trace de notre passé biologique. Votre article y fait clairement référence.
— En introduction seulement, et sans aucun fondement scientifique. Pour accrocher le lecteur.
— Père Knosso l’a pris très au sérieux. Il a superposé sa chronologie à la vôtre et en a conclu que les êtres humains et la plupart des animaux de notre entremur ont surgi de nulle part. Nous venons d’ailleurs.
— Quoi ? De semences soufflées à travers le Mur tant que vous y êtes ! pouffa-t-elle. Toute cette évolution en onze mille ans ? Un peu de sérieux, voyons !
— Non, pas à travers le Mur – les plantes et les graines s’y propagent librement. D’un autre monde. Peut-être même d’un autre système solaire. » Et à ces mots, un déclic se produisit. Voilà donc ce à quoi Père faisait allusion. Comment n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Toutes ces heures à lui parler en détail d’astronomie, de la vie, de son évolution génération après génération, sur des millions d’années ! Père n’avait rien laissé au hasard…
La notion de « limite de marée », en particulier, lui revint spontanément à l’esprit : si les millions de rochers et de débris de glace du Grand Anneau s’étaient agglutinés quelques milliers d’années plus tôt, une lune sphérique en serait née.
« Dans un monde avec une lune plus grosse, chaque océan aurait ses marées, lui avait-il expliqué. La vie s’y développerait bien plus vite qu’ici car, poussée par les marées, la mer viendrait s’échouer plus à l’intérieur des terres. C’est à la croisée de la terre et de la mer que naît la vie, dans les flaques et les terres marécageuses. Un monde qui a la chance d’avoir une lune foisonne de vie. »
À travers ces mots, Père essayait-il de lui faire comprendre que les êtres humains venaient d’un tel monde ? « Un astronome ou un historien serait mieux placé pour vous éclairer », commenta Bleht.
Rigg crut un instant qu’elle répondait à ses pensées. Elle réagissait en fait à sa dernière phrase, sur la possibilité d’un « autre système solaire ».
« Ne voyez-vous pas ce que cela signifiait pour Père Knosso ? poursuivit-il. Il cherchait un moyen de franchir le Mur. La physique et l’histoire n’ont pas pu l’y aider, mais votre travail, si. Il a fait naître en lui l’idée que, peut-être, notre calendrier coïncidait avec l’arrivée des êtres humains et d’autres formes de vie, qu’ils transportaient avec eux. Des étrangers dans ce monde.
— Et alors ? chercha à comprendre Bleht.
— Les Murs existaient-ils déjà à leur arrivée ? Comment un système vivant, quel qu’il soit, pourrait-il évoluer dans un monde où aucune créature dotée de fonctions cérébrales supérieures ne serait capable de passer d’un entremur à l’autre ? Aucune souche, fût-elle née ici ou sur un monde doté d’une lune, ne se serait développée sur une planète délimitée par des Murs. »
Bleht resta pensive. Olivenko aussi.
Ce fut le garde qui brisa le premier le silence. « Je me souviens de l’avoir entendu dire : “Ça y est, on l’a fait.” Puis une seconde fois, après avoir regardé la frise : “On l’a fait.” Sur le moment, j’ai cru qu’on – lui et moi je veux dire – venait de faire quelque chose. Ce qu’il disait peut-être, c’était que la race humaine l’avait “fait”, qu’elle avait construit le Mur.
— En tout cas je peux déjà vous dire pourquoi vous feriez de piètres chercheurs tous les deux : vous sautez directement aux conclusions, assena Bleht.
— Les bons chercheurs commencent toujours par les conclusions, se défendit Rigg. Une fois leurs conclusions émises, ils cherchent par tous les moyens à les invalider, ce qui leur vaut leur titre de chercheurs. Ils ne commencent à y croire que si leurs conclusions tiennent. »
Olivenko acquiesça. Bleht renâcla. « Vous citez quelqu’un ou je me trompe ?
— Mon père, confirma Rigg. Celui qui a assuré mon éducation.
— Bien, puisque vous en êtes aux conclusions hâtives, jeune non-prince, reprit Bleht, expliquez-moi ceci : imaginons les humains capables de créer ce Mur invisible et infranchissable qui ceint notre entremur. Pourquoi avoir fait une telle chose ?
— Un historien serait mieux placé pour vous répondre », répondit Rigg non sans malice.
L’ombre d’un sourire traversa le visage de Bleht, l’air de dire : Bien joué, mon garçon.
« Quoi que ce fût, ce qui a tué Père Knosso, intervint Olivenko, n’était pas humain.
— Les Murs diviseraient le monde entre espèces ? avança Rigg. Le monde original était peut-être lui-même divisé ?
— À moins qu’ils les aient dressés pour maintenir la paix entre nous et les créatures marines qui ont tué Père Knosso, imagina Olivenko.
— Je vois que vous vous amusez bien avec vos devinettes. Mais à regarder, ce n’est pas très drôle. Si vous permettez… » Bleht se leva.
Rigg enchaîna vite pour la retenir. « Père disait que le nom que nous utilisons pour désigner le monde est l’un des plus vieux, et que chaque langue de l’entremur a le sien. »
Bleht attendit la suite.
« Il ne m’a jamais dit quelle était la langue d’origine mais m’a appris le mot, qui d’après lui voulait dire “Jardin”. C’est ainsi que je me le représente depuis, en tout cas.
— Et sa signification profonde ?
— Notre monde – ce monde, celui qui est éclairé la nuit par un anneau et non par une lune…
— Une lune ? C’est quoi ? l’arrêta Olivenko.
— Une invention des astronomes, dont l’excès d’observation à travers leurs télescopes provoque des hallucinations, expliqua Bleht à sa manière.
— Notre monde, reprit Rigg, est un jardin. Séparé en parcelles par les Murs, avec une culture propre à chaque parcelle. Sans possibilité pour les pollens et les graines de circuler de l’une à l’autre.
— Vous tenez ces idées de votre prétendu père ? l’interrogea Bleht.
— Oui, même s’il ne les a pas formulées en ces termes, il m’y avait préparé. Et je pense que Père Knosso l’avait appris de sa frise et de vous. Cette notion de souches distinctes, chacune en isolement total. Il avait fini par conclure que le Mur servait à cela.
— Pour ce que ça lui a rapporté… se désola Olivenko, soudain amer.
— Comment pouvait-il deviner que, de l’autre côté, des créatures l’attendaient pour le tuer ? s’énerva Rigg.
— Voilà qui est ma foi fort distrayant, conclut Bleht, mais un vrai travail m’attend. La prochaine fois que l’envie de m’interrompre vous prendra, assurez-vous d’avoir quelque chose à raconter. » Rigg ne la retiendrait pas une seconde fois. Mais, alors qu’elle s’éloignait, il eut la certitude de l’avoir à peu près autant intriguée qu’il l’était lui-même. Pourquoi avoir pris le temps d’écouter, sinon ? Si court qu’eût été leur échange, il lui avait au moins permis de clarifier ses pensées.
« En gros, Père Knosso était une graine, continua Olivenko, toujours en pleine réflexion, quoique plus personnelle que théorique. Une graine qui cherchait à se planter dans une autre parcelle.
— Qui n’a pas voulu d’elle… » compléta Rigg.
La respiration d’Olivenko se fit soudain sifflante. Un peu jeune pour une crise cardiaque, pensa Rigg avant de comprendre que ces halètements tout juste perceptibles étaient des sanglots, refrénés au prix d’une lutte sévère.
Rigg détourna le regard le temps que le garde retrouve ses esprits.
« Désolé, souffla Olivenko.
— Je comprends, l’excusa Rigg.
— Toutes ces années à me demander s’il était fou. À remettre en cause tout ce qu’il m’avait enseigné. C’est à cause de ça que j’ai tiré un trait sur mes études et que je suis devenu garde. J’avais l’impression de m’être fait ensorceler par un illuminé.
— Qui sait s’il ne l’était pas un peu, songea Rigg à voix haute. Et s’il ne m’a pas transmis sa folie.
— Vous n’êtes pas fou, se reprit Olivenko. Lui non plus ne l’était pas. Il n’était même pas dans l’erreur. Il a simplement joué de malchance en traversant le Mur où il ne fallait pas. Comment aurait-il pu savoir ce qui l’attendait derrière ?
— Voilà qui lève en partie le voile, soupira Rigg. En attendant d’en savoir plus. »
Ils restèrent assis en silence.
« Et maintenant, quel est le programme ? demanda Olivenko.
— Faire la seule chose qui soit sensée, répondit Rigg. La ville est le théâtre de luttes de pouvoir, avec un empire à la clé pour le plus rusé, le plus fort ou le plus radical. Les joueurs sont nombreux, et beaucoup aimeraient me voir mort. Le mieux est de me faire oublier.
— Pourquoi me confier ça à moi ? C’est risqué.
— Ça l’est moins qu’avec qui que ce soit d’autre. Vous êtes le seul à qui je puisse me confier sans passer pour un fou. Où que je me cache dans cet entremur, on me trouvera. Le seul moyen de me défendre, c’est d’entrer dans la danse en levant une armée et en soumettant les autres. Devenir moi-même empereur…
— D’après ce que j’ai vu, vous en êtes capable.
— L’histoire des hommes m’a appris, poursuivit Rigg, que de plus stupides que moi l’ont fait. » À son âge, parler d’« homme » frisait un peu le ridicule. « Mais le seul moyen de vaincre est d’atteindre la Tente de Lumière par une route jonchée de cadavres. Par centaines, par milliers peut-être. Ceux-là mêmes que j’aurai prêté serment de protéger. Seule la survie de ce royaume justifierait ces morts. Combattre pour la seule satisfaction de devenir Roi en la Tente – même un ongle cassé serait trop cher payé.
— Qu’allez-vous faire alors ?
— Quitter cet entremur », annonça Rigg.
Olivenko secoua la tête. « Ça n’est pas aussi simple.
— Pas par la mer, précisa Rigg. J’aime autant éviter ces créatures dont on ne sait rien. La route sera plus sûre. En traversant à l’extrémité sud du Mur, qui sait si j’atterrirai dans le même entremur que Père Knosso ?
— Vous êtes venu chercher à la Grande Bibliothèque un moyen de traverser le Mur. Vous en avez conclu que Père Knosso a perdu son temps ici. Et vous affirmez maintenant savoir comment faire ?
— Oui, en me basant sur mes intuitions, comme Père Knosso, déclara Rigg.
— Quelles intuitions ?
— Comme si j’allais le dire à mon garde ! s’esclaffa Rigg.
— Au moins, j’aurai essayé, sourit Olivenko.
— La prochaine fois qu’on attentera à ma vie – la troisième après deux tentatives ratées, une sur le bateau qui m’a amené ici et l’autre chez Flacommo –, quel sera votre rôle ? Me protéger ou les aider ?
— Vous protéger, le rassura Olivenko. Jamais je n’aurais accepté comme mission de faire du mal au fils de Knosso Sissamik, si royal et pénible soit-il.
— Je vais vous confier une chose, poursuivit Rigg. Quand viendra l’heure de m’évader de chez Flacommo, je le ferai. Personne ne pourra m’en empêcher. Mais je vous aime bien et je ne voudrais pas que l’on vous blâme pour ça. J’attendrai que quelqu’un d’autre soit de faction.
— Quelle attention, le remercia Olivenko. Dans une carrière militaire, des états de service impeccables, c’est important.
— Vous avez sans doute une meilleure idée ?
— Emmenez-moi, proposa-t-il.
— Vous ne m’avez pas écouté, le tança gentiment Rigg. Je ne vais pas lever une armée. Je vais juste traverser le Mur.
— Dans ce cas, laissez-moi juste vous accompagner jusqu’au Mur et vous surveiller le temps de la traversée. Après, vous n’entendrez plus parler de moi.
— Votre première expérience en la matière, lui rappela Rigg, ne fut pas une réussite.
— En un sens, si, se défendit Olivenko. Père Knosso est arrivé vivant de l’autre côté.
— Mais sain d’esprit, ça, on ne saura jamais.
— Je le pense, supputa Olivenko. Et vous, y arriverez-vous ?
— Je le pense, sourit Rigg.
— Par quel moyen ?
— En trouvant une trace et en la suivant », dévoila Rigg.
Olivenko fronça les sourcils. « Une trace ? Une trace de quoi ?
— Avant que le Mur ne soit créé, il y a onze mille ans, il n’y avait rien. Des animaux ont forcément traversé cet espace en laissant leur trace. C’est là que je traverserai. »
Olivenko écarquilla les yeux. « C’est ça, votre plan ? »
Rigg haussa les épaules. « Il ne vous plaît pas ? demanda-t-il. Pour m’accompagner, il va falloir commencer par me faire confiance. »
Olivenko opina du chef. « Si, acquiesça-t-il. Il me paraît infaillible. »
Dommage que moi, je n’aie aucune confiance en toi, pensa Rigg. Comme j’aimerais, pourtant. Si ta mission est de m’espionner, quelle meilleure stratégie adopter que de te faire passer pour mon ami et fidèle conspirateur. Soit tu es sincère, soit je ne connais pas meilleur comédien que toi. Le recrutement parfait, en quelque sorte, pour tous ceux qui me veulent du mal. Je ne peux même pas suivre ta trace pour remonter à tes employeurs, je les connais déjà : elles remontent à mes geôliers.
J’espère de tout cœur que tu es celui que tu prétends être. J’espère de tout cœur que tu es un ami. Sinon, je devrai te tuer.