18 Un peu de solitude

« Y a-t-il d’autres problèmes que vous voulez me voir résoudre ? » Le ton de Rand signifiait clairement qu’il entendait par là des problèmes qu’eux auraient dû avoir déjà résolus. Rhuarc secoua légèrement la tête ; quant à Berelain, son visage s’empourpra. « Bon. Fixez une date pour la pendaison de Mangin… » Quand c’est trop douloureux, commenta ironiquement Lews Therin dans un murmure rauque, faites souffrir quelqu’un d’autre à votre place. Sa responsabilité. Son devoir. Il raidit l’échine pour empêcher cette montagne de l’écraser.[4]

« Pendez-le demain. Dites-lui que je l’ai ordonné. » Il marqua une pause, le regard menaçant, puis se rendit compte qu’il attendait le commentaire de Lews Therin, pas les leurs. Attendre la voix d’un mort, d’un fou mort. « Je vais à l’école. »

Rhuarc souligna que les Sagettes avaient probablement quitté leurs tentes pour venir, et Berelain que les nobles de Tear et de Cairhien également insisteraient pour savoir où elle cachait Rand, mais il leur répliqua de répondre la vérité. Et de leur recommander à tous de ne pas le suivre ; il reviendrait quand il reviendrait. Les deux eurent la mine de qui a avalé des prunes pas mûres, mais il ramassa d’un geste vif le Sceptre du Dragon et sortit.

Dans le couloir, Jalani et un Bouclier Rouge aux cheveux blonds guère plus âgé qu’elle se relevèrent avec souplesse, échangeant un rapide coup d’œil. En dehors d’eux, le couloir était désert, à l’exception de quelques serviteurs qui se hâtaient d’aller exercer leur tâche. Un de chaque ; c’était logique, n’empêche que Rand se demanda si Urien avait été oblige d’engager une lutte avec Suline pour l’obtenir.

Leur intimant du geste de l’accompagner il se dirigea droit vers l’écurie la plus proche, où les stalles étaient du même marbre vert que les colonnes qui soutenaient le haut plafond. Le palefrenier en chef, un bonhomme noueux aux grandes oreilles, le Soleil Levant du Cairhien brodé sur son court gilet de cuir, fut tellement choqué par l’apparition de Rand avec seulement deux Aiels pour escorte qu’il ne cessait de regarder vers les portes de l’écurie dans l’attente d’autres et s’inclinait si souvent entre chaque coup d’œil que Rand se demanda s’il obtiendrait jamais un cheval. Pourtant quand l’homme eut crié « Un cheval pour le Seigneur Dragon ! », six palefreniers s’élancèrent afin de harnacher un haut bai aux yeux ardents, lui passant une bride frangée d’or et une selle aux incrustations dorées posée sur un tapis de selle bleu ciel à franges, brodé de soleils levants en fil d’or.

Si promptement qu’ils se soient activés, le palefrenier en chef aux grandes oreilles avait disparu quand Rand sauta en selle. Pour aller à la recherche de la coterie de courtisans que devait avoir le Dragon Réincarne, c’est possible. Ou pour prévenir quelqu’un que Rand quittait le palais pratiquement seul. Cairhien était comme ça. Le beau hongre bai avait envie de caracoler mais, tout en s’efforçant de calmer ses tentatives de danse, Rand le sortit au trot du domaine du palais, passant devant des gardes cairhiens stupéfaits. Il ne s’inquiétait pas d’assassins qui lui tendraient une embuscade une fois prévenus par l’homme aux grandes oreilles ; ceux qui lui dresseraient un guet-apens découvriraient qu’ils étaient venus à la tonte sans tondeuse. Toutefois, le moindre délai et probablement il serait entouré par une telle foule de nobles qu’il ne pourrait pas partir sans eux. C’était agréable d’être seul pour changer.

Il jeta un coup d’œil à Jalani et au jeune Aiel qui couraient au pas gymnastique à côté du bai. Dedric, pensa-t-il ; un Codara de la Faille de Jaern. Presque seul. Il avait toujours conscience d’Alanna, et Lews Therin se lamentait dans le lointain sur son Ilyena défunte. Il ne pouvait jamais être entièrement seul. Peut-être plus jamais de nouveau. Néanmoins, ce qu’il avait de solitude était agréable, après si longtemps.

Cairhien était une vaste cité, ses rues principales assez larges pour que la foule qui les encombrait paraisse de peu d’importance. Chaque rue s’enfonçait droit comme une flèche dans des collines taillées et aménagées en terrasses soutenues par des murettes de pierre au point qu’elles semblaient élevées de main d’homme, croisant chaque autre rue à angle droit. Partout dans la cité s’élevaient d’énormes tours enveloppées d’échafaudages en bois qui masquaient presque des contreforts aux angles droits, des tours qui semblaient atteindre le ciel et vouloir monter plus haut. Vingt ans depuis que les légendaires tours immenses de Cairhien, une merveille du monde, avaient brûlé comme des torches au cours de la Guerre des Aiels et leur reconstruction n’était toujours pas terminée.

Se frayer un chemin n’était pas facile ; l’allure du trot ne put se soutenir. Rand avait pris l’habitude que les foules s’écartent devant son escorte habituelle, cependant même avec la présence de centaines d’Aiels vêtus de leur cadin’sor juste sous ses yeux parmi la lente cohorte de la foule, cela ne se passa pas tout à fait de la même façon – pas avec une escorte composée seulement de deux guerriers aiels. Quelques-uns de ces Aiels le reconnaissaient, il en avait l’impression, néanmoins ils s’abstenaient d’en témoigner, nullement prêts à causer de l’embarras en attirant l’attention sur le Car’a’carn alors qu’il portait une épée et, pas aussi déplaisant mais guère sujet de félicitations, était monté sur un cheval. Pour les Aiels, la honte et la gêne étaient pires que la souffrance, encore que – bien sûr – le ji’e’toh vienne compliquer la situation à des degrés que Rand ne comprenait qu’en partie. Aviendha pouvait l’expliquer, certainement ; elle semblait vouloir qu’il devienne Aiel.

Beaucoup d’autres gens encombraient les rues. Des Cairhienins dans leurs coutumières tenues ternes ainsi que dans les habits râpés aux couleurs vives de ceux qui avaient habité le Faubourg avant qu’il soit incendié, des Tairens qui dépassaient d’une tête la cohue, bien que pas aussi grands que les Aiels. Des chars à bœufs et des chariots tirés par des chevaux se frayaient un chemin au milieu de cette affluence, laissant la priorité à des voitures laquées fermées et à des chaises à porteurs, parfois avec la bannière d’une Maison. Des colporteurs criaient leurs marchandises étalées sur un plateau et des marchands ambulants ce qu’ils avaient sur leur charrette à bras ; des musiciens, des acrobates et des jongleurs exerçaient leur métier au coin des rues. Ces deux faits-là marquaient un changement. Naguère, Cairhien avait été une ville silencieuse, discrète, sauf dans le Faubourg. Une partie de cette retenue subsistait encore. Les boutiques avaient toujours de petites enseignes et n’exposaient pas de marchandises au-dehors. Et si les anciens Faubouriens se conduisaient de façon aussi bruyante qu’avant, riant fort et s’interpellant à haute voix, discutant au beau milieu de la rue, les autres Cairhienins continuaient à les considérer avec une répulsion dédaigneuse.

Personne sauf des Aiels ne reconnut le cavalier nu-tête en tunique bleue brodée d’argent, même si de temps en temps quelqu’un qui se trouvait auprès se retournait sur son tapis de selle. Le Sceptre du Dragon n’était pas déjà bien connu ici. Personne ne cédait le passage. Rand se sentait déchiré entre l’impatience et le plaisir de ne pas être le point de mire de tous les regards.

L’école occupait un palais à moins d’un quart de lieue du Palais du Soleil, naguère propriété d’un certain Seigneur Barthanes, maintenant mort et pas regretté, une vaste masse de bâtiments en pierre avec des tours aux angles vifs et des balcons d’aspect sévère. Les grandes grilles de la cour d’honneur étaient ouvertes et, quand Rand entra, il reçut un bel accueil.

Idriene Tarsin, qui dirigeait l’école, était debout sur le large perron à l’autre extrémité de la cour, une femme trapue en simple robe grise, qui se tenait assez droite pour paraître d’une tête plus grande qu’elle n’était. Elle ne se trouvait pas seule. Des douzaines et des douzaines d’autres personnes s’entassaient sur les marches de pierre, des hommes et des femmes en habits beaucoup plus souvent de laine que de soie, fréquemment usés et rarement ornés. Des gens âgés, principalement. Idriene n’était pas unique à avoir plus de gris que de noir dans les cheveux, ou pas de noir du tout, ou pas de cheveux du tout, pourtant ici et là un visage plus jeune regardait Rand avidement. Plus jeune signifiant de dix ou quinze ans plus âgé que lui.

C’étaient les professeurs, en un sens, quoique cela ne fût pas précisément une école. Des élèves y venaient apprendre – ces jeunes gens et jeunes femmes penchés maintenant à chaque fenêtre autour de la cour pour mieux voir –, mais essentiellement Rand avait voulu rassembler des connaissances au même endroit. Cent fois, il avait entendu dire combien s’étaient perdues au cours de la Guerre des Cent Ans et des Guerres Trolloques. Combien plus encore avaient disparu lors de la Destruction du Monde ? S’il devait de nouveau Détruire le Monde, il voulait créer des conservatoires où la science serait préservée. Une autre école avait déjà été fondée à Tear, qui en était encore juste à ses débuts, et il avait commencé à chercher un emplacement à Caemlyn.

Rien ne se produit comme on s’y attend, murmura Lews Therin. N’attendez rien et vous ne serez pas surpris. N’attendez rien. N’espérez rien. Rien.

Faisant taire la voix, Rand mit pied à terre.

Idriene vint à sa rencontre et exécuta une révérence. Comme d’habitude quand elle se redressa, ce fut en quelque sorte un choc de se rendre compte de nouveau qu’elle ne lui arrivait pas plus haut qu’à la poitrine. « Bienvenue à l’École de Cairhien, mon Seigneur Dragon. » Sa voix avait une douceur et une jeunesse surprenantes, en étonnant contraste avec ses traits rudes. Il avait entendu, toutefois, cette voix devenir dure en s’adressant à des élèves et des professeurs ; Idriene menait l’école d’une main de fer.

« Combien d’espions avez-vous dans le Palais du Soleil ? » demanda-t-il gentiment. Elle parut surprise, peut-être qu’il suggère pareille chose mais plus probablement parce que cette question n’était pas une preuve de bonne éducation dans la cité de Cairhien.

« Nous avons préparé une petite exposition. » Bah, il ne s’attendait pas vraiment à une réponse. Elle examina les deux Aiels comme une femme jaugerait deux gros chiens crottés au caractère sujet à caution, mais se contenta d’un reniflement. « Si mon Seigneur Dragon veut bien me suivre ? »

Il suivit, en fronçant les sourcils. Une exposition de quoi ?

Le hall d’entrée de l’école était une vaste salle aux colonnes polies gris foncé et aux dalles gris clair, avec un balcon de marbre veiné de gris qui la cernait tout autour à trois toises du sol. À présent, elle était remplie dans une large mesure de… dispositifs. Les professeurs qui se pressaient derrière lui coururent vers eux. Rand regardait avec curiosité, se rappelant soudain ce que Berelain avait dit à propos de l’école qui fabriquait des choses. Mais lesquelles ?

Idriene le lui indiqua – plus ou moins – le conduisant de l’une à l’autre, où les hommes et les femmes expliquaient ce qu’ils avaient créé. Il en comprit même une partie.

Un déploiement de tamis, de délisseuses (consistant en cylindres armés de lames tranchantes pour lacérer la toile) et d’auges pleines de lanières de lin « délissé » produisait le plus beau papier jamais vu jusqu’à présent, au dire de son inventeur. Une haute et lourde masse de leviers et d’énormes plaques plates était une presse à imprimer, bien plus performante que celles déjà en usage, d’après son constructeur. Dedric y porta un extrême intérêt jusqu’à ce que Jalani décide apparemment qu’il devrait plutôt guetter si quelqu’un cherchait à attaquer le Car’a’carn : elle lui marcha avec force sur le pied et il suivit Rand en boitillant. Il y avait une charrue sur roues prévue pour creuser six sillons à la fois – Rand était capable de reconnaître cela, du moins ; il pensa que cette machine était susceptible de fonctionner – et une autre chose avec des brancards auxquels atteler des chevaux qui couperait l’herbe à la place d’hommes armés de faux lors de la fenaison, ainsi qu’une nouvelle sorte de métier à tisser plus facile à manœuvrer, comme l’affirmait l’homme qui l’avait construit. Il y avait des maquettes en bois peint de viaducs pour amener l’eau aux endroits où les puits s’asséchaient, de nouveaux égouts et canalisations pour Cairhien, et même sur une table la reproduction de minuscules figurines d’hommes et de femmes, de charrettes, de grues et de rouleaux, pour démontrer comment les routes pouvaient être construites et pavées aussi bien qu’elles avaient été à une époque depuis longtemps disparue.

Rand ne savait pas s’il y en avait qui fonctionneraient pour de bon, mais certaines de ces inventions semblaient valoir la peine d’essayer. Cette charrue, par exemple, serait utile si le Cairhien devait un jour produire de nouveau sa propre alimentation. Il dirait à Idriene de la faire construire. Non, il chargerait Berelain de le lui dire. Suis toujours la voie de la hiérarchie aux yeux du public, avait recommandé Moiraine, à moins que tu ne veuilles miner la situation de quelqu’un et le révoquer.

Parmi les maîtres qu’il connaissait, il y avait Kin Tovere, un massif fabricant de lunettes d’approche qui ne cessait d’essuyer son crâne chauve avec un mouchoir à rayures. En dehors de lorgnettes de différentes tailles – « Compte à un quart de lieue les vibrisses dans le nez d’un homme », disait-il ; c’était sa façon de parler – il avait une lentille du diamètre de sa tête, un croquis de la longue-vue pour l’y insérer, elle et d’autres, un tube d’une toise et demie de long, et un plan pour observer les étoiles s’il vous plaît ! Ah, bah, Kin voulait toujours regarder ce qui était éloigné.

Idriene arborait un air de tranquille satisfaction tandis que Rand étudiait le croquis de Maître Tovere. Elle n’avait guère de goût que pour ce qui était d’usage pratique. Pendant le siège de Cairhien, elle-même avait construit une énorme arbalète, tout en leviers et poulies, qui projetait un petit javelot à un quart de lieue avec assez de force pour transpercer un homme. Si cela n’avait tenu qu’à elle, il n’y aurait pas eu de temps perdu pour des choses qui n’étaient pas utiles et valables.

« Fabriquez-la », dit Rand à Kin. Peut-être n’avait-elle pas d’utilité réelle, comme la charrue, mais il aimait bien Kin Tovere. Idriene soupira et secoua la tête. Tovere rayonna. « Et je vous accorde un prix de cent couronnes d’or. Ceci paraît intéressant. » En résulta un bourdonnement général et on aurait difficilement discerné de qui la bouche béa le plus grandement, d’Idriene ou de Kin Tovere.

D’autres inventions dans la salle faisaient paraître ce dernier d’esprit aussi rassis que le candidat à la construction de routes. Par exemple, le garçon au visage rond qui avait façonné quelque chose avec de la bouse de vache aboutissant à une flamme bleuâtre qui brûlait au bout d’un tube de cuivre ; même lui ne semblait pas savoir à quoi cela servait. Ou la grande et maigre jeune femme dont l’œuvre présentée consistait essentiellement en une coque de papier arrimée par des ficelles et maintenue en l’air par la chaleur montant d’un petit feu dans un brasero. Elle marmonna quelque chose concernant la manière de voler – Rand était certain que c’est ce qu’elle disait – et les ailes d’oiseaux qui étaient concaves – elle avait des croquis d’oiseaux et de ce qui paraissait être des oiseaux en bois – mais elle était tellement intimidée d’être en présence du Dragon Réincarné qu’il ne comprit rien d’autre, et Idriene était nettement incapable d’expliquer de quoi il s’agissait.

Et il y avait aussi l’homme au crâne en train de se déplumer qui avait un assemblage de tubes et de cylindres en cuivre, de tirants et de roues, le tout couvrant une lourde table en bois portant des marques fraîches de rainures et d’éraflures, certaines rainures assez profondes pour presque traverser l’épaisseur du plateau de la table. Pour une raison quelconque, la moitié de son visage et une de ses mains étaient enveloppées de pansements. Dès que Rand était apparu dans le hall, il s’était affairé anxieusement à allumer du feu sous un des cylindres. Quand Rand et Idriene s’arrêtèrent devant lui, il manœuvra un levier et sourit avec fierté.

Le dispositif commença à frémir, de la vapeur sortant en sifflant par deux ou trois endroits. Le sifflement s’accentua et déchira l’air, la chose se mit à trembler. Elle gémit d’une façon inquiétante. Le sifflement devint aigu à percer les tympans. Elle branla si fort que la table bougea. L’homme aux cheveux rares se précipita contre la table, tâtonna pour manœuvrer une soupape sur le plus gros cylindre. De la vapeur jaillit en formant un nuage, et la chose s’immobilisa. Suçant ses doigts brûlés, le bonhomme réussit à sourire faiblement.

« Très bel ouvrage de cuivre », dit Rand avant de laisser Idriene l’entraîner. « Qu’est-ce que c’était ? » demanda-t-il tout bas quand ils furent hors de portée de voix.

Elle haussa les épaules. « Mervin ne veut le dire à personne. Parfois résonnent dans sa chambre des bangs assez forts pour que les portes tremblent et il s’est échaudé six fois jusqu’à présent, mais il prétend que cela amènera une nouvelle Ère quand il parviendra à le faire marcher. » Elle jeta à Rand un coup d’œil inquiet.

« Si Mervin peut l’amener, nous nous en féliciterons », lui répliqua-t-il avec une pointe d’ironie. Peut-être que ce machin était censé produire de la musique ? Tous ces sifflements aigus ? « Je ne vois pas Herid. A-t-il oublié de descendre ? »

Idriene poussa de nouveau un soupir. Herid Fel était un natif d’Andor qui avait échoué ici pour étudier dans la Bibliothèque Royale – étudiant en histoire et en philosophie, c’est ainsi qu’il se définissait – et guère du genre à lui plaire à elle. « Mon Seigneur Dragon, il ne sort jamais de sa chambre, sauf pour se rendre à la Bibliothèque. »

S’en aller exigea un petit discours, prononcé debout sur un tabouret avec le Sceptre du Dragon dans le creux de son bras, les assurant que leurs créations étaient merveilleuses. Certaines l’étaient peut-être, pour autant qu’il le sache. Puis il fut en mesure de s’éclipser avec Jalani et Dedric. Et Lews Therin et Alanna. Ils laissaient derrière eux une rumeur de voix joyeuses. Il se demanda si un seul parmi eux en dehors d’Idriene avait jamais songé à fabriquer une arme.

La chambre d’Herid Fel était située à un étage supérieur, d’où la vue ne donnait sur guère plus que les toits de tuile sombres de l’école et une tour carrée à degrés qui cachait quoi que ce soit d’autre. De toute façon, Herid prétendait qu’il ne regardait jamais par les fenêtres.

« Vous pouvez attendre ici », dit Rand en arrivant à la porte étroite – la pièce à l’intérieur était étroite, aussi – et il surpris que Jalani et Dedric acquiescent aussitôt.

Un nombre de petits détails s’assemblèrent soudain. Jalani n’avait pas examiné une seule fois son épée d’un air désapprobateur, ce qu’elle avait pour règle, depuis qu’il était sorti de son rendez-vous avec Rhuarc et Berelain. Ni elle ni Dedric n’avaient jeté le moindre coup d’œil au cheval dans l’écurie, ou déclaré de façon désobligeante que ses propres jambes devraient bien lui suffire, encore une remarque qu’elle lui assénait régulièrement.

Comme pour confirmer sa déduction, quand Rand se tourna vers la porte, Jalani toisa brièvement Dedric de la tête aux pieds. Brièvement mais avec un intérêt incontestablement visible et un sourire. Dedric feignit d’ignorer sa présence avec tant de persévérance qu’il aurait aussi bien pu la regarder fixement. C’était la façon d’agir des Aiels, feindre de ne pas comprendre jusqu’à ce qu’elle se montre plus explicite. Elle se serait conduite de la même façon si c’était lui qui avait commencé à la toiser.

« Amusez-vous bien », lança Rand par-dessus son épaule, suscitant deux regards stupéfaits, et il entra.

La petite pièce était remplie de livres, de rouleaux et de liasses de papiers, du moins elle en avait l’air. Des étagères bondées se dressaient sur le pourtour de la chambre à l’exception de la porte et des deux fenêtres ouvertes. Des livres et des papiers couvraient la table qui occupait la majeure partie du sol, gisaient en vrac sur le siège libre, et même ici et là par terre sur le petit espace qui restait dégagé. Herid Fel lui-même était un homme corpulent qui paraissait avoir oublié de brosser ce matin sa chevelure grise peu fournie. La pipe coincée entre ses dents n’était pas allumée, et de la cendre de tabac parsemait le devant de sa tunique brune froissée.

Il examina Rand en clignant des paupières pendant un instant, puis dit : « Ah. Oui. Bien sûr. Je m’apprêtais à… » Il fronça les sourcils à l’adresse du livre qu’il avait dans les mains, puis s’assit à la table et feuilleta quelques papiers devant lui, en murmurant de façon inaudible. Se tournant vers la page de titre du livre, il se gratta la tête. Finalement, il reporta son regard sur Rand et, de nouveau, battit des paupières avec surprise. « Oh, oui. De quoi vouliez-vous donc discuter ? »

Rand débarrassa le second siège, posant par terre les livres et papiers, accota le Sceptre du Dragon contre le tas et s’assit.

Il avait essayé de parler à d’autres ici, philosophes et historiens, femmes cultivées et érudits, et ç’avait été comme d’essayer de mettre une Aes Sedai au pied du mur. Ils étaient parfaitement certains de ce dont ils étaient certains et, quant au reste, vous noyaient de mots pouvant signifier n’importe quoi. Quand il insistait, ou bien ils s’irritaient – ils semblaient penser qu’il doutait de leur science, apparemment un grave péché – ou ils augmentaient le torrent de mots jusqu’à ce qu’il ne comprenne plus ce que la moitié de ces mots voulaient dire, ou encore ils devenaient obséquieux, cherchant à découvrir ce qu’il désirait entendre de sorte qu’ils puissent le lui répéter. Herid était différent. Une des choses qui lui sortaient constamment de l’esprit c’est que Rand était le Dragon Réincarné, ce qui convenait très bien à Rand. « Qu’est-ce que vous savez sur les Aes Sedai et les Liges, Herid ? Sur le Lien ?

— Les Liges ? Le Lien ? Autant que n’importe qui n’est pas Aes Sedai, je suppose. Ce qui n’est pas grand-chose, attention. » Herid lira sur sa pipe, sans avoir l’air de se rendre compte qu’elle était éteinte. « Que désirez-vous connaître ?

— Peut-il être rompu ?

— Rompu ? Oh, non. Pas à moins que vous ne pensiez quand le Lige ou l’Aes Sedai meurt. Cela le brise. Je crois. Je me rappelle avoir entendu quelque chose à propos du Lien, une fois, mais je ne parviens pas à me souvenir… » Apercevant une liasse de notes sur sa table, Herid l’attira à lui du bout des doigts et commença à lire, fronçant les sourcils et secouant la tête. Les notes étaient de sa main, mais il donnait l’impression de ne plus être d’accord avec elles.

Rand poussa un soupir ; il était sur le point de croire qu’en tournant la tête assez vite, il verrait la main d’Alanna planer au-dessus de lui. « Et la question que je vous ai posée la dernière fois ? Herid ? Herid ? »

La tête du gros homme se redressa brusquement. « Oh. Oui. Ah, la question. La dernière fois. La Tarmon Gardon. Eh bien, j’ignore comment cela se passera. Des Trollocs, je suppose ? Des Seigneurs de l’Épouvante ? Oui. Des Seigneurs de l’Épouvante. Mais j’ai réfléchi. Elle ne peut pas être la Dernière Bataille. Je ne pense pas qu’elle puisse l’être. Peut-être chaque Ère a-t-elle une Dernière Bataille. Ou la plupart d’entre elles. » Subitement, il regarda le long de son nez en fronçant les sourcils la pipe qu’il avait entre les dents et se mit à fourrager sur la table. « J’ai un briquet à silex quelque part par là.

— Qu’est-ce qui vous fait dire que cela ne peut pas être la Dernière Bataille ? » Rand s’efforça de garder un ton calme. Herid en venait toujours au cœur de la question ; il suffisait que vous le poussiez dans la bonne direction.

« Comment ? Oui, c’est là le point essentiel. Impossible que ce soit la Dernière Bataille. Même si le Dragon Réincarné scelle de nouveau la prison du Ténébreux aussi bien que l’a scellée le Créateur. Ce à quoi je ne crois pas qu’il parvienne. » Il se pencha en avant et baissa la voix sur un ton de conspirateur. « Il n’est pas le Créateur, vous savez, quoi que l’on colporte dans les rues. Toutefois, cette prison doit être scellée de nouveau par quelqu’un. La Roue, vous voyez…

— Je ne vois pas… » Rand n’acheva pas sa phrase.

« Mais si, vous voyez. Vous feriez un bon chercheur. » Ôtant sa pipe de sa bouche d’un geste vif, Herid décrivit un cercle en l’air avec le tuyau. « La Roue du Temps. Les Ères viennent et disparaissent puis reviennent à mesure que tourne la Roue. Tout le catéchisme. » Soudain il désigna un point sur cette roue imaginaire. « Ici, la prison du Ténébreux est intacte. Ici, on a percé une brèche, puis on l’a colmatée et on a rescellé la prison. » Il déplaça le bout de la pipe le long de l’arc qu’il avait tracé. « Nous sommes ici. Les sceaux faiblissent. Par contre, cela n’a pas d’importance, bien sûr. » Le tuyau de pipe compléta le cercle. « Quand la roue revient ici, là où la brèche a été forée la première fois, la prison du Ténébreux doit être intacte de nouveau.

— Pourquoi ? Peut-être que la prochaine fois on forera à travers l’endroit colmaté. Peut-être est-ce pour cela que cela a pu être pratiqué la dernière fois – le Forage dans ce que le Créateur avait fait, je veux dire – peut-être a-t-on percé le Forage à travers un colmatage et que nous l’ignorons simplement. »

Herid secoua la tête. Pendant un instant, il contempla sa pipe, se rendant une fois de plus compte qu’elle n’était pas allumée, et Rand pensa qu’il allait être obligé d’éveiller de nouveau son attention mais Herid cligna des paupières et reprit son raisonnement. « Quelqu’un a dû le faire à un moment donné. Pour la première fois, s’entend. À moins que vous ne pensiez que le Créateur a fait dès l’origine la prison du Ténébreux avec un orifice et un colmatage par-dessus. » Ses sourcils s’agitèrent à cette suggestion. « Non, elle était intacte au début et je pense qu’elle sera de nouveau intacte quand la Troisième Ère reviendra. Hemmm. Je me demande s’ils l’ont appelée la Troisième Ère ? » Il plongea précipitamment une plume dans l’encre et gribouilla une note dans les marges d’un livre ouvert. « Hum Peu importe maintenant. Je ne dis pas que le Dragon Réincarné sera celui qui rendra cette prison étanche de toute façon pas nécessairement au cours de la présente Ère, mais la prison devra l’être avant qu’arrive de nouveau la Troisième Ère, et que suffisamment de temps se soit écoulé depuis qu’elle aura été remise en état – une Ère, au moins – pour que personne ne se rappelle le Ténébreux ou sa prison. Personne ne se les rappelle. Hum. Je m’interroge… » Il parcourut attentivement ses notes et se gratta la tête, puis parut surpris de découvrir qu’il s’était servi de la main tenant la plume. Il y avait une tache d’encre dans ses cheveux. « Toute Ère où les sceaux s’affaiblissent doit finir par se rappeler le Ténébreux, parce que les gens auront à l’affronter et à l’emmurer une fois de plus. » Fourrant de nouveau sa pipe entre ses dents, il voulut inscrire une autre note sans humecter d’encre la plume.

« À moins que le Ténébreux ne se libère, commenta à mi-voix Rand. Pour rompre la Roue du Temps et refaire le Temps et le monde à sa propre image.

— Il y a cela. » Herid haussa les épaules, regardant la plume en fronçant les sourcils. Finalement, il pensa à l’encrier.

« Je ne crois pas que vous ou moi pouvons y faire grand-chose. Pourquoi ne venez-vous pas étudier ici avec moi ? Je ne suppose pas que la Tarmon Gardon se déclenchera demain et ce serait un aussi bon usage de votre temps que…

— Imaginez-vous une raison pour briser les sceaux ? »

Les sourcils d’Herid se haussèrent subitement. « Briser les sceaux ? Briser les sceaux ? En dehors d’un fou, qui voudrait faire cela ? Peuvent-ils même être rompus ? J’ai l’impression de me rappeler avoir lu quelque part qu’ils ne peuvent pas l’être, mais je ne me souviens pas maintenant que c’était expliqué pourquoi. Qu’est-ce qui vous incite à penser une chose pareille ?

— Je ne sais pas », dit Rand avec un soupir. À l’intérieur de sa tête, Lews Therin psalmodiait. Brisez les sceaux. Brisez les sceaux et finissez-en. Laissez-moi mourir pour toujours.


S’éventant machinalement avec un coin de son châle, Egwene examina des deux côtés le couloir transversal, avec l’espoir de ne s’être pas de nouveau perdue. Elle le redoutait fort et n’était pas contente si c’était le cas. Le Palais du Soleil avait des lieues de couloirs, aucun beaucoup plus frais que l’extérieur, et elle avait passé peu de temps dedans pour savoir y retrouver son chemin.

Il y avait partout des Vierges de la Lance, par deux et par trois – beaucoup plus que Rand n’en amenait normalement avec lui ; à coup sûr bien plus que d’ordinaire quand il était absent. Elles paraissaient simplement se promener mais à ses yeux elles avaient quelque chose de… furtif. Un certain nombre la connaissait de vue – les Vierges, en particulier, semblaient avoir décidé qu’être une élève des Sagettes l’emportait sur le fait d’être Aes Sedai, comme elles croyaient qu’elle l’était, au point qu’elle n’était plus Aes Sedai pour elles – mais, quand elles la virent, elles eurent l’air aussi stupéfaites que c’est possible à un Aiel de le paraître. Les hochements de tête indiquant qu’elles la reconnaissaient se manifestèrent avec un temps de retard et elles se hâtèrent de poursuivre leur chemin sans lui adresser la parole. Ce n’était pas une attitude engageant à demander des renseignements.

À la place, elle dévisagea en fronçant les sourcils un serviteur au visage luisant de sueur, avec de minces galons bleu et or sur ses manchettes, se demandant s’il savait comment se rendre d’ici où elle voulait aller. La difficulté, c’est qu’elle n’était pas très sûre de l’endroit qu’elle désirait trouver. Par malchance, le bonhomme était nettement nerveux à cause de la présence de tellement d’Aiels. Voyant une Aielle le regarder avec des sourcils froncés – on ne semblait jamais remarquer ses yeux noirs, ce que n’avait certes aucun Aiel – et la tête probablement pleine d’histoires concernant les Vierges, il tourna les talons et s’en fut en courant de toutes ses forces.

Elle renifla avec irritation. De toute façon, elle n’avait pas réellement besoin de renseignements. Tôt ou tard, elle finirait par tomber sur quelque chose qu’elle reconnaîtrait. Inutile, certes, de retourner sur ses pas, mais quelle autre des trois directions prendre ? Elle en choisit une et s’éloigna d’une démarche résolue, et même quelques-unes des Vierges s’écartèrent pour la laisser passer.

À la vérité, elle se sentait un peu de mauvaise humeur. Revoir Aviendha après tout ce temps aurait été merveilleux, si cette dernière ne l’avait pas simplement saluée d’un signe de tête avec froideur avant de se courber pour entrer dans la tente d’Amys, et conférer avec elle en privé. En prive vraiment, Egwene l’apprit quand elle essaya de la suivre.

Vous n’avez pas été convoquée, avait dit sèchement Amys, tandis qu’Aviendha était assise jambes croisées sur un coussin, contemplant d’un air abattu les tapis entassés les uns sur les autres devant elle. Allez vous promener. Et mangez quelque chose. Une femme n’est pas faite pour ressembler à un roseau.

Bail et Mélaine étaient arrivées précipitamment, convoquées par des gai’shains, mais Egwene était exclue. Voir une file de Sagettes également renvoyées avait été une petite consolation, mais bien modeste. En somme, elle était l’amie d’Aviendha et, si elle avait des ennuis, Egwene désirait lui apporter son aide.

« Pourquoi êtes-vous ici ? » demanda derrière elle la voix de Sorilea.

Egwene fut fière d’elle-même. Elle se retourna avec calme pour affronter la Sagette de la Place Forte de Shende. Une Chareen Jarra, Sorilea avait une chevelure blanche peu fournie et un visage qui était de la peau ressemblant à du cuir tendue à craquer sur son crâne. Elle était tout os et tendons et, bien que capable de canaliser, elle était moins forte en ce qui concernait le Pouvoir que la plupart des novices qu’Egwene avait rencontrées. En fait, à la Tour, elle n’aurait certainement jamais dépassé le stade du noviciat avant d’être renvoyée. Bien sûr, canaliser n’avait pas réellement une grande importance pour les Sagettes. Quelles que soient les règles mystérieuses gouvernant les Sagettes, quand Sorilea était là, le commandement lui revenait toujours. Egwene pensait que c’était une question de pure force de volonté.

D’une bonne tête plus grande qu’Egwene, comme la plupart des Aielles, Sorilea la dévisageait avec un regard vert qui aurait renversé par terre un taureau. Egwene se sentit soulagée ; cette façon de regarder était normale chez Sorilea. Aurait-elle un compte à régler avec quelqu’un, les murs vers lesquels elle tournerait les yeux s’écrouleraient et les tapisseries prendraient feu. D’accord, c’est ce que cela donnait à penser, en tout cas.

« Je suis venue voir Rand, dit Egwene. Marcher ici depuis les tentes semblait un aussi bon exercice qu’un autre. » Certainement plus agréable que de marcher d’un pas relevé cinq ou six fois autour des remparts de la cité, l’habituelle notion d’un exercice léger selon les Aiels. Elle espéra que Sorilea ne demanderait pas pourquoi. Elle n’aimait foncièrement pas mentir à aucune des Sagettes.

Sorilea l’observa un moment comme si elle avait flairé quelque chose de caché, puis elle remonta son châle sur des épaules étroites et annonça : « Il n’est pas ici. Il est allé à son école. Berelain Paeron suggère qu’il ne serait pas sage de le suivre, et je suis du même avis. »

Empêcher son visage d’exprimer la moindre réaction fut un effort pour Egwene. Que les Sagettes se soient prises de sympathie pour Berelain avait été la dernière chose à laquelle elle s’attendait. Elles la traitaient comme une femme respectable et dotée de bon sens, ce qui paraissait absolument dépourvu de bon sens aux yeux d’Egwene, et cela non pas parce que Rand lui avait donné de l’autorité. Elles ne se souciaient de l’autorité d’un natif des Terres Humides pas plus que d’une brindille desséchée. C’était ridicule. Cette femme de Mayene s’affichait dans des tenues scandaleuses et flirtait de façon éhontée – quand elle ne faisait pas plus que flirter, comme Egwene le croyait peu charitablement. Pas du tout le genre de femme à qui Amys devrait sourire comme à sa fille favorite. Ou Sorilea.

Sans qu’elle le veuille, des pensées se rapportant à Gawyn lui remontèrent en tête. Cela n’avait été qu’un rêve, et par-dessus le marché son rêve à lui. Certainement rien de comparable avec ce que faisait Berelain.

« Quand les joues d’une jeune femme rougissent sans raison apparente, commenta Sorilea, il y a en général un homme en cause. Quel homme a attiré votre attention ? Pouvons-nous nous attendre à vous voir déposer bientôt à ses pieds une couronne de fiançailles ?

— Les Aes Sedai se marient rarement », lui dit Egwene d’un ton froid.

Le rire sec de la femme au visage tanné résonna comme de l’étoffe qui se déchire. Les Vierges de la Lance et les Sagettes, en vérité l’ensemble des Aiels, avaient peut-être jugé qu’elle n’était pas une Aes Sedai tant qu’elle étudiait avec Amys et les autres, mais Sorilea allait plus loin. Elle semblait penser qu’Egwene était devenue une Aielle. En plus de quoi, rien n’existait où Sorilea ne se croyait pas autorisée à mettre le doigt. « Vous le ferez, ma petite. Vous n’êtes pas taillée pour devenir une Far Dareis Mai et estimer que les hommes sont un sport comme la chasse, et encore. Ces hanches ont été prévues pour des bébés et vous les aurez.

— Voudriez-vous me dire où je peux attendre Rand ? » demanda Egwene, d’une voix plus faible qu’elle ne l’aurait souhaité. Sorilea n’était pas une Rêveuse, capable d’interpréter les rêves, et elle n’avait certes aucun don pour les Prophéties, mais elle était si affirmative que ce qu’elle disait semblait inévitable. Les bébés de Gawyn. Lumière, comment pourrait-elle avoir les bébés de Gawyn ? En vérité, les Aes Sedai ne se mariaient presque jamais. Rare était l’homme désireux d’épouser une femme qui, avec le Pouvoir, était capable de le manipuler comme un enfant si elle le voulait.

« Par ici, dit Sorilea. Est-ce Sanduin, ce Vrai Sang bien découplé que j’ai vu autour de la tente d’Amys hier ? Cette cicatrice fait ressortir la beauté du reste de sa figure… »

Sorilea continua à citer des noms tout en conduisant Egwene dans le palais, guettant toujours du coin d’un œil perspicace la moindre réaction. Elle s’efforçait aussi de son mieux d’énumérer les charmes de chaque homme et comme cela incluait la description de son aspect sans vêtements – chez les Aiels, hommes et femmes partageaient les mêmes étuves – c’est certain qu’elle obtint pas mal de rougeurs gênées.

Quand elles arrivèrent à l’appartement où Rand passerait la nuit, Egwene fut plus que contente de prodiguer précipitamment des remerciements et de rabattre sur elle avec fermeté la porte du salon. Par chance, la Sagette devait avoir d’autres obligations, sinon elle serait aussi bien entrée quand même.

Respirant à fond, Egwene se mit à lisser ses jupes et à rajuster son châle. Ils n’en avaient pas besoin, mais elle se sentait comme précipitée au bas d’une colline. Cette Sorilea éprouvait plus que du goût pour jouer les marieuses. Elle était capable de tresser elle-même la couronne de fiançailles, de traîner la jeune fille jusqu’à l’élu de son choix pour qu’elle dépose la couronne à ses pieds et d’obliger ledit élu à la ramasser en lui tordant le bras. Eh bien, pas exactement traîner et tordre, mais cela revenait au même. Évidemment, Sorilea ne pousserait pas les choses aussi loin avec elle. Cette idée provoqua un petit rire. En somme, Sorilea ne croyait pas vraiment qu’elle était devenue une Aielle ; elle savait qu’Egwene était une Aes Sedai, ou en tout cas le pensait. Non, il n’y avait certes aucune raison de se tracasser à ce sujet !

Elle avait les mains sur le fichu gris plié qui retenait ses cheveux en arrière quand elle se figea au bruit de pas légers dans la chambre à coucher. Si Rand pouvait sauter de Caemlyn à Cairhien, peut-être avait-il sauté droit dans sa chambre. Et peut-être quelqu’un – ou quelque chose – l’attendait. Elle embrassa la Saidar et tissa des surprises désagréables, prêtes à être utilisées. Une gai’shaine apparut, les bras chargés d’un paquet de draps de lit, et sursauta en la voyant. Egwene relâcha la Saidar et espéra n’être pas de nouveau en train de piquer un fard.

Niella ressemblait assez à Aviendha pour surprendre au premier coup d’œil dans cette coule blanche au capuchon profond. À moins de se rendre compte qu’il fallait ajouter six ou sept ans à un visage qui n’était peut-être pas tout à fait aussi bronzé, peut-être un peu plus plein. La sœur d’Aviendha n’avait jamais été Vierge de la Lance ; elle était en fait tisserande et avait accompli bien plus de la moitié de son année et un jour.

Egwene n’offrit pas de salutations ; cela aurait seulement embarrassé Niella. « Attendez-vous bientôt Rand ? demanda-t-elle.

— Le Car’a’carn viendra quand il viendra », répliqua Niella, les yeux baissés avec soumission. Cela paraissait vraiment bizarre ; le visage d’Aviendha, même plus arrondi, ne cadrait pas bien avec la soumission. « C’est à nous d’être prêts quand il arrive.

— Niella, avez-vous une idée de la raison pour laquelle Aviendha aurait besoin de se cloîtrer avec Amys, Bair et Mélaine ? » Cela n’avait sûrement rien à voir avec l’exploration des rêves ; Sorilea avait autant d’aptitude qu’Aviendha sur ce plan-là.

« Elle est ici ? Non, je ne connais aucune raison. » Mais les yeux pairs de Niella se plissèrent légèrement dès qu’elle parla.

« Vous savez quelque chose », insista Egwene. Autant profiter de l’obéissance gai’shaine. « Dites-moi ce que c’est, Niella.

— Je sais qu’Aviendha me cravachera jusqu’à ce que je ne puisse plus m’asseoir si le Car’a’carn me trouve debout ici avec des draps saies », dit Niella à regret. Egwene ignorait si une question de ji’e’toh entrait plus ou moins en jeu, cependant quand elles étaient ensemble Aviendha se montrait deux fois plus exigeante envers sa sœur qu’envers n’importe quelle autre gai’shaine.

La coule de Niella glissa sur les dessins du tapis comme elle se hâtait vers la porte, mais Egwene l’attrapa par la manche. « Quand votre temps sera terminé, abandonnerez-vous le blanc ? »

Ce n’était pas une question convenable à poser et l’air de soumission se fondit en fierté digne de n’importe quelle Vierge de la Lance. « Agir autrement serait un outrage au ji’e’toh », répliqua Niella d’un ton sévère. Brusquement, un léger sourire détendit ses lèvres. « D’ailleurs, mon mari viendrait me chercher et il ne serait pas content. » Le masque d’humilité reparut ; ses yeux se baissèrent. « Puis-je m’en aller à présent ? Si Aviendha est ici, je préférerais ne pas la rencontrer si je peux l’éviter, et elle se rendra dans cet appartement. »

Egwene la laissa partir. Elle n’avait eu aucun droit à poser cette question, de toute manière ; parler de la vie des gai’shains avant qu’ils endossent la coule blanche, ou après, était humiliant. Elle se sentait un peu honteuse elle-même, encore que, bien sûr, ne cherchant pas en réalité à suivre la morale du ji’e’toh. Juste assez pour être polie.

Seule, elle s’installa dans un fauteuil doré aux sculptures sévères, le trouvant étrangement inconfortable après s’être si longtemps assise en tailleur sur des coussins ou sur le sol. Repliant ses jambes sous elle, elle se demanda ce dont Aviendha discutait avec Amys et les deux autres. Rand, presque certainement. Il intéressait toujours les Sagettes. Elles ne se souciaient pas des Prophéties du Dragon des natifs des Terres Humides, mais elles connaissaient par cœur la Prophétie de Rhuidean. Quand il aurait anéanti les Aiels, comme cette prophétie annonçait qu’il le ferait, « le reste du reste » serait sauvé et elles entendaient veiller à ce que ce reste soit aussi conséquent que possible.

Voilà pourquoi elles obligeaient Aviendha à demeurer près de lui. Trop près pour les convenances. Si elle allait dans la chambre, elle était sûre qu’elle verrait une couchette préparée par terre pour Aviendha. Toutefois, Aviendha voyait différemment ce genre de chose. Les Sagettes voulaient qu’Aviendha enseigne à Rand les us et coutumes des Aiels, qu’elle lui rappelle que son sang était aiel s’il n’avait pas été élevé comme tel. Apparemment, les Sagettes estimaient que cela nécessitait la totalité des heures de veille et, étant donné ce qu’elles avaient à affronter, elle ne pouvait pas les en blâmer entièrement. Pas entièrement. N’empêche, ce n’était pas convenable de faire dormir une femme dans la même pièce qu’un homme.

Néanmoins, elle était impuissante à résoudre le problème d’Aviendha, d’autant plus qu’Aviendha ne semblait pas voir qu’il y avait là un problème. Appuyée sur son coude, Egwene essaya de penser à la façon de s’y prendre pour entamer ses pourparlers avec Rand. Son esprit envisageait une solution après l’autre, mais elle n’en avait encore arrêté aucune quand il entra, murmurant quelque chose à deux Aiels dans le couloir avant de fermer la porte.

Egwene se leva d’un bond. « Rand, il faut que tu m’aides auprès des Sagettes ; elles t’écouteront », s’écria-t-elle sans pouvoir s’arrêter plus tôt ; cela n’était pas du tout ce qu’elle avait l’intention de dire.

« Quel plaisir aussi de te revoir », dit-il en souriant. Il portait cette longueur de lance seanchane, sculptée de Dragons depuis la dernière fois qu’elle l’avait eue sous les yeux. Elle aurait aimé savoir où il l’avait trouvée ; tout ce qui était seanchan lui donnait la chair de poule. « Je me porte bien, merci, Egwene. Et toi ? Tu as l’air rétablie, plus que jamais débordante d’énergie. » Lui avait une mine terriblement fatiguée. Et dure, assez dure pour que ce sourire paraisse bizarre. Il semblait plus dur chaque fois qu’elle le revoyait.

« Inutile de te croire drôle », répliqua-t-elle avec humeur. Autant continuer comme elle avait commencé. Cela valait mieux que battre en retraite et se répandre en menus propos, fournissant encore à Rand des raisons de se moquer. « M’aideras-tu ?

— Comment ? » Se mettant à l’aise – ma foi, c’était son appartement – il jeta le fragment de lance orné de glands sur une petite table aux pieds sculptés en forme de patte de léopard et se débarrassa de son ceinturon et de sa tunique. Quoi qu’il en soit, il ne transpirait pas plus que les Aiels. « Les Sagettes m’écoutent, mais elles entendent uniquement ce qu’elles veulent. J’en suis venu à reconnaître cette expression neutre qu’elles prennent quand elles estiment que je débite des inepties et qu’elles se bornent à ne pas en tenir compte au lieu de m’embarrasser en le disant ou d’en discuter. » Il tourna un des fauteuils dorés face à elle et s’y carra en allongeant devant lui ses pieds bottés. Même cela, il s’arrangea pour le faire avec arrogance. Décidément, il était entouré de trop de gens qui se prodiguaient en courbettes.

« Tu débites effectivement des inepties de temps en temps », dit-elle entre ses dents serrées. Pour une raison quelconque, ne plus avoir le temps de réfléchir condensa ses pensées. Rajustant avec soin son châle, elle se plaça droit devant lui. « Je sais que tu aimerais avoir des nouvelles d’Élayne. » Pourquoi le visage de Rand devenait-il tout triste comme ça et simultanément d’une froideur d’hiver ? Probablement parce qu’il n’avait eu aucune nouvelle d’elle depuis si longtemps. « Je doute que Sheriam ait transmis aux Sagettes de très nombreux messages d’elle pour toi. » Aucun, pour autant qu’elle le sache, mais il s’était rarement trouvé à Cairhien pour en recevoir. « Je suis celle à qui Élayne confiera ce genre de missive. Je peux te les apporter, si tu convaincs Amys que je suis assez forte pour… pour reprendre mes études. »

Elle regrettait d’avoir hésité, mais il en connaissait déjà trop sur l’exploration des rêves, sinon sur le Tel’aran’rhiod. Presque tout sur l’exploration des rêves sauf le nom était un secret bien gardé chez les Sagettes, en particulier par celles qui pouvaient la pratiquer. Elle n’avait pas le droit de révéler leurs secrets.

« Tu me diras où se trouve Élayne ? » Il aurait aussi bien pu demander une tasse de thé.

Elle faillit répondre, mais l’accord entre elle, Nynaeve et Élayne – par la Lumière, depuis combien de temps l’avaient-elles conclu ? –, cet accord était toujours valable. Rand n’était plus le garçon avec qui elle avait grandi. C’était un homme, plein de lui-même, et en dépit du ton qu’il avait adopté, ses yeux fixés fermement sur elle exigeaient une réponse. Si des étincelles jaillissaient entre Aes Sedai et Sagettes, entre Aes Sedai et lui se déclencherait un incendie. Il devait y avoir un tampon entre eux et les seuls tampons qui existaient étaient elles trois. Il fallait le faire, mais elle espérait qu’elles ne seraient pas brûlées en le faisant. « Je ne peux pas te le dire, Rand. Je n’ai pas le droit. Ce secret ne m’appartient pas. » Ce qui était la pure vérité, en plus. Aussi bien, ce n’était pas comme si elle pouvait lui expliquer où était ce Salidar, au-delà de l’Altara, quelque part le long de ce fleuve, l’Eldar.

Il se pencha en avant, tout concentration. « Je sais qu’elle se trouve avec des Aes Sedai. Tu m’as affirmé que ces Aes Sedai ont pris mon parti, ou le pourraient. Ont-elles peur de moi ? Dans ce cas, je prêterai serment de me tenir loin d’elles. Egwene, j’ai l’intention de donner à Élayne le Trône du Lion et le Trône du Soleil. Elle a droit aux deux ; le Cairhien l’acceptera avec autant d’enthousiasme que l’Andor. J’ai besoin d’elle, Egwene. »

Egwene ouvrit la bouche – et se rendit compte qu’elle était sur le point de lui révéler tout ce qu’elle connaissait de Salidar. Juste à temps, elle serra les dents si fermement que ses mâchoires en étaient douloureuses, et elle s’ouvrit à la Saidar. La délicieuse sensation de vie, si puissante qu’elle submergeait tout le reste, lui donna l’impression de l’aider ; lentement, l’incitation à parler commença à diminuer.

Il se radossa à son siège avec un soupir, et elle le dévisagea avec des yeux dilatés de stupeur. Une chose est de savoir qu’il était le Ta’veren le plus fort depuis Artur Aile-de-Faucon, mais une autre bien différente de subir soi-même cette emprise. Elle eut beaucoup de mal à s’empêcher de serrer ses bras autour d’elle et de frissonner.

« Tu ne me renseigneras pas », dit-il. Pas une question. D’un geste vif, il frotta ses avant-bras à travers ses manches de chemise, rappelant à Egwene qu’elle avait gardé la Saidar ; près comme il l’était, il devait la sentir comme un faible picotement. « T’imagines-tu que j’avais l’intention de te faire parler de force ? lança-t-il sèchement, soudain irrité. Suis-je maintenant un tel monstre que tu as besoin du Pouvoir pour te protéger de moi ?

— Je n’ai besoin de rien pour me protéger de toi », répliqua-t-elle aussi calmement qu’elle le put. Son estomac continuait à se convulser lentement. Il était Rand et il était un homme capable de canaliser. Une part d’elle-même avait envie de pousser des cris inarticulés et de gémir. Elle en avait honte, mais cela ne suffit pas à réprimer cette envie. Elle relâcha la Saidar, regrettant un brin de réticence. Toutefois peu importait ; si cela en venait à ce genre de duel, à moins qu’elle ne parvienne à l’envelopper d’un bouclier il la maîtriserait aussi aisément que s’ils s’affrontaient au jeu du bras de fer. « Rand, je suis navrée de ne rien pouvoir pour toi, mais cela ne m’est pas possible. Néanmoins, je te demande de nouveau de me donner un coup de main. Tu sais que cela t’aiderait toi-même. »

La colère de Rand s’effaça dans un sourire exaspérant ; c’était effrayant avec quelle rapidité cela se produisait chez lui. « Un chat pour un chapeau, ou un chapeau pour un chat », lui cita-t-il.

Mais rien pour rien, acheva-t-elle mentalement. Elle avait entendu dire cela par des gens de Taren-au-Gué quand elle était petite. « Mets ton chat dans ton chapeau et fourre-le dans tes chausses, Rand al’Thor », lui répliqua-t-elle froidement. Elle parvint à ne pas claquer la porte derrière elle en sortant, mais de justesse.

En s’éloignant à grands pas, elle se demanda ce qu’elle allait faire. Il fallait qu’elle s’arrange pour que les Sagettes la laissent retourner dans le Tel’aran’rhiod – légalement, pour ainsi dire. Tôt ou tard, Rand rencontrerait les Aes Sedai de Salidar, et cela faciliterait tellement les choses si, avant, elle avait une chance de s’entretenir de nouveau avec Élayne ou avec Nynaeve. Elle était un peu surprise que la communauté de Salidar ne soit pas déjà entrée en contact avec lui ; qu’est-ce qui retenait Sheriam et les autres ? Elle n’y pouvait rien, et elles savaient probablement mieux qu’elle ce qu’elles devaient faire.

Il y avait une chose qu’elle était pressée de communiquer à Élayne. Rand avait besoin d’elle. Il donnait l’impression de le penser foncièrement plus que n’importe quoi qu’il avait jamais dit dans sa vie. Cela devrait apaiser tous les tourments d’Élayne qui se demandait s’il l’aimait encore. Aucun homme n’affirme de cette façon qu’il a besoin de vous à moins de vous aimer.


Pendant quelques instants, Rand resta assis à contempler la porte après qu’elle s’était refermée derrière Egwene. Elle était tellement différente de la jeune fille avec qui il avait grandi. Dans ces vêtements aiels, elle incarnait une bonne imitation d’une Sagette – sauf pour la taille, évidemment ; une petite Sagette avec de grands yeux noirs – mais, aussi bien, Egwene mettait toujours tout son cœur dans ce qu’elle faisait. Elle était restée aussi maîtresse d’elle-même qu’une Aes Sedai, saisissant la Saidar quand elle avait cru qu’il la menaçait. Voilà ce dont il devait se souvenir. Quels que soient les habits qu’elle avait sur le dos, elle voulait être une Aes Sedai, et elle garderait des secrets d’Aes Sedai même après qu’il avait stipulé clairement qu’il avait besoin d’Élayne pour assurer la paix dans deux nations. Il devait penser à elle comme à une Aes Sedai. C’était d’un triste à pleurer.

Avec lassitude, il se leva et renfila sa tunique. Il y avait encore à voir les nobles cairhienins, Colavaere et Maringil, Dobraine et compagnie. Et les Tairens : Meilan et Aracome et cette bande-là grinceraient des dents s’il accordait aux Cairhienins une minute de plus qu’à eux. Et les Sagettes voudraient avoir leur tour, ainsi que Timolan et le reste des chefs de clan ici qu’il n’avait pas encore rencontrés aujourd’hui. Pourquoi en vérité avait-il voulu partir de Caemlyn ? Bah, s’entretenir avec Herid avait été agréable ; les questions qu’il avait soulevées ne l’étaient pas, mais c’était plaisant de parler à quelqu’un qui ne se rappelait jamais qu’il était le Dragon Réincarné. Et il avait joui d’un peu de temps sans une coterie d’Aiels autour de lui ; il s’arrangerait pour se ménager encore du temps comme cela.

Il aperçut son image dans un miroir au cadre doré. « Du moins ne lui as-tu pas laissé voir que tu étais fatigué », dit-il à son reflet. C’était un des petits conseils succincts de Moiraine. Ne leur laisse jamais constater que tu faiblis. Il n’avait qu’à s’habituer à la considérer comme une d’entre elles.


Apparemment assise tranquillement sur ses talons dans le jardin sous les fenêtres de l’appartement de Rand al’Thor, Suline lançait d’une pichenette un petit poignard dans la terre, de l’air de s’amuser à jouer à pique-couteau. Le cri d’un hibou de rocher partant d’une des fenêtres la fit se redresser avec un juron, glissant le poignard dans sa ceinture. Rand al’Thor avait de nouveau quitté son appartement. Le surveiller de cette façon ne servirait à rien. Si elle avait ici Enaila ou Somara, elle les attacherait à lui. Elle s’efforçait normalement de le protéger de ce genre de stupidité comme elle le ferait pour un premier-frère.

Se dirigeant d’un pas rapide vers l’entrée la plus proche, elle rejoignit trois autres Vierges de la Lance – aucune ne lui avait tenu compagnie – et elles se mirent à fouiller le labyrinthe de couloirs tout en essayant d’avoir l’air de simplement se promener. Quoi que veuille le Car’a’carn, rien ne devait arriver au seul fils d’une Vierge qui soit jamais revenu parmi elles.

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