Nous vendîmes les chevaux sur la place du marché, un peu moins cher que nous les avions achetés, et Quéquex loua un bateau qui suivit un canal, puis un autre, et nous déposa près d’un hôtel paisible. J’étais satisfait de sa modeste apparence et de sa situation dans un quartier humble. Une heure de plus parmi les splendeurs de la partie centrale de la ville m’eût anéanti. Il n’y avait rien d’écrasant dans ce quartier et j’y respirais mieux.
Quand il me vit bien installé à l’hôtel, Quéquex dit : « Mon ami, je te suis très reconnaissant de ta compagnie durant ce voyage. Par trois fois au moins tu m’as sauvé la vie et je te remercie par trois fois. » Il ôta prestement de ses épaules le plus lourd des colliers de jade et me le passa autour du cou. Je fléchis un instant sous le poids d’une cinquantaine de perles énormes taillées dans la précieuse pierre verte. Je tentai de refuser le présent mais Quéquex m’arrêta aussitôt et je n’osai insister. Je commençais à savoir accepter de bonne grâce les cadeaux les plus somptueux.
Il me vint à l’esprit que le jade de Quéquex et l’anneau de Nezahualpilli représentaient pour moi un capital considérable. Même en supposant qu’on m’escroque je pourrais en tirer assez d’argent pour subsister pendant plusieurs années. Mais ces trésors me rendaient vulnérables à la convoitise des voleurs. Et d’entre tous les présents, le plus humble de tous, le couteau bien aiguisé d’Opothle, devenait le plus précieux.
« Je peux te payer ma dette d’une façon encore », dit Quéquex. Je m’apprêtais à lui dire qu’il ne me devait absolument rien, que j’avais tout autant que lui bénéficié de notre rencontre, mais il ne me laissa pas l’interrompre. « Je peux t’introduire à la cour. Cela t’intéresserait d’être présenté au roi ? Je peux t’obtenir une audience de Moctezuma. Dans notre calendrier, c’est aujourd’hui Aigle-Trois. Dans quatre jours, c’est-à-dire le jour d’Aigle-Sept, tu iras au palais et tu pourras approcher le roi et lui faire tes hommages. D’accord ? »
« C’est trop, dis-je. Je n’oserai pas. Le roi lui-même… »
« … n’est qu’un homme tout comme nous. Il ne te mangera pas. Et tu auras le rare privilège de voir l’intérieur du palais. Viendras-tu ? »
J’acquiesçai.
J’étais si ému à la pensée de saluer Moctezuma que j’en oubliais presque de poser la question que j’avais gardée jusque-là en réserve. Quéquex me dit adieu et s’éloigna en roulant des hanches ; et juste comme il refermait la porte je poussai un cri strident : « Quéquex ! » Il rentra dans la pièce, l’air surpris.
« J’ai quelque chose à vous demander, Quéquex. Il y a un prince qui se nomme Topiltzin. Le connaissez-vous ? »
Le visage de Quéquex devint mortellement pâle. Entre les paupières plissées, le regard n’était plus qu’un trait luisant. Il dit lentement : « Oui, je le connais. Et alors ? »
« Où puis-je le trouver ? »
« Tu n’as pas besoin de le voir. »
« Je veux le voir. C’est important. »
« Ami Dan, écoute-moi. Topiltzin est un homme dangereux. L’ombre de la tombe est sur lui. Ne recherche pas sa compagnie. »
« N’importe. Je veux lui parler. »
« Qui t’a mis cette idée dans la tête ? Ton ami, le grand Nezahualpilli, je suppose ? À ma connaissance, c’est le seul qui… Écoute mon conseil : oublie Topiltzin. Il est ici en disgrâce. Moctezuma pourrait bien un jour lui couper la tête. Si tu te trouves dans les parages, la tienne risque de tomber aussi. »
« Je prendrai soin de mon cou, Quéquex. C’est une faveur personnelle que je te demande ; aide-moi à trouver Topiltzin. Toi qui as tant de relations, tu n’auras sûrement aucun mal à retrouver sa trace. »
« Une faveur personnelle, dis-tu ? »
« Oui, une grande faveur. »
Il y eut un long silence. Quéquex tiraillait son triple menton, tripotait ses boucles d’oreilles. Enfin, il déclara : « Tu m’as sauvé la vie. Par trois fois. Je ne peux refuser ta requête. »
J’attendais.
« Mais Topiltzin est un dangereux coquin. En t’envoyant à lui, c’est peut-être à la mort que je t’envoie. »
« J’en prends le risque. Allez-vous me le trouver ? »
« Je vais te le trouver », dit Quéquex.
J’étais maintenant livré à moi-même. Je dînai à l’hôtel, ce soir-là ; et le lendemain, qui était Aigle-Quatre, je retournai dans le centre de la ville, sans y éprouver la même stupeur. J’allai ici et là comme n’importe quel touriste, visitai les bâtiments publics, les temples et les palais anciens. Je m’attardai longuement sur la place du marché. Comme je m’y attendais, personne ne m’adressa la parole : dans une ville aussi populeuse, il est difficile de rompre les barrières et on se sent vraiment un étranger.
Je songeais aux avertissements de Quéquex et me demandais s’il avait quelque raison personnelle de ne pas aimer Topiltzin. Ou bien était-il vraiment inquiet de me voir le rechercher ? S’il ne m’avait pas posé de questions, ses réticences laissaient supposer que Topiltzin était un oisif, un propre à rien. Quéquex paraissait redouter de me voir tomber entre ses griffes. Quéquex était mon ami, il ne me voulait que du bien. Mais Nezahualpilli qui m’avait donné le nom de Topiltzin était lui aussi mon ami.
Le temps dirait lequel avait raison. J’irais voir ce Topiltzin et m’efforcerais de le juger moi-même.
Le lendemain était Aigle-Cinq, et je jouai encore au touriste ce jour-là. Bien entendu, j’aurais pu passer le reste de mes jours à me promener dans Tenochtitlan sans réussir à tout voir. Mais cette fois je me limitai à l’ouest de la ville, passant le pont pour quitter l’île et visiter Chapultepec et sa colline sacrée.
Quand je rentrai à l’hôtel, j’y trouvai un message de Quéquex. Je rompis le cachet, dépliai la feuille de papier épais et y lus une adresse écrite en anglais. Je pensai tout d’abord que mon ami faisait preuve envers moi d’une grande sollicitude : il se doutait que j’avais quelques difficultés avec l’alphabet aztèque. Puis il me vint à l’esprit que la raison pouvait être plus prosaïque : si l’adresse de Topiltzin était inconnue des services de police, Quéquex agissait prudemment en utilisant une écriture que peu de gens ici savaient déchiffrer.
Je me renseignai et fus agréablement surpris d’apprendre que la rue indiquée se trouvait à une courte distance de l’endroit où je logeais. Je louai un bateau et une demi-heure plus tard j’étais dans la rue où demeurait Topiltzin.
Je trouvai assez facilement la maison. Elle avait dû être un noble palais à l’époque glorieuse de l’histoire aztèque. Mais depuis elle s’était transformée, après de multiples cloisonnements, en une sorte de pension de famille, plutôt lépreuse à présent, et qui, pour le moins, avait besoin d’une bonne couche de peinture.
Il me semblait très peu probable qu’un prince de sang royal passe plus de trois secondes dans un endroit pareil. Mais je me souvins que les temps étaient durs pour Topiltzin.
J’entrai.
D’après le message de Quéquex, Topiltzin occupait un appartement au rez-de-chaussée. À droite ? À gauche ? J’ignorais. Au hasard, j’empruntai sur la gauche un étroit couloir à l’odeur de moisi. J’hésitai devant chaque porte. Celle-ci ? Celle-là ? Allais-je devoir frapper successivement à chacune d’elles ?
Je me tenais dans la demi-obscurité, assez perplexe.
C’est alors que deux mains se glissèrent sous mes bras. Elles remontèrent contre ma poitrine et se refermèrent étroitement sur mon cou. De ma gorge sortit un curieux gargouillis. Les mains serrèrent un peu plus fort.
« Maintenant tu la fermes », dit une voix de basse, et la plus basse que j’aie jamais entendue. « Qu’est-ce que tu viens faire ici ? »
Je ne pouvais répondre tant que les doigts d’acier maintenaient leur pression sur ma trachée. L’air manquait à mes poumons et mes genoux fléchissaient. J’envisageai un instant de me saisir de mon couteau et, d’un violent mouvement en arrière, de planter la lame dans le flanc de l’agresseur. Mais dès que je tentai de contracter mes muscles, les doigts resserrèrent leur étreinte.
Je me sentais perdre conscience.
« Tu n’as rien à faire ici », disait de sa voix profonde comme la nuit l’inconnu qui m’avait attaqué. « Tu regrettes déjà d’être venu, hein ? Tu aurais mieux fait de rester tranquille. »
Mes jambes se dérobèrent sous moi. Je tombai presque évanoui et feignis de l’être tout à fait. Je m’étais laissé aller si lourdement que les mains sur mon cou se relâchèrent.
C’était l’occasion que j’attendais.
Une inspiration violente et mes poumons se remplirent d’air. Me retournant brusquement je saisis mon agresseur par la cheville et d’une secousse brutale l’allongeai sur le sol. Il ne s’attendait guère, je suppose, à une action aussi violente de la part d’un homme qu’il venait d’étrangler. Lorsqu’il atterrit près de moi je pus enfin le voir distinctement. C’était un Africain du plus beau noir, le visage si sombre qu’il en paraissait pourpre. Il devait avoir environ trente ans. Ses cheveux laineux découvraient largement son front luisant. Son corps, aux épaules d’une largeur surprenante, était massif et puissant. Les muscles formaient d’énormes cordes sous la peau de ses bras tendus.
Avant qu’il m’empoigne de nouveau je bondis sur lui et tentai de l’assommer contre le sol. Ce n’était pas un homme qu’on assommait aussi aisément. Je le saisis aux épaules et appuyai de toutes mes forces. Mais il se redressait peu à peu. Les veines saillaient sur son front. Je contractai mes muscles frémissants, des aiguilles de feu me traversèrent la tête pendant que je le repoussais une fois de plus. Il resta comme suspendu à quelques centimètres du sol, mes genoux pressant ses bras, mes mains agrippées à ses épaules. Ses yeux étaient larges et brillants, et il souriait malgré l’effort, découvrant une double rangée de grandes dents luisantes.
Plus bas… plus bas… encore plus bas.
Il était clair que je n’arriverais pas à le maintenir cloué au sol. L’homme était trop fort. Je pouvais néanmoins l’étrangler, en essayant de m’y prendre mieux que lui. Mes mains glissèrent de ses épaules le long des clavicules, vers le cou. Et je serrai.
Lentement, il faiblissait. Ses muscles se relâchaient. C’était une lutte fantastique et j’allais la gagner. Je ne voulais pas vraiment l’étrangler. J’éprouvais un certain respect pour sa force extraordinaire. Mais il m’avait attaqué en me prenant par derrière. Si c’était le seul moyen de m’en sortir la vie sauve… eh bien, je l’étranglerais.
Il ne souriait plus. Il grimaçait de souffrance. Encore une minute et…
Je sentis alors ce qui devait être la pointe d’un javelot qu’on me poussait sans trop de douleur contre les côtes.
« Lâche-le, dit un homme à la voix de fausset. Lâche-le. Et debout. Mains en l’air. Allons ! »
La morsure du métal froid sur mon dos s’accentua. Je lâchai l’Africain, roulai de côté et me redressai, mains levées.
L’Africain, qui semblait pourtant assez mal en point, sauta sur ses pieds et arracha mon couteau de sa gaine. Puis l’homme au javelot vint se poster en face de moi.
Quoique originaire des Hespérides, il n’était pas mexicain, cela se voyait à son aspect, à ses vêtements. Sa peau était sombre, ses pommettes moins saillantes, son nez arrondi au lieu d’être aigu. Il devait avoir environ vingt-cinq ans. Il semblait tout prêt à m’enfoncer le javelot dans la poitrine au moindre geste suspect.
Il demanda : « Pourquoi es-tu ici ? »
« Je suis venu voir Topiltzin. »
« Qui est Topiltzin ? »
« Le fils du frère du Roi. Il habite ici. Vous le savez aussi bien que moi. »
« Il n’y a pas de Topiltzin, ici. »
« Alors qui êtes-vous ? Pourquoi avez-vous sauté sur moi tous les deux ? »
« Nous ne savions pas ce que tu voulais. Tu es étranger. Tu pouvais être dangereux. »
Je jetai un coup d’œil à la pointe de la lame, tout près de ma ceinture. « Finissons-en avec cette plaisanterie stupide et conduisez-moi à Topiltzin. »
« Nous ne connaissons pas de Topiltzin. »
« Tu mens. »
« Qu’est-ce qui te fait croire que Topiltzin est ici ? »
« Je le sais. »
« Comment peux-tu en être sûr ? »
« On me l’a dit ? »
« Qui te l’a dit ? »
« Quéquex le sorcier. »
Un silence. Le Noir et l’homme au javelot échangèrent un coup d’œil. Ils prononcèrent quelques mots dans un langage qui m’était inconnu. L’homme des Hespérides demanda : « Qu’as-tu à faire avec Topiltzin ? »
« Je veux le servir. Me battre pour lui. Je cherche l’aventure. »
Un autre conciliabule. Puis :
« Demi-tour. Garde les mains en l’air. Va tout droit. »
On me conduisait à Topiltzin.
Ils me firent longer le couloir humide jusqu’à une porte lointaine devant laquelle j’attendis que l’Africain tire un verrou. Nous entrâmes dans un appartement délabré qu’on avait tendu de draperies et d’étoffes afin de lui donner un semblant d’opulence aztèque. Au milieu de la pièce, sur un épais matelas posé au sol, un jeune homme était nonchalamment étendu : Topiltzin.
Il ressemblait quelque peu à Nezahualpilli, avec de longues jambes, comme en ont d’ailleurs la plupart des Aztèques, des cheveux d’un noir de jais atteignant les épaules, une peau basanée et lisse. Le nez long, la bouche dure, les yeux sombres et rusés. Il était mince mais musclé. Il se leva sans hâte, avec des gestes si souples qu’il semblait n’avoir pas de squelette, et me dévisagea de cet air soupçonneux qui est le trait commun à tous les aristocrates, dans le monde entier.
Il demanda : « Qu’est-ce que c’est ? »
À l’instant, je le méprisai. Il n’avait prononcé que quatre mots et déjà je décidai qu’il était arrogant, paresseux, cruel et vaniteux. Il était vraiment tout cela, mais je ne découvris que plus tard l’énergie dissimulée sous son élégance affectée.
Je déclarai : « Je suis venu d’Angleterre pour chercher l’aventure. Je veux m’engager au service d’un jeune prince ambitieux. On m’a donné votre nom. »
« Qui ? »
Je ne tenais pas à mêler Nezahualpilli à cette affaire. Je dis simplement : « Un ami. »
« Quéquex », dit l’Africain.
« Quéquex n’est pas mon ami », dit Topiltzin.
« Il est le mien. Mais c’est un autre qui m’a conseillé d’aller vous trouver. Quéquex m’a simplement procuré votre adresse. Et même j’ajouterai : contre son gré, car il n’a pas de vous une haute opinion. »
« Le contraire m’étonnerait, dit Topiltzin en riant. Quéquex était à la cour, la dernière fois où je m’y suis mal conduit. Veux-tu savoir ce que j’ai fait, étranger aux cheveux jaunes ? J’ai forcé mon cousin Chimalpopoca, le fils favori de mon oncle le roi, à avaler de l’alcool. Quand il a été complètement paf, il est entré comme un ouragan dans la salle du trône où Moctezuma conversait avec ses conseillers et s’est conduit d’une façon scandaleuse. » Topiltzin rit à ce bon souvenir. « Plus tard, l’enfant m’a dénoncé et j’ai eu encore des ennuis. Mais ça valait la peine. Rien que pour voir ce petit garçon bien élevé marcher sur les mains dans la salle du conseil… ! »
« Et vous êtes en disgrâce pour une si petite chose ? »
« Non, étranger. Pour bien d’autres dont celle-ci n’a été que la dernière et la moins grave. » Il s’approcha de moi. Il me dépassait d’une tête et je devais tendre le cou pour rencontrer son regard noir et glacé. « Toi, l’Anglais, que cherches-tu au Mexique ? »
« Des terres. La fortune. Un nom parmi les guerriers. »
« As-tu jamais pris part à une guerre ? »
« Seulement en rêve. »
« As-tu déjà tué ? »
« Je peux tuer si c’est nécessaire. »
« Mais tu ne l’as jamais fait ? »
« Non. »
« Sais-tu te battre ? »
« Demandez à votre ami l’Africain. »
Topiltzin regarda le Noir. Et le Noir porta la main à son cou d’un geste très significatif : « Il sait. »
« Me suivras-tu n’importe où ? »
« Où vous voudrez, mon Prince. Pourvu que la récompense soit au bout du voyage. »
Topiltzin sourit. Puis, sans avertissement, il lança la jambe en avant, l’allongeant derrière mon talon droit, et me fit un croche-pied magistral. Je perdis l’équilibre et basculai vers lui, cependant qu’il étendait les bras pour me saisir aux épaules. Je suppose qu’il cherchait à m’empoigner solidement afin de me précipiter de toutes ses forces contre le mur.
Je parai l’attaque avec tant de promptitude que cela me surprit moi-même. Je réussis à arrêter ma chute, repris du pied droit un appui solide, et en même temps saisis Topiltzin à la gorge. Je fléchis les genoux, tendis de nouveau les jambes, accompagnant le mouvement d’une vigoureuse poussée des bras. Le prince s’envola gracieusement à travers la pièce et atterrit sur sa couche, pareil à un pantin désarticulé.
Immédiatement, l’Africain appuyait contre mes côtes la lame de mon propre couteau, et l’autre homme tendait vers moi un javelot menaçant. Topiltzin se releva lentement, remit de l’ordre dans ses anneaux de jade et apaisa ses compagnons d’un geste. « Arrière, dit-il. Qu’il vive. Bravo, l’Anglais. Quel est ton nom ? »
« Dan Beauchamp. »
« Le prénom ? »
« Dan. »
« Eh bien, Dan, il se trouve que nous sommes sur le point de partir pour une expédition aventureuse. Il pourrait bien y avoir place pour toi. On ne m’a pas souvent jeté à terre avec tant d’élégance. »
« Prince, je ne voulais pas vous offenser. C’était un cas de légitime défense. »
« Bien entendu. Je t’ai mis à l’épreuve, et tu t’en es tiré à ton honneur. Je t’imposerai pourtant encore une autre épreuve. »
« Je suis prêt. »
« Demain, à midi, dit Topiltzin, tu nous accompagneras sur le terrain de jeu. Es-tu un bon joueur de tlachtli ? »
« Je n’y ai jamais joué. »
« On apprend très vite les règles. Joue au tlachtli avec nous demain. Ce sera ton épreuve finale. »
Il fut décidé que tous les trois passeraient me prendre à l’hôtel le lendemain matin, et que nous irions ensemble au terrain de jeu qui n’était pas loin de l’enceinte du temple. J’étais mal à l’aise, car j’avais entendu de sinistres histoires au sujet de ce sport national mexicain, mais je ne pouvais plus reculer.
Avant mon départ, Topiltzin me présenta ses deux compagnons. Le Noir se nommait Sagaman Musa et venait de l’Empire du Mali. Je lui repris mon couteau. L’homme au javelot, Manco Huascar, un Péruvien, était, selon Topiltzin, un membre de la famille royale des Incas, condamné à l’exil. Il paraissait évident que pour mener à bien son entreprise Topiltzin rassemblait les aventuriers les plus bagarreurs de tous les pays à la ronde.
Je ne craignais pas la bagarre. Et je suppose qu’on pouvait me dire aventurier. J’aurais bien aimé pouvoir proclamer que, de plus, j’étais un rejeton de la maison de Plantagenêt, banni hors de son pays, un petit cousin du Roi Richard, par exemple. Mais Topiltzin devrait se contenter d’un Dan Beauchamp plébéien, un Dan Beauchamp qui, du moins, savait se battre, je l’avais amplement démontré. Si seulement je sortais vivant du jeu de ballon du lendemain j’avais ma place assurée dans l’état-major de Topiltzin.