Coda

Il y avait foule dans le wagon de marchandises à bord duquel ils quittèrent Haute Montagne, et Nancy fut consternée par la composition de celle-ci. Il ne s’agissait pas de simples vagabonds comme ceux qu’elle avait vus sous le pont de chemin de fer, mais de familles entières, hommes, femmes et enfants, émigrant dans l’Ouest, talonnés par l’hiver et la pauvreté. Des parias, pensa-t-elle, des exilés, et nous aurions très bien pu nous retrouver parmi eux, devenir comme eux… En vérité, nous ne valons guère mieux, malgré l’argent tombé du caban de L’Os (assez pour de la nourriture et un petit loyer)… mais quand même, d’une certaine manière, nous sommes différents. C’était écrit sur le visage de Travis.

Les silos et le château d’eau disparurent derrière eux. Un vent froid traversa les lattes du wagon, la poussant à se réfugier contre Travis. Il la serra dans ses bras avec une douceur qu’elle n’avait encore jamais sentie en lui. Elle regarda son visage : il regardait le gris au loin en fronçant les sourcils, inquiet, devina-t-elle, de leur destination et de ce qu’ils y feraient ; mais il y avait aussi autre chose en lui de peu familier, de complètement nouveau. Il se rendit compte qu’elle le regardait et lui sourit. Et c’est le sourire, s’émerveilla Nancy, d’un homme qui vient juste de pardonner à quelqu’un, ou qui a lui-même été pardonné.

Il n’y eut aucun office funèbre à Haute Montagne en novembre. Personne ne dirait (même si certains s’en doutaient) que Creath Burack était mort. Liza alluma tous les soirs une bougie à la fenêtre du salon durant ce mois de froideur, dans l’espoir que son mari arrive à retrouver le chemin de la maison. Mais il ne le fit pas, et à la première neige, elle rangea le bougeoir dans un tiroir de la commode, en lieu sûr entre un sachet de lavande et une nappe en lin pliée avec soin. Pour Creath, comme pour elle, il n’y eut pas de retour.


FIN
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