21 Sandra et Bose

Tremblante d’angoisse, Ariel Mather marchait de long en large dans sa chambre de motel. Elle avait commencé par vouloir aller chercher Orrin (« Tout de suite ! »), mais Bose l’avait convaincue de rester, au moins le temps d’expliquer ce qui s’était passé. Sandra s’assit sur le lit défait pour écouter avec attention, ne disant pas grand-chose, laissant la crise se dérouler autour d’elle.

« Vous êtes allés manger, souffla Bose.

— Ouais, au café-restaurant, on a pris des hamburgers. Ça vous aide de savoir ça ?

— Comment se sentait Orrin, ce matin ?

— Plutôt bien, j’imagine, pour quelqu’un qu’on avait drogué hier soir.

— D’accord, il était de bonne humeur. De quoi vous avez parlé ?

— Surtout de ce qui s’était passé depuis qu’il est parti de Raleigh. De son arrivée à Houston et de son embauche par ce Findley. Je lui ai demandé pourquoi il avait voulu partir de chez nous, déjà, j’avais fait quelque chose de mal ? Il était malheureux ? Il a répondu que non et qu’il s’excusait de m’avoir fait m’inquiéter autant. Il m’a dit qu’il avait juste eu l’impression d’avoir des affaires à régler à Houston.

— Quelles affaires ?

— Je lui ai posé la question, mais il n’avait pas envie de répondre. Je n’ai pas insisté, je croyais que tout était terminé, maintenant. On rentrait chez nous… c’est ce que je croyais.

De quoi d’autre avez-vous discuté ?

— Du temps. De cette foutue chaleur. Il peut faire chaud, à Raleigh, mais le Texas ! Franchement, je me demande pourquoi des gens y habitent. À part ça, pas grand-chose. Pendant le repas, Orrin a gardé ses carnets sur ses genoux, les calepins miteux que vous lui avez rendus hier, vous savez.

— Il en a parlé ?

— Il m’a montré deux ou trois pages ce matin, mais tout intimidé. Il y a des mots là-dedans que j’aurais pas cru qu’il connaissait… des mots que moi je ne connais pas. Je lui ai demandé si c’était lui qui avait écrit ça. Plus ou moins, qu’il m’a répondu. Je lui ai demandé comment on pouvait plus ou moins écrire quelque chose… le stylo, il le tenait ou pas ? Il m’a dit que oui. Et il y avait quelqu’un avec lui à ce moment-là ? Non, il a répondu. Alors c’est toi qui les as écrits, j’ai dit. Quoi qu’ils veuillent dire. Il m’a dit que c’était juste une histoire. Mais ça, j’en sais rien, vu comme il s’accroche à ces pages. Pourquoi ? Ça a un rapport, qu’il se soit enfui ?

— Je ne sais pas, a reconnu Bose. Qu’est-ce qui s’est passé, après le repas ?

— Il m’a demandé de l’argent de balade.

— De balade ?

— C’est comme ça qu’on l’appelait à Raleigh. Orrin faisait des petits boulots pour aider à payer le loyer, mais il n’avait pas d’argent à lui, en général, alors je lui donnais quelques billets le samedi, pour qu’il puisse s’acheter un truc au magasin, aller à la piscine ou manger au McDo. Il n’aimait pas s’éloigner de la maison sans argent dans la poche. » Ariel arrêta d’arpenter la pièce et secoua la tête. « Je lui ai donné quarante dollars pour lui faire plaisir. Je ne pensais pas qu’il allait se tirer avec. On fait quoi avec quarante dollars dans une grande ville comme ça ? Après manger, on est rentrés vous attendre dans la chambre. Ensuite, il a dit : Ariel, je vais à la réception faire de la monnaie pour le distributeur de Coca. J’ai répondu que je lui donnerai des pièces. Il a dit que non, que je lui avais déjà donné de l’argent, qu’il voulait changer un billet. Au bout de vingt minutes, il n’était toujours pas revenu, alors je suis allée le chercher. Il n’était pas au distributeur de boissons et je ne l’ai pas trouvé à la réception non plus. Le réceptionniste m’a dit qu’il avait vu Orrin attendre à l’arrêt du bus de la ligne municipale, sur la route.

— Le bus qui va dans quelle direction ? demanda Bose.

— Va falloir demander au réceptionniste.

— Orrin était seul, ou avec quelqu’un ?

— Le type n’a parlé de personne d’autre. »

Sandra attendit pour prendre la parole que Bose ait obtenu d’Ariel toutes les informations qu’elle était capable de fournir : « J’ai deux questions, si vous permettez. »

Bose sembla surpris. Ariel soupira d’un air impatient, mais hocha la tête.

« La dernière fois qu’on a discuté, vous nous avez dit qu’Orrin était doux et qu’il ne ferait jamais de mal à personne. Vous vous souvenez ? »

Les lèvres d’Ariel se crispèrent. « Bien sûr que je m’en souviens.

— Mais quand il a essayé de quitter le State Care, il s’est battu avec l’aide-soignant qui essayait de le retenir.

— Mensonge.

— Peut-être, mais le lendemain, l’aide-soignant portait un pansement. D’après lui, Orrin l’a mordu.

— Je ne prendrais rien de ce que racontent ces gens pour argent comptant. Vous n’aviez pas dit que vous aviez démissionné ?

— Tout à fait. Je ne travaille plus là-bas. Je voulais juste éclaircir ce point. »

Ariel marcha encore quelques instants de long en large avant de répliquer : « Personne n’est parfait, docteur Cole. Je vous ai dit qu’Orrin était doux et c’est la vérité. J’ai peut-être un peu exagéré la dernière fois qu’on a parlé, mais vous travailliez pour ceux qui l’avaient enfermé, je ne voulais rien dire qui puisse aggraver son cas.

— Aggraver comment ?

— Orrin s’est un peu battu dans son enfance. Il met du temps à s’énerver, docteur Cole, et il déteste les bagarres, mais ça veut pas dire qu’il s’est jamais bagarré. Les gamins du voisinage l’embêtaient, l’injuriaient et tout. En général, Orrin s’enfuyait, mais de temps en temps, il perdait patience. »

Sandra et Bose échangèrent un regard. « C’est arrivé souvent ? demanda ce dernier à Ariel.

— Oh, je ne sais pas. Peut-être une ou deux fois par an quand il était plus jeune.

— Il y a eu des occasions où ça a été grave ? Où soit il a été blessé, soit il a blessé quelqu’un ?

— Non…

— Tout ce que vous pourrez nous dire nous aidera peut-être à le retrouver.

— Je ne vois pas comment. » Un silence. « Bon, un jour, il a frappé le petit Lewisson assez fort pour qu’il ait besoin de se faire recoudre l’arcade. Sinon, c’était juste des petites bagarres. Peut-être un ou deux yeux au beurre noir. Des fois, c’est Orrin qui s’en sortait le plus mal. Des fois non. » Elle ajouta ensuite : « Il avait toujours honte, après.

— D’accord. Merci. Vous vous souvenez si Orrin a parlé d’autre chose, ce matin ? N’importe quoi, même si ça n’a pas l’air important.

— Non. Juste du temps, comme j’ai dit. Les prévisions météo de la radio l’ont intéressé, au restaurant. Elles annoncent de fortes pluies pour ce soir. Ça l’a excité. “Je pense que c’est pour ce soir”, qu’il a dit. “C’est le grand soir.”

— Une idée de ce qu’il voulait dire par là ?

— Eh bien, il a toujours aimé les tempêtes. Le tonnerre et tout. »

Bose convainquit Ariel de rester dans la chambre, « sinon je vais me retrouver à devoir vous chercher aussi ». Et Ariel s’était suffisamment calmée pour voir que cela valait mieux.

« Mais vous m’appelez, d’accord ? Dès que vous savez quelque chose ?

— Je vous appellerai qu’on sache quelque chose ou pas. »

Bose alla ensuite discuter quelques minutes avec le réceptionniste. Celui-ci lui apprit qu’il avait vu Orrin attendre le bus qui allait au centre-ville. Qu’il ne l’avait pas vu monter dedans, non, qu’il avait juste remarqué un type maigre en jean déchiré et tee-shirt jaune attendre debout au soleil au bord de la route. « C’est chercher le coup de chaleur, par un temps pareil, si vous voulez mon avis. Ces bus-là ne passent que tous les trois quarts d’heure. »

« Donc, on fait quoi ? demanda Sandra à Bose quand il revint.

— Ça dépend. Tu veux rester ici avec Ariel, peut-être ?

— Peut-être pas.

— Je pense à deux ou trois endroits où on pourrait le chercher.

— Tu veux dire que tu sais où il est allé ?

— J’ai mon idée », répondit Bose.

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