Robert Charles Wilson Vortex

1 Sandra et Bose

Dernière fois, se dit Sandra Cole lorsqu’elle se réveilla dans la chaleur étouffante de son appartement. Ce serait la dernière fois qu’elle irait passer sa journée de travail en compagnie de prostituées décharnées, de drogués en début de manque qui suaient de tout leur corps, de menteurs invétérés et de petits délinquants. Ce serait la dernière fois car elle allait remettre sa démission.

Elle se disait cela tous les matins de la semaine en se réveillant. Sauf qu’elle n’avait pas démissionné la veille et n’allait pas le faire non plus ce jour-là. Mais un matin, ce serait vraiment la dernière fois. Cette perspective la réjouit pendant qu’elle se douchait et s’habillait ; la soutint durant sa première tasse de café et son rapide petit déjeuner. Quand elle eut fini son yaourt et sa tartine grillée, Sandra avait rassemblé assez de courage pour affronter la journée. Pour accepter que rien n’allait changer, en fin de compte.


Le hasard voulut qu’elle passe devant l’accueil du State Care au moment où le flic amenait le garçon pour évaluation.

Ce dernier resterait sous sa responsabilité pendant une semaine : son dossier avait déjà été joint à sa liste de patients du matin. Il s’appelait Orrin Mather et n’était a priori pas violent. Il semblait d’ailleurs terrorisé, avec ses grands yeux humides et sa manière de tourner brusquement la tête d’un côté ou de l’autre comme un moineau qui craint de voir surgir un prédateur.

Sandra ne reconnut pas le flic qui l’avait conduit là, ce n’était pas un des habitués. Rien détonnant en soi : amener au centre d’admission du Texas State Care des mineurs appréhendés ne figurait pas parmi les tâches les plus nobles aux yeux des policiers de Houston. Curieusement, celui-ci semblait pourtant prendre un intérêt personnel à sa mission. Il n’inspirait aucun mouvement de recul au garçon, qui restait au contraire tout près de lui, comme pour rechercher sa protection. Une main fermement posée sur l’épaule d’Orrin, l’agent dit quelques mots que Sandra n’entendit pas, mais qui parurent apaiser les angoisses du garçon.

Ils étaient aussi différents que possible : le policier grand et robuste, mais pas gros, sombre de teint comme de cheveux et d’yeux ; le garçon plus petit de quinze centimètres, si mince qu’il nageait dans sa combinaison modèle pénitentiaire, et aussi pâle que s’il venait de passer six mois dans une grotte.

Une rumeur plausible voulait que Jack Geddes, l’aide-soignant de service à l’accueil, travaille au noir comme videur dans un bar du centre-ville. Geddes se montrait souvent rude avec les patients… trop rude, de l’avis de Sandra. Dès qu’il se rendit compte de l’agitation d’Orrin Mather, il jaillit de derrière son comptoir, suivi peu après de l’infirmière de service avec son arsenal d’aiguilles et de sédatifs.

Le flic, et c’était très inhabituel, se campa entre Orrin et l’aide-soignant. « Rien de tout ça ne devrait être nécessaire, affirma-t-il avec un accent texan aux très légères intonations étrangères. Je peux accompagner M. Mather là où vous avez besoin qu’il aille. »

Sandra s’avança, un peu gênée de ne pas avoir parlé la première. Elle se présenta comme le Dr Cole et expliqua : « Il faut que nous commencions par l’entretien d’admission. Vous comprenez, monsieur Mather ? Ça se passe dans une pièce au bout du couloir. Je vous poserai quelques questions et noterai deux ou trois renseignements sur vous. Nous vous attribuerons ensuite une chambre. Vous comprenez ? »

Orrin Mather inspira pour se calmer et hocha la tête. L’infirmière et Geddes (qui semblait un peu agacé) reculèrent. Le flic évalua Sandra du regard.

« Agent Bose, annonça-t-il. Docteur Cole, pourrais-je vous toucher deux mots, une fois qu’Orrin sera installé ?

— Ça pourrait prendre un certain temps.

— J’attendrai, répondit Bose. Si vous permettez. »

Et cela, c’était on ne peut plus inhabituel.


La température en ville dépassait les 38 °C depuis dix jours. Le centre d’évaluation du State Care était climatisé, souvent à un point absurde (Sandra gardait un pull dans son bureau), mais dans la pièce réservée aux entretiens d’admission, la grille au plafond ne laissait entrer qu’un mince filet d’air frais. Orrin Mather suait déjà quand Sandra s’assit en face de lui. « Bonjour, monsieur Mather », lança-t-elle.

Il se détendit un peu en entendant sa voix. « Vous pouvez m’appeler Orrin, m’dame. » Il avait les yeux bleus, avec de grands cils qui ne semblaient pas à leur place sur ce visage anguleux. Une estafilade sur sa joue droite cicatrisait en balafre. « Presque tout le monde m’appelle comme ça.

— Merci, Orrin. Je suis le docteur Cole. Vous et moi aurons plusieurs discussions ces prochains jours.

— C’est vous qui décidez qui me garde.

— D’une certaine manière, oui. Je vais procéder à votre évaluation psychiatrique. Mais je ne suis pas là pour vous juger, vous comprenez ? Juste pour découvrir de quel genre d’aide vous avez besoin et si nous sommes en mesure de vous la procurer. »

Orrin hocha la tête une seule fois, le menton baissé sur la poitrine. « Vous décidez si je vais ou pas dans un camp du State Care.

— Toute l’équipe participe d’une manière ou d’une autre à la décision.

— Mais c’est avec vous que je parle ?

— Pour le moment, oui.

— D’accord. J’ai compris. »

La salle était équipée de quatre caméras de sécurité, une dans chaque coin, au ras du plafond. Ayant déjà vu des enregistrements de séances, les siennes et d’autres, Sandra savait à quoi elle ressemblait sur les moniteurs placés dans la pièce voisine : raccourcie par la perspective, impeccable dans son chemisier et sa jupe bleus, son badge d’identification se balançant au bout du cordon passé autour de son cou tandis qu’elle se penchait sur la table de pin naturel. Le garçon serait réduit par l’alchimie de la vidéo en un interviewé comme les autres. Mais il fallait vraiment qu’elle cesse de penser à Orrin Mather comme à un garçon, même s’il semblait très jeune. Il avait dix-neuf ans, d’après son dossier. Assez vieux pour avoir du plomb dans la tête, comme disait la mère de Sandra. « Vous êtes originaire de Caroline du Nord, Orrin, exact ?

— J’imagine que c’est ce que disent les papiers que vous êtes en train de lire.

— Ils se trompent ?

— Je suis né à Raleigh et j’y ai passé toute ma vie, oui, m’dame, jusqu’à ce que je vienne dans le Texas.

— Nous en parlerons plus tard. Pour l’instant, j’ai juste besoin d’être sûre que les renseignements de base sont corrects. Vous savez pourquoi la police vous a arrêté ? »

Il baissa les yeux. « Oui.

— Vous pouvez me le dire ?

— Pour vagabondage.

— C’est le terme légal. Vous appelleriez ça comment, vous ?

— Je ne sais pas. Dormir dans une ruelle, je crois. Et se faire tabasser par ces types.

— Ce n’est pas un crime d’être passé à tabac. La police vous a arrêté pour votre propre protection, pas vrai ?

— J’imagine, oui. Je saignais pas mal quand elle m’a trouvé. J’ai rien fait pour provoquer ces types. Ils s’en sont juste pris à moi parce qu’ils étaient bourrés. Ils ont essayé de me prendre mon cartable, mais je me suis pas laissé faire. J’aurais préféré que la police arrive un peu plus tôt. »

Une patrouille avait découvert Orrin Mather en sang et au bord de l’inconscience sur un trottoir du sud-ouest de Houston. Pas d’adresse, pas de papiers d’identité, pas de moyens d’existence visibles. Conformément aux lois sur le vagabondage promulguées suite au Spin, Orrin avait été arrêté à fins d’évaluation. Ses blessures physiques n’avaient posé aucun problème. On s’interrogeait toutefois sur son état mental et on comptait sur Sandra pour apporter une réponse au cours des sept prochains jours. « Vous avez de la famille, Orrin ?

— Juste ma sœur Ariel, à Raleigh.

— La police l’a contactée ?

— Y paraît, m’dame. D’après l’agent Bose, elle arrive en bus pour me chercher. Ça prend du temps, en bus. Et bien sûr, il fait chaud, à cette époque de l’année. Ariel n’aime pas quand il fait chaud. »

Il faudrait que Sandra en parle avec Bose. Quand un membre de la famille acceptait d’en prendre la responsabilité, il ne servait en général à rien qu’un vagabond aboutisse au State Care. Le rapport d’arrestation ne faisait état d’aucune violence de la part d’Orrin, qui comprenait visiblement dans quelle situation il se trouvait et ne semblait pas délirant. Du moins pour le moment. Même si Sandra trouvait qu’il avait bel et bien quelque chose d’étrange (observation qui manquait de professionnalisme et ne figurerait pas dans ses notes).

Elle commença par l’interrogatoire standard tiré du Manuel Diagnostique et Statistique. Connaissait-il la date du jour et caetera. La plupart de ses réponses furent directes et cohérentes. Mais quand elle lui demanda s’il entendait des voix, Orrin hésita. « J’imagine que non, finit-il par répondre.

— Vous en êtes sûr ? Vous pouvez en parler. Si vous avez un problème, nous voulons vous aider à le résoudre. »

Il hocha la tête d’un air grave. « Je sais bien. Mais c’est une question difficile. J’entends pas de voix, m’dame, pas exactement… mais des fois, j’écris des choses.

— Quel genre de choses ?

— Des trucs que je ne comprends pas toujours. »

Le point d’accès se trouvait donc là.

Sandra ajouta une note dans le fichier d’Orrin en vue d’une exploration ultérieure – illusions possibles, écrites – et sourit à Orrin, que le sujet angoissait visiblement. « Eh bien, c’est tout pour le moment. » Il s’était écoulé une demi-heure. « Nous aurons bientôt une nouvelle discussion. Je vais demander à un aide-soignant de vous accompagner à la chambre que vous occuperez ces prochains jours.

— Je suis sûr qu’elle est très jolie. »

Comparée aux ruelles de Houston, c’était possible. « Certains ont du mal, ici, le premier jour, mais croyez-moi, c’est moins dur que ça en a l’air. Le dîner est servi à dix-huit heures au réfectoire. »

Orrin eut l’air d’hésiter. « C’est comme une cafétéria ?

— Oui.

— Je peux vous demander si c’est bruyant ? J’aime pas le bruit quand je mange. »

Le réfectoire des patients était un zoo dans lequel régnait en général un bruit de zoo, mais le personnel s’assurait que personne n’y courait de danger. Sensibilité au bruit, ajouta Sandra à ses notes. « Il peut arriver qu’il y en ait un peu, oui. Vous pensez pouvoir le supporter ? »

Il la regarda d’un air abattu mais hocha la tête. « J’essaierai. Merci de m’avoir averti. Je vous en suis reconnaissant. »

Une âme perdue supplémentaire, plus fragile et moins combative que la plupart. Sandra espéra qu’une semaine au State Care ferait davantage de bien que de mal à Orrin Mather. Mais elle n’aurait pas parié dessus.


À sa grande surprise, le policier attendait encore quand elle ressortit de la salle d’entretien. D’ordinaire, les flics repartaient dès qu’ils avaient déposé quelqu’un. Le State Care avait débuté son existence institutionnelle pour soulager le système pénitentiaire surchargé durant les pires années du Spin et d’après. Cette urgence avait pris fin un quart de siècle plus tôt, mais le State Care servait encore de dépotoir pour les petits délinquants manifestement dérangés. C’était pratique pour la police, moins pour le State Care qui souffrait d’un manque de moyens financiers et humains. Il n’y avait presque aucun suivi de la part des forces de l’ordre. En ce qui les concernait, transférer la personne appréhendée revenait à classer l’affaire… ou pire, à tirer la chasse.

L’uniforme de Bose était impeccable, malgré la chaleur. Le policier commença à lui demander ce qu’elle pensait d’Orrin Mather, mais l’heure du déjeuner étant passée, et Sandra ayant un après-midi chargé, elle l’invita à la cafétéria… celle du personnel, pas le réfectoire des patients qui paraîtrait presque certainement pénible à Orrin Mather.

Elle prit son menu habituel du lundi, soupe et salade, et patienta le temps que Bose fasse de même. Il était assez tard pour qu’ils trouvent sans mal une table libre. « Je veux suivre le cas Orrin, annonça Bose.

— Celle-là, on ne me l’avait jamais faite.

— Pardon ?

— De manière générale, la police de Houston cesse de se sentir concernée par les gens qu’elle nous amène.

— J’imagine. Mais dans le cas d’Orrin, il reste quelques questions sans réponses. »

Elle remarqua qu’il parlait d’« Orrin » et non « du prisonnier » ou « du patient ». De toute évidence, l’agent Bose s’intéressait personnellement à lui. « Je ne vois rien de vraiment inhabituel dans son dossier.

— Son nom est apparu dans une autre affaire. Je ne peux pas vous donner de détails, mais je voulais vous demander… il a parlé de ce qu’il écrivait ? »

L’intérêt de Sandra s’accrut d’un cran. « Très brièvement.

— Quand on l’a arrêté, Orrin s’agrippait à un cartable en cuir qui contenait une dizaine de carnets lignés, tous remplis du début à la fin de son écriture. C’est ce qu’il défendait quand il s’est fait agresser. Orrin est coopératif, globalement, mais on a eu du mal à lui enlever ses carnets. Il a fallu le rassurer en lui promettant qu’on les mettait en sécurité et qu’on les lui rendrait aussitôt son cas résolu.

— Et vous l’avez fait ? Vous les lui avez rendus, je veux dire ?

— Pas encore, non.

— Parce que si Orrin se soucie autant de ces carnets, ils pourraient m’être utiles dans mon évaluation.

— Je comprends bien, docteur Cole. C’est pour ça que je voulais vous parler. Mais il se trouve que leur contenu concerne une autre affaire sur laquelle nous enquêtons. Je les fais transcrire, mais ça prend du temps… Orrin n’écrit pas très lisiblement.

— Je peux voir ces transcriptions ?

— Je suis venu pour vous le suggérer. Mais j’ai besoin de vous demander un service en échange. Tant que vous n’aurez pas lu le document en entier, pouvons-nous faire en sorte que tout ça reste en dehors des canaux officiels ? »

C’était une demande inhabituelle et Sandra hésita avant de répondre. « Je ne suis pas sûre de voir ce que vous voulez dire par “canaux officiels”. Toute observation pertinente figurera dans l’évaluation d’Orrin. Ce n’est pas négociable.

— Vous pouvez faire toutes les observations que vous voulez, du moment que vous ne copiez ni ne citez directement rien de ce qui figure dans les carnets. Juste le temps que nous réglions certains points en suspens.

— Je n’ai Orrin que pour sept jours, agent Bose. Dans une semaine, il faudra que je fasse une recommandation. » Une recommandation qui changerait radicalement la vie d’Orrin, n’ajouta-t-elle pas.

« Je comprends, et je n’essaye pas de me mêler de votre travail. C’est votre évaluation qui m’intéresse. Ce que j’aimerais obtenir de vous, de manière informelle, c’est votre opinion sur ce qu’Orrin a écrit. Et plus précisément sur la fiabilité de ce qu’il a écrit. »

Sandra commençait enfin à comprendre. Les carnets d’Orrin contenaient quelque chose susceptible de servir de preuve dans une affaire en cours et Bose avait besoin de savoir jusqu’à quel point on pouvait faire confiance à ce document (ou à son auteur). « Si vous me demandez de témoigner dans un procès…

— Non, rien de la sorte. Une simple opinion officieuse. Tout ce que vous pourrez me dire qui ne viole pas le secret médical et ne vous cause pas d’ennuis professionnels.

— Je ne suis pas sûre de…

— Vous comprendrez peut-être un peu mieux une fois que vous aurez lu le document. »

C’est la gravité de Bose qui finit par la persuader d’accepter, du moins pour le moment. Elle était de surcroît sincèrement curieuse de ces carnets et de l’attachement que leur portait Orrin. Si elle découvrait quelque chose de cliniquement pertinent, elle n’aurait aucun remords à ne pas respecter la promesse faite au policier. Sa loyauté allait avant tout à son patient, et elle s’assura que Bose le comprenne.

Il accepta ses conditions sans discuter, puis se leva. Il n’avait pas terminé sa salade, un lit de laitue duquel il avait systématiquement prélevé toutes les tomates cerises. « Merci, docteur Cole. Merci pour votre aide. Je vous enverrai les premières pages ce soir par courrier électronique. »

Il lui remit une carte professionnelle sur laquelle figurait son téléphone, son adresse électronique et son nom complet : Jefferson Amrit Bose. Elle se le répéta mentalement en regardant l’agent se fondre dans une foule de cliniciens vêtus de blanc devant la porte du réfectoire.


En fin de journée, après la dernière de ses consultations de routine, Sandra rentra chez elle dans la longue lumière du couchant.

Le crépuscule la faisait souvent penser au Spin. Le soleil avait vieilli et gonflé durant les années drastiquement raccourcies du Spin, et même s’il semblait très banal à l’ouest dans le ciel, il s’agissait d’une illusion artificielle. Le vrai soleil était un monstre âgé et boursouflé qui s’acharnait à mourir au cœur du Système solaire. Ce qu’elle voyait sur l’horizon était le reste de son rayonnement létal après filtrage et régulation par la technologie inconcevablement puissante des Hypothétiques. Depuis des années, depuis que Sandra était adulte, l’humanité ne vivait que parce que ces extraterrestres silencieux le toléraient.

Le ciel était d’un bleu dur, masqué au sud-est par des nuages qui ressemblaient à de vitreuses pousses coralliennes. 40,5 °C au centre de Houston, d’après le bulletin météorologique, tout comme la veille et l’avant-veille. Les journaux télévisés n’arrêtaient pas de parler des lancements en cours à White Sands, ceux de fusées qui injectaient des aérosols sulfurés dans la haute atmosphère pour essayer de ralentir le réchauffement climatique. Contre cette apocalypse imminente (qui n’était pas de leur fait), les Hypothétiques n’avaient pas offert la moindre défense. Ils protégeaient la Terre du soleil enflé, mais la teneur en CO2 de l’atmosphère ne semblait pas les regarder. Bien entendu, c’était à l’humanité de s’en occuper. Les pétroliers continuaient pourtant à remonter lentement le canal de Houston, l’or noir étant abondant et bon marché depuis que le brut avait commencé à couler en provenance d’Équatoria, ce nouveau monde derrière l’Arc. Les combustibles fossiles de deux planètes pour nous faire cuire, se dit Sandra. Le bourdonnement de la poussive climatisation de son automobile lui rappela son hypocrisie, mais elle ne pouvait se résoudre à renoncer au flux d’air frais.

Depuis la fin de son internat à l’université de San Francisco et le début de son travail au State Care, Sandra avait passé ses journées à rendre des verdicts succès/échec sur des esprits troublés et à faire passer des tests que la plupart des adultes fonctionnels réussissaient sans mal. Le sujet sait-il s’orienter dans l’espace et le temps ? Le sujet comprend-il les conséquences de ses actes ? Mais elle se disait que si elle pouvait faire passer les mêmes tests à l’humanité dans son ensemble, le résultat serait loin d’être acquis. Le sujet est confus et souvent autodestructeur. Le sujet recherche des gratifications à court terme aux dépens de son propre bien-être.

Le temps qu’elle arrive à son appartement de Clear Lake, la nuit était tombée et la température avait connu une baisse dérisoire d’un ou deux degrés. Elle se prépara un dîner au microondes, ouvrit une bouteille de vin rouge et vérifia si elle avait reçu le courrier de Bose.

C’était le cas. Quelques dizaines de pages. Censées avoir été écrites par Orrin Mather, mais elle trouva cela très improbable au premier coup d’œil.

Elle imprima le document et s’installa confortablement pour le lire.

Il commençait par ces mots : Je m’appelle Turk Findley.

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