37 LE COMMANDANT THUNKU

Un garde ouvrit la porte de leur cachot. Il était accompagné de deux hommes. L’un, habillé luxueusement, fort et l’air suffisant, devait être l’officier principal en charge de la prison. L’autre, plutôt inquiétant, ne ressemblait pas à un soldat ; le crâne rasé, les yeux perçants comme ceux d’un oiseau de proie, il était vêtu d’une bure blanche qui lui donnait l’allure d’un moine.

Il s’adressa aux adolescents, en pointant dans leur direction une main sèche et maigre à laquelle manquait un doigt.

– Vous, les gosses ! Suivez-moi.

Ils ne réagirent pas, attendant tous de connaître la décision de Guillemot.

– Vous avez entendu ? cria le garde en frappant les barreaux avec le manche de sa masse d’armes. Obéissez aux ordres de Son Excellence, le Conseiller de notre Commandant Thunku !

Guillemot soupira et, imité par les autres, accepta de suivre l’homme au crâne rasé hors de leur geôle.

– Adieu, prince des voleurs, murmura un peu théâtralement Coralie à Toti lorsqu’ils passèrent devant lui.

Les autres se contentèrent d’une poignée de main, d’une

tape amicale sur l’épaule et d’un : « Courage ! » qui semblait s’adresser autant à eux-mêmes qu’au page.

Puis ils s’engagèrent à la suite du Conseiller, de l’officier et du garde dans d’interminables couloirs.

– Prince des voleurs… Eh bien, ma p’tite, tu n’y es pas allée de main morte, chuchota Ambre.

– C’est curieux, ajouta Romaric, il me semble que notre page avait l’air soulagé de nous voir partir !

– Vous êtes des idiots, répliqua Coralie en haussant les épaules.

Gontrand, lui, était préoccupé. Il était sûr d’avoir déjà vu quelque part cet homme à l’allure de rapace. Il fit des efforts de mémoire, puis renonça, en secouant la tête. C’était impossible puisqu’il n’était jamais venu à Yâdigâr…

Ils débouchèrent bientôt à la lumière du jour, et furent conduits dans une très grande salle, au cœur du Palais.

– Voilà donc les espions découverts par mon très perspicace Conseiller ! ricana depuis l’énorme fauteuil en bois sculpté, sur lequel il trônait, Thunku, le maître de Yâdigâr.

Le Commandant Thunku était une force de la nature, qui arborait sur le visage et sur les bras couverts de poils les marques de nombreux combats. A le voir pour la première fois, on comprenait sans peine que ce n’était pas par amour que lui obéissaient ses hommes, et qu’il devait être prompt à briser le crâne des récalcitrants ! Il émanait de la brute une assurance formidable, et sa voix résonnait contre les murs à la façon du tonnerre.

– Si vous me disiez un peu ce qui vous amène par ici ? continua le Commandant dont les petits yeux noirs se plissaient en regardant les adolescents qui n’en menaient pas large.

Ils gardèrent le silence. Coralie frémit sous le regard de la brute et, comme les autres, attendit que Guillemot prenne la parole. Celui-ci réfléchissait désespérément au moyen de sortir de ce mauvais pas.

– Allons, ce manque de confiance m’attriste ! Et cela me peinerait encore plus d’avoir à vous abandonner aux mains expertes de mon Conseiller. Vous savez ce qu’il faisait avant de se faire appeler Excellence ? Il torturait les hérétiques à Yénibohor !

Les propos de Romaric et de Coralie au sujet des prêtres de Yénibohor étaient présents à leur esprit, et ils ne purent s’empêcher de jeter un regard inquiet en direction de l’homme qui se tenait en retrait, sur un des côtés du trône. Guillemot respira à fond et s’adressa à Thunku.

– En réalité, nous appartenons à la tribu bleue des Hommes des Sables. Nous sommes venus jusqu’ici, contre l’avis de notre chef, pour acheter de nouvelles armes.

Thunku eut un petit rire et secoua la tête.

– C’est toi le chef du groupe ? Comment t’appelles-tu ?

– Je m’appelle… Elyk.

– Eh bien, Elyk, je ne crois pas un mot de ton histoire.

Le ton du Commandant s’était fait plus dur.

– J’ai même ma petite idée sur qui vous êtes en réalité, et sur ce que vous venez chercher, sous des déguisements grotesques et des prétextes idiots. Vous croyez que des gamins du Monde Incertain se risqueraient à Yâdigâr ? Vous en avez vu combien, des gamins, dans ma ville ? Allez, amenez-moi la fille ! ordonna-t-il aux gardes en faction près de la porte.

Quelques instants plus tard, deux hommes revinrent en tenant au bout d’une corde une fille aux cheveux sombres et aux yeux cernés d’avoir trop pleuré. Lorsqu’elle arriva dans la salle d’audience et qu’elle aperçut Guillemot, elle se figea de surprise

– Guillemot ? s’écria-t-elle. Guillemot, c’est toi ? Mais… comment ?

Devant eux, pâle, amaigrie et fatiguée, se tenait Agathe de Balangru !

– Bonjour, l’idiote, marmonna Ambre, pour elle seule maintenant, tout est foutu.

Sur son trône, Thunku éclata d’un rire tonitruant.

– Alors, Elyk, ou devrais-je plutôt dire Guillemot ? Maintiens-tu toujours ton histoire ridicule ? Si ce n’est pas touchant, quand même ! Cette bande de gosses, qui débarque du Monde d’Ys pour venir au secours de cette misérable !

Il rit de plus belle.

– Vous savez quoi ? Lorsque mon Gommon a ramené de chez vous cette fille à la place du garçon aux pouvoirs extraordinaires, celui qui m’en avait donné l’ordre a failli s’étrangler de rage ! Il m’a bien fait payer cette erreur d’ailleurs, puisqu’il me l’a laissée ! J’ai bien essayé d’en faire une servante acceptable, mais elle est incapable de cuisiner correctement ou de faire convenablement briller une armure ! Qui en voudrait ?

Il porta son regard sur Agathe qui pinçait les lèvres, aussi vexée par les paroles du Commandant que par le sourire ravi d’Ambre. Puis il dévisagea Guillemot avec intérêt.

– Une douzaine d’années, les yeux verts, l’air plus malin que les autres… Est-ce que j’aurais de la chance enfin ? Tu vois mon garçon, je crois que je vais faire un heureux : l’homme qui te cherche activement depuis quelque temps. Et un autre heureux car, pour te livrer à lui, je vais exiger beaucoup ! Par exemple de pouvoir faire passer, non plus selon ses caprices mais selon les miens, mes hommes d’un Monde à l’autre, pour varier un peu les plaisirs du pillage !

Soudain il y eut un bruit terrible, comme celui d’une explosion. On entendit des cris et le vacarme d’une lutte. Puis la porte de la salle vola en éclats. Poursuivi par des hommes et des Orks en armes, un homme de haute taille, les vêtements poussiéreux, fit irruption.

Le sang de Guillemot ne fit qu’un tour.

– Maître Qadehar ! s’écria-t-il.

– Azhdar le Démon, lâcha Thunku, stupéfait

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