36 PRISONNIERS

Guillemot mit un moment à s’accoutumer à l’obscurité régnant dans la vaste pièce voûtée. Il concentra d’abord son attention sur les barreaux de la porte, puis sur les murs, épais, luisants d’humidité et couverts par endroits d’une mousse noirâtre.

Il se rendit vite compte que les possibilités d’évasion étaient nulles. A ce moment-là seulement, il s’aperçut qu’il n’était pas seul dans le cachot : dans le fond, debout ou assis sur un bat-flanc, plusieurs personnes, réparties en petits groupes, observaient en silence le nouvel arrivant.

– Quand je vous disais que Yâdigâr était un bon plan pour tous se retrouver ! lança une voix joyeuse.

Guillemot reconnut avec stupeur la voix de Romaric, qui s’avançait vers lui, suivi de silhouettes tout aussi familières.

– Romaric ! Gontrand ! Coralie ! Ambre !

En riant de joie, il se précipita dans leurs bras.

– Ça alors ! C’est formidable ! C’est formidable !

– C’est miraculeux, oui, bougonna Ambre après avoir serré Guillemot plus fort que les autres dans ses bras. Qu’est-ce qui s’est passé lors du Passage, avec la Porte ?

– Je vous expliquerai… L’essentiel, c’est que vous soyez tous sains et saufs !

– Eh bien, c’était limite, objecta Gontrand en levant le doigt. Si tu savais où j’ai atterri ! Au sommet d’une tour gigantesque qui…

– Et moi, alors ? l’interrompit Coralie, les poings sur les hanches. Tu crois que c’était mieux de se retrouver sur un radeau pourri au milieu d’immondes méduses ?

– Au milieu d’immondes méduses ! minauda Gontrand en l’imitant.

– Si je peux me permettre… tenta Romaric.

– Et notre capture par les brigands, hein ? C’était une plaisanterie, peut-être ! continua Coralie sans prêter attention à son ami.

– Parlons-en de tes brigands, répliqua Gontrand. Si je n’avais pas été là…

– Si tu n’avais pas été là ? Quelle audace ! C’est Tofann qui nous a sauvés ! Remarque, si tu t’étais mis à jouer de ta cithare, je ne dis pas…

– Du calme ! cria Guillemot pour se faire entendre. Je crois qu’on a tous beaucoup de choses à se raconter.

– Ouais, dit Ambre. Les autres peut-être, mais moi, il ne m’est rien arrivé de particulier. Rien, à part d’atroces migraines.

– Nous aussi on a la migraine… à force de t’entendre te plaindre ! la railla Romaric.

– Je vais t’en donner, moi, de bonnes raisons d’avoir la migraine ! annonça la jeune fille en s’avançant vers lui.

– Hé ! les gars, faites quelque chose ! gémit Romaric qu’Ambre avait attrapé par le col.

Guillemot se précipita vers eux, faisant mine de les séparer. Qu’il était bon de se retrouver !

L’Apprenti remarqua alors qu’un jeune garçon, habillé de couleurs vives, se tenait timidement en retrait.

– J’oubliais, corrigea Romaric en se mettant à parler ska

Voici Toti. Il ne nous lâche plus depuis notre arrivée dans la prison. Il faut dire que tous les autres sont des adultes, de plus pas très sympathiques.

– Il est très bien, ce garçon, intervint Coralie.

– On n’a jamais dit le contraire, soupira Ambre. Mais nous, on ne le dévore pas des yeux comme toi !

– C’est ce costume, il lui donne ce que vous n’avez pas : un air distingué, expliqua Coralie.

– Heu, merci, répondit Toti un brin gêné, davantage par les sourires moqueurs que lui décochaient Romaric et Gontrand que par la remarque de Coralie.

– Pourquoi es-tu là ? lui demanda Guillemot.

– J’étais serviteur dans le Palais du Seigneur Thunku. J’avais faim, j’ai volé une pomme et on m’a attrapé, dit tranquillement le prisonnier.

– C’est affreux ! s’exclama Coralie.

– Oh ! j’ai de la chance. Beaucoup de prisonniers ne savent même pas pourquoi ils sont là.

– Sais-tu ce qui va se passer pour nous ? lui demanda Romaric.

– Non. J’imagine que l’officier principal de la prison viendra vous voir quand il en aura le temps ou l’envie.

– Charmant ! commenta Ambre. Et en attendant ?

– On pourrait commencer par se raconter nos aventures, proposa de nouveau Guillemot.

– Bonne idée ! acquiesça Coralie. Allons nous asseoir dans un coin.

Guillemot, Ambre et sa sœur se dirigèrent au fond du cachot en discutant avec animation. Toti, Gontrand et Romaric les rejoignirent.

–.. Quand, après l’épisode des gorges, nous sommes arrivés tous les trois à Yâdigâr, conclut Gontrand qui, après Guillemot, Coralie et Romaric, avait entrepris le récit de ses tribulations, nous avons bien regretté de ne pas avoir écouté Tofann jusqu’au bout ! Sur ses conseils, on s’était débarrassés de nos manteaux de Virdu…

– Et vous avez bien fait ! confirma Guillemot. Les Petits Hommes ne sont pas franchement les bienvenus à Yâdigâr !

– Oui, poursuivit Gontrand, mais Tofann nous avait également suggéré de prendre avec nous quelques pierres précieuses, dérobées aux brigands ; et ça, on ne l’a pas fait. Parce qu’on ne voulait pas devenir à notre tour des voleurs. Résultat : à la porte, on n’a pas pu payer le droit d’entrée, et on s’est retrouvés au cachot, comme de vulgaires malfrats !

– A vous dégoûter de vouloir rester honnête, grommela Romaric.

– A toi, Ambre, commanda Guillemot

– Bof, moi, il ne m’est rien arrivé d’extraordinaire, avoua la jeune fille avec une moue désappointée. Je me suis retrouvée, toute seule, à côté d’une Porte, allongée dans l’herbe. Je me sentais très faible. Mes jambes n’arrivaient pas à me porter. Je me rappelle avoir pensé que ce n’était pas simple de passer d’un Monde à l’autre ! J’avais un poids sur l’estomac, la langue pâteuse…

– Décris-nous l’endroit où se dressait la Porte, lui demanda Guillemot.

– Elle était au fond d’un vallon. Tout autour, il y avait des collines couvertes d’herbe, à perte de vue. J’ai sorti ma carte du Monde Incertain, et je me suis dit que j’étais sûrement dans les Collines Mouvantes.

– C’est étrange, avoua Guillemot, troublé. C’est par cette Porte que je suis arrivé moi aussi. Mais tu n’étais pas là, ça, j’en suis sûr !

– Toi non plus tu n’étais pas là. Je me disais : je suis toute seule, ce n’est pas normal, c’est encore une bêtise de Guillemot ! Mais surtout j’avais un mal de crâne terrible. Je crois bien que je me suis endormie un bon moment. Je me rappelle avoir rêvé de chevaux, et d’une longue cavalcade. Ensuite, j’ai pu me lever et j’ai marché au hasard, assez longtemps. Lorsque j’ai quitté les collines, je suis tombée sur une caravane de marchands. Ils m’ont attrapée et ligotée. Je n’ai rien pu faire. J’étais complètement épuisée ! Pourtant, ce n’est pas mon genre.

– On confirme, dirent ensemble Romaric et Guillemot.

– Puis, continua Ambre en haussant les épaules, ils m’ont attachée dans un chariot. J’ai entendu le conducteur dire à un autre que j’allais être vendue comme esclave à un certain Thunku, à Yâdigâr, qui les paierait bien. Cela ne m’a fait ni chaud ni froid ! Je n’avais qu’une envie : dormir. Et c’est ce que j’ai fait jusqu’à ce qu’on m’abandonne ici.

– Essayons de récapituler, proposa Guillemot après un long moment de silence. Toi, Gontrand, tu es arrivé dans une ville déserte, au sommet d’une tour mystérieuse, rem plie de bouquins et d’instruments de sorcellerie… Au fait, bravo pour ton évasion !

– Poussé par la peur, on arrive à faire des choses incroyables, répondit modestement Gontrand. Maintenant, je comprends mieux ce que tu as enduré en t’échappant du monastère de Gifdu !

– Oui… Bon. Est-ce qu’il y a autre chose, Gontrand ? poursuivit Guillemot.

Non. A part que cette ville déserte est celle de Djaghataël, à en croire la carte du Monde Incertain. Et que j’ai tout de suite eu un mauvais pressentiment au sujet de cette tour. Un pressentiment qui m’a aidé à trouver le courage de m’enfuir !

– Toi, Coralie, continua Guillemot, tu t’es retrouvée sur un radeau appartenant au Peuple de la Mer. Romaric t’y a rejointe plus tard.

– Le plus facilement du monde, ironisa Romaric.

– Coralie nous a raconté ce qu’elle savait de ce Peuple de la Mer. Romaric, tu as parlé aussi de prêtres.

– Les prêtres de Yénibohor, que tout le monde semble craindre dans le Monde Incertain, confirma-t-il.

– Craindre et détester aussi, précisa Coralie. Ça a un rapport avec des enlèvements d’enfants.

– Eh bien, si Agathe s’est fait enlever par les prêtres de Yénibohor, on n’est pas sortis de l’auberge, soupira Gontrand.

– Rien n’est moins sûr, intervint Guillemot : le bijou de l’Ork a un rapport direct avec Yâdigâr.

– Et moi ? questionna Ambre frustrée de n’avoir rien eu d’intéressant à raconter à ses amis. Pourquoi est-ce que je suis la seule à avoir passé mon temps à dormir, et la seule à avoir eu mal à la tête au cours du passage ?

– Ça reste un mystère, convint l’Apprenti. Comme d’ailleurs le fait que tu sois arrivée par la même Porte que moi, mais pas en même temps, puisque nous ne nous sommes pas vus.

– J’ai l’explication pour le mal de crâne : peut-être que s’il était plus plein… se moqua Gontrand.

– Arrêtez, c’est pas le moment ! tenta de les raisonner Romaric tandis qu’Ambre martelait de coups de poing l’impertinent.

– Chut ! Calmez-vous ! intervint Toti que la petite bande avait volontairement tenu à l’écart en discutant dans la langue d’Ys. L’officier principal arrive !

Le bruit de serrures et la lueur d’une torche à l’autre bout du couloir confirmèrent l’avertissement du page. Tous retinrent leur souffle.

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