Chapitre 22 L’astéroïde

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Le 22 août 2235 ! Cette date avait un sens pour Crile Fisher, car c’était l’anniversaire de Tessa Wendel. Pour être précis, c’était son cinquante-troisième anniversaire. Elle ne fit aucune allusion à cette journée, ni à sa signification, peut-être parce qu’elle avait été si fière de son apparence juvénile sur Adelia, ou parce qu’elle n’oubliait pas assez qu’elle avait cinq ans de plus que Fisher.

Mais Crile se moquait de cette différence d’âge toute relative.

Même s’il n’avait pas été attiré par l’intelligence et l’énergie sexuelle de Tessa, c’était elle qui détenait la clef de Rotor et il le savait.

De fines rides entouraient maintenant ses yeux et la chair de ses bras manquait nettement de fermeté, mais elle avait réussi à faire oublier son anniversaire et c’était pour elle un triomphe ; elle entra d’un pas allègre dans l’appartement, plus luxueux d’année en année, et, avec un sourire de satisfaction, se jeta dans son fauteuil à champ de contention.

« Cela s’est passé aussi bien dans l’espace interstellaire. Une perfection absolue.

— J’aurais bien voulu y être.

— Moi aussi, Crile, mais on n’a fait venir que ceux qui avaient vraiment besoin de savoir ; et puis je t’ai déjà impliqué là-dedans plus que j’aurais dû. »

L’objectif avait été Hypermnestra, un astéroïde tout à fait quelconque, mais qui à ce moment-là n’était ni trop près des autres astéroïdes ni, ce qui était plus important, trop près de Jupiter. Aucune colonie ne le revendiquait, personne ne s’y était jamais posé. Et, pour couronner le tout, les deux premières syllabes de son nom semblaient le prédestiner à devenir le but d’un vol supraluminique à travers l’hyperespace.

« Je suppose que le vaisseau y est arrivé sain et sauf.

— A dix mille kilomètres de l’astéroïde. On aurait pu l’amener plus près, mais on ne voulait pas risquer une intensification de son champ gravitationnel, même très faible. Et le vaisseau est revenu, bien sûr, au point prédéterminé. Il a, ensuite, été ramené par deux vaisseaux ordinaires.

— Je suppose que les colonies faisaient le guet.

— Bien sûr, mais on peut voir un vaisseau disparaître sans savoir où il va ; ni s’il voyage à une vitesse infraluminique ou supraluminique ; ni, surtout, comment il est propulsé. Ce qu’ils ont vu ne signifie rien.

— Il n’y avait personne aux abords d’Hypermnestra ?

— Il était impossible de connaître sa destination, sauf en cas de fuite, et apparemment cela ne s’est pas produit. Dans l’ensemble, les résultats sont très satisfaisants, Crile.

— C’est un pas de géant.

— C’est le premier vaisseau capable d’emporter un être humain à une vitesse supraluminique, mais, comme tu le sais, son équipage se composait en tout et pour tout d’un robot.

— Il a bien fonctionné ?

— Tout à fait, mais ce n’est pas très révélateur, sauf que cela prouve que nous pouvons transférer une masse relativement grande et la récupérer intacte … au moins à l’échelle macroscopique. Il faudra plusieurs semaines d’inspection pour s’assurer qu’aucun dommage n’a été commis à l’échelle microscopique. Ensuite, il nous restera à construire des vaisseaux plus grands, à vérifier que les équipements de survie fonctionnent, à multiplier les dispositifs de sécurité. Un robot peut supporter des agressions auxquels des êtres humains ne survivraient pas.

— Et vous êtes dans les temps ?

— Jusqu’ici, oui. Encore un an, un an et demi et — si aucun accident imprévu, aucun désastre, ne survient — nous devrions surprendre les Rotoriens, en supposant qu’ils existent encore. »

Fisher fit la grimace et Wendel dit, avec un air de chien battu : « Excuse-moi. Je me promets toujours de ne plus dire ce genre de choses et cela m’échappe tout de même de temps à autre.

— Ça ne fait rien. Ma participation au premier voyage vers Rotor est toujours au programme ?

— On ne peut pas se protéger contre les brusques changements de priorités.

— Mais jusqu’à maintenant ?

— Tanayama avait laissé un mot disant qu’on t’avait promis une place ; je ne me serais pas attendu à cela de sa part. Koropatsky m’en a signalé l’existence aujourd’hui, après notre succès, quand j’ai estimé que c’était le moment d’en parler.

— Bien ! Tanayama me l’avait promis une fois, oralement. Je suis content qu’il ait enregistré cela par écrit.

— J’aimerais bien que tu me dises pourquoi il te l’a promis. Tanayama n’était pas homme à donner quelque chose pour rien.

— Tu as raison. En échange, j’ai dû promettre de te ramener sur Terre pour que tu y effectues des recherches sur les vitesses supraluminiques. Tu te souviens que j’ai brillamment réussi ma mission. »

Wendel ricana. « Je doute que cela ait suffi à motiver ton gouvernement. Koropatsky a dit qu’habituellement il ne se jugeait pas lié par les promesses de Tanayama, mais que tu avais vécu plusieurs années sur Rotor et que tes connaissances particulières en ce domaine pouvaient servir. Selon moi, ton savoir s’est peut-être estompé, au bout de treize ans, mais je n’ai rien dit parce qu’après l’essai, j’étais de bonne humeur et que j’avais décidé que, pour le moment, je t’aimais. »

Fisher sourit. « Je suis soulagé, Tessa. J’espère que tu seras aussi à bord. As-tu pu arranger cela ? »

Wendel recula légèrement la tête en arrière, comme pour mieux mettre au point son image de Fisher. « Cela a été plus difficile, mon cher. Ils sont tout à fait d’accord pour t’exposer au danger, mais disent qu’ils ne peuvent pas se passer de moi. ‘‘Qui poursuivrait les recherches s’il vous arrivait quelque chose ?’’ ont-ils dit. J’ai répondu : ‘‘L’un de mes vingt assistants qui en savent aussi long que moi sur le vol supraluminique et dont le cerveau est plus jeune et plus vif que le mien.’’ C’est un mensonge, bien entendu, car personne ne m’arrive à la cheville, mais ils ont été impressionnés.

— Ils n’ont pas complètement tort, tu sais. Faut-il vraiment que tu coures ce risque ?

— Oui. Je veux être le capitaine du premier vol supraluminique. Ensuite, je suis curieuse de voir une autre étoile et jalouse que ces Rotoriens y soient arrivés les premiers, si … » Elle se reprit et poursuivit : « Et pour finir, chose plus importante, je crois, j’en ai assez de la Terre. » Elle dit cela d’une voix rageuse.

Plus tard, alors qu’ils étaient au lit, elle dit : « Quand le temps viendra, ce sera merveilleux d’arriver là-bas ! »

Fisher ne répondit pas. Il pensait à une enfant aux grands yeux étranges et à sa sœur, et toutes deux semblaient se confondre au moment où les eaux du sommeil se refermaient sur lui.

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