18

Uzure avait été édifiée entre cinq poils géants qu’elle avait absorbés. Il y avait en fait trois cités fortifiées à l’intérieur les unes des autres. Protégée par les remparts extérieurs, s’étendait l’Uzure impériale, une cité aux larges avenues pavées de bois et de sel, bordées de statues, une cité aux perspectives impressionnantes et aux édifices prodigieux. A chaque coin de rue se dressaient les monuments consacrés à d’anciennes batailles, de glorieuses victoires et même à une ou deux défaites du genre le plus valeureux.

Rares étaient ceux qui vivaient vraiment dans l’Uzure impériale : quelques balayeurs, des jardiniers et des dizaines de sculpteurs. C’était une cité faite pour qu’on l’admire, et non pour qu’on y vive.

A l’extérieur, séparée par une fortification de poteaux de poils taillés en pointe, on trouvait l’Uzure des marchands, la cité que la plupart des gens considéraient comme la véritable Uzure. D’ordinaire, ses ruelles étroites étaient encombrées d’étalages, et de gens venus du Tapis entier. Tous occupés à s’arnaquer mutuellement de cette façon franche et honnête qu’on appelle « faire des affaires ». On y entendait toutes sortes de dialectes, parfois criés très fort. C’est à Uzure qu’on venait commercer.

Si les Dumiis avaient édifié leur empire à la pointe de l’épée, ils le préservaient par l’argent. Ils avaient inventé l’argent. Avant, chacun achetait les choses avec des cochons et des vaches, qui n’étaient pas vraiment adaptés à un tel usage. On devait les nourrir, veiller tout le temps sur eux ; parfois, ils crevaient. Un beau jour, voilà que les Dumiis se présentèrent avec ce fameux argent, peu encombrant et facile à garder, qu’on pouvait dissimuler dans un bas sous son matelas, ce qui marchait rarement avec des cochons et des vaches. Et puis, les pièces étaient ornées de petites effigies de l’Empereur ou d’autres dessins : c’était intéressant à regarder. Enfin, nettement plus captivant que les cochons et les vaches.

Et c’est ainsi que les Dumiis avaient conservé leur empire, avait un jour raconté Forficule. Parce que, quand on commençait à employer cet argent dumii, tellement facile et tellement pratique car il ne meuglait pas à longueur de nuit, on se mettait à économiser pour acheter des choses, à en vendre d’autres au plus proche marché, à s’installer et à ne plus taper sur les tribus des alentours aussi souvent qu’avant. Et au marché, on pouvait acheter des choses jamais vues – des tissus de couleur, des fruits exotiques, des livres. Avant peu, on vivrait à la dumiie, parce que l’existence en était rendue meilleure. Oh, on répétait sans arrêt que la vie était plus belle dans le temps, avant toutes ces histoires d’argent et de paix, qu’on s’amusait davantage lorsque les gens se chargeaient de leurs armes chaque soir pour aller rigoler à leur manière – mais personne ne tenait réellement à revenir à cette époque-là.

— L’impérialisme économique ! avait dit un jour Forficule, en saisissant une poignée de pièces. Une idée extraordinaire. Tellement habile et tellement simple. Une fois qu’on l’a lancée, elle fonctionne toute seule. C’est l’Empereur qui garantit que vous pourrez acheter des choses avec votre argent, voyez-vous. Chaque fois que quelqu’un donne ou accepte une de ces pièces, c’est comme un petit soldat qui défend l’Empire. Etonnant !

Personne n’avait compris un mot de ce qu’il racontait, mais ils saisissaient bien que c’était une pensée importante.

Enfin, sur un des côtés de la ville grouillante d’activité se trouvait une petite zone fortifiée, de la taille d’un village.

C’était Uzure. L’Uzure des origines. Le petit village d’où étaient venus les Dumiis. Personne ne savait vraiment comment ni pourquoi le Destin avait choisi cette petite tribu parmi tant d’autres, pour la remonter comme un énorme élastique et l’expédier à la conquête du monde. Plus personne ne visitait la vieille Uzure, désormais. On ne tarderait probablement plus à l’abattre pour faire de la place à de nouvelles statues.

Snibril ne visita l’ancienne Uzure que beaucoup plus tard. Il découvrit les remparts de la ville, s’étendant de part et d’autre. Il pouvait aussi distinguer le reflet des armures sur les chemins de ronde, tandis que les sentinelles montaient placidement la garde. Tout paraissait paisible, comme si le grand Découdre n’avait jamais existé.

Caréus retira son casque pour lui donner en douce un petit coup de polissage.

— On risque d’avoir des problèmes si on fait entrer les Fulgurognes, chuchota-t-il à l’adresse de Snibril.

— Ce n’est pas un risque, mais une certitude, admit Snibril.

— Bon, on va donc dresser le camp au-dehors, pour l’instant. Vous feriez mieux de m’accompagner.

Snibril inspecta les murailles.

— Tout est si calme, si paisible, dit-il. Je croyais tomber en pleine guerre ! Pourquoi vous a-t-on rappelés ?

— Je suis ici pour le découvrir, déclara Caréus.

Il cracha dans sa paume et entreprit de lisser ses cheveux.

— Quelque chose ne tourne pas rond, ajouta-t-il. Vous savez, ce don que vous avez pour sentir une attaque imminente du grand Découdre ?

— Oui.

— Moi, c’est pareil, pour les ennuis. On va en avoir sous peu. Je sens ça qui menace. Allez, venez.


Snibril descendait les rues à cheval, derrière le sergent. Tout paraissait normal. Enfin, tout correspondait à ce qu’il estimait que les choses devaient être quand tout était normal. L’endroit ressemblait à Trégon Marus, en plus grand. En beaucoup plus grand. Il essayait de ne pas se laisser distancer dans la foule qui emplissait les rues, et feignait de trouver tout cela banal.

Chaque fois qu’il avait pensé à Uzure, il l’avait imaginée nimbée d’une sorte de halo. Ça venait de la façon dont les gens en parlaient. Il avait imaginé Uzure sous la forme de mille lieux étranges, mais jamais rien d’aussi simple : une ville ordinaire, à plus grande échelle, avec davantage de gens et de statues.

Caréus le conduisit à une caserne située juste aux abords de la cité impériale, et ils finirent par se retrouver devant une table en plein air, où un petit Dumii maigrichon était assis derrière une pile de paperasses. Des estafettes venaient prendre sans cesse des papiers sur la table, mais d’autres en apportaient systématiquement de nouveau. L’homme semblait éreinté.

— Oui ? s’enquit-il.

— Je suis… commença le sergent.

— Ça n’est plus possible, les gens entrent ici comme dans un moulin. Je suppose que vous n’avez pas de papiers, vous non plus ? Si ? Eh non, bien sûr. (Le petit homme remua sa paperasse avec une mine agacée.) On me demande de rester à jour, comment voulez-vous que je reste à jour, vous croyez que c’est comme ça qu’on dirige une armée ? Bon, alors, votre nom, votre grade. Le nom, le grade ?

Le sergent leva la main. Un instant, Snibril crut qu’il allait frapper le maigrichon, mais le geste se changea en salut.

— Sergent Caréus, Quinzième Légion, annonça-t-il. Nous sommes cantonnés en dehors de la ville, les survivants du moins. Vous comprenez ce que je veux dire ? Je demande la permission d’entrer dans la caserne. Nous avons livré bataille…

— Quinzième Légion, Quinzième Légion… répéta le maigrichon en fouillant dans sa paperasse.

— Nous avons reçu l’ordre de revenir, insista Caréus. Une estafette est venue nous voir. Rentrez tout de suite à Uzure. Nous avons dû nous battre sur la plus grande partie du…

— De nombreux changements sont intervenus, annonça le trieur de paperasse.

Le ton de sa voix fit naître chez Snibril une sensation proche de celle qui annonçait l’approche du grand Découdre.

— Quel genre de changements ? demanda-t-il vivement.

L’homme leva la tête vers lui.

— Qui est-ce ? s’enquit-il avec un air soupçonneux. Il m’a l’air un peu… indigène.

— Ecoutez, expliqua patiemment Caréus. Si nous sommes revenus de si loin, c’est que…

— Ah oui, cette histoire de grand Découdre, répondit le maigrichon. Tout est réglé. On a signé un traité.

— Un traité ? Avec le grand Découdre ? s’exclama Snibril.

— Un traité de paix avec les moizes, évidemment. Mais vous n’êtes donc au courant de rien ?

Snibril ouvrit la bouche. Caréus l’empoigna par le bras.

— Oh, dit-il à haute et intelligible voix. Ah bon ? Mais c’est parfait, tout ça. Nous n’allons pas vous déranger plus longtemps. Allons, venez, Snibril.

— Mais… !

— Je suis sûr que ce monsieur a des choses très importantes à faire avec tous ses papiers, insista le sergent.

— Mais pourquoi avez-vous agi ainsi ? s’étonna Snibril dès que le sergent lui eut fait quitter les lieux.

— Parce que si on veut apprendre quelque chose, on y arrivera pas en forçant ce clerc à bouffer tous ses papelards, expliqua Caréus. On va fureter un brin, se faire une idée de la situation, découvrir ce qui se passe… et à ce moment-là, oui, peut-être qu’on pourra revenir lui faire bouffer tous ses papelards.

— Je n’ai pas vu beaucoup d’autres soldats ! fit Snibril.

— Quelques gardes, c’est tout, acquiesça Caréus tandis qu’ils sortaient précipitamment.

— Les autres légions ne sont probablement pas encore rentrées.

— Vous êtes sûr qu’elles arriveront un jour ?

— Comment ça ?

— Nous avons croisé votre route et celle des tout p’tits. Si ça avait pas été le cas, je crois pas que nous serions arrivés jusqu’ici, expliqua Caréus, la mine sombre.

— Vous voulez dire que… nous sommes les seuls ?

— Ça se pourrait bien.

Et nous comptons moins d’un millier d’hommes, se dit Snibril. Comment peut-on signer un traité de paix avec les moizes ? Il n’y a que la destruction qui les intéresse. Pourquoi seraient-ils venus ici signer des traités ?


L’armée établit son cantonnement sous les poils. Comme le déclara un Fulgurogne, c’était difficile de se sentir en confiance quand on était cerné par l’ennemi, surtout quand il était du même côté que vous. Mais il le dit quand même en souriant.

C’est alors que plusieurs groupes ramassaient dans les poils du bois pour le feu qu’ils découvrirent les pones.

Il y en avait une douzaine. Grâce à leur taille énorme, les pones n’avaient aucune difficulté à se cacher sur le Tapis. On croit toujours que ce sont les petits objets qui se cachent le plus aisément. Mais dissimuler des objets qui sont trop gros pour qu’on les remarque est presque aussi facile. Les pones ressemblaient à des buttes, sauf qu’elles broutaient et qu’elles laissaient échapper des rots sporadiques. Elles tournèrent collectivement la tête pour regarder leurs découvreurs, laissèrent échapper un rot et détournèrent la tête.

On aurait dit qu’elles avaient reçu pour consigne d’attendre quelqu’un.


Apothicaire, proclamait la pancarte en devanture de la boutique. Ce qui signifiait que le propriétaire était une espèce de pharmacien primitif qui vous fournirait herbes et autres remèdes jusqu’à ce que vous vous rétablissiez… ou, du moins, que votre état cesse d’empirer.

L’apothicaire se nommait Biglechouette. Il chantonnait tout seul en œuvrant au fond de son arrière-boutique. Il venait de découvrir une toute nouvelle peluche bleue, qu’il était en train de réduire à l’état de poudre. Elle était sûrement bonne à quelque chose. Il devrait la tester sur les gens jusqu’à ce qu’il découvre à quoi.

Une main se posa sur son épaule.

— Hmmm ? fit-il.

Il se retourna. Il regarda par-dessus ses besicles, constituées de deux rondelles de vernis soigneusement poli.

— Forficule ! s’exclama-t-il.

— Baisse la voix ! Nous sommes passés par-derrière.

— Ma parole, ça ne me surprend pas de ta part. Ne te fais pas de soûci, il n’y a personne dans la boutique.

Son regard se posa derrière Forficule sur Glurk, Fléau et Brocando.

— Ma parole, répéta-t-il. Après tout ce temps… Enfin… Bienvenue. Cette maison est la tienne. (Son front se plissa soudain et il parut troublé.) Uniquement dans un sens métaphorique, bien entendu, parce que, bien que j’admire ta démarche franche, et même ton attitude volontaire, je n’irai pas jusqu’à te céder ma maison pour de bon, après tout, c’est la seule que je possède, et donc cette formule t’est adressée, comment dire ? de façon assez gratuite…

Biglechouette avait, à l’évidence, du mal à conclure sa phrase. Glurk frappa sur l’épaule de Forficule.

— Lui aussi, c’est un philosophe, non ?

— Tu t’en es aperçu, hein ? répondit Forficule. Euh… Biglechouette… Je te remercie.

L’apothicaire abandonna la lutte et sourit.

— Nous avons besoin de nourriture, expliqua Forficule. Et surtout…

— … d’informations, compléta Fléau. Que se passe-t-il, ici ?

— Par quoi préférez-vous commencer ? s’enquit Biglechouette.

— Par la nourriture, trancha Glurk.

Les autres le foudroyèrent du regard.

— Ben… Je croyais qu’il me regardait quand il a posé la question, expliqua Glurk.

— Faites comme chez vous, lança Biglechouette. Enfin, évidemment, quand je dis comme chez vous, je ne veux pas littéralement dire…

— Oui, oui, merci beaucoup, coupa Forficule.

Biglechouette fourragea dans un placard. Glurk contempla les fioles et les pots qui encombraient l’arrière-boutique. Dans certaines fioles, des choses lui rendirent son regard.

— Biglechouette et moi avons été à l’école ensemble, expliqua Forficule. Et puis Biglechouette a décidé qu’il allait étudier le Tapis. Sa composition. Les propriétés des différents poils. Les animaux rares et bizarres. Tout ça, quoi.

— Et Forficule a décidé, lui, d’étudier les gens, compléta Biglechouette en émergeant avec une miche de pain et un peu de beurre. Et on l’a condamné à mort pour avoir traité le dernier Empereur de… de… C’était quoi, au fait ?

— Bah, il le méritait bien, répondit Forficule. Il me refusait l’argent nécessaire à l’entretien de la Bibliothèque. Tous les livres tombaient en poussière. C’était mon travail, je devais la préserver. C’est la connaissance. Il m’a répondu qu’on n’avait pas besoin d’un tas de vieux bouquins, qu’on savait tout ce qu’il y avait à savoir. J’essayais simplement de lui faire comprendre qu’une civilisation a besoin de livres si les échanges d’opinions doivent continuer à être raisonnés et étayés par les faits.

— J’essayais de me souvenir de quoi tu l’as traité.

— De sybarite ignorant, plus borné qu’une tourte.

— Ça semble plutôt sévère de condamner quelqu’un à mort pour ça, jugea Glurk en posant la miche sur son assiette.

Il n’arrêtait pas de se retourner pour jeter un coup d’œil à la jarre dans son dos. Elle contenait une créature velue.

— En fait, c’est pour ses excuses qu’on l’a condamné à mort, précisa Biglechouette.

— Comment peut-on condamner quelqu’un à mort pour avoir présenté ses excuses ?

— Il a dit qu’il regrettait ses paroles, parce que, après réflexion, il reconnaissait que l’Empereur était exactement aussi borné qu’une tourte, continua Biglechouette. Certes, il avait pris ses jambes à son cou pour le dire.

— On appelle ça une démarche philosophique, se rengorgea Forficule.

— Vous avez insulté l’Empereur ? intervint Brocando. Pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ? Je ne pouvais pas deviner que vous étiez une célébrité.

— Et psychologue, en plus. Le père de Targon était la honte de l’Empire, renchérit Fléau.

— Où t’es-tu caché tout ce temps ? demanda Biglechouette, en approchant une chaise. Bien sûr, quand je dis caché, je ne sous-entends…

— Oh, dans un petit coin dont personne n’a entendu parler, répondit Forficule.

— Ça vous dérange si j’oriente ce pot dans l’autre sens ? demanda Glurk. Je n’aime pas qu’on me regarde quand je mange.

— Que se passe-t-il à Uzure ? coupa Fléau. Il n’y a presque plus de gardes aux portes. C’est un scandale. Les gens ne savent donc pas ce qui se passe ? L’Empire est attaqué. Mon Empire !

— Si personne ne mange ce bout de fromage, passez-le donc par ici, suggéra Glurk.

— On est au courant, répondit Biglechouette. Mais l’Empereur affirme qu’Uzure ne risque absolument rien. Ses nouveaux conseillers en sont certains, apparemment.

— Des conseillers ? demanda Forficule.

Ce mot pesait comme un bloc de gravier.

— Vous n’auriez pas des cornichons qui traînent quelque part ? s’enquit Glurk.

— Des conseillers, répéta Fléau. Et est-ce que quelqu’un les a… vus, ces conseillers ?

— Je ne crois pas, répondit Biglechouette. J’ai entendu dire que le général Vagérus avait été cassé pour avoir rappelé les légions. L’Empereur a jugé qu’il créait sans raison un climat d’inquiétude. Et les gardes qui entourent le palais ne laissent entrer personne.

— Et les concombres, il en reste ?

— Ils opèrent toujours ainsi, conclut Fléau. Vous le savez. De l’intérieur. Comme à Périlleuse. Et sur la Terre de la Grand-Porte.

— Qui ça ? Les concombres ? s’étonna Glurk.

— Oui, mais pas à Uzure, s’indigna Forficule. Pas ici. Je ne peux pas y croire. Pas en plein cœur. Enfin, quand même pas ?

— Qui penserait à regarder au centre ? fit observer Fléau.

— D’ailleurs, je n’aurais jamais cru en trouver à Périlleuse, ajouta Brocando.

— Dites… On parle toujours de concombres ?

— D’accord, mais pas… A Uzure, s’entêta Forficule.

— Tu n’y crois pas ? J’aurais dit la même chose pour Périlleuse, rappela Brocando.

— Vous ne parlez plus de concombres, là ? supputa Glurk.

— Que faut-il faire ? demanda Forficule.

— Les tailler en rondelles ! rugit Glurk en brandissant un concombre.

Fléau posa la main sur son épée.

— Oui, dit-il. Je savais que ça arriverait. Uzure a été une grande ville. Nous avons combattu pour certaines choses. Et quand nous les avons obtenues… Nous nous sommes endormis sur nos lauriers. Terminés les efforts. Oublié notre orgueil. Envolée notre rectitude. Rien que de jeunes Empereurs grassouillets et des courtisans bornés. Eh bien, plus question que ça continue. Pas à Uzure. Allons-y.

Il se leva.

— Oh non, l’arrêta Forficule. Qu’as-tu l’intention de faire ? Foncer sur le palais en agitant ton épée et en tuant tous les moizes que tu verras ?

Brocando se mit debout à son tour.

— Excellente suggestion, dit-il. Un plan impeccable. Je suis bien content qu’on ait réglé cet aspect des choses. Allons…

— Mais c’est idiot ! s’écria Forficule. Ce n’est pas un plan ! Dis-leur, Glurk. Tu es un homme sensé.

— Oui, c’est idiot, confirma Glurk.

— On va d’abord terminer notre collation, décréta Glurk. On attaquera le palais ensuite. C’est pas bon, d’attaquer le ventre vide.

— Déments ! se désola Forficule.

— Ecoutez, lança Fléau en se levant de table. Vous savez ce qu’elle a dit. Rien n’est trop petit pour faire la différence. Une seule personne à l’instant propice.

— Nous sommes trois, compléta Brocando.

— C’est encore mieux !

— Oh, bon sang de poil ! Je suppose qu’il vaut mieux que je vous accompagne, soupira Forficule. Ne serait-ce que pour m’assurer que vous ne faites pas de bêtises.

— Je peux venir aussi ? demanda Biglechouette.

— Tu vois ? triompha Fléau. Imagine les changements que cinq personnes vont opérer. Si nous nous trompons, ça importera peu. Mais si nous ne nous trompons pas… que peut-on faire d’autre ? Courir dans tous les sens ? S’égosiller ? Tenter de lever une armée ? Réglons donc le problème tout de suite.

— Cela dit, les murailles du palais sont trop hautes. Et très épaisses, fit observer Forficule.

— Personne ne pourrait arrêter une pone qui a décidé d’aller quelque part, répondit Fléau. Ni m’arrêter, moi !

— Je m’étais toujours posé la question, marmonna Brocando, dans le soudain silence. J’ai la réponse, maintenant.

— Quelle réponse, bon sang de poil ? demanda Forficule, complètement perturbé.

— Comment les Dumiis ont conquis le Tapis, répliqua le roi. C’était parce qu’une fois de temps en temps, ils raisonnaient comme ça.

Au bout de quelques instants, Glurk posa sa question.

— Et pour entrer dans la ville, quelqu’un a une suggestion ?

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