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En réalité, mon téléphone n’est pas vraiment devenu un GPS. Le fond d’écran ne s’est pas transformé en carte ni mon scooter en point lumineux. Mais, à la place de la photo d’Ombe (prise pendant une formation sans qu’elle s’en aperçoive), une flèche bleue aux contours incertains pulse tranquillement, m’indiquant la direction à suivre.
Je tourne la poignée des gaz à fond. Vu l’itinéraire, je parie ma cornemuse que je vais encore me retrouver dans une zone industrielle de banlieue.
Peu à peu, en effet, ma trajectoire s’infléchit et me précipite droit sur les quais de Seine. Paris est tout proche mais ce n’est plus Paris. Il paraît que le simple fait de franchir le périphérique projette le quidam dans un autre monde. Nonobstant les snobs, ce n’est pas complètement faux. Entouré de douves d’asphalte grouillantes de monstres métalliques, Paris est redevenu une île.
Au bord du fleuve qui charrie une eau noire et profonde, plusieurs entrepôts décrépis se dressent à côté de grands conteneurs rouillés, dans un pathétique concours du truc le plus moche. Pour ajouter à l’ambiance, le contenu putride de poubelles éventrées patauge dans des flaques d’eau dégueulasses.
La flèche de mon téléphone mystifié devient folle. Je coupe le contact et me laisse entraîner, tout doucement et sans bruit, dans la pente qui mène aux entrepôts, frissonnant encore de ma course dans l’air froid de décembre. Des réverbères haut perchés éclairent la zone protégée par un solide grillage. Un panonceau révèle que le secteur est sous la surveillance de maîtres-chiens.
Le sortilège de Julie Yeux de braise est formel : le téléphone d’Ombe se trouve là, quelque part dans cet endroit pourri.
Je commence par mettre mon scooter à l’abri, derrière un conteneur. Puis je réfléchis.
Deux options s’offrent à moi pour accéder à la zone : la première, physique, consiste à escalader la barrière. La seconde, magique, à l’escamoter. Toutes les deux me conduisent à un autre problème : comment échapper aux vigiles ? Là encore, deux solutions. La première, physique, ne réclame que de la rapidité, des réflexes et de la discrétion (ramper, quoi). La seconde, magique, demande… plus de temps que j’en aurai jamais.
Je soupire à l’idée de sacrifier mon pantalon neuf et ma veste contre les griffes du grillage et la crasse du sol, quand une troisième option s’impose à mon esprit. Ne jamais oublier : il y a toujours une troisième option tapie quelque part. En l’occurrence : comment Ombe a fait pour entrer ?
Les semelles crantées de mes solides chaussures en cuir foulent silencieusement le goudron du quai. Il ne manquerait plus que ça, partir en mission avec des talons ! J’imagine très bien le ricanement d’Ombe : « Pourquoi pas en santiags, tant qu’on y est ? »
Même mon téléphone se trouve dans l’incapacité de sonner.
Elle serait fière de moi.
Je n’ai pas besoin de chercher longtemps. Un trou flambant neuf dans le grillage m’indique clairement la voie à suivre. C’est déjà ça de gagné pour mon jean ! Je me glisse dans le parc et, silencieux comme ces ninjas dont je pourrais être le fils spirituel si on prenait en compte le nombre d’heures passées devant les films qui leur sont consacrés, je me planque derrière une poubelle puante.
Personne. Pas un bruit de botte, pas un grognement de chien. Apparemment, Ombe s’est aussi occupée des vigiles.
Je cours plié en deux jusqu’au hangar le plus proche, qui est aussi le plus grand. Une porte bâille, rouillée comme le reste. Je l’ouvre. Évidemment, elle grince et le vacarme résonne interminablement (minablement, blement, ment) à l’intérieur du bâtiment. Je m’immobilise, le cœur battant.
Rien, aucune réaction. Un silence de mort.
L’obscurité est totale. Je fouille dans ma sacoche et extirpe du fouillis sortilégineux une petite lampe-torche que j’allume aussitôt.
L’entrepôt est vaste. Moins que le dernier que j’ai visité et où j’ai failli laisser ma peau en affrontant un vampire susceptible et un démon facétieux, mais pareillement délabré.
Des palettes traînent dans les coins, au pied de machines couvertes de poussière, tenant compagnie à des cartons moisis. L’odeur est saisissante. Quelque chose entre vieille friture et lendemain d’incendie. Une humidité glacée imprègne l’air et suinte le long des murs. Je frissonne.
C’est alors qu’un doute affreux s’empare de moi.
Dans mon dernier rapport, au retour de la mission qui m’a valu mes vacances forcées, j’ai mentionné la présence d’une bande de loups-garous surveillant des entrepôts pour le compte d’un vampire pervers – et depuis peu couvert de vilaines cloques. Walter m’a alors assuré, avant de me renvoyer comme un malpropre, qu’il chargerait un Agent d’aller vérifier.
Et si cet Agent c’était Ombe ? Et si l’entrepôt, dans lequel je promène tranquillement le faisceau de ma lampe, c’était celui des garous ?
Ombe serait donc tombée sur des garous !
J’ai retenu de mes lectures à leur sujet qu’en plus d’être costauds et agressifs, leurs sens sont très développés. J’en déduis qu’ils ne sont plus là, sinon je les aurais déjà sur le dos.
Je fronce les sourcils en me rappelant un détail du bref échange téléphonique avec Ombe. Elle semblait connaître l’un de ses assaillants.
Ombe fréquente des garous ?
Je décide de remettre cette question à plus tard. D’abord, explorer l’entrepôt à la recherche d’indices. En priant pour ne pas tomber sur le corps déchiqueté d’Ombe.
Je trouve le premier signe de sa présence sous une poutrelle métallique. Son casque de moto, ou plutôt ce qu’il en reste. Explosé. Coupé en deux. Je le ramasse les mains tremblantes. Je vérifie en grimaçant qu’il ne contient pas de bouts de cervelle et souffle de soulagement en le découvrant parfaitement vide.
Les traces de sang, sur le sol en ciment, me font par contre penser au pire.
— Je te vengerai, Ombe, j’en fais le serment ! je marmonne entre mes dents, serrées pour contenir mon chagrin, ainsi que la trouille qui commence à m’envahir. J’essaye d’imaginer Ombe sans vie mais je n’y parviens pas. Ombe ne peut être que debout, en train de se battre bravement. Blessée peut-être, mais morte sûrement pas. Je balaye avec ma lampe la scène du crime.
C’est un détail qui accroche mon regard. À côté d’une gigantesque machine-outil qui pourrait broyer le crâne en titane d’un Terminator, quelque chose émet une étrange lumière bleue.
Je m’approche prudemment.
En un clin (et un coup) d’œil, mon implacable théorie sur les loups-garous s’effondre.
Dans la poussière, à côté du téléphone d’Ombe activé par le sortilège de Julie Yeux de braise, il y a d’énormes traces de pied. Quelqu’un est venu, a vu Ombe et l’a vaincue, avant de repartir. Mais pas un garou. Ni un homme et encore moins une femme.
Je déglutis.
C’est un troll qui était là.
Les empreintes de troll sont caractéristiques. Presque humaines. Non, monstrueusement humaines. Larges, longues. Avec le frottement des poils sur le côté. Et la marque des ongles mal coupés.
Sur un sol meuble, elles auraient été profondes. Un troll adulte pèse dans les trois cents kilos, pour une taille moyenne de deux mètres. Mais il ne faut pas le croire empotés. Ils sont rapides, précis, durs à la douleur et pratiquement indestructibles. Les fédérations de rugby du monde entier paieraient des fortunes pour en composer leurs équipes !
Si elles connaissaient leur existence.
Des empreintes de troll, donc. Mais pas trace d’Ombe. Est-ce que le monstre l’a capturée et emportée sur son dos ? Pour la dévorer (dans le meilleur des cas…) dans un coin tranquille ?
Mon sang ne fait qu’un tour. Je fourre le téléphone d’Ombe dans ma sacoche, braque ma lampe sur les empreintes et commence à remonter la piste.
Je ne vais pas loin.
Le faisceau lumineux capture dans une portion de gazon mal éclairé, à quelques dizaines de mètres de hangar, un pied monstrueux et velu.
Arrêt sur image.
Le temps se fige.
Lentement, très lentement, je lève la tête.
Encore.
Plus haut.
Encore plus haut.
Et là je vois, étincelant dans la fausse nuit urbaine, une interminable rangée de dents larges et pointues.
— Euh, bonjour ! je lance d’une voix éraillée. Il faut bien dire quelque chose. Et puis un peu de politesse ne fait jamais de mal.
Pas de réponse.
— Je m’appelle Jasper, je continue tandis que l’énorme masse me toise, immobile. Je suis à la recherche d’une amie, qui semble avoir eu quelques problèmes…
Toujours rien. Je recule d’un pas.
— Bon, si vous ne pouvez pas m’aider, tant pis. Désolé du dérangement. C’était sympa, cette conversation, monsieur, euh, monsieur…
— Erglug. Erglug Guppelnagemanglang üb Transgereï.
Je reste interdit en entendant la voix puissante et caverneuse.
— C’est votre nom ou vous m’avez dit quelque chose de troll ?
Pourquoi est-ce que je ne peux jamais m’empêcher de la ramener ?
Un rugissement éclate soudain dans la nuit. Le troll se plie en deux, puis donne sur son genou une claque qui aurait réduit une pile de pont en poussière.
— Quelque chose de troll ! C’est pas vrai, un humain qui a le sens de l’humour !
Je comprends alors que c’est le troll qui rit. La vache !
— Généralement, je soupire, c’est quand un monstre me trouve drôle qu’il cherche à me tuer…
Le troll me fixe de nouveau. Ses yeux sombres s’étrécissent. Il ne rit plus du tout.
— J’y ai sérieusement songé. Il flotte autour de toi une mauvaise odeur de magie. Or je déteste la magie, en ce moment tout particulièrement.
— Je vais être franc avec vous, monsieur… Erglug c’est ça ? Monsieur Erglug (j’essaye de raffermir ma voix). C’est vrai, je pratique la magie. Je comprends qu’on puisse ne pas aimer. Mais réfléchissez : vous êtes un troll. Vous n’y pouvez rien. Est-ce que je vais essayer de vous tuer simplement parce que vous êtes un troll ? Soyons sérieux deux minutes !
Nouveau temps d’arrêt. Nouveau rugissement.
— Hou, hou ! Me tuer ! Eh bien, tu vas réussir ! À me faire mourir de rire !
« Un sens de l’humour particulier », nous a dit l’autre jour un expert venu faire un cours sur les trolls. Est-ce qu’on a le droit de se vexer quand un troll se montre désobligeant ? J’aurais dû poser la question.
— Ha, ha, je réponds avec ce que tout spécialiste des trolls aurait qualifié de pure inconscience. Vous avez de la chance que je me contrôle !
Cette fois il se roule par terre, sans respect pour le pagne en peau de bête qui lui ceint la taille, détruisant un réverbère et fracassant un muret en béton.
— Con-troll ! Audacieux mais très bon ! finit-il par dire en essuyant les larmes qui lui coulent des yeux. Par Krom, j’aurais vraiment fait une bêtise en te tuant !
Avant que j’aie le temps de réagir, il se relève et pose sur mon épaule une main énorme. L’espace d’un instant, je m’imagine manchot, et ça, ça a beau être troll, ce n’est quand même pas drôle du tout. À ma grande surprise, le monstre se contente d’une tape légère.
— « Rire ou mourir », a dit Hiéronymus. Tu n’as plus rien à craindre de moi, jeune mage surprenant.
Les trolls sont philosophes, c’est vrai. Notre prof de troll nous avait prévenus : « Les trolls sont capables de la plus grande violence, sauvage et destructrice, mais ils adorent philosopher. » Je ne connais pas ce Hiéronymus, alors j’utilise mes propres références.
— « Mots d’esprit éloignent souvent maux de corps » ! je réponds en citant Gaston Saint-Langers, dont le livre, Préceptes de hussard, recueil d’aphorismes bien sentis, trône dans les toilettes de l’appartement (endroit propice entre tous à la réflexion) depuis des années.
— De qui est-ce ? demande le troll en haussant les sourcils.
— Saint-Langers, Gaston, hussard et philosophe. Un maître.
— Tu me plais, me confie Erglug avec un clin d’œil à faire s’envoler un chapeau.
Ami-ami avec un troll. Manquait plus que ça. Recentre, Jasp, recentre !
— Et euh, vous, euh, tu… Comment ça se passe chez les trolls, on se dit tu ou vous ?
— Personnellement, je vouvoie mes valeureux adversaires et je tutoie mes proies. Ainsi que mes amis.
— Tu me mets dans quelle catégorie ? je demande avec appréhension en insistant bien sur le « tu » (je ne tiens pas à devenir un valeureux adversaire).
— Je n’ai pas encore décidé, c’est pour cela que le « tu » te va comme un gant. « Qui de la proie ou de l’ombre sombre ou croît ? »
Rien compris.
— Hiéronymus, encore ? je demande.
— Hiéronymus Verkling barb Loreleï. Poète et philosophe. D’habitude je pioche mes références dans la pensée humaine. Mais tu sembles différent et capable d’apprécier l’esprit troll !
— C’est un grand honneur, je dis en me fendant d’une courbette la plus respectueuse possible. Mais à propos de proies et pour en revenir à mon amie… Elle traîne dans le secteur. Tu ne l’aurais pas vue, par hasard ?
Erglug hoche la tête.
— Une jolie blonde, avec du caractère ?
— Oui, ça correspond bien.
— J’ai essayé de la tuer, il y a quelques heures à peine, dans le hangar derrière toi.
Ah… Un troll doit avoir l’oreille fine puisqu’il m’entend déglutir.
— Je n’avais pas le choix, explique-t-il pour se justifier. Je suis sous l’emprise d’un sortilège désolant. Cependant…
— Cependant ?
— Ton amie est toujours vivante. Elle a même réussi à me libérer momentanément de l’emprise sous laquelle je dépéris. Et elle est partie avec un garou. De son plein gré, je précise pour te rassurer. Enfin, disons que le garou était inconscient, ceci étant à prendre au sens précis du terme.
Je ferme les yeux. Ombe est vivante ! Plutôt en forme, à en croire Erglug. Même si je ne peux m’empêcher de frémir en l’imaginant repartie dans une autre galère, j’en éprouve évidemment un vif soulagement. Et une légère déception. Mon expédition de sauvetage tourne au fiasco.
Je rouvre les yeux et les pose sur Erglug. Comment est-ce qu’on peut avoir autant de muscles ? Si encore il était stupide, ça rétablirait l’équilibre. Mais non, ce champion de course et de pugilat toutes catégories serait sans doute capable de donner des cours à l’université. Cela dit, le niveau grimperait en flèche : « Ceux qui n’ont pas la moyenne, je leur mets des baffes ! Et je bouffe les sots ! Chiche ? Et ceux qui sèchent ! » Ça serait une vraie motivation.
À propos de motivation, Erglug a lâché un truc tout à l’heure (pas de mauvais esprit, ça ne sent pas pire que quand je suis arrivé). Un truc suffisamment intrigant pour que je me tourne vers lui, au lieu de profiter de ses bonnes dispositions pour prendre mes jambes à mon cou.
— Tu dis que tu es sous l’emprise d’un charme ?
— Hélas, répond Erglug en secouant sa tête massive. Ce n’est pas la première fois que j’attente à la vie de ton amie. Un puissant magicien du nom de Siyah a réussi à me soumettre, profitant d’une chaude après-midi d’été, d’une digestion difficile – un couple de randonneurs dodus – et d’une sieste un peu lourde. Il y a quelques jours, il m’a donné l’ordre de tuer cette jeune fille. Mais elle a grièvement blessé le magicien et j’ai cru un moment avoir recouvré ma liberté. Impression trompeuse : Siyah a survécu et le dernier ordre reçu s’est réactivé dans mon subconscient. Je n’aurai donc pas de répit avant de l’avoir exécuté. Je suis désolé.
Un troll est extrêmement sensible à la magie, comme l’a prouvé Erglug en reconnaissant immédiatement en moi un praticien des arts occultes (j’aime cette appellation, ça en jette !). Hélas pour lui. Car la soumission, acte magique de haute volée officiellement interdit, est très difficile à réaliser. Sauf sur les trolls.
Mon esprit fécond s’échauffe.
Un puissant et maléfique magicien. Un troll soumis qui semble apprécier mes jeux de mots. Une amie qui redevient sauvable.
Je retrouve toute mon énergie !
— On dirait que le sort de soumission ne fonctionne pas complètement, j’annonce à Erglug. Tu conserves une grande partie de ton libre arbitre. Ce n’est pas normal.
— Puissamment analysé, confirme Erglug en hochant la tête. Le lien entre Siyah et moi s’est en effet altéré.
— Sans doute à cause des blessures qu’il a reçues, je dis, réfléchissant à voix haute. Voire d’un coma provisoire.
— C’est extrêmement dérangeant. Je suis là, dans cet endroit immonde depuis des heures, sans pouvoir en sortir. Retenu par je ne sais quoi d’invisible.
Je dois le convaincre que je suis à la hauteur. Sinon, le plan d’action que je suis en train d’ourdir va faire long feu.
Mon cerveau mouline à grande vitesse.
— Mmmh, je fais en fronçant les sourcils, je crois avoir l’explication.
Je sors le téléphone d’Ombe de ma sacoche.
— Le sort que j’ai activé pour retrouver mon amie t’a donné l’impression qu’elle était encore là. Tu restes ici à cause d’une présence fantôme.
Erglug tend la main vers l’appareil.
— Je vais le détruire.
— Surtout pas, je dis en rangeant précipitamment le téléphone. Il fonctionne comme un patch sur un fumeur. Grâce à lui, tu n’es pas obligé de poursuivre la véritable Ombe.
Je réfléchis encore. Je n’ai encore jamais eu affaire à un troll, mais mon instinct me souffle de jouer cartes sur table.
— Tu sais comment on se libère d’un sort de soumission ?
Erglug secoue la tête. Bon sang, il a le cou d’un taureau !
— On peut défaire le sort de soumission en empruntant la voie magique, je récite en répétant mot pour mot les paroles du spécialiste des trolls. Malheureusement, c’est très difficile. Encore plus en présence d’une soumission défectueuse (là c’est moi qui invente parce que, malgré mes rodomontades, je sais pertinemment ce qu’on risque en cas d’échec : devenir l’obsession sanglante du troll furieux ; maintenant que j’en vois un pour de vrai, je n’ai pas du tout envie de vivre cette embarrassante expérience). Il reste heureusement une autre possibilité (je passe prudemment sur celle qui évoque l’élimination du troll) : se débarrasser de celui qui a pratiqué le sort de soumission. La mort du lieur délivre immédiatement le lié.
— « À peine un mot, et nous voilà en flammes.
Les joues en feu, et le cœur bat et crie.
Pourquoi ton seul nom nous émeut jusqu’à l’âme.
Liberté ! Liberté chérie ! »
— Calme, Erglug, calme, je dis en voyant avec une certaine inquiétude le géant battre des paupières, des sanglots dans la voix. Voilà ce que je te propose : tu laisses mon amie tranquille et, en échange, je t’aide à te libérer de ta soumission.
— En établissant un contre-sort ?
— En trouvant ce Siyah et en lui réglant son compte. Une bonne fois pour toutes.
Erglug semble ému. Il me tend une main que je prends, après quelque hésitation.
— Marché conclu, jeune mage intrépide.
— Tu sais par où commencer ? je demande tandis qu’il continue de me serrer les doigts avec une étonnante douceur.
— Absolument. Par le bois de Vincennes !
— C’est là-bas que Siyah tisse sa toile de ténèbres ? je demande avec emphase, enivré par mon propre courage.
— Pas du tout, m’annonce-t-il en faisant un sourire carnassier. C’est là-bas que mon clan célèbre le solstice d’hiver ! Et tu es mon invité.
— Invité ? Du genre : « Devinez qui on va manger ce soir ? »
— Tu prends des risques, jeune mage inquiet, me gronde gentiment Erglug après avoir rugi de rire. « Quiconque est soupçonneux invite à le trahir. » Ce n’est pas une maxime trolle. C’est un de vos hommes de lettres, Voltaire, qui le dit !
Me voilà condamné à me convaincre que je mène, grâce à l’Association, une vie tout à fait passionnante, riche en rencontres et en rebondissements de toutes sortes.
En attendant, j’emboîte le pas à mon hôte monstrueux, en essayant de ne pas trébucher. Ça serait bête de tomber par terre. Ce serait encore la faute à Voltaire.