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« Chère Arglaë,

J’espère qu’Erglug tiendra sa promesse et qu’il te remettra cette lettre. Il m’a affirmé que les trolls savent lire. Il plaisante souvent, mais j’ai accepté de le croire, parce que j’ai envie que ce soit vrai.

J’ai décidé de t’écrire en désespoir de cause puisque je t’ai attendue deux soirs de suite sur l’Île-aux-Oiseaux, en vain. J’ai guetté ton arrivée, le cœur battant, sursautant au moindre bruit.

Mais tu n’es pas venue. Ton frère m’a dit qu’il n’y était pour rien, qu’il ne t’avait ni donné de consignes particulières ni interdit de me voir. Que les jeunes trolls étaient imprévisibles, qu’ils aimaient se retrouver en bande pour délirer et refaire le monde, un monde plus beau, un monde d’avant l’omniprésence des hommes.

Ces deux nuits où tu n’étais pas là, j’aurais aimé être un troll.

Pour de vrai, je veux dire.

Car j’ai été promu troll d’honneur ! En récompense de mes exploits. Parce que j’ai libéré Erglug du sort qui le liait ou bien parce que j’ai réussi à le supporter toute une journée ? Toujours est-il que les autres ont fait de moi le héros d’une grande fête donnée en mon honneur. On m’a obligé à engloutir plus de viande que je n’en ai jamais mangé, boire de la bière et même danser ! Je connais deux gars qui auraient payé une fortune pour voir ça.

J’ai vécu dans la clairière de l’Île-aux-Oiseaux des moments formidables.

Mais tu n’étais pas là.

Je sens encore sur mon épaule le poids de ta tête, dans mon cou ton souffle régulier. Dans mon âme les étoiles vers lesquelles se perdait ton regard.

Je ne sais plus très bien où j’en suis. Je croyais sincèrement que mon cœur battait pour une autre. Maintenant je ne sais pas. Peut-être que je ne le saurai jamais puisque je ne vois pas comment ni quand je pourrai te revoir. Moi plongé dans ma vie de jeune mage lycéen, toi dans celle de jolie trolle en fugue perpétuelle.

J’avais plein de choses à te dire en commençant ma lettre. J’ai peur qu’elles soient affreusement banales et niaises. Alors je vais m’arrêter là. J’ai dit, je crois, l’essentiel.

J’ai beaucoup regretté que tu n’aies pas été là. J’aurais voulu te parler. Te sentir à côté de moi. Essayer d’y voir plus clair (ou encore moins !). Tant pis. On court tous après des réponses. J’ai bien l’impression que je n’ai pas fini de cavaler derrière, en attendant que le destin abatte ses cartes !

Où que tu sois, Arglaë, et quoi que tu fasses, j’espère que ça va.

Fais attention à toi et que Krom te protège.

Jasper »

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