L’attention de Geary se reporta brutalement sur l’hologramme, où la représentation du portail était passée au rouge et palpitait rythmiquement en signe d’avertissement. Maintenant ? Que tout se terminât ainsi alors qu’on avait triomphé de tous les autres défis serait assurément d’une cruelle ironie.
« Quel délai avant l’effondrement ? »
Pas de réponse. Geary regarda derrière lui et vit que la vigie concernée, comme toutes les autres au demeurant, fixait son écran d’un œil hagard.
Plus dure et sonore qu’à l’ordinaire, la voix de Desjani résonna sur la passerelle : « L’amiral vous a demandé d’estimer le délai accordé par le système à l’effondrement du portail. »
Le lieutenant recouvra instantanément toute sa lucidité. « Je vous demande pardon, commandant. Quinze minutes, amiral.
— Quinze minutes ? répéta Geary.
— Oui, amiral. Pas plus. Il s’effondre très vite. »
Geary ferma les yeux, inspira profondément et fixa derechef l’hologramme. « Trop pour que la flotte adopte une formation défensive ?
— Oui, amiral », convint Desjani d’une voix plus normale.
Il activa le circuit de communication ad hoc. « À toutes les unités de l’Alliance, ici l’amiral Geary. Comme vous devez vous en rendre compte, le portail de l’hypernet de ce système est en train de flancher. On nous avait affirmé que sa fonction destinée à engendrer une catastrophe avait été désactivée, mais nous n’avons pas pu en avoir la confirmation et nous ignorons également si son dispositif de sauvegarde fonctionne convenablement. Nous ne pouvons donc pas prévoir le niveau d’intensité de sa décharge d’énergie. Tous les vaisseaux devront orienter leur proue vers le portail et régler leurs boucliers avant au maximum. » Sans doute devait-il ajouter quelques mots car cette transmission risquait d’être la dernière. « Si le pire se produit, ce qui subsiste du pouvoir central des Mondes syndiqués et de ses forces mobiles sera détruit en même temps que notre flotte. Notre sacrifice ne sera pas vain et nos enfants seront délivrés de cette guerre. »
Rione fit irruption sur la passerelle et se planta devant l’hologramme du fauteuil de l’observateur, qu’elle fixa un moment, les yeux écarquillés, avant de se laisser tomber sur le siège. Pourtant elle ne donnait pas l’impression de scruter l’écran.
Geary se demanda vers quoi s’était tourné son regard intérieur. « Comment se déroulent les négociations ? » demanda-t-il, en s’étonnant lui-même de laisser percer davantage d’ironie que d’amertume dans sa question.
Rione secoua vivement la tête puis ses yeux parurent accommoder sur Geary. « Les Syndics étaient aussi stupéfaits que nous. Quand je suis sortie, ils hurlaient à tue-tête qu’ils n’en étaient en rien responsables, qu’aucun ordre n’avait été envoyé au portail et que les algorithmes chargés de déclencher son effondrement ne pouvaient plus être en activité. »
Que répondre à cela ? « Merci.
— Cinq minutes avant effondrement, annonça la vigie des opérations.
— Boucliers de proue au maximum, rendit compte celle des systèmes de combat.
— Très bien. » Desjani se massait délicatement le front du bout des doigts pour masquer son visage. Elle jeta un regard à Geary et, l’espace d’une seconde, sourit d’un air désabusé. « Si le pire doit se produire, je suis heureuse de vous avoir connu.
— Pareil pour moi. » Peut-être ne leur restait-il que quelques minutes à vivre, mais ils ne pouvaient même pas se prendre par la main. Ils avaient jusque-là sauvegardé leur honneur et, si le sort en décidait ainsi, ils mourraient honorablement.
En réalité, le portail avait commencé à s’effondrer plus de sept heures plus tôt. La lumière de cet événement leur parvenait enfin, et l’onde de choc, si onde de choc il y avait, ne tarderait pas à la suivre. Geary observait son écran, non sans trouver pour le moins surprenant, en son for intérieur, que tout ce qu’il montrait des environs immédiats du portail devait d’ores et déjà être détruit.
« Une minute. » La voix de la vigie était fêlée.
« Très bien, répéta Desjani, d’une voix assurée mais à nouveau plus sonore. Nous affronterons cela avec honneur et courage, exactement comme l’Indomptable et son équipage ont toujours affronté le danger. »
Le personnel de quart fit écho à ses paroles par un concert d’approbations. Elle adressa un autre sourire à Geary. Il lui répondit d’un hochement de tête. Rione fixait de nouveau le vide de l’espace.
« Trente secondes avant le passage de l’onde de choc… Dix secondes… cinq… quatre… trois… deux… un… »
La seconde s’écoula et, comme à Lakota, rien ne se produisit. « Lieutenant, obtenez-moi si possible une estimation réactualisée, ordonna Desjani.
— Oui, commandant. Je… Commandant ? » Le lieutenant des opérations scrutait intensément son écran. « Je crois que c’est arrivé. Oui. Une seconde après le délai estimé. La décharge d’énergie a été si faible que nos instruments l’ont à peine enregistrée. Nous disposons d’une vue dégagée de l’ancien emplacement du portail et de l’espace alentour. Le portail a disparu, mais tout le reste est intact.
— Que je sois pendue ! » Desjani tourna vers Geary un regard médusé. « Ces Syndics disaient vrai. »
La tête de Geary lui tournait légèrement, aussi se borna-t-il à la hocher avant de répondre : « À ce qu’il paraît. Nous sommes toujours vivants.
— Je crois que nous devrions remercier les vivantes étoiles de ce miracle et de notre survie. » Geary enfonça une touche des communications. « À toutes les unités de l’Alliance, ici l’amiral Geary. Le dispositif de sauvegarde du portail de l’hypernet a fonctionné correctement. La menace est passée. Poursuivez les opérations comme prévu. » Il se retourna vers Rione. « Je pense que vous pouvez revenir à vos négociations, madame la coprésidente. »
Elle se leva en souriant. « J’y vais de ce pas, amiral. Je compte également allumer une bougie pour le capitaine Cresida ce soir. »
Rione partie, Geary jeta un regard à Desjani : « Rappelez-moi d’en faire autant.
— Je ne devrais pas avoir à le faire, répondit-elle d’une voix presque aussi bourrue que celle avec laquelle elle s’était adressée à ses officiers. Je le ferai néanmoins avant d’en allumer une moi-même. Bon, maintenant, pourquoi le portail s’est-il effondré ?
— Des individus loyaux aux ex-dirigeants syndics et prêts à mourir pour eux ont dû lui en envoyer le signal, avança Geary. Ou bien…
— Oui ! Ou bien nos mystérieux ennemis. Ils ont dû apprendre que nous étions là et transmettre l’ordre au portail. » Desjani s’adossa à son fauteuil dans une posture qui n’avait rien perdu de sa raideur. « S’ils l’avaient envoyé plus tôt, avant que les Syndics n’aient désactivé les algorithmes chargés de provoquer la catastrophe, ils auraient tout à la fois décapité les Mondes syndiqués et éliminé la flotte de l’Alliance.
— Une jolie réussite. » Geary se massa le menton en réfléchissant à la besogne inachevée. « Ça ne va pas s’arrêter là, n’est-ce pas ?
— Jamais de la vie, amiral !
— Les extraterrestres n’auraient pu être informés de notre présence que d’une seule façon… Par les vaisseaux syndics. » Geary pianota sur le bras de son fauteuil. « Certains, surtout parmi les cuirassés, sont sans doute endommagés mais restent opérationnels. Il faut envoyer quelques-uns de nos bâtiments leur “apporter de l’aide”. » Desjani arqua des sourcils incrédules. « Nous installerons à leur bord un certain nombre des nôtres, que ça leur plaise ou non. Nous ferons un geste humanitaire, nous soignerons leurs blessés et nous évacuerons ceux qui n’ont pas pu quitter ces vaisseaux dans un module de survie. Et nous en profiterons pour examiner leurs systèmes et voir s’ils ne sont pas infectés par des virus extraterrestres. »
Le visage de Desjani s’éclaira. « Si nous en trouvons, c’est que les Syndics ignoraient leur présence.
— Exactement. Et nous saurons aussi comment les extraterrestres ont eu vent de la nôtre. En revanche, si ces logiciels malfaisants sont absents, c’est que les Syndics auront appris à les neutraliser, ou bien que les extraterrestres auront opté pour ne pas les espionner.
— À votre place, je ne miserais pas un kopeck sur cette dernière hypothèse. Ces entités, quelles qu’elles soient, semblent tirer au mieux profit de tout ce qui peut les avantager. » Desjani secoua la tête. « Mais l’aide que nous apporterons aux Syndics sera notre couverture. Cela dit, nos spatiaux ne seront guère nombreux à se porter volontaires pour ces équipes d’assistance.
— Je sais. » Geary sourit. « Mais je dispose de nombreux fusiliers. »
Le général Carabali accepta calmement ses ordres, en ne trahissant que par le plus modeste des sourires la satisfaction que lui inspirait la véritable raison de cette mission. « Amiral, je recommanderais l’envoi de cuirassés et de croiseurs de combat pour transborder mes fusiliers à proximité immédiate des vaisseaux syndics endommagés. La présence proche de la puissance de feu de la flotte devrait dissuader les équipages syndics d’opposer une résistance risquant de causer de plus graves dommages à leurs systèmes. »
Sans rien dire de ceux causés à ces équipages eux-mêmes. « Excellente idée. Nous échafaudons le plan en ce moment même. Je vous ferai prévenir dès que nous aurons sélectionné les vaisseaux pour que vous puissiez briefer vos gens. Si jamais vous avez besoin de l’assistance d’un expert en systèmes de sécurité, faites-le-moi savoir et je me chargerai de réunir des “volontaires” en nombre suffisant.
— Merci, amiral. Mais les spécialistes en systèmes de sécurité sont assez nombreux chez mes fantassins pour y pourvoir. Cela dit, il leur faudrait peut-être quelques séances de briefing sur les logiciels malfaisants qu’ils devront rechercher, puisque vous les dites basés sur un principe inhabituel.
— Pour le moins, général. Je veillerai à ce que les officiers de la sécurité affectés aux bâtiments désignés soient prêts à leur fournir ces informations. »
Geary tenta de nouveau de se détendre. Aucun danger ne devait plus menacer la flotte, à moins que l’étoile elle-même n’explosât sans prévenir en nova. Mais, alors que les lumières d’un dernier cuirassé syndic s’éteignaient sous les tirs du détachement de Duellos, Geary fit appel aux politiciens. « Vous devriez informer le nouveau Conseil exécutif que nous cesserons de détruire les bâtiments rescapés de leur flottille s’ils nous promettent de ne plus nous attaquer. »
Rione eut un sourire sans joie. « Je crois leurs nouveaux dirigeants désireux de préserver l’existence d’autant de leurs vaisseaux survivants que possible. Félicitations pour votre victoire, amiral.
— Merci. Je compte sur vous pour transformer cet essai en une paix durable.
— Je ferai de mon mieux. »
Les heures suivantes offrirent suffisamment de distractions pour s’écouler rapidement : certaines unités de l’Alliance se rapprochèrent des cuirassés syndics à la dérive et entreprirent d’envoyer à leur bord des équipes d’assistance de fusiliers, dont la composition, la cuirasse et l’armement ne semblaient guère diverger de ceux de leurs sections d’assaut. « La mission d’une EAF est principalement d’ordre pacifique, tandis que celle d’une SAF est avant tout le combat, expliqua le général Carabali. Bien entendu, toutes sont configurées de manière à être interchangeables.
— Elles sont donc parfaitement identiques, finalement, sauf qu’elles portent un nom différent, lâcha Geary.
— Non, amiral. Elles sont différentes, mais elles ont exactement les mêmes capacités. Les instructions tactiques sont très claires à cet égard. »
Discuter de sémantique avec un fusilier qui a les définitions officielles de son côté ne semblait sans doute pas à Geary la façon la plus payante de passer le temps, de sorte qu’il en accepta l’augure et la logique, si tarabiscotée fût-elle, et retourna regarder les fusiliers passer les cuirassés syndics blessés au peigne fin. Il céda plusieurs fois à la tentation et afficha les images retransmises par la vidéo de contrôle et de commande, images qui reflétaient fidèlement ce que voyaient les soldats à travers la visière de leur casque. Mais l’intérieur de tous ces cuirassés offrait à peu près le même spectacle hideux, leurs dommages intensifs les ayant réduits à l’état d’épaves délabrées. Là où les fusiliers retrouvaient des spatiaux encore en vie mais laissés pour compte et privés de capsules de survie, ils insistaient pour les escorter à l’extérieur, ce qui ne revenait nullement à les faire prisonniers ; c’est du moins ce que le général Carabali affirma à Geary.
« Le plus clair des systèmes de ces cuirassés ont été détruits et ceux qui fonctionnaient encore effacés quand l’équipage a quitté le vaisseau, lui apprit finalement le général. Mais les petits génies chargés de décrypter les codes des systèmes de sécurité nous ont appris que ces virus inusités ne seraient sans doute pas affectés par l’effacement ou le nettoyage conventionnels des données, et ils avaient raison. Nous avons retrouvé des traces de ces vers en de nombreux points. »
Ainsi Boyens n’avait-il pas dissimulé d’informations sur les virus extraterrestres. Apparemment les Syndics ignoraient réellement leur existence. « Quels étaient les systèmes infectés ?
— Nous ne pouvons pas en avoir la certitude, admit Carabali. Les bâtiments ennemis ont été tellement pilonnés que certaines fonctions ont été automatiquement transférées vers tous les processeurs, serveurs ou réseaux accessibles par des sous-routines chargées du contrôle des dommages. De sorte que nous sommes à présent incapables de déterminer les sous-systèmes précis initialement infectés par ces vers.
— Merci, général. Excellent travail.
— Mes hommes devront-ils effectuer d’autres besognes, amiral ? Quelque part à la surface de la planète, par exemple ?
— Je n’en sais rien, général. Je vous en informerai dès que possible. »
Geary se frotta encore les yeux en regrettant de n’avoir pas eu le temps de réellement se reposer. Il s’était retiré dans sa cabine, mais l’étroit compartiment lui faisait davantage l’effet d’un cachot que d’un refuge. Combien de temps encore les politiciens allaient-ils s’entretenir ? Ils avaient extrait l’officier Boyens de son isolement pour les aider, ce qui n’était ni de bon ni de mauvais augure.
Il afficha un hologramme et agrandit l’image pour voir ce qui se passait. Près de l’ancienne position du portail de l’hypernet, la masse des cargos chargés de VAR stationnaient toujours, pratiquement immobiles, comme s’ils attendaient encore des ordres alors que leur mission était désormais totalement dépassée par les événements et qu’il ne restait même plus un portail d’où risquaient de surgir des assaillants. L’unique aviso qui en avait émergé avant son effondrement avait entrepris de traverser le système stellaire par sa lisière extérieure en direction du point de saut pour Mandalon, mais à une vélocité suggérant qu’il ne s’attendait pas à recevoir de sitôt l’ordre de sauter.
Le capitaine Smyth, commandant du Tanuki, s’était activé comme un beau diable : il avait ordonné à ses autres auxiliaires de se rapprocher des bâtiments les plus endommagés et de leur apporter une assistance supplémentaire en réparant les dégâts les plus importants.
Geary avait aussi parlé au capitaine de frégate Lavona de l’Adroit, pour l’affecter jusqu’à nouvel ordre au commandement de ce bâtiment, en lui laissant ouvertement entendre qu’il tenait à ce qu’on bouclât le plus vite possible l’enquête sur la mort du capitaine Kattnig, et en insistant sur les résultats qu’il en escomptait. Lavona avait paru plus que satisfaite de suivre les recommandations de Geary à cet égard. « J’ignore pourquoi tout cela s’est produit pendant le combat, amiral, mais c’était un excellent officier.
— C’est le souvenir qu’on gardera de lui », avait promis Geary.
Il regarda s’ébranler la flotte, consulta les données sur les pertes, les dommages et l’évolution des réparations, puis se résolut à patienter, non sans se sentir étrangement impuissant pour un amiral en chef.
Quand sa présence fut enfin requise dans la salle des négociations, Geary s’accorda sciemment le temps de vérifier sa tenue puis longea d’un pas tranquille les coursives de l’Indomptable jusqu’au compartiment sécurisé attenant au service du Renseignement. Des fusiliers étaient postés à l’entrée ; certains montaient la garde, mais quelques-uns avaient servi d’escorte à Boyens et attendaient à présent de le reconduire dans sa cellule d’isolement. À l’intérieur, les sénateurs de l’Alliance et l’officier syndic étaient assis autour de la table. Aucune image virtuelle, aucun écran actif ne signalait la présence de dirigeants syndics ni de négociateurs. Costa avait l’air à la fois belliqueuse et butée, Sakaï semblait légèrement indécis et Rione, comme à son habitude, dissimulait ses véritables sentiments. Quant à l’officier Boyens, il donnait l’impression d’être tout bonnement déprimé.
Rione fit glisser une unité de stockage de données dans sa direction quand Geary prit un siège. « Nous sommes parvenus à un accord. Les nouveaux dirigeants des Mondes syndiqués ont souscrit à des conditions sensiblement identiques à celles proposées par le Grand Conseil de l’Alliance. »
L’annonce était si peu conforme aux diverses expressions qu’affichait la tablée que Geary dut y réfléchir à deux fois avant de se persuader qu’il avait bien entendu. « Ce n’est pas une bonne nouvelle ? »
Sakaï hocha la tête. « C’est une excellente nouvelle, amiral. Le spectacle qui s’offre actuellement à vous résulte pour une bonne part de notre mutuelle incrédulité. Aucun de nous n’arrive à se persuader vraiment que les hostilités entre l’Alliance et les Mondes syndiqués ont cessé, au moins officiellement. Nous sommes tous nés après le début de cette guerre et elle perdure depuis. »
Un mot avait retenu l’attention de Geary : « Officiellement ?
— Oui. » Sakaï laissa à ce monosyllabe le temps de répandre son acide. « Les dirigeants syndics… ceux d’avant… ont beaucoup trop exigé de leurs planètes. Les nouveaux maîtres ont admis qu’autant qu’ils le sachent, ce que nous avons vu à Atalia, à Parnosa et ici se reproduit dans diverses poches de résistance de l’espace syndic : rébellion, révolution, et parfois chaos.
— Les Mondes syndiqués sont en train de s’effondrer, renchérit Rione. Nous avons planté un dernier clou dans leur cercueil en détruisant ici leur flottille. Ce faisant, nous avons éliminé la dernière force mobile d’importance obéissant à l’autorité centrale.
— Elle n’y répondait plus quand vous l’avez détruite, lança Boyens avec résignation.
— Je vous l’accorde. Quoi qu’il en soit, cette flottille était le dernier moyen dont disposait le pouvoir central pour éradiquer les facteurs susceptibles de briser les chaînes qui, depuis très longtemps, maintenaient les planètes et leurs populations sous sa dépendance. Le processus se répète dans tout l’espace syndic à plus ou moins grande vitesse, mais, le point capital, c’est que les nouveaux dirigeants des Mondes syndiqués ne sont plus en mesure de contrôler l’ensemble de leur ancien territoire. En outre, cela risque de compliquer le retour des prisonniers de guerre de l’Alliance, et la flotte devra peut-être intervenir pour veiller à ce que certains systèmes se plient à ce traité en prenant en compte tous les prisonniers pour les rapatrier. »
Geary comprit enfin ce que signifiait leur expression. « En somme, ce traité ne signifie rien. »
Sakaï secoua la tête. « Non, amiral. Ce n’est pas si grave. Nous n’avons plus à redouter les attaques de forces opérant sous le contrôle des Mondes syndiqués.
— Mais le pouvoir dont jouiront les successeurs est une autre paire de manches ! cracha Costa. Les nouveaux dirigeants d’ici n’ont plus qu’une prise très réduite sur ce qui se passe dans les autres systèmes de l’espace syndic… de l’ancien espace syndic, plutôt… mais ils savent au moins que des systèmes stellaires, voire des coalitions de systèmes sont en train de s’affranchir. Ils vont s’efforcer de maintenir la cohésion des Mondes syndiqués, mais leurs chances de leur conserver des dimensions et une puissance équivalentes sont infimes.
— Aucun n’est assez puissant pour représenter une menace pour l’Alliance, affirma Sakaï.
— Pour l’instant, répondit Costa. Mais certains systèmes stellaires opulents possèdent des chantiers navals très importants susceptibles de recréer en temps voulu leur propre flotte, tant pour se défendre que pour conquérir. »
Geary réfléchit en se massant le front à deux mains. « La grande guerre est finie mais de moindres menaces pour la sécurité de l’Alliance vont se faire jour dans tout l’espace syndic.
— Menaces que nous ne pouvons pas nous permettre de laisser grossir jusqu’à influer sur l’avenir de l’Alliance. » Costa fixa la table en fronçant les sourcils. « Ce qui ne signifie pas du reste qu’il n’en existe pas une autre là-bas, beaucoup plus dangereuse. » Elle tapa vigoureusement sur les touches devant elle. « Un vaisseau estafette syndic est entré voilà peu dans ce système. Les nouveaux dirigeants des Mondes syndiqués nous ont répercuté son message, agrémenté d’un S. O. S. À un moment donné ils essaient de nous éliminer et une seconde plus tard ils nous appellent au secours. »
L’image d’un commandant en chef syndic apparut au-dessus de la table. Il donnait ouvertement l’impression d’être désespéré, à l’opposé de la sereine arrogance dont Geary avait l’habitude. « Nous avons transmis de nombreuses demandes de renfort qui sont restées ignorées. Il devient désormais urgent de nous venir en aide. Nous venons de recevoir un ultimatum de l’espèce Énigma exigeant que l’humanité évacue totalement ce système stellaire.
— L’espèce “Énigma” ? demanda Geary. C’est le nom que donnent les Syndics aux extraterrestres ? »
Boyens hocha la tête. « Ça ne m’a pas paru un renseignement très important. Si cela peut vous consoler, seuls trois des nouveaux membres du Conseil exécutif étaient au courant jusque-là de leur existence. Les autres n’avaient jamais eu accès à cette information. Au fait, c’est le commandant en chef Gwen Iceni du système de Mitan. Quelqu’un de bien, de très correct en dépit de son grade, si je puis me permettre de porter ce jugement sur elle. »
Gwen Iceni parlait toujours : « L’ultimatum ne laisse aucune place à des négociations ni à un compromis, et toutes nos tentatives pour contacter l’espèce Énigma sont restées sans réponse, hormis la réitération de leurs exigences. Ses défenses fixes mises à part, notre système stellaire ne dispose que de très faibles forces mobiles. La flottille naguère cantonnée dans ce secteur de l’espace est partie, m’a-t-on appris. Tout a été évacué loin de cette frontière pour combattre l’Alliance. Nous ne disposons plus d’aucun moyen de défense efficace, mais évacuer ne fût-ce que la moitié de notre population dans le délai imparti par leur ultimatum nous serait impossible. Nous avons besoin d’aide, de toute celle que vous pourrez nous envoyer. Sinon la majeure partie de notre population se retrouvera clouée sur place et pratiquement sans défense quand il expirera, et ils s’empareront de ce système stellaire. Nous les combattrons, mais, seuls, nous ne pouvons pas espérer les vaincre. » L’image disparut, remplacée par un document exposant textuellement les exigences des extraterrestres ainsi que la date butoir de leur ultimatum, laquelle, comme put le lire Geary, n’était éloignée que d’un peu plus de trois semaines.
Rione rompit le silence qui avait suivi la fin de la transmission : « Une autre de nos craintes vient de se concrétiser. Les extraterrestres cherchent à envahir l’espace syndic en profitant de leur faiblesse.
— L’espace humain, voulez-vous dire, rectifia Sakaï. Une partie de l’humanité est effectivement affaiblie, mais chacun de leurs gains se fera aux dépens de l’humanité tout entière et de sa capacité à les affronter plus tard.
— Il y a loin de cette frontière à l’Alliance, grommela Costa.
— Tout dépend de l’unité de mesure, intervint Rione. En années-lumière ? Sans doute. En sauts ? Ça reste vrai. Mais par l’hypernet ? Quatre semaines de trajet tout au plus.
— Bien trop près », approuva Sakaï.
Costa se renfrogna davantage. « Le Grand Conseil évaluera la situation et décidera des mesures à prendre.
— Nous n’en avons pas le temps, insista Sakaï. L’ultimatum expirera avant même que nous n’ayons regagné l’espace de l’Alliance.
— Tant pis pour les Syndics. Le Grand Conseil…
—… a déjà accordé à l’amiral Geary la liberté de prendre toute décision concernant un affrontement avec les extraterrestres, la coupa Rione. Nous ne sommes là que pour le conseiller, mais c’est à lui qu’il revient de prendre la décision finale. »
Et tous se tournèrent de nouveau vers lui. Geary ressentit brusquement une bouffée de nostalgie du bon vieux temps où il n’était encore qu’un officier parmi les autres, tout juste bon à se tourner lui aussi vers celui qui avait écopé de l’obligation de régler le dernier foutoir et devait s’y coller. Mais, depuis l’attaque surprise des Syndics à Grendel, voire depuis les quelques jours qui l’avaient précédée, tout le monde se tournait toujours vers lui. Bizarre qu’il ne s’y fût pas habitué !
Il avait pressenti que les extraterrestres agiraient. Il se retrouvait désormais avec sur les bras une situation bien précise et une flotte qui, si elle venait sans doute de gagner une guerre, ne tarderait pas à apprendre qu’il lui faudrait bientôt affronter un nouvel ennemi.
Mais il lui restait pourtant une personne à interroger et il se tourna vers Boyens : « Pourquoi là-bas ? Pourquoi ce système stellaire en particulier ? Pourquoi les extraterrestres s’en prennent-ils d’abord à lui ?
— À cause de sa position stratégique. » Boyens afficha un hologramme de ce secteur de l’espace syndic et montra une étoile à cheval sur la frontière avec les extraterrestres. « Le système de Mitan porte ce nom parce qu’il est relativement bien situé par rapport à d’autres étoiles. De Mitan, les vaisseaux peuvent sauter sans escale vers huit autres systèmes. C’est un excellent point de passage. »
Geary scruta l’hologramme et sentit sa gorge se serrer. « Ce qui en fait une charnière de la défense de ce secteur, n’est-ce pas ? S’ils contrôlent Mitan, les extraterrestres peuvent menacer ces huit autres systèmes et les contraindre à leur tour à évacuer. Et c’est toute la ligne de défense de la frontière qui s’écroule.
— Un de ces huit systèmes est d’ores et déjà sous leur contrôle, mais c’est parfaitement exact. Les systèmes stellaires à portée de saut seraient trop nombreux pour que nous puissions tous les défendre. Nous devrions nous replier derrière la frontière pour établir une nouvelle ligne de défense, à partir de laquelle le nombre des systèmes directement menacés serait limité par la portée des sauts.
— Nous ? » demanda sèchement Costa.
Boyens rougit légèrement. « Je parlais des Mondes syndiqués.
— Il n’y a plus de Mondes syndiqués.
— Cette situation n’est pas encore établie, en particulier à proximité de la frontière et dans d’autres secteurs, mais, s’il le faut, nous formerons une nouvelle coalition de systèmes dans la zone frontalière. Nous ne pouvons pas nous permettre de la laisser s’effriter. Un système stellaire isolé ne pourrait jamais réunir les ressources nécessaires à sa défense.
— Par ce “nous”, vous faites cette fois allusion aux populations des systèmes de la zone frontalière ? demanda Rione.
— En effet. » Boyens fixa l’hologramme. « Du moins à ce qu’il en restera après cette affaire. Écoutez, je sais ce que vous éprouvez à notre endroit, et plus particulièrement pour moi. Mais nous avons un ennemi commun, une bonne raison de nous unir.
— Pourquoi sont-ils vos ennemis ? s’enquit Sakaï. Comment les Mondes syndiqués se sont-ils conduits avec l’espèce “Énigma” ?
— Je ne suis pas informé de tout, insista Boyens. Surtout de ce qu’il est advenu dans les premières années du dernier siècle. Je sais seulement que nous avons tenté de percer leurs secrets, mais, autant que je sache, en vain.
— Vous les avez provoqués, accusa Costa. Et maintenant vous nous demandez de sauver vos misérables peaux d’un sort dont vous êtes les premiers responsables.
— Je ne suis pas au courant de tous nos faits et gestes ! Mais… quelle importance ? Tout cela, c’est du passé et l’on n’y peut strictement rien changer. Aujourd’hui, si vous ne faites rien, d’innombrables innocents risquent d’en pâtir. »
Rione, qui, entre-temps, s’était mise à tapoter discrètement sur des touches, releva les yeux pour fixer Boyens : « Il semblerait que, si les extraterrestres s’emparaient de Mitan, vous devriez, pour établir une nouvelle ligne de défense efficace, leur abandonner vingt autres systèmes stellaires. »
Boyens étudia l’écran puis hocha la tête. « Quelque chose comme ça. Il faudrait évacuer plusieurs milliards de gens.
— Disposez-vous d’assez de vaisseaux pour le faire ?
— Dans la région frontalière ? Non. Dans la totalité de l’espace syndic ? Je n’en sais rien. J’en doute. Nous ne pouvons pas compter dessus de toute façon.
— Qu’advient-il des humains abandonnés sur une planète contrôlée par les extraterrestres ?
— Je n’en sais rien. Personne ne le sait. Il n’y a jamais eu aucun contact, aucune preuve, aucune trace d’eux. Tout ce que nous leur avons envoyé pour tenter de découvrir quelque chose a également disparu sans laisser de traces. »
Tout le monde garda un instant le silence puis Rione se tourna vers Geary. « Avons-nous le choix ?
— Que vous inspire cet ultimatum ? se contenta-t-il de répondre. Correspond-il à ce que nous en a dit l’autre commandant en chef ?
— Oui. Brutal et sans équivoque. Et il ne contient strictement rien qui nous fournisse un indice sur la mentalité des extraterrestres. Il aurait pu être pondu par un homme.
— Peut-être est-ce d’ailleurs le cas puisque les Syndics ignorent ce qui est arrivé aux hommes qu’ils ont capturés. »
Sakaï braqua le regard sur le texte de l’ultimatum. « Prisonniers ? Esclaves ? Hôtes ? Animaux de compagnie ? Si seulement nous connaissions leur statut.
— Vous oubliez “morts”, déclara tranquillement Rione. De mille manières différentes. Nous devons absolument connaître la réponse à cette question. Sans elle, nous n’avons aucun moyen de savoir si une coexistence pacifique est possible.
— Pacifique ? cracha dédaigneusement Costa. Quels qu’ils soient, la paix semble exclue. Vous avez vu ce qu’ils ont fait à Kalixa ! Ils sont inhumains ! »
Rione la dévisagea. « Il me semble me rappeler que quelqu’un avait suggéré de se servir comme d’une arme des portails de l’hypernet malgré la dévastation qu’ils pouvaient provoquer. Les ex-dirigeants syndics ont pris cette décision. Si ces extraterrestres se révélaient des êtres humains, ça ne m’apporterait aucun réconfort. »
Costa piqua un fard, mais elle reporta son attention sur Geary. « Eh bien, amiral, que comptez-vous faire ? »
Je devrais me féliciter de n’avoir jamais pris d’engagement politique. En guise de réponse, Geary se borna à embrasser d’un geste l’ultimatum et l’hologramme des étoiles. « Avant de prendre une décision, je veux m’entretenir avec mes officiers. » Il s’apprêta à se lever puis s’adressa de nouveau à Boyens. « Avez-vous autre chose à nous dire ? Plus j’en saurai, plus je serai enclin à me porter à la rescousse de ces gens.
— De mon peuple, marmonna Boyens. Je vous ai dit tout ce que je savais. Sauf une chose. Vous nous avez accusés d’avoir provoqué l’espèce Énigma, d’être responsable de son hostilité envers l’espèce humaine. Je vous ai rappelé que je ne savais rien du comportement des Mondes syndiqués à leur égard lors des premières décennies qui ont suivi le contact, et c’est la stricte vérité. Mais, au cours des dix dernières années au moins, nos ordres étaient d’éviter toute action risquant de les exciter, d’accroître la tension ou de causer des problèmes. J’ai toujours cru que c’était parce que nous ne pouvions pas nous permettre de combattre sur deux fronts en même temps. Il y avait sans doute une autre raison. Mais nous n’avons rien fait depuis beau temps.
— Peut-être ces extraterrestres n’ont-ils pas la mémoire courte », suggéra Sakaï.
Boyens le dévisagea puis opina. « Peut-être. Je ne jurerais pas qu’il ne s’est rien passé. Mais je n’étais au courant de rien. De rien de récent, en tout cas.
— Certaines activités sont compartimentées, fit remarquer Rione. Tenues secrètes même de ceux qui opèrent dans la même région. En auriez-vous eu vent ? »
Geary lut l’indécision dans le regard de Boyens. Nul besoin d’une cellule d’interrogatoire pour comprendre que le commandant en chef syndic se demandait s’il devait mentir ou dire la vérité. « Non. Pas forcément. Mais qui y aurait eu intérêt ?
— Pourquoi les Mondes syndiqués sont-ils entrés en guerre avec l’Alliance ? » demanda Geary.
Boyens chercha ses yeux. « Je n’en sais rien. Ils s’imaginaient sans doute pouvoir la gagner. J’ignore ce qui a bien pu le leur faire croire.
— On a sûrement émis des hypothèses sur ces motifs parmi vos collègues, avança Rione.
— Pas tant que ça. Peu importe. Peu importait, à tout le moins. Ça n’avait d’importance qu’il y a un siècle, quand ils ont pris la décision stupide de déclencher cette guerre. Quand nous en parlions, c’est à peu près tout ce que nous en disions. Qu’elle était stupide. Mais les raisons de son déclenchement ont cessé depuis longtemps de peser dans la balance. Nous vivions avec cette malédiction et voilà tout. Et nul ne savait comment y mettre fin. » Boyens baissa la tête, mais pas assez vite pour interdire à ses interlocuteurs de voir son affliction. « Croyez-moi, beaucoup d’entre nous auraient aimé y mettre un terme, mais, comme nous ne savions pas comment nous y prendre, nous devions continuer de nous battre.
— Merci. Général, veuillez ordonner à vos fusiliers de reconduire le commandant en chef Boyens dans sa cabine. » Rione attendit pour soupirer que Boyens fût sorti avec son escorte. « Je pense qu’il faudrait nous porter à la rescousse de l’ancienne frontière syndic. Si nous la laissons s’effriter et permettons aux extraterrestres de s’établir dans de nombreux autres systèmes syndics, l’Alliance n’aura peut-être plus les moyens d’y remédier. »
Sakaï hocha la tête. « C’est aussi mon avis.
— Mais pas le mien, déclara Costa. Nous avons assez versé de notre sang à cause des Syndics. Ils se sont fourrés dans cette mauvaise passe. À eux de s’en sortir.
— Et s’ils échouaient ? demanda Sakaï. L’Alliance ne se retrouvera-t-elle pas contrainte d’affronter tôt ou tard les conséquences de cet échec ?
— Les Syndics nous ont tenus à distance pendant un siècle, répondit-elle. S’ils tiennent vraiment à affronter ces extraterrestres, qu’ils le fassent eux-mêmes au lieu de nous demander de nettoyer leur foutoir. Nous avons suffisamment perdu d’hommes et de femmes dans cette guerre, sans même parler des enfants. L’Alliance est au bord de la banqueroute. Nous l’y avons conduite parce que c’était nécessaire. Nous n’avons pas à intervenir dans une querelle entre les Syndics et une espèce extraterrestre dont nous ignorons tout, tant ses motivations que sa force. Rien ne nous oblige à prendre stupidement la décision de déclencher une nouvelle guerre. » L’allusion était trop claire pour qu’elle échappât à ses interlocuteurs.
« Si nous prenions aujourd’hui celle de ne pas gagner ce système stellaire frontalier, nous nous priverions simultanément de toutes les possibilités d’en finir avec les extraterrestres, déclara Rione. Nous ne serions plus en mesure d’établir un contact direct avec eux sans l’agrément des Syndics. Nous rendre à Mitan, en revanche, nous laisserait entièrement libres de décider de la suite. Ne pas y aller reviendrait à laisser le champ libre aux Syndics et aux extraterrestres, et, personnellement, je ne me fie à aucune de ces deux parties. L’Alliance doit pouvoir s’asseoir à la table.
— Notre seule présence pourrait d’ailleurs éliminer la menace extraterrestre, convint Sakaï. S’ils agissent parce que les Syndics sont affaiblis, une simple démonstration de force devrait suffire à les dissuader.
— Relisez vos manuels d’histoire ! lança Costa. Combien de guerres ont-elles commencé parce que quelqu’un s’imaginait qu’une simple démonstration de force suffirait ?
— Je n’ai pas dit que le problème serait définitivement résolu. Mais que c’était une façon de l’aborder. Sinon il restera toujours des alternatives au combat.
— Croyez-vous qu’une flotte de l’Alliance reculerait devant une force hostile ?
— Tout dépend de qui la commande, affirma Rione. L’amiral Geary n’a pas exposé ses idées mais il est désormais informé de nos positions respectives. Je suggère que nous lui laissions le temps de réfléchir à nos options et de consulter ses conseillers. »
Elle adressa un signe de tête à Geary, aussitôt imitée par Sakaï puis, au bout d’un petit moment, par une Costa visiblement réticente.
Geary leur rendit courtoisement la politesse, non sans s’efforcer de masquer ses sentiments. Il lui semblait déjà qu’envoyer la flotte à Mitan était une nécessité, mais il tenait à s’entretenir avec ses officiers avant de prendre la décision ; en outre, il savait qu’il devait soulever une autre question. « Les Syndics ont-ils fourni des indices quant à l’identité de ceux qui ont ordonné au portail de s’effondrer ? »
Sakaï secoua la tête. « Ils ont prétendu l’ignorer et affirment qu’il n’existe aucune trace de cet ordre dans leurs systèmes ; et encore moins de sa provenance. Pas même de la flottille syndic avant sa destruction.
— Qui d’autre aurait bien pu tenter d’anéantir la flotte ? s’enquit Costa.
— Il me semble que nous venons justement d’en parler, sénatrice, déclara Geary. Un portail de l’hypernet s’effondre alors qu’on ne trouve aucun signe de l’envoi d’un tel ordre. Ce n’est pas une première. Ç’aurait pu se produire ici, avant qu’on ait désactivé les algorithmes chargés de provoquer cette catastrophe. On m’a confirmé que les systèmes syndics étaient infestés de virus extraterrestres. Ils ont sans doute prévenu l’espèce “Énigma” de notre présence, mais pas assez vite, heureusement, pour lui permettre de déclencher l’effondrement du portail avant cette désactivation.
— Donc nous sommes d’ores et déjà en guerre larvée avec eux, grommela Sakaï d’une voix sourde, tandis que Costa dévisageait Geary. Tout comme les Syndics, alors que la grande majorité de l’espèce humaine ignore encore leur existence.
— On peut mettre fin à une guerre, sénateur », lança Geary avant de sortir.
Quinze minutes plus tard, il était assis dans la salle de conférence en compagnie de Tanya Desjani et des présences virtuelles des capitaines Tulev et Duellos. Il leur exposa d’abord le traité, et s’interrompit le temps d’assister à la réaction des trois officiers.
Duellos ferma brièvement les yeux. « Je croyais ne jamais voir ce jour.
— Il a mis trop longtemps à venir, murmura Tulev. Beaucoup trop longtemps. Mais il est arrivé. La sorcière chante.
— Hein ? fit Geary. La sorcière ?
— La sorcière chante, répéta Desjani, l’air de retenir ses larmes. Ça signifie : c’est fini.
— Non, c’est “la sorcière est morte” qui signifie que c’est fini. Ou bien “la grosse dame chante”. »
Duellos rouvrit les yeux et lança à Geary un regard sceptique. « La grosse dame chante ?
— Oui.
— Quelle grosse dame ?
— Je n’en sais rien. C’est juste un dicton.
— Quelle sorcière ? demanda Desjani. Pourquoi est-elle morte ?
— Je ne le sais pas non plus. Tout ce que je sais, c’est que ces deux dictons étaient séparés il y a un siècle et que vous les avez mélangés.
— Peut-être y avait-il une grosse sorcière qui aimait chanter ? » suggéra Duellos. Il éclata de rire et Desjani l’imita. Même Tulev sourit.
Geary comprit subitement. Ils étaient tous ivres de joie, grisés par l’annonce de la fin de la guerre. Les réactions des sénateurs de l’Alliance avaient été tempérées par l’inquiétude, le souci qu’ils se faisaient pour les problèmes encore en souffrance, mais il fallait dire aussi que, pour eux, la guerre avait toujours été une affaire lointaine. Contrairement aux politiques, les officiers de la flotte avaient affronté en première ligne la mort et la destruction.
Mais, maintenant, il allait devoir leur apprendre que, si la guerre était effectivement terminée, la paix absolue restait un objectif éloigné.
Quelque chose dans son expression avait dû le trahir car le sourire de Desjani s’effaça pour céder la place à une moue inquiète.
« Quoi encore ? Les extraterrestres ?
— Oui. Et le fait que le secteur où se trouvait l’ennemi risque de se fragmenter. Un grand nombre de problèmes dans l’espace humain, dont les extraterrestres cherchent à profiter. » La liesse déserta subitement les trois officiers, remplacée par une réflexion empreinte de perplexité. « Capitaine Tulev, j’aimerais connaître votre opinion sincère sur ce sujet. »
Tulev soutint impassiblement le regard de Geary, sans laisser une seconde transparaître que toute sa famille, tous les gens qu’il connaissait étaient morts plusieurs décennies plus tôt lors d’un bombardement syndic massif de sa planète natale. « Vous me demandez si nous devons aider ceux qui ont semé tant de mort et de destruction parmi les nôtres ? » Il garda un instant le silence puis soupira. « Voilà très longtemps, mes ancêtres m’ont demandé de protéger autrui des Syndics mais d’être prêt à pardonner, faute de quoi la haine détruirait mon esprit comme la guerre a détruit tout ce que j’ai connu.
— Tanya ?
— Quoi ? demanda-t-elle, l’air courroucée.
— Vos recommandations. Je veux savoir ce que vous en pensez.
— Je crois que ça craint, amiral. » Elle se pencha en soupirant d’exaspération. « Je ne trouve aucune faille dans cette analyse. Au moins vingt systèmes stellaires. C’est beaucoup, d’autant que certains sont de premier choix. J’aimerais que nous en sachions davantage sur ces extraterrestres. Comment les Syndics se sont-ils débrouillés pour n’apprendre pratiquement rien sur eux en un siècle ?
— Ce serait effectivement intéressant de savoir à quoi ressemble leur armement, convint Geary. Ou leurs vaisseaux.
— J’ai le mauvais pressentiment que nous allons le découvrir à la dure, n’est-ce pas ? » Elle lui jeta un regard furieux. « Ou bien permettre à quelque chose dont nous ignorons pratiquement tout de s’emparer d’un gros morceau de notre territoire. C’est bien ça ?
— Ouais. » Geary continuait d’observer d’un œil la représentation du système de Mitan. « Comment croyez-vous que réagira la flotte ?
— Tout dépend de la façon dont vous le lui présenterez. En lui disant que nous allons aider les Syndics ? Ce serait très mal vu.
— Protéger l’humanité ? Est-ce que ça lui plairait davantage ?
— Elle le prendrait sans doute mieux, sauf que l’humanité en question est syndic. Même motif, même punition. Défendre, protéger… ces attitudes restent passives. La flotte est plus encline à attaquer. »
Geary opina. « Que nous allons botter le cul aux extraterrestres ? »
Desjani se fendit soudain d’un sourire. « Le cul d’extraterrestres qui ont osé s’attaquer à l’humanité. Vous devez donner à la flotte des raisons de penser que ces machins Énigma ont déjà menacé l’Alliance, qu’ils ont récemment tenté de nous anéantir en faisant s’effondrer le portail. » Son sourire s’évanouit. « Mais, si jamais la flotte se persuade que c’est le prélude à une nouvelle guerre ouverte, son enthousiasme risque d’être limité. »
Duellos venait d’étudier l’ultimatum. « Quels qu’ils soient, nos extraterrestres m’ont l’air de remarquablement bien manier le jargon légal. Ce document ne diffère en rien des documents juridiques humains qui me sont tombés sous les yeux.
— C’est aussi l’avis des politiciens, déclara Geary.
— Peut-être ont-ils capturé des juristes, suggéra Desjani.
— C’est sans doute pour cette raison qu’ils cherchent à nous détruire, convint Duellos. Comment réagirions-nous si des avocats extraterrestres nous tombaient dessus ?
— C’est chose faite, il me semble. Peut-être que tous les avocats sont des extraterrestres.
— J’en connais au moins quelques-uns qui pourraient bien être dans ce cas. »
Desjani renifla dédaigneusement puis secoua la tête. « Amiral, vous me demandez si nous devrions combattre ces êtres. Mais nous les combattons déjà. Ils nous ont valu plusieurs pertes à Lakota, n’oubliez pas.
— Ouais. » Comment oublier le spectacle de l’Infatigable, de l’Audacieux et du Rebelle se sacrifiant pour sauver la flotte ? « Il me semble que nous devons bien cela à ceux qui sont morts en les affrontant. Raison de plus pour y aller. »
Duellos hocha la tête. « D’autant que ce Boyens, selon vous, ne serait pas totalement irrachetable.
— Il ressemble peu ou prou à nos politiciens.
— Pas franchement une garantie, marmonna Desjani.
— Quoi qu’il en soit, poursuivit Duellos, si nous parvenions à sauver la région frontalière syndic et à aider les systèmes stellaires qui forment cette coalition à remplacer les autorités politiques actuelles, nous disposerions d’un soutien amical dans cette région de l’espace. Certes, sa puissance serait limitée, mais ce serait infiniment préférable à un morcellement de tout ce secteur en systèmes stellaires isolés.
— Qu’une telle puissance consente à nous laisser intervenir en sa faveur nous donnerait accès à celui qu’elle contrôle, renchérit Tulev. Ce serait vital pour la future défense de l’Alliance. Nous devons absolument contacter directement ces extraterrestres.
— Ils refusent d’entrer en contact avec les humains, grommela Desjani.
— Peut-être n’est-ce pas irrémédiable, lâcha Geary. Donc nous tombons tous d’accord, non ? » Duellos et Tulev opinèrent du bonnet, imités quelques secondes plus tard par une Desjani au visage résigné. « Merci. Mon exposé lors de la conférence de la flotte risque d’être passionnant. Je me demande comment elle va le prendre.
— La flotte vous suivra, déclara Tulev sans ambages. Vous l’avez fait sortir de l’enfer et vous l’avez conduite jusqu’à ce dénouement, la fin de la guerre.
— Mais, maintenant, je vais devoir lui avouer que je lui ai caché des informations critiques relativement à une menace sérieuse qui pèse sur elle et l’Alliance. »
Desjani et Duellos hésitèrent un instant, se demandant manifestement ce qu’ils devaient répondre, mais Tulev secoua aussitôt la tête. « J’ai rarement le plaisir de dire à un amiral qu’il se trompe du tout au tout. Quelle information critique avez-vous dissimulée ? Hypothèses, certes, supputations, probabilités. Nous ne savions même pas avec certitude si cette espèce “Énigma” existait avant que les Syndics ne nous en donnent la confirmation.
— Nous avons évité les systèmes stellaires dotés d’un portail à cause de la menace qu’elle faisait peser sur la flotte, fit remarquer Geary.
— Nous les évitions déjà avant de connaître son existence, amiral. Parce que les Syndics pouvaient aisément y rameuter leurs forces par le truchement de l’hypernet. » Tulev montra l’hologramme d’un geste. « En quoi les instructions que vous avez données à la flotte auraient-elles été différentes, en quoi notre itinéraire aurait-il divergé si vous n’aviez pas soupçonné son existence ? »
Geary fixa l’hologramme et se retraça mentalement le long trajet de retour vers l’espace de l’Alliance. « Honnêtement, je ne trouve strictement rien qui aurait pu se passer différemment. Nous aurions même inventé les dispositifs de sauvegarde pour protéger les portails de l’Alliance d’une attaque syndic après avoir constaté le danger que représentait l’effondrement d’un portail pour nos systèmes stellaires.
— Absolument. Vous n’avez strictement rien dissimulé qui aurait pu modifier vos actions et vos instructions. »
Tulev se rejeta en arrière en souriant avec satisfaction, « Vous n’avez rien à vous reprocher à cet égard. »
Duellos le fixa en arquant un sourcil puis hocha de nouveau la tête. « Le capitaine Tulev a raison, amiral. Même à Lakota, nous n’avons eu vent de l’intervention des extraterrestres qu’après nos premières réactions, de sorte que cette information n’a pu en aucun cas influer sur vos décisions dans le feu de l’action. »
Geary réfléchit en se massant une joue. « Vous marquez un point, mais il nous a fallu expurger des virus extraterrestres les systèmes de nos vaisseaux. Des officiers et des spatiaux seront en droit de se demander pourquoi nous n’avons pas jugé utile de leur apprendre que nous croyions ces logiciels malfaisants d’origine extraterrestre ni pour quelles raisons certains d’entre nous soupçonnaient la présence d’une espèce extraterrestre intelligente de l’autre côté de l’espace syndic.
— Non, ils ne se le demanderont pas, répondit Desjani. Ils présumeront que nos dirigeants politiques savaient quelque chose mais nous l’avaient caché. Ils ne vous le reprocheront pas. Ils le reprocheront à ces dirigeants parce qu’ils ont l’habitude de les voir se comporter ainsi. Et qu’est-ce qui peut bien nous faire croire qu’ils auraient tort de le faire ? Qu’est-ce qui peut bien nous faire croire que le gouvernement de l’Alliance n’a jamais réellement soupçonné l’existence de ces extraterrestres ? Les Syndics ont assurément gardé cette information sous le boisseau et tenu leurs propres militaires dans l’ignorance. La flotte ne vous le reprochera pas.
— Mais… » Geary s’interrompit pour réfléchir. Rione lui avait affirmé n’en rien savoir et il était prêt à la croire, bien qu’il la sût parfaitement capable de mentir si elle le jugeait nécessaire pour la préservation de l’Alliance. Mais elle avait aussi admis qu’indiscutablement le Grand Conseil pouvait être au fait de renseignements qu’il ne partageait pas avec le Sénat. « Très bien. C’est possible. » Il surprit chez Desjani une expression qu’il ne parvint pas à déchiffrer. « Quoi ? »
Elle ne répondit pas mais Duellos finit par pousser un soupir. « Le capitaine Desjani a effectivement dit vrai. La flotte ne vous le reprochera pas. Ni cela ni rien. Elle a trop foi en vous. Toutefois, quand ça tourne mal, il faut bien trouver un responsable. Dans certains cas, on prendra les politiciens pour boucs émissaires. Dans d’autres, on accusera plutôt ceux qui vous prodiguent des conseils d’ordre militaire. »
Geary mit un bon moment à saisir. « Vous ? Vous trois ?
— Cela vous surprend-il vraiment ? demanda Desjani. Vous avez entendu ce lourdaud de Badaya, non ? Tant que je fais ce qu’il faut, vous devriez être content et vous orienter dans la bonne direction. À qui la faute, alors, si vous êtes mécontent ? » Elle avait quasiment hurlé ces derniers mots, mais elle se calma, le visage écarlate, et fixa le dessus de la table.
« Ou si vous échouez, ajouta Duellos pour rompre le silence qui venait de retomber. On n’attend toutefois pas de moi que je fasse votre bonheur.
— Vous êtes un joyeux drille, Roberto. Vous devriez peut-être essayer », suggéra Tulev. C’était, dans sa bouche, ce qui se rapprochait le plus d’une plaisanterie, du moins à la connaissance de Geary. « Amiral, ce n’est que le revers de la médaille, ajouta-t-il. Ils sont nombreux à nous observer et ils voient bien à qui vous accordez votre confiance. C’est une situation enviable. Mais, si vous échouez, tous nous mettront votre échec sur le dos. »
Fantastique ! Il s’était efforcé jusque-là de ne pas faire preuve de favoritisme, pourtant la confiance qu’il accordait à l’opinion de certains de ses officiers avait fini par transparaître. Quoi d’autre sautait encore aux yeux ?
Desjani fixait toujours la table. « Je ne crains pas d’être tenue responsable des conseils d’ordre professionnel que j’ai donnés à l’amiral, déclara-t-elle d’une voix dure.
— Et vous ne le devriez pas », convint Duellos.
Nouveau silence embarrassé, que Geary finit par rompre : « Merci. Je compte convoquer une réunion stratégique dans une heure pour annoncer cette nouvelle. Je ne peux que me féliciter de vous avoir eu tous les trois sous mes ordres. »
Les images de Duellos et de Tulev lui retournèrent son salut, la première avec désinvolture et la seconde avec raideur et précision, puis elles disparurent.
Desjani se leva à son tour. « Avec votre permission, amiral, déclara-t-elle sans le regarder.
— Bien sûr. » Un million d’autres propos lui brûlaient les lèvres, parmi lesquels plusieurs centaines de milliers auraient sans doute un effet désastreux. Il se demandait même si un seul tomberait juste.
Mais elle reprit la parole, le regard toujours braqué sur la table. « Vous n’y avez pas fait allusion mais je sais que vous avez tenu la promesse que vous m’avez faite. La flotte est rentrée et la guerre est finie. Vous n’aviez pas émis le vœu de continuer, de vous atteler à ce conflit avec les extraterrestres ni à ce foutoir que sont devenus les Mondes syndiqués.
— Je ne peux pas partir maintenant. Je sais qu’on a encore besoin de moi. » Il se demanda à quel moment ce bouleversement s’était opéré en lui, à quel moment il s’était rendu compte que fuir ses responsabilités ne pouvait en aucun cas être regardé comme un acte honorable ni même réaliste. Il ne pouvait tout bonnement pas mener à bien une mission précise et s’en tenir là, car chacune menait à une autre sans discontinuité. « J’ai un devoir envers l’Alliance et mes camarades de la flotte.
— Tous ?
— Tous. Je souhaite seulement que ma présence n’ait pas rendu la vie plus difficile à certains d’entre eux et à l’un d’eux en particulier, qui ne mérite pas d’endurer cela par ma faute.
— J’y suis aussi pour quelque chose. Ce que j’endure est sans doute le prix qu’exigent les vivantes étoiles pour… un certain silence. » Elle le regarda enfin dans les yeux. « Qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi ne voulez-vous plus démissionner ? »
Il haussa les épaules, embarrassé par la question. « Je n’en suis pas certain, mais en majeure partie à force d’observer des gens comme vous, Duellos et Tulev. Aucun de vous n’a renoncé, vous avez tous continué à faire votre devoir alors que cette guerre perdure depuis votre naissance. Vous restez tous un foutu exemple de conduite irréprochable, d’attachement opiniâtre au devoir quoi qu’il arrive. »
Elle détourna de nouveau le regard. « Ainsi… vous restez aux commandes de la flotte, amiral ?
— Jusqu’à ce que nous regagnions l’espace de l’Alliance. Ensuite j’y renoncerai, comme à mon grade provisoire d’amiral. Je resterai disponible si l’on a encore besoin de moi, mais, pendant quelque temps au moins, la situation sera différente.
— Vous êtes d’un insupportable entêtement. Et parfaitement cinglé. Vous en êtes conscient, n’est-ce pas ? » Elle fit mine de sortir puis jeta un regard derrière elle tandis qu’un petit sourire ironique retroussait légèrement ses lèvres. « Faites-moi une faveur et essayez d’avoir l’air heureux.
— Oui, madame.
— Mais pas trop. »
Ce qu’on penserait de ce qui s’était passé entre Desjani et lui s’il laissait brusquement transparaître une trop grande bonne humeur n’était que trop aisé à deviner. « Oui, madame.
— Et cessez de m’appeler madame. Vous m’êtes supérieur en grade.
— Oui, Tanya. »
Elle se renfrogna l’espace d’un instant, exaspérée, puis secoua la tête, ne parvint pas à réprimer un nouveau sourire et sortit.