I

Le jour, Niaerdh folâtrait parmi les phoques, les baleines et les poissons qu’elle avait créés. Du bout de ses doigts jaillissaient des goélands et des embruns qui s’envolaient sur les vents. Ses filles sur le bord du monde dansaient au son de ses chants, qui invoquaient la pluie céleste ou faisaient frissonner les eaux sous la caresse du soleil. Lorsque les ténèbres montaient à l’est, elle regagnait sa couche que ces ténèbres recouvraient. Mais elle se levait tôt le plus souvent, longtemps avant le soleil, pour veiller sur sa mer. Sur son front brillait l’étoile du matin.

Un jour, Frae arriva sur la grève. « Niaerdh, je t’appelle ! » cria-t-il. Seuls les rouleaux lui répondirent. Il porta à ses lèvres son cor Rassembleur et souffla. Les cormorans fuirent les récifs en criaillant. Puis il tira son épée du fourreau et frappa du plat le flanc du taureau Ebranleur sur lequel il était monté. Le beuglement qui suivit poussa l’eau à jaillir des puits et les rois défunts à s’éveiller dans leurs tumulus.

Alors Niaerdh vint à lui. Furieuse, elle vogua sur un iceberg, vêtue de brume et tenant dans sa main le filet dans lequel elle pêche les navires. « Pourquoi oses-tu me déranger ? lui jeta-t-elle, et ses mots étaient comme des grêlons.

— Je veux t’épouser, lui dit-il. J’ai été aveuglé par la lumière de tes seins, entraperçue dans le lointain. J’ai chassé ma sœur. Mon désir est si fort que la terre en est dolente et que toutes les pousses s’étiolent. »

Niaerdh éclata de rire. « Que peux-tu m’offrir que mon frère ne possède point ?

— Une maison au toit haut, déclara-t-il, de riches offrandes, de la viande chaude pour ton tranchoir et du sang bouillant pour ton bol, la seigneurie des semailles et des moissons, de la copulation, de la naissance et de la vieillesse.

— Tous ces biens-là sont précieux, concéda-t-elle, mais si je persistais à me détourner d’eux ?

— Alors toute vie quittera la terre et te maudira en périssant, prévint-il. Mes flèches voleront jusqu’aux chevaux du Soleil et les tueront. Lorsqu’il tombera dans les flots, la mer se mettra à bouillir ; et ensuite, elle gèlera sous une nuit qui ne connaîtra plus l’aurore.

— Non, dit-elle, car auparavant j’aurai englouti ton royaume sous les vagues et je l’aurai noyé. »

Ils observèrent un moment de silence.

« Nous sommes forts tous les deux, dit-elle. Mieux vaut que nous nous abstenions de détruire le monde. Je viendrai à toi au printemps, avec ma dot de pluie, et ensemble nous parcourrons la terre pour la bénir. Toi, tu m’offriras en cadeau le taureau sur lequel tu es monté.

— C’est beaucoup trop, protesta Frae. En lui réside une puissance capable d’enfanter la terre. Il disperse les ennemis, les étripe et les piétine, il dévaste leurs champs. La roche tremble sous ses sabots.

— Tu pourras le garder sur terre et en user comme avant, répondit Niaerdh, sauf lorsque j’en aurai besoin. Mais il sera mien et, le moment venu, je l’appellerai à moi pour toujours. » Au bout d’un temps, elle reprit : « Chaque automne, je te quitterai pour regagner ma mer. Mais je te reviendrai chaque printemps. Ainsi en ira-t-il cette année, puis toutes les années à venir.

— J’espérais bien plus, dit Frae, et si nous scindons nos efforts, je crains que les dieux de la guerre n’en profitent. Mais il était écrit que telle serait ta volonté. Je t’attendrai quand le soleil tournera au nord.

— Je viendrai à toi sur l’arc-en-ciel », promit Niaerdh. Et il en fut ainsi. Et il en est ainsi.

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