Mélange (Me’-lange ou ma,lanj) nom commun masculin d’origine incertaine (présumé dériver de l’ancien langage Franzh terrien) : a) composition à base d’épices – b) épice propre à Arrakis (Dune) et dont les propriétés gériatriques furent relevées par Yanshuph Ashkoko, chimiste royal, sous le règne de Shakkad le Sage. Mélange arrakeen : n’existe que dans le désert profond de la planète Arrakis. Lié aux visions prophétiques de Paul Muad’Dib (Atréides), premier Mahdi des Fremen. Employé également par les Navigateurs de la Guilde Spatiale et les Sœurs du Bene Gesserit.
Dans la lumière de l’aube, les deux grands félins bondissaient souplement vers la crête rocheuse. Ce n’était pas encore l’heure fiévreuse de la chasse ; ils faisaient simplement le tour de leur territoire. C’étaient des tigres Laza dont la race, génétiquement améliorée, avait été importée sur la planète Salusa Secundus huit mille ans auparavant. Les manipulations génétiques avaient effacé certains des traits dominants du tigre terrien pour en renforcer d’autres. Les crocs restaient longs mais les pattes, plus larges, permettaient aux tigres de se déplacer en terrain pulvérulent. De même, leurs griffes rétractiles atteignaient maintenant dix centimètres de long et leur extrémité était affûtée comme un rasoir par l’effet de l’abrasion du fourreau. Leur pelage roux et uni les rendait presque invisibles sur le sable. Un ultime détail les différenciait totalement de leurs ancêtres terrestres : des servo-stimulateurs avaient été implantés dans leur cerveau quelques jours après leur naissance. Pour l’homme qui manipulait l’émetteur, ils n’étaient plus que des marionnettes.
La journée était froide. Les deux fauves venaient de s’immobiliser. Ils exploraient l’horizon du regard, leur haleine se changeant en buée loin devant leur mufle. Cette région de Salusa Secundus était âpre et dénudée. On y trouvait encore quelques maigres truites des sables ramenées frauduleusement d’Arrakis et qui survivaient péniblement dans l’attente du jour improbable où s’effondrerait le monopole du Mélange. Le paysage que contemplaient les tigres Laza était ponctué de rochers ocres et de buissons épars dont les taches d’argent et de vert ocellaient les longues colonnes des ombres du matin.
Tout à coup, les félins furent en alerte. Un bref frémissement parcourut leur pelage. Lentement, leurs yeux pivotèrent vers la gauche, puis leur tête suivit. Au loin, dans le décor desséché, deux enfants se hissaient à grand-peine sur une crête rocheuse, se tenant par la main. Ils n’avaient pas plus de dix ans. Ils avaient tous deux les cheveux roux et, par-dessus leur distille, ils portaient un somptueux bourka blanc dont l’ourlet et la cagoule étaient décorés du faucon des Atréides brodé de rubis. Ils bavardaient joyeusement et leurs voix parvenaient clairement aux tigres en maraude. Les Lazas connaissaient bien ce jeu : ils y avaient participé, déjà, mais ils ne perdaient rien de leur calme pour l’heure, attendant le signal d’attaque de l’émetteur.
Un homme fit son apparition sur une éminence, derrière eux. Il s’immobilisa pour observer la scène, son regard scrutant tour à tour les enfants et les fauves. Il portait l’uniforme des Sardaukar, gris et noir, avec les insignes de Levenbrech, sous-Bashar. L’émetteur n’occupait qu’un volume réduit sur son torse. Il était maintenu simplement par un harnais passé à son cou et sous ses aisselles, les commandes étant ainsi à portée de la main.
Les félins n’eurent aucune réaction à sa vue. Ils connaissaient leur maître par l’odorat et l’ouïe. Le Sardaukar dévala la pente, s’immobilisa à moins de deux pas des fauves et, lentement, s’épongea le front. Si l’air était glacé, la poursuite était torride. Les yeux pâles du Levenbrech ne quittèrent les deux enfants que pour revenir aux tigres. Une mèche de cheveux blonds et humides de sueur glissa sur son front, qu’il repoussa nerveusement sous son casque noir de chasse. Puis, sa main se porta nerveusement vers le microphone implanté dans son larynx.
« Les fauves les ont repérés. »
« Nous les voyons », dit une voix dans les récepteurs implantés derrière ses oreilles.
« Maintenant ? » demanda le Levenbrech.
« Attaqueraient-ils sans en avoir reçu l’ordre ? »
« Ils sont prêts. »
« Très bien. Voyons donc si ces quatre séances auront suffi. »
« Dites-moi lorsque vous serez prêts. »
« Quand vous voudrez. »
« Alors, allons-y », dit le Levenbrech.
Il libéra tout d’abord une barre qui protégeait une touche rouge, à droite du clavier, sur laquelle il appuya. Les deux tigres, désormais, étaient libérés de leur laisse électronique. Néanmoins, le Levenbrech garda un doigt près de la touche noire, juste à côté de la rouge. Il lui suffirait de l’enfoncer pour arrêter net les fauves si jamais ils venaient à l’attaquer. Mais ils ne lui prêtèrent pas attention. Pour l’instant, ramassés sur eux-mêmes, ils venaient d’entamer leur progression en direction des enfants. Leurs énormes pattes effleuraient à peine le sable.
Rassuré, le Levenbrech s’assit pour les observer. Il n’était pas sans savoir que, quelque part, dissimulé, un transœil captait la scène pour quelque surveillant installé dans le Donjon de son Prince.
Tout à coup, les tigres progressèrent par bonds et se ruèrent à l’attaque.
Les enfants, tout occupés à leur escalade, n’avaient pas conscience du danger. L’un d’eux émit un rire aigu qui laissa dans l’air glacé des échos cristallins. L’autre, à la même seconde, perdit l’équilibre, se rétablit de justesse et, se retournant, aperçut les fauves. Il tendit la main : « Regarde ! »
Ils étaient encore ainsi, tournant la tête, étonnés, lorsque les deux Lazas bondirent. Ils moururent dans l’instant, sans drame, le cou brisé, et chacun des fauves entama son repas.
« Faut-il les rappeler ? » demanda le Levenbrech.
« Laissez-les finir. Ils ont bien travaillé. J’en étais certain : ils sont absolument superbes. »
« Ce sont les meilleurs que je connaisse », dit le Levenbrech.
« Oui, ils sont vraiment excellents. Nous vous envoyons un véhicule. A présent, nous devons décrocher. »
Tout en s’étirant, le Levenbrech se redressa. Il évitait soigneusement de regarder sur sa gauche, vers le haut, là où il avait repéré un reflet qui trahissait la présence du transœil qui avait transmis son exploit au Bashar installé là-bas, dans les vertes étendues du Capitol. Il eut un sourire. Ce beau travail lui vaudrait une promotion. C’était presque comme s’il sentait le nouvel insigne à son cou, celui de Bator. Plus tard, il serait Burseg, et, un jour, peut-être, Bashar à son tour. Ceux qui servaient avec talent et loyauté dans le corps de Farad’n, le petit-fils de feu Shaddam IV, en étaient récompensés par des promotions généreuses. Plus tard encore, lorsque son Prince aurait pris la place qui lui revenait sur le trône, il y aurait des promotions plus importantes encore. Il pouvait espérer être plus qu’un Bashar : tant de Comtés et de Baronnies seraient disponibles sur les mondes innombrables de ce royaume… lorsque les jumeaux Atréides en auraient été bannis.