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Je me retrouvai seul au petit déjeuner. C’était inhabituel mais pas surprenant. Noïm, étant rentré en pleine nuit après avoir conduit longtemps, voulait sans doute dormir tard, et la drogue avait dû laisser Halum épuisée. J’avais un appétit dévorant, et je mangeai pour trois, tout en songeant à mes projets pour dissoudre la Convention. Pendant que je buvais mon thé, un des domestiques de Noïm fit irruption dans la salle à manger. Il avait les joues rouges et semblait sur le point de suffoquer, comme s’il avait couru longtemps. « Venez ! cria-t-il d’une voix étranglée. Les bandriers !… » Il me tirait par le bras pour me faire lever. Je me précipitai à sa suite. Il était déjà engagé dans l’allée qui menait aux enclos des bandriers. Je courus derrière lui, me demandant si les bêtes s’étaient échappées durant la nuit, s’il allait encore falloir passer la journée à pourchasser ces monstres. En approchant des enclos, je ne vis aucune trace de clôtures arrachées. Le domestique s’accrocha à la barrière de l’enclos principal, où étaient parqués une dizaine de bandriers. Je regardai à l’intérieur. Les animaux, les mâchoires et la fourrure ensanglantées, étaient rassemblés autour d’une masse de chair à demi dévorée. Ils se disputaient les morceaux de viande restants et l’on voyait, éparpillés sur le terrain, les débris de leur festin. Quel animal infortuné s’était-il égaré parmi ces tueurs au milieu de la nuit ? Comment la chose avait-elle pu arriver ? Et pourquoi le domestique avait-il jugé utile d’interrompre mon repas pour me montrer ce spectacle ? Je le pris par le bras en lui demandant ce qu’il y avait de si étrange à voir les bandriers massacrer leur proie. Il tourna vers moi un visage à l’expression terrible et me dit d’une voix entrecoupée : « La dame !… c’est la dame !… »

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