Le lac était immobile ; il n’y avait pas de vent. Les deux hommes étaient assis sur des chaises, sur l’embarcadère flottant. Un petit radeau en bois était attaché à l’embarcadère ; Graff passa le pied sous la corde, tira le radeau, puis laissa le radeau s’éloigner et le tira à nouveau.
— Vous avez perdu du poids.
— Il y a des pressions qui font grossir et d’autres qui font maigrir. Je dépends beaucoup de ma chimie.
— Cela a dû être dur.
Graff haussa les épaules.
— Pas vraiment. Je savais que je serais acquitté.
— Nous n’en étions pas tous certains. Il y a eu toute une période pendant laquelle les gens étaient fous. Mauvais traitements à enfants, homicide par négligence – ces vidéos de la mort de Bonzo et de Stilson étaient assez horribles. Regarder un enfant faire cela à un autre.
— À mon avis, je dois également mon salut à ces vidéos. L’accusation les a montrées, mais nous les avons montrées intégralement. Il était clair qu’Ender n’était pas le provocateur. Ensuite, il ne restait plus qu’à décider si nous avions bien ou mal fait. J’ai dit que j’avais fait ce que je croyais nécessaire à la protection de l’espèce humaine et que cela a fonctionné ; nous avons persuadé les juges de considérer que l’accusation devait prouver indubitablement qu’Ender aurait gagné la guerre sans l’entraînement auquel nous l’avons soumis. Après, tout a été simple. Les nécessités de la guerre.
— Quoi qu’il en soit, Graff, ce fut un soulagement. Je sais que nous nous sommes querellés et je sais que l’accusation a utilisé les bandes de nos conversations contre vous. Mais je sais également que vous aviez raison et j’ai proposé de témoigner en votre faveur.
— Je sais, Anderson. Mes avocats m’ont averti.
— Alors, qu’allez-vous faire, à présent ?
— Je ne sais pas. Je me repose. J’ai accumulé quelques années de permission. Assez pour me conduire jusqu’à la retraite, et les salaires dont je ne me suis jamais servi représentent de grosses sommes qui dorment dans les banques. Je pourrais vivre avec les intérêts. Je vais peut-être ne rien faire.
— Cela paraît agréable. Mais moi, je ne le supporterais pas. On m’a offert la présidence de trois universités différentes, du fait que je suis considéré comme un éducateur. Ils ne me croient pas quand je dis que la seule chose qui m’intéressait, à l’École de Guerre, c’était le jeu. Je crois que je vais accepter l’autre proposition.
— La présidence de la fédération ?
— Maintenant que la guerre est terminée, il est temps de penser à nouveau aux jeux. Ce sera presque comme des vacances, de toute manière. Il n’y a que vingt-quatre équipes dans la Ligue. Mais, après avoir vu les enfants voler pendant toutes ces années, le football sera un peu comme un combat de limaces.
Ils rirent. Graff soupira et poussa le radeau du pied.
— Ce radeau. Il ne peut certainement pas vous soutenir.
Graff secoua la tête.
— C’est Ender qui l’a construit.
— C’est vrai. Vous l’aviez amené ici.
— La propriété lui a même été donnée. J’ai veillé à ce qu’il soit largement récompensé. Il n’aura jamais besoin d’argent.
— Si on lui permet de revenir le dépenser.
— Ils ne le lui permettront jamais.
— Avec l’agitation que crée Démosthène en faveur de son retour ?
— Démosthène n’est plus sur les réseaux.
Anderson haussa les sourcils.
— Qu’est-ce que cela signifie ?
— Démosthène s’est retiré. Définitivement.
— Vous savez quelque chose, vieux connard. Vous savez qui est Démosthène.
— Était.
— Alors, dites-le-moi.
— Non.
— Vous n’êtes plus drôle, Graff.
— Je ne l’ai jamais été.
— Au moins, vous pouvez me dire pourquoi. Nous étions nombreux à penser que Démosthène serait un jour Hégémon.
— Il n’en a jamais été question. Même la foule des diminués politiques qui soutient Démosthène n’a pu convaincre l’Hégémon de faire revenir Ender sur Terre. Ender est beaucoup trop dangereux.
— Il n’a que onze ans. Douze, à présent.
— C’est d’autant plus dangereux parce qu’il serait facile de le contrôler. Dans le monde entier, le nom d’Ender a une résonance magique. L’enfant-Dieu, le miracle vivant, avec la vie et la mort entre les mains. Tous les petits aspirants dictateurs tenteraient de l’avoir de leur côté, de le mettre à la tête d’une armée et de regarder le monde se joindre massivement à lui, soit trembler de peur. Si Ender revenait sur Terre, il voudrait s’installer ici, se reposer, tenter de sauver ce qu’il reste de son enfance. Mais on ne lui laisserait pas de repos.
— Je vois. Quelqu’un a expliqué cela à Démosthène ?
Graff sourit.
— Démosthène l’a expliqué à quelqu’un. Quelqu’un qui aurait pu utiliser Ender comme personne d’autre n’aurait pu le faire, pour dominer le monde et l’amener à aimer cela.
— Qui ?
— Locke.
— Locke est celui qui a plaidé pour qu’Ender reste sur Éros.
— Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent.
— Cela me dépasse, Graff. Donnez-moi le jeu. Des règles bien nettes et précises. Des arbitres. Des débuts et des fins. Des gagnants et des perdants, et tout le monde retourne tranquillement auprès de sa femme.
— Donnez-moi des billets de temps en temps, d’accord ?
— Vous n’allez pas réellement rester ici et profiter de votre retraite, n’est-ce pas ?
— Non.
— Vous entrez dans l’Hégémonie, n’est-ce pas ?
— Je suis le nouveau Ministre de la Colonisation.
— Alors, ils le font.
— Dès que nous aurons les rapports sur les planètes colonisées par les doryphores. Enfin, elles sont là, déjà fertiles, avec des logements et des industries, et tous les doryphores morts. Très pratique. Nous allons abroger les lois relatives à la population…
— Que tout le monde déteste…
— Et tous ces Troisièmes, Quatrièmes et Cinquièmes vont embarquer à bord de vaisseaux interstellaires et partir pour des mondes connus ou inconnus.
— Les gens partiront-ils vraiment ?
— Les gens partent toujours. Toujours. Ils croient toujours que la vie sera meilleure que dans le vieux monde.
— Nom de Dieu, pourquoi pas ?
Au début, Ender crut qu’on le ramènerait sur Terre dès que la situation serait stabilisée. Mais la situation était stable, à présent, depuis un an, et il paraissait évident qu’on ne le ramènerait pas, qu’il était beaucoup plus utile sous la forme d’un nom et d’une histoire que sous celle d’un individu de chair et de sang particulièrement gênant. Et il y avait le problème de la cour martiale sur les crimes du Colonel Graff. L’amiral Chamrajnagar tenta d’empêcher Ender de regarder, mais échoua ; Ender avait également été nommé amiral et ce fut une des rares occasions où il fit valoir les privilèges de son grade. Il regarda les vidéos des combats contre Stilson et Bonzo, regarda les photographies des cadavres, écouta les psychologues et les avocats tenter d’établir s’il s’agissait de meurtres ou de légitime défense. Ender avait son opinion personnelle, mais personne ne la lui demanda. Pendant le procès, ce fut en réalité lui que l’on attaqua. L’accusation, intelligemment, ne l’accusa pas directement, mais elle tenta de le présenter comme malade, perverti, dément.
— Aucune importance, dit Mazer Rackham. Les politiciens ont peur de toi, mais ils ne sont pas encore en mesure de détruire ta réputation. Cela n’arrivera que dans trente ans, quand les historiens se pencheront sur ton cas.
Ender se fichait de sa réputation. Il regarda impassiblement les vidéos mais, en fait, il était amusé. Pendant les batailles, j’ai tué dix milliards de doryphores, qui étaient aussi vivants et intelligents que les hommes, qui n’avaient même pas lancé une troisième attaque contre nous, et il ne vient à l’idée de personne de parler de crimes.
Ses crimes pesaient lourdement sur ses épaules, la mort de Stilson et de Bonzo ni plus ni moins que les autres.
Et, ainsi, avec ce fardeau, il attendit, pendant tous ces mois vides, que le monde qu’il avait sauvé lui donne la permission de rentrer chez lui.
Un par un, ses amis le quittèrent à contrecœur, rappelés par leur famille, et seraient reçus en héros dans leur ville. Ender regarda les vidéos de leur retour et fut touché quand ils consacrèrent beaucoup de temps à faire l’éloge d’Ender Wiggin, qui leur avait tout appris, selon eux, qui les avait formés et conduits à la victoire. Mais s’ils demandèrent qu’il soit autorisé à rentrer, les paroles furent censurées et personne n’entendit cette prière.
Pendant quelque temps, sur Éros, le travail consista à nettoyer les dégâts causés par la Guerre de la Ligue et à recevoir les rapports des vaisseaux interstellaires, autrefois vaisseaux de guerre, qui exploraient à présent les Systèmes des doryphores.
Mais, à présent, Éros était de plus en plus encombrée, davantage que pendant la guerre, parce que les colons venaient y préparer leur voyage à destination des planètes des doryphores. Ender participa au travail, dans la mesure où on l’y autorisa, mais personne ne paraissait conscient du fait que ce garçon de douze ans pouvait être aussi doué en période de paix qu’en temps de guerre. Mais il acceptait cette tendance à ne tenir aucun compte de lui et apprit à faire ses propositions et suggérer ses projets par l’intermédiaire des quelques adultes qui l’écoutaient, en les laissant s’en attribuer la paternité. Il ne s’intéressait pas aux honneurs, mais au bon déroulement des opérations.
Ce qu’il ne supportait pas, c’était l’adoration des colons. Il apprit à éviter les tunnels qu’ils occupaient parce qu’ils ne manquaient jamais de le reconnaître – son visage était gravé dans la mémoire du monde – et ils criaient, hurlaient, le serraient dans leurs bras et le félicitaient, lui montraient les enfants qui portaient son nom, et lui disaient qu’il était tellement jeune que cela leur brisait le cœur, et qu’eux ne lui reprochaient pas ses meurtres parce que ce n’était pas sa faute, qu’il n’était qu’un enfant…
Il s’arrangeait pour se cacher.
Il y eut un colon, toutefois, à qui il ne put échapper.
Il n’était pas à Éros, ce jour-là. Il était allé au nouveau LIS, où il avait appris à travailler sur la coque des vaisseaux interstellaires ; il n’était pas convenable qu’un officier effectue des tâches mécaniques, selon Chamrajnagar, mais Ender avait répliqué que, du fait que la profession qu’il connaissait n’était plus demandée, il était temps qu’il en apprenne une autre.
On l’avertit par la radio de son casque en lui disant que quelqu’un voulait le voir dès qu’il pourrait rentrer. Ender n’avait envie de voir personne, de sorte qu’il ne se pressa pas. Il termina d’installer les boucliers de l’ansible du vaisseau avant de regagner le sas.
Elle l’attendait à la sortie du vestiaire. Pendant quelques instants, il se demanda avec mauvaise humeur pourquoi on laissait des colons venir l’ennuyer jusqu’ici, où il venait pour être tranquille ; puis il regarda à nouveau et se rendit compte que, si la jeune femme était une petite fille, il la reconnaîtrait.
— Valentine, dit-il.
— Salut, Ender.
— Que fais-tu ici ?
— Démosthène a pris sa retraite. Je pars avec la première colonie.
— Il faut cinquante ans pour y arriver.
— Seulement deux ans si tu es à bord du vaisseau.
— Mais si tu revenais, tous les gens que tu connais sur Terre seraient morts…
— C’était ce que je me disais. Mais j’espérais que quelqu’un que je connais, sur Éros, viendrait avec moi.
— Je ne veux pas aller sur une planète que nous avons volée aux doryphores. Je veux seulement rentrer.
— Ender, tu ne retourneras jamais sur Terre. J’y ai veillé avant de partir.
Il la regarda en silence.
— Je te dis cela maintenant afin que, si tu veux me haïr, tu puisses me haïr dès le début.
Ils gagnèrent le petit compartiment d’Ender, à bord du LIS, et elle expliqua. Peter voulait qu’Ender revienne sur Terre, sous la protection du Conseil de l’Hégémon.
— Compte tenu de la situation actuelle, Ender, cela te placerait en réalité sous le contrôle de Peter, puisque, désormais, la moitié du Conseil fait exactement ce que veut Peter. Ceux qui ne mangent pas dans la main de Locke, il les tient par d’autres moyens.
— Connaissent-ils sa véritable identité ?
— Oui. Le public ne le sait pas, mais les gens haut placés sont au courant. Cela n’a plus d’importance. Il est tellement puissant que son âge ne les inquiète plus. Il a fait des choses incroyables, Ender.
— J’ai remarqué que le traité de l’année dernière portait le nom de Locke.
— C’est grâce à lui qu’il s’est imposé. Il l’a proposé par l’intermédiaire de ses amis des réseaux politiques publics, et Démosthène l’a soutenu. C’était le moment qu’il attendait : utiliser l’influence de Démosthène sur les foules et celle de Locke sur les intellectuels pour accomplir un acte remarquable. Cela a empêché une mauvaise guerre qui aurait pu durer des décennies.
— Il a décidé d’être homme d’État ?
— Je crois. Mais dans ses périodes cyniques, qui sont nombreuses, il m’a fait remarquer que, s’il avait laissé la Ligue s’effondrer complètement, il aurait été obligé de conquérir le monde morceau par morceau. Du fait que l’Hégémonie existe toujours, il peut le faire d’un seul coup.
Ender hocha la tête.
— C’est Peter tel que je le connais.
— Amusant, n’est-ce pas ? Que Peter ait sauvé des millions de vies.
— Alors que j’en ai tué des milliards.
— Je n’aurais pas dit cela.
— Ainsi, il voulait se servir de moi ?
— Il a des projets pour toi, Ender. Il dévoilerait publiquement son identité à ton arrivée, irait t’accueillir devant tous les médias. Le grand frère d’Ender Wiggin, qui, comme par hasard, est également le grand Locke, l’architecte de la paix. Près de toi, il paraîtrait presque adulte. Et physiquement, vous vous ressemblez beaucoup. Il lui serait très facile, ensuite, de tout prendre en main.
— Pourquoi l’en as-tu empêché ?
— Ender, tu ne seras pas heureux de rester le pion de Peter pendant tout le reste de ta vie.
— Pourquoi ? J’ai toujours été le pion de quelqu’un.
— Moi aussi. J’ai montré à Peter toutes les preuves que j’ai réunies, de quoi prouver à la population qu’il était un tueur psychotique. Elles comportaient des photos en couleur d’écureuils torturés et des vidéos de ce qu’il te faisait subir. J’ai eu du mal à réunir tout cela mais, après l’avoir vu, il était prêt à m’accorder ce que je voulais. Ce que je voulais, c’était ta liberté et la mienne.
— Mon idée de la liberté ne consistait pas à habiter chez les gens que j’ai tués.
— Ender, ce qui est fait est fait. Leurs planètes sont vides, à présent, et la nôtre est pleine. Et nous pouvons emporter avec nous ce que leurs planètes n’ont jamais connu – des villes pleines de gens vivant une existence individuelle, personnelle, qui s’aiment et se détestent pour des raisons qui leur sont propres. Sur toutes les planètes des doryphores, il n’y a jamais eu qu’une seule histoire ; quand nous y serons, le monde sera plein d’histoires et nous en improviserons la fin au jour le jour. Ender, la Terre appartient à Peter. Et si tu ne viens pas avec moi, il te laissera ici et se servira de toi jusqu’à ce que tu regrettes d’être né. C’est ta seule chance de lui échapper.
Ender ne répondit pas.
— Je sais ce que tu penses, Ender. Tu crois que je cherche à te contrôler tout comme Peter, Graff ou les autres.
— Cela m’a traversé l’esprit.
— Bienvenue au sein de l’espèce humaine. Personne ne contrôle son existence, Ender. Au mieux, tu peux choisir d’être contrôlé par des gens bien, des gens qui t’aiment. Je ne suis pas venue ici parce que j’ai envie de coloniser. Je suis venue parce que j’ai toujours vécu en compagnie du frère que je haïssais. À présent, j’ai l’occasion de connaître le frère que j’aimais, avant qu’il ne soit trop tard, avant que nous ne soyons plus des enfants.
— Pour cela, il est déjà trop tard.
— Tu te trompes, Ender. Tu crois que tu es grand, fatigué et las de tout mais, au fond de ton cœur, tu es encore un enfant, tout comme moi. Nous pouvons garder le secret. Lorsque tu gouverneras la colonie et que j’écrirai de la philosophie politique, ils ne devineront jamais que, à l’abri de la nuit, nous nous retrouvons discrètement pour jouer aux échecs et nous battre avec nos oreillers.
Ender rit, mais il avait remarqué quelques éléments lâchés trop légèrement pour qu’il puisse s’agir d’accidents.
— Gouverner ?
— Je suis Démosthène, Ender. Je suis partie spectaculairement. J’ai annoncé publiquement que je croyais tellement au mouvement de colonisation que je partirais avec le premier vaisseau. En même temps, le Ministre de la Colonisation, un ancien Colonel nommé Graff, a annoncé que le pilote du vaisseau serait le grand Mazer Rackham et que le gouverneur de la colonie serait Ender Wiggin.
— Ils auraient pu me consulter.
— J’ai voulu le faire moi-même.
— Mais c’est déjà annoncé.
— Non. Ce sera fait demain, si tu acceptes. Mazer a accepté il y a quelques heures, sur Éros.
— Tu dis à tout le monde que tu es Démosthène ? Une fille de quatorze ans ?
— Nous disons seulement que Démosthène part avec la colonie. Ils pourront toujours consacrer les cinquante années à venir à étudier la liste des passagers en cherchant à déterminer lequel était le grand démagogue de l’Époque de Locke.
Ender secoua la tête.
— En fait, tu t’amuses, Val.
— Je ne vois pas pourquoi je ne le ferais pas.
— Très bien, dit Ender. Je partirai. Peut-être en tant que gouverneur, puisque vous pourrez m’aider, Mazer et toi. Actuellement, mes aptitudes sont légèrement sous-employées.
Elle poussa un cri de joie et le serra dans ses bras, exactement comme une adolescente recevant de son petit frère le cadeau qu’elle espérait.
— Val, dit-il. Je veux seulement qu’une chose soit claire. Je ne pars pas pour toi. Je ne pars pas pour être gouverneur, ou parce que je m’ennuie ici. Je pars parce que je suis le meilleur spécialiste des doryphores et que, en allant là-bas, je pourrai peut-être mieux les comprendre. Je leur ai volé leur avenir ; je veux rembourser en voyant ce que leur passé peut m’apprendre.
Le voyage fut long. À la fin, Valentine avait terminé le premier volume de son Histoire des guerres contre les doryphores et l’avait transmis par l’ansible, sous le nom de Démosthène, sur Terre ; Ender, pour sa part, était parvenu à dépasser l’adulation des passagers. Ils le connaissaient, désormais, et il avait gagné leur affection et leur respect.
Il travailla dur, sur la nouvelle planète, gouvernant davantage par persuasion que par autorité, et travaillant aussi dur que les autres aux tâches nécessaires à la construction d’une économie autonome. Mais sa tâche essentielle, que personne ne lui contesta, consista à explorer ce que les doryphores avaient abandonné, tentant de découvrir parmi les structures, les machines et les champs longtemps laissés en friche, ce que les êtres humains pouvaient utiliser, ce qu’ils pouvaient apprendre. Il n’y avait pas de livres – les doryphores n’en avaient pas besoin. Comme tout était présent dans leur mémoire, comme tout était dit au moment où cela était pensé, le savoir des doryphores était mort avec eux.
Et pourtant. Grâce à la solidité des toits des étables et des silos, Ender comprit que l’hiver serait rude, avec beaucoup de neige. Grâce aux clôtures de pieux pointus, dirigés vers l’extérieur, il comprit qu’il y avait des animaux errants représentant un danger pour les cultures et les troupeaux. Grâce au moulin, il comprit que les longs fruits, à l’odeur désagréable, qui poussaient dans les vergers en friche étaient séchés et transformés en farine. Et, grâce aux courroies autrefois utilisées par les adultes pour emmener les petits avec eux dans les champs, il comprit que, malgré leur individualité réduite, les doryphores aimaient leurs enfants.
La vie s’organisa et les années passèrent. La colonie habitait des maisons en bois et utilisait les tunnels des doryphores pour le stockage et les manufactures. Elle était désormais gouvernée par un conseil, et les administrateurs étaient élus de sorte qu’Ender, bien qu’il portât toujours le titre de gouverneur, n’était plus, en réalité, qu’un arbitre. Il y avait des crimes et des querelles, mais aussi la compassion et la collaboration ; il y avait des gens qui s’aimaient et d’autres qui ne s’aimaient pas ; c’était un monde humain. Ils n’attendaient plus avec la même impatience les émissions de l’ansible ; les noms célèbres sur Terre ne signifiaient plus grand-chose. Ils ne connaissaient que celui de Peter Wiggin, Hégémon de la Terre ; les seules nouvelles concernaient la paix, la prospérité, les grands vaisseaux quittant le littoral du Système Solaire et partant peupler les planètes des doryphores. Bientôt, il y aurait d’autres colonies sur ce monde, le Monde d’Ender ; bientôt, il y aurait des voisins ; ils étaient déjà à mi-chemin ; mais personne ne s’en souciait. On aiderait les nouveaux venus, lorsqu’ils arriveraient, on leur apprendrait ce que l’on savait, mais ce qui comptait vraiment, c’était qui épousait qui, qui était malade, quand faut-il planter et pourquoi le paierais-je puisque le veau est mort après trois semaines.
— À présent, ce sont des paysans, dit Valentine. Personne ne s’intéresse au fait que Démosthène envoie aujourd’hui le septième volume de son Histoire. Personne ne le lira.
Ender appuya sur un bouton et son bureau lui montra la page suivante.
— Excellente analyse, Valentine. Encore combien de volumes avant la fin ?
— Un seul. L’histoire d’Ender Wiggin.
— Que vas-tu faire ? Attendre que je sois mort pour l’écrire ?
— Non. Écrire, simplement et arrêter quand j’arriverai au présent.
— J’ai une meilleure idée. Va jusqu’au jour de notre dernière bataille et arrête-toi là. Ce que j’ai fait depuis ne vaut pas la peine d’être raconté.
— Peut-être, dit Valentine, et peut-être pas.
L’ansible leur annonça que le nouveau vaisseau de colons arriverait dans un an. On demanda à Ender de trouver un endroit où il serait possible de les installer, assez près de la colonie d’Ender pour que les deux entités puissent commercer, mais assez loin pour qu’elles puissent être gouvernées séparément. Ender utilisa l’hélicoptère et explora. Il emmena un enfant, un garçon de onze ans nommé Abra ; il n’avait que trois ans à la fondation de la colonie et ne connaissait pas d’autre monde. Ender et lui allèrent aussi loin que l’hélico pouvait les transporter, campèrent et se promenèrent à pied pour saisir l’ambiance de la région.
Le troisième matin, Ender eut soudain la désagréable impression de connaître l’endroit. Il regarda autour de lui ; c’était une région qu’il n’avait jamais vue. Il appela Abra.
— Hé, Ender ! cria Abra.
Il était au sommet d’une colline basse mais escarpée.
— Viens !
Ender grimpa, ses pieds faisant rouler des pierres instables. Abra tendait le bras.
— N’est-ce pas incroyable ? demanda-t-il.
La colline était creuse. Une profonde dépression, au milieu, partiellement emplie d’eau, était entourée de pentes concaves qui surplombaient dangereusement l’eau. Dans une direction, la colline cédait la place à deux longues crêtes qui formaient une vallée en V ; dans la direction opposée, la colline était dominée par un rocher blanc, évoquant un crâne dans la bouche duquel un arbre aurait poussé.
— On dirait qu’un géant est mort ici, dit Abra. Et que la terre a couvert son squelette.
Ender comprit alors pourquoi l’endroit lui semblait familier. Le cadavre du Géant. Il y avait joué trop souvent, étant enfant, pour ne pas le connaître. Mais ce n’était pas possible. L’ordinateur de l’École de Guerre ne pouvait en aucun cas connaître cet endroit. Il regarda à la jumelle dans la direction qu’il connaissait bien, craignant et espérant trouver ce qu’il connaissait.
Balançoire et toboggan. Assemblage de tubes. Couverts par la végétation, mais les formes étaient indubitables.
— Cela a été construit, dit Abra. Regarde, ce crâne, ce n’est pas un rocher, regarde. C’est du béton.
— Je sais, dit Ender. Ils ont construit cela pour moi.
— Quoi ?
— Je connais cet endroit, Abra. Les doryphores l’ont construit pour moi.
— Les doryphores étaient morts cinquante ans avant notre arrivée.
— Tu as raison, c’est impossible, mais je sais ce que je sais. Abra, je ne devrais pas t’emmener. Cela pourrait être dangereux. S’ils me connaissaient assez bien pour construire cet endroit, ils projettent peut-être…
— De se venger.
— Parce que je les ai tués.
— Alors, n’y va pas, Ender. Ne fais pas ce qu’ils veulent te faire faire.
— S’ils veulent se venger, Abra, je n’y suis pas opposé. Mais ce n’est peut-être pas le cas. Peut-être ceci est-il la seule façon dont ils puissent parler. M’envoyer un mot.
— Ils ne savaient ni lire ni écrire.
— Peut-être apprenaient-ils quand ils sont morts.
— Eh bien, une chose est sûre, je ne resterai pas ici si tu t’en vas. Je vais avec toi.
— Non. Tu es trop jeune pour risquer…
— Allons ! Tu es Ender Wiggin. Ne me dis pas ce que peuvent faire les enfants de onze ans !
Avec l’hélico, ils survolèrent l’aire de jeux, les bois, le puits dans la clairière. Puis, plus loin, une falaise, avec une caverne et une plate-forme exactement à l’endroit où se trouvait le Bout du Monde d’Ender. Et, au loin, exactement à l’endroit qu’il occupait dans le jeu, se dressait le donjon du château.
Il laissa Abra dans l’hélico.
— Ne me suis pas et rentre dans une heure si je ne suis pas revenu.
— Rien à faire, Ender, je vais avec toi.
— Rien à faire, Abra, et si tu désobéis, je t’attache !
Ender avait répondu sur le ton de la plaisanterie, mais Abra se rendit compte qu’il était sérieux, de sorte qu’il resta.
Les murs du donjon comportaient des entailles permettant de monter facilement. Ils voulaient qu’il entre.
La pièce était conforme à son souvenir. Ender chercha le serpent, par terre, mais il n’y avait qu’un tapis et une sculpture représentant une tête de serpent, par terre, dans un coin. Imitation, pas réplique ; pour un peuple qui ignorait l’art, ils avaient bien travaillé. Ils avaient dû tirer ces images de l’esprit même d’Ender, le localisant et puisant dans ses cauchemars, par-delà les années-lumière. Mais pourquoi ? Pour l’attirer dans cette pièce, bien entendu. Pour lui transmettre un message. Mais où était le message et comment pourrait-il le comprendre ? Le miroir l’attendait sur le mur. C’était une plaque de métal terne sur laquelle la silhouette grossière d’un être humain avait été tracée. Ils ont essayé de dessiner l’image que je devrais voir.
Et, regardant le miroir, il se revit le cassant, l’arrachant, et les serpents jaillissant, l’attaquant, le mordant partout où leurs crochets empoisonnés pouvaient l’atteindre.
Dans quelle mesure me connaissent-ils ? se demanda Ender. Assez bien pour savoir que j’ai souvent pensé à la mort, pour savoir qu’elle ne me fait pas peur ? Assez bien pour savoir que, même si j’avais peur de la mort, cela ne m’empêcherait pas d’enlever le miroir ?
Il alla jusqu’au miroir, le souleva, l’écarta. Rien ne bondit sur lui. Dans une niche, il y avait une boule de soie blanche avec quelques filaments effilochés. Un œuf ? Non. La chrysalide d’une reine, déjà fécondée par les mâles larvaires, prête à donner naissance à cent mille petits doryphores, y compris quelques reines et mâles. Ender vit les mâles, semblables à des limaces, collés aux parois d’un tunnel obscur, et les adultes venant installer la petite reine dans la pièce où elle serait fécondée ; chaque mâle, à son tour, pénétrait la reine larvaire, frémissait sous l’effet de l’extase, puis mourait, tombant sur le sol et se flétrissant. Ensuite, la nouvelle reine était présentée à la vieille, créature magnifique, vêtue d’ailes douces et luisantes, qui avait depuis longtemps perdu le pouvoir de voler, mais conservait le pouvoir de la majesté. La vieille reine l’embrassa, le doux poison de ses lèvres l’endormant, puis l’enroula dans des fils sortis de son ventre, et lui ordonna de devenir elle-même, de devenir une nouvelle ville, un nouveau monde, de mettre au monde de nombreuses reines et de nombreux mondes.
Comment se fait-il que je sache cela ? se demanda Ender. Comment puis-je voir ces choses, comme s’il s’agissait de souvenirs ?
Comme en réponse, il vit sa première bataille contre les flottes des doryphores. Il l’avait déjà vue dans le simulateur ; à présent, il la vit comme la reine l’avait vue, à travers de nombreux yeux différents. Les doryphores formèrent leur globe de vaisseaux, puis les chasseurs terrifiants jaillirent du noir et le Petit Docteur détruisit tout dans une fournaise de lumière. Il éprouva ce que la reine avait ressenti, regardant, par les yeux des ouvrières, la mort qui arrivait trop rapidement pour qu’il soit possible de la prévoir. Mais il n’y avait aucun souvenir de douleur ou de peur. La reine éprouvait de la tristesse et un sentiment de résignation. Elle ne pensa pas ces mots en voyant les humains arriver pour tuer, mais ce fut grâce à des mots qu’Ender la comprit : Ils ne nous ont pas pardonné, pensa-t-elle. Nous allons sûrement mourir.
— Comment pouvez-vous revivre ? demanda-t-il.
La reine, dans son cocon soyeux, ne pouvait répondre par des mots ; mais, lorsqu’il ferma les yeux et tenta de se souvenir, de nouvelles images apparurent. Mettre le cocon dans un endroit frais, un endroit noir, mais avec de l’eau afin qu’il ne se dessèche pas ; non, pas seulement de l’eau, mais de l’eau mêlée à la sève d’un arbre, et tiède, afin que certaines réactions puissent se dérouler dans le cocon. Puis du temps. Des jours et des semaines, afin que la chrysalide se transforme. Et quand elle eut pris une couleur poussiéreuse et brune, Ender se vit l’ouvrir et aider la reine, petite et fragile, à sortir. Il se vit la prendre par les membres antérieurs et l’aider à quitter l’eau et à gagner un nid de feuilles sèches et douces posées sur du sable. Ensuite, je suis vivante, indiqua une pensée dans son esprit. Ensuite, je suis éveillée. Ensuite, je fais mes dix mille enfants.
— Non, dit Ender. Je ne peux pas.
Désespoir.
— Tes enfants sont les monstres de nos cauchemars, à présent. Si je te réveillais, ils vous tueraient à nouveau.
Alors, dans son esprit, se succédèrent rapidement des dizaines d’images d’êtres humains tués par les doryphores mais, avec les images, fut transmise une tristesse tellement intense qu’il ne put la supporter et se mit à pleurer.
— Si tu pouvais leur faire éprouver ce que tu me fais ressentir, peut-être pourraient-ils vous pardonner.
Seulement moi, constata-t-il. Ils m’ont suivi grâce à l’ansible, ils l’ont suivi et se sont installés dans mon esprit. Dans les souffrances de mes rêves torturés, ils m’ont trouvé, alors même que je consacrais mes journées à leur destruction ; ils ont trouvé la peur qu’ils m’inspiraient, et également que je ne savais pas que je les tuais. Pendant les quelques semaines dont ils disposèrent, ils ont construit cet endroit à mon intention, le Cadavre du Géant, l’aire de jeux, la plate-forme du Bout du Monde, afin que mes yeux me permettent de le reconnaître. Je suis le seul qu’ils connaissent, de sorte qu’ils ne peuvent parler qu’à moi, et à travers moi. Nous sommes comme vous, insistait une pensée. Nous ne voulions pas assassiner et, quand nous avons compris, nous ne sommes pas revenus. Nous pensions être les seuls êtres intelligents de l’univers, jusqu’au moment où nous vous avons rencontrés, mais nous ignorions que la pensée pouvait apparaître chez les animaux solitaires, incapables de rêver les rêves des autres. Comment aurions-nous pu savoir ? Nous pourrions vivre en paix. Crois-nous. Crois-nous. Crois-nous.
Il tendit les bras et sortit le cocon de la cavité. Il était étrangement léger, pourtant il contenait tout l’avenir d’une espèce.
— Je vais t’emporter, dit Ender. J’irai de planète en planète jusqu’au jour où je trouverai un endroit et un moment où tu pourras te réveiller en toute sécurité. Et je raconterai ton histoire à mon peuple afin que peut-être, avec le temps, il puisse vous pardonner. Comme vous m’avez pardonné.
Il enroula le cocon dans sa veste et l’emporta.
— Qu’y a-t-il, là-dedans ? demanda Abra.
— La réponse, répondit Ender.
— À quoi ?
— À ma question.
Et il n’ajouta rien ; ils cherchèrent encore cinq jours et choisirent le site de la nouvelle colonie, loin de la tour, au sud-ouest.
Quelques semaines plus tard, il demanda à Valentine de lire un texte qu’il avait écrit ; elle sortit le document indiqué de l’ordinateur du vaisseau et le lut.
C’était écrit comme si c’était la reine qui parlait et disait tout ce qu’ils avaient voulu faire, et tout ce qu’ils avaient fait. Voici nos échecs et voici nos grandeurs ; nous ne voulions pas vous faire de mal et nous vous pardonnons notre mort. De leur première prise de conscience aux grandes guerres qui balayèrent leur planète d’origine, Ender raconta l’histoire rapidement, comme si c’était un souvenir antique. Lorsqu’il arriva à l’histoire de la grande Mère, la reine de tous, qui apprit à former et garder la nouvelle reine, au lieu de la tuer ou de la chasser, il s’attarda, disant combien de fois elle fut, finalement, obligée de détruire la chair de sa chair, cet être nouveau qui n’était pas elle, jusqu’au jour où elle en mit au monde une qui comprenait sa quête de l’harmonie. Ce fut une innovation, deux reines qui s’aimaient et s’entraidaient au lieu de se combattre et, ensemble, elles furent plus fortes que les autres ruches. Elles prospérèrent ; elles eurent d’autres filles qui se joignirent pacifiquement à elles ; ce fut le début de la sagesse.
Si seulement nous avions pu vous parler, disait la reine avec les mots d’Ender. Mais, comme c’était impossible, nous demandons simplement ceci : Conservez-nous dans votre souvenir, non pas comme des ennemis, mais comme des sœurs tragiques, défigurées par le Destin, Dieu ou l’Évolution. Si nous nous étions embrassés, nous nous serions mutuellement, miraculeusement, considérés comme des êtres humains. Au lieu de cela, nous nous sommes entre-tués. Néanmoins, nous vous recevons comme des invités. Venez dans nos demeures, filles de la Terre ; installez-vous dans nos tunnels, moissonnez nos champs ; ce que nous ne pouvons pas faire, vous le ferez à notre place. Puissent les arbres fleurir ; puissent les champs mûrir ; puissent les soleils être chauds ; puissent les planètes être fertiles : ce sont nos filles adoptives et elles sont rentrées chez elles.
Le livre d’Ender n’était pas long mais il contenait tout le bien et tout le mal connus par la reine. Et il le signa non pas de son nom, mais d’un titre :
PORTE-PAROLE DES MORTS
Sur Terre, il fut publié sans fracas et passa silencieusement de main en main, jusqu’au moment où il fut difficile de croire qu’il restait des gens qui ne l’avaient pas lu. Presque tous ceux qui le lurent le trouvèrent intéressant ; quelques-uns refusèrent de l’oublier. Ils modelèrent leur existence sur lui, au mieux de leurs possibilités et, lorsqu’un de leurs parents mourait, un croyant se levait au bord de la tombe, devenait le Porte-Parole des Morts et disait ce que le mort aurait dit, mais en toute candeur, ne cachant pas les défauts et n’inventant pas de vertus. Ceux qui assistaient à ces cérémonies les trouvaient parfois douloureuses et déconcertantes, mais nombreux étaient ceux qui décidaient que leur existence était assez digne, en dépit des erreurs, pour que, après leur mort, un Porte-Parole dise la vérité à leur place.
Sur Terre, cela resta une religion parmi de nombreuses religions. Mais, pour ceux qui voyageaient dans la caverne immense de l’espace, habitaient les tunnels de la reine, et moissonnaient les champs de la reine, c’était la seule religion. Il n’y avait pas une colonie sans son Porte-Parole des Morts.
Personne ne savait, et personne n’avait véritablement envie de savoir qui était le premier Porte-Parole. Ender n’avait pas envie de le dire.
À vingt-cinq ans, Valentine termina le dernier volume de son Histoire des guerres contre les doryphores. Elle y inclut, à la fin, le texte intégral du petit livre d’Ender, mais n’indiqua pas qui l’avait écrit.
Par l’ansible, elle eut une réponse de l’ancien Hégémon, Peter Wiggin, soixante-dix ans et fragile du cœur.
— Je connais l’auteur, dit-il. S’il peut parler pour les doryphores, il peut sûrement parler pour moi.
Par l’intermédiaire de l’ansible, Ender et Peter parlèrent, Peter racontant l’histoire de sa vie, ses crimes et ses compassions. Et, lorsqu’il mourut, Ender écrivit un nouveau volume signé du Porte-Parole des Morts. Ensemble, ces deux textes furent intitulés La Reine et l’Hégémon, et devinrent des livres saint.
— Viens, dit-il un jour à Valentine. Envolons-nous et vivons toujours.
— Nous ne pouvons pas, dit-elle. Il y a des miracles que la relativité elle-même ne peut pas accomplir, Ender.
— Nous devons partir. Je suis presque heureux, ici.
— Alors, reste.
— Je vis depuis trop longtemps avec la douleur. Sans elle, je ne saurais pas qui je suis.
Ils embarquèrent dans un vaisseau interstellaire et allèrent de monde en monde. Partout où ils s’arrêtaient, il était toujours Andrew Wiggin, Porte-Parole des Morts itinérant, et elle était toujours Valentine, historienne errante, écrivant l’histoire des vivants tandis qu’Ender racontait l’histoire des morts. Et, toujours, Ender transportait avec lui un cocon sec et blanc, cherchant la planète où la reine pourrait se réveiller en paix et s’épanouir. Il chercha longtemps.