10 DRAGON

— « Maintenant ? »

— « Je suppose. »

— « Il faut que cela soit un ordre, Colonel Graff. Les armées ne bougent pas parce qu’un commandant dit : « Je suppose qu’il est temps d’attaquer. ». »

— « Je ne suis pas commandant. Je suis enseignant et je m’occupe d’enfants. »

— « Colonel, je reconnais que je ne vous ai pas facilité la tâche, je reconnais que je vous ai emmerdé, mais cela a fonctionné, tout a fonctionné exactement comme vous le vouliez. Depuis quelques semaines, Ender est… est… »

— « Heureux ? »

— « Satisfait. Ses résultats sont bons. Il a l’esprit vif, il joue magnifiquement. Bien qu’il soit jeune, nous n’avons jamais eu de garçon aussi apte à prendre un commandement. En général, ils en obtiennent un à onze ans mais, à neuf ans et demi, il est au sommet de sa forme. »

— « Oui ? Depuis quelques minutes, en fait, je me demande quel genre d’homme il faut être pour soigner un enfant blessé et, un peu plus tard, le lancer à nouveau dans la bataille. Un petit dilemme personnel. N’en tenez pas compte. Je suis fatigué. »

— « Sauver le monde, vous vous souvenez ? »

— « Convoquez-le. »

— « Nous faisons ce qui doit être fait, Colonel Graff. »

— « Allons, Anderson, vous êtes seulement impatient de voir comment il fera face à ces petits jeux truqués que vous avez dû mettre au point. »

— « Venant de votre part, c’est plutôt écœurant… »

— « Eh bien, je suis un type écœurant. Allons, Major. Nous sommes tous les deux la lie de la Terre. Moi aussi, je suis impatient de voir comment il les affrontera. Après tout, notre survie dépend de sa réussite, hein ? »

— « Vous n’allez pas vous mettre à employer l’argot des enfants, tout de même. »

— « Convoquez-le, Major. Je vais enregistrer son avancement dans son dossier et lui donner son système de sécurité. Ce que nous lui faisons faire ne comporte pas que des mauvais côtés, après tout. Il aura à nouveau une intimité. »

— « Vous voulez parler de l’isolement. »

— « La solitude du pouvoir. Allez le chercher. »

— « Oui, Colonel. Je reviendrai avec lui dans un quart d’heure. »

— « Au revoir. Oui, Colonel. Ouais, Col’nel ! J’espère que tu t’es bien amusé, j’espère que tu as été très, très heureux, Ender. Tu ne le seras peut-être plus jamais. Bienvenue, petit. Ton vieil Oncle Graff te réserve des surprises. »


Ender comprit ce qui se passait à l’instant même où on le fit entrer. Tout le monde pensait qu’il passerait rapidement commandant. Peut-être pas aussi rapidement, mais il était presque continuellement en tête des classements depuis trois ans, personne ne pouvait se comparer à lui et ses entraînements du soir étaient devenus l’activité la plus prestigieuse de l’école. Certains élèves se demandaient même pourquoi les professeurs avaient tellement attendu.

Il se demanda quelle armée on lui donnerait. Trois commandants partiraient bientôt, y compris Petra, mais il ne pouvait guère espérer que lui soit confiée l’Armée du Phénix – personne n’avait réussi à commander l’armée au sein de laquelle il se trouvait avant sa promotion.

Anderson lui montra d’abord son nouveau logement. Le problème se trouva ainsi résolu – seuls les commandants disposaient d’une chambre individuelle. Ensuite, il lui fit préparer de nouveaux uniformes et une nouvelle combinaison de combat. Il regarda sur les formulaires et découvrit le nom de sa nouvelle armée.

Dragon, indiquaient les formulaires. Il n’y avait pas d’Armée du Dragon.

— Je n’ai jamais entendu parler de l’Armée du Dragon, releva Ender.

— C’est parce qu’il n’y a plus d’Armée du Dragon depuis quatre ans. Nous avons renoncé au nom parce qu’il provoquait des superstitions. Aucune Armée du Dragon, dans toute l’histoire de l’école, n’a pu gagner plus d’une bataille sur trois. C’est certainement une plaisanterie.

— Pourquoi la reconstituez-vous maintenant ?

— Nous avions un stock d’uniformes inutilisés.

Graff était assis derrière son bureau, apparemment plus gras et plus fatigué que lors de la dernière visite d’Ender. Il donna à Ender un crochet, petite boîte que les commandants utilisaient pour aller et venir à leur guise dans la salle de bataille, pendant les exercices. De nombreuses fois, il avait regretté de ne pas avoir de crochet et de devoir rebondir d’une paroi à l’autre pour aller où il voulait. À présent qu’il savait parfaitement manœuvrer sans, on lui en donnait un.

— Il ne fonctionne, fit remarquer Anderson, que pendant les exercices inscrits au programme.

Comme Ender avait déjà prévu d’effectuer des exercices supplémentaires, cela signifiait que le crochet ne serait que partiellement utilisable. Cela expliquait pourquoi de si nombreux commandants ne faisaient pas d’exercices supplémentaires. Ils avaient besoin du crochet, et celui-ci ne servait à rien en dehors des périodes prescrites. S’ils estimaient que le crochet était leur autorité, leur pouvoir sur les autres garçons, dans ce cas, ils n’avaient aucune raison de travailler sans lui. C’est un avantage que j’aurai sur mes ennemis, se dit Ender.

Le discours officiel de Graff parut las et trop souvent répété. Ce ne fut que vers la fin qu’il parut s’intéresser un peu à ce qu’il disait.

— Nous tentons une expérience avec l’Armée du Dragon. J’espère que tu n’y vois pas d’inconvénient. Nous avons constitué une nouvelle armée en faisant monter l’équivalent d’un groupe de Nouveaux et en retardant la sortie de nombreux élèves plus âgés. Je crois que tu seras satisfait de la qualité de tes soldats. J’espère que tu le seras, parce que nous t’interdisons tout transfert.

— Pas d’échanges ? demanda Ender.

C’était de cette façon que les commandants supprimaient leurs points faibles, en faisant des échanges.

— Aucun. Vois-tu, tu diriges tes entraînements supplémentaires depuis trois ans. Tu as des partisans. De nombreux bons soldats exerceraient des pressions inacceptables sur leur commandant pour obtenir d’être transférés dans ton armée. Nous t’avons donné une armée qui, à terme, peut devenir compétitive. Nous n’avons pas l’intention de te laisser dominer d’une façon inéquitable.

— Et si j’ai un soldat avec qui je ne peux pas m’entendre ?

— Fais un effort.

Graff ferma les yeux. Anderson se leva et l’entretien fut terminé.

Les couleurs du Dragon furent gris-orange-gris ; Ender mit sa combinaison de combat puis suivit les rubans de couleur jusqu’au dortoir abritant son armée. Les soldats étaient déjà arrivés, allant et venant devant l’entrée. Ender prit immédiatement la situation en main.

— Les couchettes seront attribuées par ordre d’ancienneté. Les plus âgés au fond du dortoir, les jeunes devant.

C’était l’inverse de l’ordre habituel, et Ender le savait. Il savait également qu’il n’avait pas l’intention d’être comme la majorité des commandants, qui ne voyaient jamais les petits parce qu’ils étaient toujours au fond.

Tandis qu’ils se plaçaient dans l’ordre de leur date d’arrivée, Ender fit les cent pas dans l’allée centrale. Une trentaine de soldats étaient Nouveaux, venant directement de leur groupe d’origine, sans aucune expérience de la bataille. Il y en avait même qui étaient très jeunes – ceux qui se trouvaient près de la porte étaient pathétiquement petits. Ender se dit que c’était ainsi qu’il avait dû apparaître à Bonzo Madrid le jour de son arrivée. Néanmoins, Bonzo n’avait été obligé de s’accommoder que d’un seul petit.

Les grands n’appartenaient pas au groupe d’élite d’Ender. Il n’y avait pas un seul chef de cohorte. Aucun, en réalité, n’était plus âgé qu’Ender, ce qui signifiait que ses grands, eux-mêmes, n’avaient pas plus de dix-huit mois d’expérience. Il y en eut qu’il ne reconnut même pas, tellement ils avaient été discrets.

Ils reconnurent Ender, naturellement, puisqu’il était le soldat le plus célèbre de l’école. Et Ender constata que quelques-uns ne l’acceptaient pas. Au moins, ils m’ont accordé une faveur – je n’ai pas de soldats plus âgés que moi.

Dès que chacun eut trouvé sa place, Ender ordonna à ses soldats de mettre leur combinaison de combat et d’aller à l’entraînement.

— Nous faisons partie du programme du matin, entraînement juste après le petit déjeuner. Officiellement, vous avez une heure entre le petit déjeuner et l’entraînement. Nous aviserons quand j’aurai vu ce que vous valez.

Trois minutes plus tard, bien que beaucoup ne soient pas encore habillés, il donna le signal du départ.

— Mais je suis tout nu ! cria un garçon.

— La prochaine fois, dépêche-toi. Trois minutes entre l’ordre et le départ – pour cette semaine. La semaine prochaine, ce sera deux minutes. Vite !

Bientôt, dans toute l’école, on raconterait en riant que les soldats de l’Armée du Dragon étaient tellement stupides qu’ils partaient à l’entraînement sans avoir fini de s’habiller.

Cinq garçons étaient complètement nus, traînant leur combinaison, lorsque l’armée s’engagea dans les couloirs ; rares étaient ceux qui avaient fini de s’habiller. Ils attirèrent l’attention en passant devant les portes ouvertes des salles de classe. Personne ne serait plus en retard s’il pouvait l’éviter.

Dans les couloirs conduisant à la salle de bataille, Ender les fit courir dans un sens et dans l’autre, vite, afin qu’ils transpirent un peu, tandis que ceux qui étaient nus s’habillaient. Puis il les conduisit jusqu’à la porte supérieure, celle qui s’ouvrait au milieu de la salle de bataille, exactement comme pendant les véritables affrontements. Ensuite, il les fit sauter et utiliser les poignées du plafond pour se projeter dans la salle.

— Rassemblez-vous sur la paroi opposée, dit-il, comme si vous tentiez d’atteindre la porte ennemie.

Ils se trahirent lorsqu’ils sautèrent, quatre par quatre, dans l’encadrement de la porte. Très rares étaient ceux qui savaient établir une trajectoire directe jusqu’à un objectif et, lorsqu’ils atteignaient la paroi opposée, les Nouveaux ignoraient presque tous comment s’immobiliser, ou même contrôler leur rebond.

Le dernier à partir fut un petit garçon manifestement trop jeune. Il lui serait impossible d’atteindre une poignée du plafond.

— Tu peux utiliser une poignée latérale, si tu veux, dit Ender.

— Va te faire foutre ! répliqua le garçon.

Il sauta aussi haut que possible, toucha une poignée du bout des doigts puis perdit totalement le contrôle de sa trajectoire, tournoyant dans toutes les directions. Ender se demanda s’il devait trouver le petit garçon sympathique parce qu’il avait refusé une concession, ou bien être contrarié parce qu’il avait fait preuve d’insubordination.

Finalement, ils se retrouvèrent tous contre la paroi. Ender constata que tous, sans exception, avaient gardé la tête dans la direction qui était le haut lorsqu’ils se trouvaient encore dans le couloir. Alors, Ender saisit délibérément ce qu’ils considéraient comme le plancher, s’y accrochant la tête en bas.

— Pourquoi êtes-vous la tête en bas, Soldats ? demanda-t-il.

Quelques-uns entreprirent de se retourner.

— Écoutez !

Ils s’immobilisèrent.

— J’ai dit : Pourquoi êtes-vous la tête en bas ?

Personne ne répondit. Ils ne comprenaient pas ce qu’il attendait d’eux.

— J’ai dit : Pourquoi avez-vous les pieds en l’air et la tête par terre ?

Finalement, l’un d’entre eux répondit :

— Commandant, nous étions orientés ainsi quand nous avons franchi la porte.

— Eh bien, quelle différence cela est-il censé faire ? Quelle différence peut bien faire l’orientation de la pesanteur telle qu’elle était dans le couloir ? Allons-nous nous battre dans le couloir ? Y a-t-il, ici, la moindre pesanteur ?

— Non, Commandant. Non, Commandant.

— Désormais, oubliez la pesanteur avant de franchir la porte. La pesanteur d’avant n’existe plus. Effacée. Compris ? Quelle que soit la pesanteur quand vous arrivez à la porte, n’oubliez pas : la porte ennemie est en bas. Vos pieds sont tournés vers la porte ennemie. Le haut se trouve en direction de votre porte. Le nord-est de ce côté, le sud-est de ce côté, l’est est de ce côté, l’ouest – de quel côté ?

Ils tendirent le bras.

— C’est bien ce que je pensais. Le seul mode de pensée que vous dominiez est le processus d’élimination, et la seule raison pour laquelle vous le dominez, c’est que vous pouvez l’appliquer aux toilettes. Qu’est-ce que c’était que ce cirque ? Trouvez-vous que cela soit une formation ? Appelez-vous cela voler ? À présent, allez-vous mettre en formation au plafond. Immédiatement ! Vite.

Comme Ender s’y attendait, beaucoup se lancèrent instinctivement non en direction de la paroi de la porte, mais vers celle qu’Ender avait baptisée : nord, celle qui se trouvait en haut quand ils étaient dans le couloir. Bien entendu, ils comprirent rapidement leur erreur, mais trop tard… Ils furent obligés, pour changer la situation, d’attendre d’avoir rebondi sur la paroi nord.

Pendant ce temps, Ender distinguait mentalement ceux qui apprenaient vite de ceux qui apprenaient lentement. Le petit, qui avait été le dernier à franchir la porte, arriva le premier sur la paroi correcte et s’accrocha avec adresse. On avait eu raison de le pousser. Il serait efficace. Il était également crâneur et rebelle, et en voulait probablement à Ender d’avoir été de ceux qu’il avait fait sortir, nus, dans le couloir.

— Toi, dit Ender, montrant le petit. De quel côté se trouve le bas ?

— Du côté de la porte ennemie.

La réponse fut rapide. Elle fut également ironique, comme pour dire : OK, OK, à présent, passons aux choses importantes.

— Ton nom, petit ?

— Je suis le soldat Bean[3], Commandant.

— À cause de ta taille ou de celle de ton cerveau ?

Les autres garçons rirent un peu.

— Bien, Bean, tu comprends vite. À présent, écoute, parce que c’est important. On ne peut pas franchir cette porte sans risquer d’être touché. Autrefois, on disposait de dix ou vingt secondes avant d’être obligé de bouger. À présent, si on n’est pas déjà dehors au moment où l’ennemi sort, on est gelé. Maintenant, que se passe-t-il quand on est gelé ?

— On ne peut pas bouger, dit un garçon.

— C’est ce que signifie gelé, dit Ender. Mais que se passe-t-il ?

Ce fut Bean, absolument pas intimidé, qui répondit intelligemment.

— On continue d’aller dans la direction où on allait, à la même vitesse.

— C’est exact. Les cinq du bout, partez.

Surpris, les garçons se regardèrent. Ender les gela.

— Les cinq suivants, partez !

Ils partirent. Ender les gela également, mais ils continuèrent de filer vers les parois. Les cinq premiers, toutefois, dérivaient sans but non loin du gros de la troupe.

— Regardez-moi ces soi-disant soldats ! s’exclama Ender. Leur commandant leur a ordonné de partir et regardez-les. Non seulement ils sont gelés, mais ils sont en plein dans le chemin. Alors que les autres, du fait qu’ils ont obéi, sont gelés là-bas, obstruant les trajectoires de l’ennemi, bloquant le champ de vision de l’ennemi. Je présume que vous êtes à peu près cinq à avoir compris cela. Et Bean fait certainement partie du lot. Pas vrai, Bean ?

Tout d’abord, il ne répondit pas. Ender le fixa jusqu’à ce qu’il ait dit :

— Oui, Commandant.

— Alors, qu’est-ce que cela signifie ?

— Quand tu ordonnes de bouger, il faut bouger vite, parce que, si on est gelé, on rebondira au lieu d’entraver les manœuvres de sa propre armée.

— Excellent. J’ai au moins un soldat capable de comprendre !

Ender vit la colère grandir dans la façon dont les autres soldats changeaient de position et se regardaient, dans la façon dont leur regard évitait Bean. Pourquoi fais-je cela ? En quoi le fait de canaliser la colère des autres sur un garçon est-il utile à l’autorité ? Est-ce parce que l’on a agi ainsi avec moi que je me comporte ainsi avec lui ? Ender eut envie d’effacer les tourments infligés au petit garçon, de dire aux autres que le petit avait davantage besoin de leur aide et de leur amitié que les autres. Mais, naturellement, il ne pouvait pas. Pas le premier jour. Le premier jour, les erreurs elles-mêmes devaient apparaître comme des éléments d’un plan brillant.

Ender s’accrocha près de la paroi et éloigna un garçon des autres.

— Garde le corps droit, dit Ender.

Il fit pivoter le garçon de façon que ses pieds soient dirigés vers les autres. Comme le garçon continuait de bouger, Ender le gela. Les autres rirent.

— Sur quelle partie de son corps peux-tu tirer ? demanda Ender au garçon qui se trouvait exactement sous les pieds de celui qui était gelé.

— Pratiquement, je ne peux toucher que ses pieds. Ender se tourna vers son voisin.

— Et toi ?

— Je vois son corps.

— Et toi ?

Un garçon qui se trouvait un peu plus loin répondit.

— Je le vois en entier.

— Les pieds ne sont pas gros. Ils ne protègent pas beaucoup.

Ender écarta le soldat gelé. Puis il replia les jambes sous lui, comme s’il était à genoux en l’air, et les gela. Aussitôt, les jambes de sa combinaison devinrent rigides, immobilisées dans cette position.

Ender se retourna de façon à se trouver à genoux au-dessus des autres.

— Que voyez-vous ?

— Beaucoup moins, admirent-ils.

Ender passa le pistolet entre les jambes.

— Je vois bien, dit-il, gelant les garçons qui se trouvaient directement sous lui.

— Arrêtez-moi ! cria-t-il. Essayez de me geler !

Ils y arrivèrent enfin, mais il en avait gelé plus de deux sur trois. Il manœuvra son crochet, se dégelant en même temps que tous les autres.

— Maintenant, dit-il, où se trouve la porte de l’ennemi ?

— En bas.

— Et quelle est votre position d’attaque ? Quelques-uns commencèrent des phrases, mais Bean s’écarta de la paroi, les jambes repliées sous lui, filant vers la paroi opposée et tirant entre ses cuisses.

Pendant quelques instants, Ender eut envie de hurler, de le punir ; mais il y renonça, rejetant cette impulsion dépourvue de générosité. Pourquoi s’en serait-il pris au garçon ?

— Bean est-il seul à avoir compris ? cria Ender.

Aussitôt, toute l’armée s’éloigna de la paroi, se dirigeant vers la paroi opposée, à genoux en l’air, tirant entre les jambes, avec des hurlements assourdissants. Un jour, se dit Ender, j’aurai peut-être besoin de cette stratégie – quarante garçons hurlants dans une attaque éclair.

Lorsqu’ils furent tous de l’autre côté, Ender leur cria de l’attaquer, tous ensemble. Oui, se dit Ender. Pas mal. Ils m’ont donné une armée inexpérimentée, sans anciens très bien entraînés, mais, au moins, ce n’est pas un ramassis d’imbéciles. Avec eux, je pourrai travailler.

Quand ils furent à nouveau réunis, joyeux et pleins d’enthousiasme, Ender commença réellement le travail. Il leur fit geler leurs jambes fléchies.

— À présent, à quoi servent vos jambes pendant le combat ?

— À rien, répondirent quelques garçons.

— Ce n’est pas l’avis de Bean, dit Ender.

— Elles sont le meilleur moyen d’exercer une pression sur une paroi.

— Exact, dit Ender.

Les autres protestèrent, estimant qu’exercer une pression contre les parois était une manœuvre, pas un combat.

— Il n’y a pas de combat sans mouvement, fit ressortir Ender.

Ils se turent et détestèrent Bean encore un peu plus.

— À présent, avec les jambes gelées, comment pouvez-vous exercer une poussée contre une paroi ?

Personne n’osa répondre, de peur de se tromper.

— Bean ? demanda Ender.

— Je n’ai jamais essayé, mais peut-être qu’en faisant face à la paroi et en fléchissant à la ceinture…

— Vrai, mais faux. Regardez-moi. J’ai le dos contre la paroi, mes jambes sont gelées. Comme je suis à genoux, mes pieds sont contre la paroi. En général, lorsqu’on pousse, il faut pousser de haut en bas, afin de dérouler le corps, exact ?

Ils acquiescèrent.

— Mais, avec les jambes gelées, j’utilise pratiquement la même force, poussant de haut en bas avec les hanches et les cuisses, mais elle a, à présent, pour effet de déplacer mes épaules d’avant en arrière, projette mes hanches dans la direction opposée et, lorsque je m’éloigne de la paroi, mon corps est tendu, rien ne trainant derrière moi. Regardez.

Ender bascula les hanches en avant, ce qui l’éloigna de la paroi ; un instant plus tard, il rectifia sa position et se trouva à genoux, les jambes vers le bas, filant vers la paroi opposée. Il atterrit sur les genoux, bascula sur le dos et se propulsa dans une autre direction.

— Tirez-moi dessus ! cria-t-il.

Puis il se mit à tournoyer et suivit une trajectoire grossièrement parallèle aux soldats alignés contre la paroi opposée. Comme il tournoyait, ils ne pouvaient maintenir leurs rayons sur lui.

Il dégela sa combinaison et, utilisant son crochet, les rejoignit.

— C’est ce que nous allons travailler, aujourd’hui, pendant la première demi-heure. Entraîner des muscles dont vous ignoriez l’existence. Apprendre à utiliser vos jambes comme bouclier et à contrôler vos mouvements de façon à pouvoir tournoyer comme je l’ai fait. Tournoyer n’est pas vraiment utile à faible distance mais, de loin, on ne peut pas vous toucher si vous tournoyez – de loin, le rayon doit rester au même endroit pendant quelques instants et cela ne peut pas arriver quand vous tournoyez. À présent, gelez-vous et commencez.

— Vas-tu nous assigner des lignes ? demanda un garçon.

— Non, je ne vais pas vous assigner des lignes. Je veux que vous vous heurtiez et que vous appreniez ce qu’il faut faire dans ce cas, sauf lorsque nous travaillerons les formations et, dans ces conditions, je vous demanderai généralement de vous heurter intentionnellement. Maintenant, allez !

Cette fois, ils réagirent immédiatement. Ender sortit le dernier de l’entraînement car il était resté pour aider les plus lents à améliorer leur technique. Ils avaient eu de bons professeurs, mais les petits, inexpérimentés, étaient complètement dépassés lorsqu’il fallait faire deux ou trois choses en même temps. Ils parvenaient à exercer une poussée avec les jambes gelées, ils n’éprouvaient pas de difficulté à manœuvrer en vol plané, mais se lancer dans une direction, tirer dans une autre, tournoyer deux fois, rebondir contre une paroi, se remettre à tirer en se retrouvant face à la direction convenable, cela les dépassait. Des exercices, Ender ne pouvait rien faire d’autre pendant quelque temps. Les stratégies et les formations avaient des avantages, mais ne servaient à rien si les soldats ne réagissaient pas correctement pendant la bataille.

Il devait préparer son armée très rapidement. Il avait été nommé commandant très tôt et les professeurs changeaient les règles, ne l’autorisant pas à faire des échanges, ne lui donnant pas d’anciens expérimentés. Rien ne permettait de supposer qu’on lui accorderait les trois mois dont disposaient généralement les armées avant d’être lancées dans les batailles.

Au moins, le soir, Alai et Shen l’aideraient à entraîner ses Nouveaux.

Il était encore dans le couloir d’accès à la salle de bataille quand il se trouva face à face avec Bean. Bean paraissait furieux. Ender ne voulait pas de problèmes pour le moment.

— Tiens, Bean.

— Tiens, Ender !

Silence.

— Commandant, dit doucement Ender.

— Je sais ce que tu fais, Ender, Commandant, et je t’avertis.

— Tu m’avertis ?

— Je peux être ton meilleur homme, mais ne joue pas avec moi !

— Sinon ?

— Sinon je serai ton moins bon soldat. L’un ou l’autre.

— Et qu’est-ce que tu veux, de la tendresse et des baisers ?

Ender se mettait en colère. Bean ne parut pas inquiet.

— Je veux une cohorte.

Ender s’approcha de lui et s’immobilisa, le regardant dans les yeux.

— Pourquoi te donnerais-je une cohorte ?

— Parce que je saurais quoi en faire.

— Il est facile de savoir quoi faire d’une cohorte, dit Ender. Ce qui est difficile, c’est d’amener les soldats à le réaliser. Pourquoi les soldats suivraient-ils un petit minable comme toi ?

— C’est comme cela qu’on t’appelait, à ce que je sais. J’ai entendu dire que Bonzo Madrid le fait toujours.

— Je t’ai posé une question, Soldat.

— Je gagnerai leur respect, si tu ne m’en empêches pas.

Ender sourit.

— Je t’aide.

— Foutrement, fit Bean.

— Personne ne te remarquerait, sauf pour avoir pitié du pauvre petit garçon. Mais, aujourd’hui, je me suis arrangé pour que tout le monde te remarque. Ils vont épier tous tes mouvements. À présent, pour gagner leur respect, il te suffira d’être parfait.

— Alors, je n’ai même pas le droit d’apprendre avant d’être jugé.

— Pauvre petit. On n’est pas juste avec lui.

Ender poussa doucement Bean contre le mur.

— Je vais te dire comment obtenir une cohorte. Démontre que, en tant que soldat, tu sais ce que tu fais. Démontre que tu es capable d’utiliser les autres soldats. Ensuite, démontre que d’autres sont prêts à te suivre dans la bataille. Alors, tu auras ta cohorte. Mais pas avant.

Bean sourit.

— C’est juste. Si tu travailles vraiment comme cela, je serai chef de cohorte dans un mois.

Ender le saisit par le devant de son uniforme et le poussa contre le mur.

— Quand je dis que je travaille d’une certaine façon, Bean, c’est la façon dont je travaille.

Bean se contenta de sourire. Ender le lâcha et le laissa partir. Lorsqu’il fut dans sa chambre, il s’allongea sur son lit et trembla. Qu’est-ce que je fais ? C’est ma première séance d’entraînement et je suis déjà désagréable avec les gens, comme l’était Bonzo. Et Peter. Je les bouscule. Je choisis un pauvre petit garçon et je me débrouille pour que les autres le détestent. Écœurant. Tout ce que je haïssais chez les commandants, je le fais. Est-il conforme à une loi de la nature de devenir inévitablement semblable à son premier commandant ? Je peux abandonner tout de suite, si c’est le cas.

Interminablement, il passa en revue ce qu’il avait dit et fait pendant le premier entraînement de son armée. Pourquoi ne pouvait-il pas parler comme il l’avait toujours fait pendant les entraînements du soir ? Aucune autorité, sauf l’excellence. Ne jamais donner des ordres, simplement faire des suggestions. Mais cela ne fonctionnerait pas, pas avec une armée. Les membres de son groupe d’entraînement n’étaient pas obligés d’apprendre à agir ensemble. Ils n’étaient pas obligés d’élaborer un esprit de groupe ; ils n’avaient pas besoin d’apprendre à rester unis et à se faire confiance pendant la bataille. Ils n’étaient pas obligés de réagir immédiatement aux ordres.

Et il pouvait choisir l’autre extrême, s’il le souhaitait. Il pouvait être aussi négligent et incompétent que Ray le Nez, s’il le souhaitait. Il pouvait commettre des erreurs, quelle que soit son attitude. Il devait appliquer une discipline et cela signifiait exiger – et obtenir – une obéissance rapide, énergique. Il avait besoin d’une armée bien entraînée et cela signifiait que les soldats devraient répéter inlassablement les mêmes exercices, même lorsqu’ils seraient convaincus de maîtriser une technique, jusqu’à ce que cela devienne tellement naturel qu’ils n’aient plus besoin d’y réfléchir.

Mais que se passait-il avec Bean ? Pourquoi s’en était-il pris au plus petit, au plus faible et, probablement, au plus intelligent ? Pourquoi avait-il fait à Bean ce qu’avaient fait à Ender des commandants qu’il méprisait ?

Puis il se souvint que cela n’avait pas commencé avec les commandants. Avant Ray et Bonzo, qui le traitaient par le mépris, il s’était trouvé isolé au sein de son groupe de Nouveaux. Et ce n’était pas Bernard qui avait commencé. C’était Graff.

C’étaient les professeurs qui l’avaient fait. Et ce n’était pas un accident. Ender le comprit à ce moment-là. C’était une stratégie. Graff s’était délibérément arrangé pour qu’il soit distinct des autres, pour qu’il lui soit impossible d’être proche d’eux. Et il devina en partie les raisons de cette attitude. Ce n’était pas pour unir le reste du groupe : en réalité, c’était un facteur de division. Graff avait isolé Ender pour l’obliger à lutter. Pour le contraindre à démontrer non pas qu’il était compétent, mais qu’il était très nettement meilleur que tous les autres. C’était la seule façon de gagner leur respect et leur amitié. De ce fait, il devint meilleur soldat qu’il ne l’aurait été dans d’autres conditions. Cela l’avait également rendu solitaire, craintif, furieux et méfiant. Et peut-être ces attitudes, elles aussi, avaient-elles fait de lui un meilleur soldat.

C’est ce que je te fais, Bean. Je te tourmente pour que tu deviennes un meilleur soldat. Pour aiguiser ton intelligence. Pour te pousser à faire des efforts. Pour te maintenir en déséquilibre, ne sachant jamais ce qui va arriver, afin que tu sois toujours prêt à tout, prêt à improviser, décidé à vaincre quelles que soient les circonstances. Je te rends également la vie très difficile. C’est pour cela qu’ils t’ont mis dans mon armée, Bean. Pour que, en grandissant, tu deviennes exactement semblable à un vieillard.

Et moi, suis-je censé devenir comme Graff ? Gras, amer, insensible, manipulant l’existence de petits garçons afin de produire les généraux et les amiraux prêts à commander la flotte quand il faudra défendre la patrie ? Tu as tous les plaisirs du marionnettiste. Jusqu’au moment où tu auras formé un soldat plus fort que tous les autres. Tu ne peux pas accepter cela. Cela gâche la symétrie. Tu dois le faire rentrer dans le rang, le briser, l’isoler, le tourmenter jusqu’à ce qu’il soit comme tout le monde. Eh bien, ce que je t’ai fait aujourd’hui, Bean, je l’ai fait. Mais je te surveillerai, avec compassion, même si tu crois le contraire et, le moment venu, tu constateras que je suis ton ami et que tu es le soldat que tu veux être. Ender n’assista pas aux cours, cet après-midi-là. Allongé sur sa couchette, il rédigea ses impressions sur les garçons de son armée, ce qu’il avait remarqué, ce qui nécessitait davantage de travail. Pendant l’entraînement du soir, il s’entretiendrait avec Alai et ils élaboreraient le moyen d’enseigner à de petits groupes ce qu’ils devaient savoir. Au moins, il ne serait pas seul face aux difficultés. Mais lorsqu’Ender arriva à la salle de bataille, ce soir-là, alors que presque tous les autres étaient encore en train de dîner, il rencontra le Major Anderson qui l’attendait.

— Le règlement a été changé, Ender. Désormais, seuls les membres d’une même armée peuvent travailler ensemble dans une salle de bataille pendant leur temps libre. Et, par conséquent, les salles de bataille ne sont disponibles que conformément à un programme préétabli. Après ce soir, ce sera ton tour dans quatre jours.

— Les autres n’organisent pas d’entraînements supplémentaires.

— À présent, ils le font, Ender. Du fait que tu commandes désormais une armée, ils ne veulent plus que leurs soldats s’entraînent avec toi. C’est tout à fait compréhensible. Alors, ils vont organiser leurs propres entraînements.

— J’ai toujours été dans une autre armée. Cela ne les empêchait pas d’envoyer leurs soldats à mes entraînements.

— Tu n’étais pas commandant, à l’époque.

— Vous m’avez donné une armée totalement inexpérimentée, Major Anderson…

— Tu as de nombreux anciens.

— Ils ne sont pas bons.

— On n’arrive à rien sans intelligence, Ender. Améliore-les.

— J’avais besoin d’Alai et de Shen pour…

— Il est temps que tu grandisses et que tu agisses seul, Ender. Tu n’as pas besoin que ces garçons te tiennent la main. Tu es commandant, à présent. Alors agis en conséquence, Ender.

Ender passa devant Anderson, se dirigeant vers la salle de bataille. Puis il s’arrêta, se retourna et demanda :

— Du fait que ces entraînements du soir suivent à présent un programme, cela signifie-t-il que je pourrai utiliser le crochet ?

Anderson sourit-il ? Non. Aucune chance.

— Nous verrons, répondit-il.

Ender lui tourna le dos et entra dans la salle de bataille. Bientôt, son armée arriva, et personne d’autre ; soit Anderson interceptait tous ceux qui se présentaient, soit toute l’école savait déjà que les entraînements d’Ender étaient supprimés.

Ce fut un bon entraînement, ils firent beaucoup de progrès mais, à la fin, Ender était fatigué et seul. Il restait une demi-heure avant l’extinction des feux. Il ne pouvait pas aller dans le dortoir de son armée – il savait depuis longtemps que les meilleurs commandants se tiennent à l’écart, sauf lorsque leurs visites sont justifiées. Les garçons devaient avoir la possibilité d’être tranquilles, en paix, sans que leurs conversations risquent d’être écoutées.

Alors, il erra dans la salle de jeu où quelques autres garçons consacraient la dernière demi-heure de la journée à régler les paris ou tenter de battre leurs scores antérieurs. Les jeux ne lui faisaient pas envie, mais il joua tout de même, choisissant un jeu animé facile, conçu pour les Nouveaux. Blasé, il ignora les objectifs de la partie et utilisa le petit personnage, un ours, pour explorer le paysage animé qui l’entourait.

— Comme ça, tu ne gagneras jamais.

Ender sourit.

— Tu m’as manqué, pendant l’entraînement, Alai.

— J’y étais. Mais ils ont affecté ton armée dans un autre endroit. Apparemment, tu es devenu un gros poisson, tu ne peux plus jouer avec les enfants.

— Tu fais une coudée de plus que moi.

— Coudée ! Dieu t’a demandé de construire un bateau, c’est ça ? Ou bien tu es d’humeur archaïque ?

— Pas archaïque, labyrinthique. Mystérieuse, subtile, vagabonde. Tu me manques déjà, chien circoncis.

— Tu n’es donc pas au courant ? Nous sommes ennemis, à présent. La prochaine fois que je te rencontrerai, dans une bataille, je t’en ferai voir de toutes les couleurs.

C’était du bavardage, comme toujours mais, à présent, il y avait trop de vérité derrière. À présent, en entendant Alai parler comme si tout cela n’était qu’une plaisanterie, il était confronté à la douleur liée à la perte de son ami et également à la douleur, plus intense, relative au fait qu’il se demandait si Alai était véritablement aussi indifférent qu’il le paraissait.

— Tu peux toujours essayer, dit Ender. Je t’ai appris tout ce que tu sais. Mais je ne t’ai pas appris tout ce que je sais.

— J’ai toujours su que tu avais des secrets, Ender.

Silence. L’ours d’Ender, sur l’écran, avait des problèmes. Il grimpa dans un arbre.

— Ce n’est pas vrai, Alai. Je n’avais pas de secrets.

— Je sais, dit Alai. Moi non plus.

— Salaam, Alai.

— Hélas, cela ne doit pas être.

— Quoi ?

— La paix. C’est ce que Salaam signifie. Que la paix soit sur toi.

Les mots réveillèrent un écho dans la mémoire d’Ender. Sa Mère lisant à voix basse, quand il était tout petit. Ne croyez pas que je suis venu apporter la paix sur terre. Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Ender s’était imaginé sa Mère transperçant Peter le Terrible avec une rapière couverte de sang, et les mots étaient restés gravés dans sa mémoire, associés à cette image.

Pendant le silence, l’ours mourut. Ce fut une mort imaginative, avec une musique gaie. Ender se retourna. Alai était déjà parti. Il eut l’impression qu’une partie de lui-même avait été arrachée, un pilier intérieur qui soutenait son courage et sa confiance. Avec Alai, beaucoup plus nettement qu’avec Shen, Ender éprouvait un sentiment d’unité si puissant que nous lui venait plus facilement aux lèvres que je.

Mais Alai avait laissé quelque chose. Allongé sur son lit, tandis que le sommeil le gagnait, Ender sentit les lèvres d’Alai sur sa joue et l’entendit murmurer : paix. Le baiser, le mot, la paix étaient toujours en lui. Je ne suis que ce dont je me souviens, et le souvenir de mon ami Alai est si puissant que rien ne peut me l’arracher. Comme Valentine, le meilleur souvenir.

Le lendemain, il rencontra Alai dans un couloir et ils se saluèrent, se serrèrent la main, parlèrent, mais ils savaient tous les deux que, désormais, un mur les séparait. Peut-être une brèche serait-elle ouverte, plus tard, dans ce mur mais pour le moment, leur seule communication réelle se déroulait au niveau des racines qui avaient poussé lentement et profondément, sous le mur, là où il était impossible de les briser.

Le plus terrible, cependant, était la peur de ne pas pouvoir ouvrir une brèche dans le mur, la crainte que, au fond de son cœur, Alai ne soit heureux de la séparation et ne soit prêt à devenir l’ennemi d’Ender. Car, à présent qu’ils n’étaient plus ensemble, ils devaient être infiniment loin l’un de l’autre, et ce qui était certain et inébranlable était à présent fragile et insubstantiel ; dès l’instant où nous ne sommes pas ensemble, Alai est un inconnu, car il mène une existence distincte de la mienne, et cela signifie que, lorsque je le rencontre, nous ne nous voyons pas vraiment.

Cela le rendit triste, mais Ender ne pleura pas. C’était terminé, les larmes. Dès l’instant où ils avaient transformé Valentine en inconnue, dès l’instant où ils s’étaient servis d’elle pour agir sur Ender, à partir de ce jour-là, il leur était devenu impossible de blesser Ender assez profondément pour le faire pleurer. Ender en était certain.

Et, avec cette colère, il décida qu’il était assez fort pour les vaincre, les professeurs, ses ennemis.

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