12 BONZO

— « Asseyez-vous, Général Pace, je vous en prie. Je crois que vous êtes venu me voir à propos d’une question urgente. »

— « En temps ordinaire, Colonel Graff, je ne prendrais pas la peine d’intervenir dans le fonctionnement interne de l’École de Guerre. Votre autonomie est garantie et, en dépit de notre différence de grade, je suis parfaitement conscient du fait que mon autorité me permet de vous conseiller, pas de vous ordonner de prendre des mesures. »

— « Des mesures ? »

— « Ne faites pas l’innocent avec moi, Colonel Graff. Les Américains savent très bien jouer les imbéciles lorsque cela les arrange, mais je ne marche pas. Vous savez pourquoi je suis ici. »

— « Je suppose que cela signifie que Dap a transmis un rapport. »

— « Il a une… affection paternelle vis-à-vis des élèves. Il estime que votre indifférence face à une situation potentiellement dangereuse n’est pas une simple négligence – qu’elle confine à un complot susceptible de causer la mort d’un élève ou risquant, tout au moins, d’entraîner des blessures graves. »

— « C’est une école destinée aux enfants, Général Pace. Cela ne justifie guère la visite du Chef de la Police Militaire de la F.I. en personne. »

— « Colonel, le nom d’Ender Wiggin a filtré jusqu’au haut commandement. Il est même venu jusqu’à mes oreilles. On l’a modestement décrit comme notre unique espoir de victoire dans l’invasion prochaine. Lorsque sa vie et son intégrité physique sont en danger, il ne me semble pas inconvenant que la Police Militaire s’intéresse à la protection de ce garçon. N’êtes-vous pas de cet avis ? »

— « Que Dap aille au diable, et vous aussi, Général, je sais ce que je fais ! »

— « Vraiment ? »

— « Parfaitement. »

— « Oh, c’est évident, mais tout le monde ignore ce que vous faites. Vous savez depuis huit jours que les plus méchants d’entre ces « enfants » complotent pour battre Ender Wiggin, s’ils peuvent. Et que plusieurs conjurés, notamment un, le nommé Bonito de Madrid, généralement appelé Bonzo, n’ont pas l’intention de manifester la moindre retenue lorsque l’agression sera lancée de sorte qu’Ender Wiggin, ressource internationale d’une importance capitale, risque de se faire écraser la tête contre les parois de votre école orbitale. Et, connaissant ce danger, vous proposez de faire exactement… »

— « Rien. »

— « Vous comprendrez que cela puisse nous surprendre. »

— « Ender Wiggin s’est déjà trouvé dans cette situation. Sur Terre, lorsqu’on lui a retiré son moniteur et, plus tard, lorsqu’un groupe de garçons plus âgés… »

— « Je n’ignore pas le passé. Ender Wiggin a provoqué Bonzo Madrid au-delà de ce qu’un être humain peut supporter. Et vous ne disposez pas de police militaire capable de parer à des troubles éventuels. C’est de l’inconscience. »

— « Lorsque Ender Wiggin contrôlera nos flottes, lorsqu’il prendra les décisions entraînant notre victoire ou notre destruction, y aura-t-il une police militaire susceptible de le sauver au cas où la situation lui échapperait ? »

— « Je ne vois pas le rapport. »

— « Naturellement. Mais il existe. Ender Wiggin doit être convaincu que, quelles que soient les circonstances, les adultes ne viendront jamais l’aider. Il doit croire, au plus profond de son être, que seul compte ce que les autres enfants et lui peuvent élaborer eux-mêmes. S’il ne croit pas cela, il n’atteindra jamais l’apogée de ses possibilités. »

— « Il ne l’atteindra pas davantage s’il est mort ou définitivement handicapé. »

— « Cela n’arrivera pas. »

— « Pourquoi ne vous contentez-vous pas de diplômer Bonzo ? Il a l’âge requis. »

— « Parce qu’Ender sait que Bonzo projette de le tuer. Si nous avancions le transfert de Bonzo, Ender comprendrait que nous l’avons sauvé. Le ciel sait que les aptitudes de Bonzo au commandement ne justifient pas un transfert au choix. »

— « Et les autres enfants ? L’aide qu’ils lui apportent ? »

— « Nous verrons ce qui arrivera. C’est ma première décision, elle est définitive et ce sera la seule. »

— « Puisse Dieu vous venir en aide si vous vous trompez ! »

— « Puisse Dieu nous venir en aide si je me trompe ! »

— « Je vous ferai passer en cour martiale. Je veillerai à ce que vous soyez totalement déshonoré, si vous vous trompez. »

— « C’est logique. Mais n’oubliez pas, si j’ai raison, de veiller à me faire donner une douzaine de médailles. »

— « Pourquoi ? »

— « Pour vous avoir empêché d’intervenir. »


Ender était assis dans un coin de la salle de bataille, le bras glissé dans une poignée, regardant Bean s’entraîner avec son unité. La veille, ils avaient travaillé sur les attaques sans pistolet, désarmant les ennemis avec les pieds. Ender les avait aidés en leur apprenant quelques techniques du combat à mains nues en pesanteur normale – de nombreux éléments durent être transformés, mais l’inertie était un outil qui pouvait être utilisé aussi bien en apesanteur que dans la pesanteur normale.

Ce jour-là, cependant, Bean avait un nouveau jouet. C’était un fil presque invisible généralement utilisé, lorsque l’on construisait dans l’espace, pour relier deux objets. Ces fils faisaient parfois plusieurs kilomètres de long. Celui-ci, cependant, était juste un peu plus long qu’une des parois de la salle de bataille et, enroulé autour de la taille de Bean, il était pratiquement invisible. Il le déroula comme si c’était un vêtement et donna une extrémité à un de ses soldats.

— Attache-le à une poignée et enroule bien autour.

Bean emporta l’extrémité opposée de l’autre côté de la salle de bataille.

Bean décida qu’il ne pouvait guère servir à faire trébucher l’adversaire. Il était pratiquement invisible, mais un fil avait peu de chance d’arrêter un ennemi qui pouvait facilement passer dessus ou dessous. Puis il eut l’idée de l’utiliser pour changer de trajectoire au milieu de la salle. Il l’attacha à sa taille, l’autre extrémité étant toujours fixée à une poignée, s’éloigna de quelques mètres, puis se lança. Le fil interrompit sa course, transforma brutalement sa trajectoire et lui fit décrire un arc de cercle qui le projeta brutalement contre une paroi.

Il hurla et hurla. Ender ne comprit pas immédiatement qu’il ne hurlait pas sous l’effet de la douleur.

— Tu as vu à quelle vitesse j’allais ? Tu as vu comme j’ai changé de direction ?

Bientôt, toute l’Armée du Dragon interrompit son entraînement pour regarder Bean travailler avec son fil. Les changements de direction étaient stupéfiants, surtout lorsqu’on ignorait où se trouvait le fil. Lorsqu’il utilisa le fil pour contourner une étoile, il atteignit des vitesses inconnues auparavant.

Il était 2140 et Ender mit un terme à l’entraînement. Fatiguée mais ravie d’avoir vu quelque chose de nouveau, son armée s’engagea dans les couloirs conduisant à son dortoir. Ender resta parmi ses soldats, silencieux mais écoutant ce qu’ils disaient. Ils étaient fatigués, oui – une bataille par jour depuis plus de quatre semaines, souvent dans des situations qui exigeaient le meilleur d’eux-mêmes. Mais ils étaient fiers, heureux, unis – ils n’avaient jamais perdu et avaient appris à se faire confiance. Ils étaient sûrs que leurs camarades combattaient courageusement et bien ; ils étaient sûrs que leurs chefs les utilisaient et ne gâchaient pas leur énergie ; et, surtout, ils savaient qu’Ender les préparait à tout ce qui risquait d’arriver.

Tandis qu’ils marchaient dans le couloir, Ender remarqua plusieurs garçons plus âgés, apparemment en train de parler, dans les couloirs et les échelles adjacents ; quelques-uns étaient dans leur couloir, marchant lentement dans la direction inverse. Ce n’était manifestement pas par hasard, toutefois, s’ils portaient presque tous l’uniforme de la Salamandre et si ceux qui n’étaient pas dans ce cas appartenaient à des armées dont le commandant haïssait Ender Wiggin. Quelques-uns le regardèrent et détournèrent trop rapidement les yeux ; d’autres étaient trop crispés, trop nerveux, alors qu’ils feignaient d’être détendus. Que vais-je faire, s’ils attaquent mon armée dans le couloir ? Mes garçons sont jeunes, petits et n’ont aucune expérience du combat en pesanteur normale. Quand pourraient-ils apprendre ?

— Ho, Ender ! appela quelqu’un.

Ender s’arrêta et se retourna. C’était Petra.

— Ender, je voudrais te parler.

Ender se rendit immédiatement compte que, s’il s’arrêtait, son armée le dépasserait et qu’il se retrouverait seul avec Petra dans le couloir.

— Accompagne-moi, dit Ender.

— Je n’en ai que pour un instant.

Ender pivota sur lui-même et s’éloigna avec son armée. Il entendit Petra courir pour le rejoindre.

— Très bien, je t’accompagne.

Ender se crispa lorsqu’elle arriva près de lui. Était-elle avec les autres ? Faisait-elle partie de ceux qui le haïssaient tellement qu’ils étaient prêts à lui faire du mal ?

— Un de tes amis voulait que je t’avertisse. Il y a des garçons qui veulent te tuer.

— Surprise, fit Ender.

Quelques soldats parurent sursauter en entendant cela. Les complots contre le commandant constituaient une nouvelle intéressante, apparemment.

— Ender, ils en sont capables. Selon lui, ils ont cette intention depuis que tu es commandant…

— Depuis que j’ai battu la Salamandre, tu veux dire.

— Je te haïssais quand tu as battu l’Armée du Phénix, Ender.

— Je ne fais de reproches à personne.

— C’est vrai. Il m’a dit de te prendre à part, aujourd’hui, en revenant de la salle de bataille, et de te conseiller d’être prudent demain, parce que…

— Petra, si tu m’avais vraiment pris à part, il y a à peu près une douzaine de garçons qui nous suivent et qui m’auraient attaqué dans le couloir. Peux-tu dire que tu ne les as pas vus ?

Soudain, elle rougit.

— Non, je ne les ai pas vus. Comment peux-tu croire le contraire ? Tu ne connais donc pas tes amis ?

Elle se fraya un chemin à travers l’Armée du Dragon, la dépassa et s’engagea sur une échelle conduisant au niveau supérieur.

— Est-ce vrai ? demanda Crazy Tom.

— Qu’est-ce qui est vrai ?

Ender scruta la salle et cria à deux garçons turbulents d’aller se coucher.

— Que des grands veulent te tuer ?

— Des mots, répondit Ender.

Mais il savait que ce n’était pas le cas. Petra savait quelque chose, et ce qu’il avait vu dans les couloirs ne relevait pas de son imagination.

— Ce sont peut-être des mots, mais j’espère que tu comprendras quand je dis que cinq chefs de cohorte vont t’accompagner jusqu’à ta chambre ce soir.

— Totalement inutile.

— Fais-nous plaisir. Tu nous dois bien ça.

— Je ne vous dois rien.

Il serait stupide de refuser.

— Faites comme vous voulez.

Il pivota sur lui-même et s’en alla. Les chefs de cohorte le suivirent. L’un d’entre eux passa devant et ouvrit sa porte. Ils visitèrent la chambre, firent promettre à Ender qu’il la fermerait à clé et le laissèrent juste avant l’extinction des feux.

Il y avait un message sur son bureau.


NE RESTE PAS SEUL. JAMAIS.

DINK


Ender sourit. Ainsi, Dink était toujours son ami. Ne t’inquiète pas. Ils ne me feront rien. J’ai mon armée.

Mais, dans le noir, il n’avait pas son armée. Cette nuit-là, il rêva de Stilson mais il vit comme Stilson était petit, six ans seulement, comme son attitude bravache était ridicule ; et pourtant, dans le rêve, Stilson et ses amis attachaient Ender, de sorte qu’il ne pouvait pas se défendre, puis, tout ce qu’Ender avait fait à Stilson dans la réalité, Stilson le faisait à Ender en rêve. Ensuite, Ender se vit bafouillant comme un idiot, faisant tout son possible pour donner des ordres à son armée, mais ses paroles n’avaient aucun sens.

Il se réveilla dans le noir, et il eut peur. Puis il se calma en se disant qu’il comptait certainement, aux yeux des professeurs et que, dans le cas contraire, ils ne lui feraient pas subir de telles pressions ; ils ne permettraient pas qu’il lui arrive quelque chose, rien de grave en tout cas. Lorsque les grands l’avaient attaqué dans la salle de bataille, il y avait déjà bien longtemps, ils étaient probablement dehors, prêts à intervenir ; si la situation avait dégénéré, ils seraient certainement intervenus. J’aurais très bien pu ne rien faire et attendre, et ils auraient veillé à ce qu’il ne m’arrive rien. Ils vont me pousser aussi loin que possible, dans le jeu mais, à l’extérieur du jeu, ils assureront ma sécurité.

Rassuré, il se rendormit, jusqu’à ce que la porte s’ouvre doucement et que la guerre de la matinée soit posée par terre, bien en évidence.


Ils gagnèrent, naturellement, mais ce fut une affaire éprouvante, la salle de bataille contenant un tel labyrinthe d’étoiles qu’il fallut pourchasser l’ennemi pendant quarante-cinq minutes pour l’éliminer. C’était l’Armée du Blaireau, commandée par Pol Slattery, et ils refusèrent d’abandonner. Le jeu comportait également une nouvelle règle. Quand ils gelaient un ennemi, ou le mettaient hors de combat, il dégelait au bout de cinq minutes, comme pendant les entraînements. L’ennemi ne pouvait rester en dehors de l’action que lorsqu’il était complètement gelé. Mais cela ne fonctionnait pas pour l’Armée du Dragon. Crazy Tom comprit ce qu’il se passait, lorsque des ennemis qu’ils croyaient avoir définitivement écartés se mirent à leur tirer dans le dos. Et, à la fin de la bataille, Slattery serra la main d’Ender et dit :

— Je suis content que tu aies gagné. Si je te bats un jour, je veux que ce soit équitablement.

— Utilise ce qu’on te donne, dit Ender. Si tu as un avantage sur l’ennemi, utilise-le.

— Oh, c’est ce que j’ai fait, répondit Slaterry. Il sourit. Je ne suis fair-play qu’avant et après les batailles.

La bataille dura tellement longtemps que l’heure du petit déjeuner était passée. Ender regarda ses soldats fatigués et couverts de sueur qui attendaient dans le couloir et dit :

— Aujourd’hui, vous savez tout. Pas d’entraînement. Reposez-vous. Amusez-vous. Passez l’examen.

Ils étaient tellement las qu’ils ne rirent pas, n’applaudirent pas, ils regagnèrent simplement le dortoir et se déshabillèrent. Ils se seraient entraînés, s’il le leur avait demandé, mais ils étaient à bout de forces et l’absence de petit déjeuner n’était qu’une injustice de trop.

Ender avait l’intention de prendre immédiatement une douche, mais il était trop fatigué. Il s’allongea sans quitter sa combinaison de combat, juste pour un moment, et se réveilla à l’heure du déjeuner. Ainsi, il devrait renoncer à étudier les doryphores ce matin. Il avait juste le temps de se laver, d’aller manger et de se rendre au cours.

Il quitta sa combinaison de combat, qui empestait la sueur. Son corps était glacé, ses articulations étrangement faibles. Je n’aurais pas dû dormir pendant la journée. Je me relâche. C’est la fatigue. Je ne dois pas me laisser aller.

Il courut jusqu’au gymnase et se contraignit à monter trois fois à la corde avant d’aller prendre sa douche. Il ne lui vint pas à l’esprit que son absence serait visible, au mess des commandants, que, en prenant une douche à l’heure du déjeuner, pendant que son armée engloutissait le premier repas de la journée, il serait totalement seul, sans défense.

Même lorsqu’il les entendit entrer dans la salle des douches, il ne fit pas attention. Il faisait couler l’eau sur sa tête, son corps ; le bruit étouffé des pas était à peine audible. Peut-être le déjeuner est-il terminé, se dit-il. Il se savonna une nouvelle fois. Peut-être quelqu’un a-t-il terminé l’entraînement en retard.

Et peut-être pas. Il se retourna. Ils étaient sept, appuyés contre les lavabos métalliques ou debout près des douches, le regardant. Bonzo se tenait devant eux. Beaucoup souriaient, le ricanement condescendant que le chasseur adresse à sa victime acculée. Bonzo, toutefois, ne souriait pas.

— Salut, fit Ender.

Personne ne répondit.

Alors, Ender ferma le robinet, bien qu’il ait encore des traces de savon sur la peau et tendit la main vers sa serviette. Elle n’était plus là. Un des garçons l’avait. C’était Bernard. Il ne manquait plus, pour que le tableau fût complet, que Peter et Stilson. Ils avaient besoin du sourire de Peter ; ils avaient besoin de la stupidité évidente de Stilson.

Ender comprit que la serviette était leur premier coup. Tenter de récupérer sa serviette, nu, le ferait paraître plus faible. C’était ce qu’ils voulaient, l’humilier, le briser. Il ne jouerait pas. Il refusa d’accepter la faiblesse sous prétexte qu’il était mouillé, glacé et nu. Il se redressa, leur faisant face, les bras contre les flancs. Il fixa Bonzo.

— À toi de jouer, dit Ender.

— Ce n’est pas un jeu, dit Bernard. On en a assez de toi, Ender. Tu as ton examen aujourd’hui. Sur la glace.

Ender ne regarda pas Bernard. C’était Bonzo qui voulait sa mort, bien qu’il soit silencieux. Les autres étaient venus en spectateurs, pour voir jusqu’où cela irait. Bonzo savait jusqu’où il voulait aller.

— Bonzo, dit calmement Ender, ton Père serait fier de toi.

Bonzo se crispa.

— Il serait fier s’il te voyait maintenant, attaquant un petit garçon nu dans les douches, moins grand que toi, avec six camarades. Il dirait : « Oh, quel courage ! »

— Personne n’est venu t’attaquer, dit Bernard. On est simplement venu te convaincre de jouer équitablement. De perdre une partie de temps en temps.

Les autres rirent, mais Bonzo ne rit pas, et Ender non plus.

— Sois fier, Bonito, mon joli. Tu pourras rentrer chez toi et dire : « Oui, j’ai battu Ender Wiggin, qui avait tout juste dix ans, et j’en avais treize. Et je n’avais que six camarades avec moi et, finalement, nous avons réussi à le battre, alors qu’il était nu, mouillé et seul – Ender Wiggin est terriblement dangereux et terrifiant, mais nous ne pouvions tout de même pas venir à deux cents. »

— Ta gueule, Wiggin ! dit un garçon.

— On n’est pas venu écouter les discours de ce petit fumier !

— Fermez-la ! dit Bonzo. Fermez-la et bougez pas.

Il entreprit de quitter son uniforme.

— Nu, mouillé et seul, Ender, alors nous sommes à égalité. Ce n’est pas ma faute si je suis plus grand que toi. Tu es tellement génial que tu trouveras bien le moyen de me résister.

Il se tourna vers les autres.

— Surveillez la porte. Ne laissez entrer personne.

La salle des douches n’était pas grande et les tuyauteries saillaient partout. Elle avait été lancée d’un seul bloc, comme un satellite en orbite basse, bourrée de matériel de recyclage de l’eau ; elle était conçue de telle sorte qu’il n’y avait aucune place perdue. La tactique était évidente. Projeter l’autre contre les tubes jusqu’à ce que l’un des deux adversaires soit incapable de bouger.

Lorsqu’Ender vit la position que prenait Bonzo, son cœur se serra. Bonzo avait également suivi des cours. Et sans doute plus récemment qu’Ender. Son allonge était meilleure, il était plus fort et plein de haine. Il ne serait pas tendre. Il va chercher à atteindre la tête, se dit Ender. Il tentera essentiellement d’endommager mon cerveau. Et si le combat dure, il gagnera forcément. Sa force fera la différence. Si je veux sortir d’ici, je dois gagner rapidement et définitivement. Il se souvint de la façon écœurante dont les os de Stilson avaient cédé. Mais, cette fois, ce sera mon corps qui sera brisé, sauf si je peux briser le sien avant.

Ender recula, tourna la pomme de la douche vers l’extérieur et ouvrit le robinet d’eau chaude. Presque immédiatement, un nuage de vapeur s’éleva. Il fit de même avec la suivante, puis la suivante.

— Je n’ai pas peur de l’eau bouillante, dit Bonzo. Sa voix était douce.

Mais ce n’était pas l’eau bouillante qui intéressait Ender. C’était la chaleur. Il y avait encore du savon sur sa peau et sa sueur le dilua, la rendant plus glissante que ce que Bonzo pouvait avoir prévu.

Soudain, une voix s’éleva près de la porte.

— Arrêtez !

Pendant quelques instants, Ender crut que c’était un professeur venu arrêter le combat, mais ce n’était que Dink Meeker. Les amis de Bonzo se saisirent de lui et l’empêchèrent d’entrer.

— Arrête, Bonzo ! cria Dink. Ne lui fais pas de mal !

— Pourquoi ? demanda Bonzo.

Et, pour la première fois, il sourit. Ah, se dit Ender, il aime que l’on reconnaisse qu’il domine la situation, qu’il a le pouvoir.

— Parce que c’est le meilleur, voilà pourquoi. Qui d’autre peut battre les doryphores ? C’est ce qui compte, crétin, les doryphores !

Bonzo cessa de sourire. C’était ce qu’il haïssait le plus chez Ender, le fait qu’Ender compte pour les autres et pas, finalement, Bonzo. Ces paroles sont mon arrêt de mort, Dink. Bonzo ne veut pas entendre dire que je pourrais sauver le monde.

Où sont les professeurs ? se demanda Ender. Ne comprennent-ils donc pas que notre premier contact, dans ce combat, pourrait également en être la fin ? Ce n’est pas comme la bagarre dans la salle de bataille, où personne ne disposait de l’appui permettant d’infliger des blessures graves. Il y a de la pesanteur, ici, le sol et les murs sont durs, avec des pièces métalliques en saillie. Faites cesser cela maintenant ou jamais.

— Si tu le touches, c’est que tu aimes les doryphores ! cria Dink. Tu es un traître, si tu le touches, tu mérites de mourir !

Ils cognèrent le visage de Dink contre la porte et il se tut.

La brume dégagée par les douches obscurcissait la salle et le corps d’Ender était couvert de sueur. Maintenant, avant que le savon soit emporté. Maintenant, alors que je suis encore glissant et qu’il lui sera difficile de me tenir.

Ender recula, laissant son visage exprimer la peur qu’il ressentait.

— Bonzo, ne me fais pas de mal, dit-il, je t’en prie.

C’était ce que Bonzo attendait : l’aveu de sa puissance. D’autres garçons se seraient contentés de la soumission d’Ender ; Bonzo y vit exclusivement l’indice de la certitude de la victoire. Il balança la jambe comme pour donner un coup de pied, mais changea d’avis au dernier moment et bondit. Ender remarqua le changement d’appui et se baissa davantage, de sorte que Bonzo serait plus déséquilibré quand il tenterait de saisir Ender et de le projeter.

Les côtes dures de Bonzo appuyèrent sur le visage d’Ender et ses mains claquèrent sur son dos, tentant de le saisir. Mais Ender se tortilla et les mains de Bonzo glissèrent. Un instant plus tard, Ender fut totalement retourné, mais toujours prisonnier de l’étreinte de Bonzo. Le mouvement classique, à ce moment-là, aurait été de donner un coup de talon entre les jambes de Bonzo. Mais, pour que ce mouvement soit efficace, il nécessitait une grande précision et Bonzo s’y attendait. Il se dressait sur la pointe des pieds, basculant les hanches en arrière, pour empêcher Ender d’atteindre son entrejambe. Bien qu’il ne vît rien, Ender sut que cela approchait son visage, presque dans ses cheveux ; alors, au lieu de donner un coup de pied, il se redressa, exerçant la poussée puissante du soldat rebondissant contre une paroi, et projeta sa tête dans le visage de Bonzo.

Pivotant rapidement sur lui-même, Ender vit Bonzo reculer en trébuchant, le nez en sang, hoquetant sous l’effet de la surprise et de la douleur. Ender comprit qu’il pouvait alors sortir de la salle des douches et mettre un terme au combat. Comme il avait quitté la salle de bataille après avoir fait couler le sang. Mais le combat serait simplement à recommencer. Inlassablement, jusqu’à ce que la volonté de combattre ait disparu. La seule façon d’en finir consistait à faire très mal à Bonzo, afin que sa peur soit plus forte que sa haine.

Alors, Ender prit appui contre la paroi qui se trouvait derrière lui, sauta puis exerça une poussée avec les bras. Ses pieds touchèrent Bonzo à la poitrine et au ventre. Ender pivota en l’air et atterrit à quatre pattes ; il se retourna, passa sous Bonzo et, cette fois, lorsqu’il donna un coup de pied entre les jambes de Bonzo, il frappa avec force et précision. Bonzo ne hurla pas de douleur. Il ne réagit absolument pas, mais son corps sursauta légèrement. Comme si Ender avait donné un coup de pied dans un meuble. Bonzo s’effondra, roula sur le flanc et s’immobilisa sous le jet bouillant d’une douche. Il ne fit pas un geste pour échapper au jet d’eau brûlante.

— Mon Dieu ! cria quelqu’un.

Les amis de Bonzo se précipitèrent pour fermer le robinet. Ender se redressa lentement. Quelqu’un lui lança sa serviette. C’était Dink.

— Viens, partons, dit Dink.

Il emmena Ender. Derrière eux, ils entendirent les pas lourds d’adultes descendant une échelle. À présent, les professeurs viendraient. L’équipe médicale. Pour panser les blessures de l’ennemi d’Ender. Où étaient-ils, avant le combat, quand il était possible d’éviter les blessures ?

Il n’y avait plus de doute, à présent, dans l’esprit d’Ender. Quoi qu’il affronte désormais, toujours, personne ne viendrait le sauver. Peter était sans doute une ordure, mais Peter avait raison, toujours raison ; le pouvoir de faire mal est le seul pouvoir qui compte, le pouvoir de tuer et de détruire, parce que, si on ne peut pas tuer, on est toujours soumis à ceux qui peuvent, et qu’on ne peut être sauvé par rien ni personne.

Dink le conduisit dans sa chambre et le fit s’allonger.

— Es-tu mal ? demanda-t-il. Ender secoua la tête.

— Tu l’as démoli. Je croyais que tu étais fichu, compte tenu de la façon dont il t’a pris. Mais tu l’as démoli. S’il était resté debout plus longtemps, tu l’aurais tué.

— Il voulait me tuer.

— Je sais. Je le connais. Personne ne hait comme Bonzo. Mais c’est fini. S’ils ne le gèlent pas et ne le renvoient pas chez lui, il ne te regardera plus jamais dans les yeux. Toi ou les autres. Il avait vingt centimètres de plus que toi et tu l’as fait passer pour une vache estropiée ruminant son foin.

Mais Ender ne voyait que le regard de Bonzo, lorsqu’il l’avait frappé entre les jambes. Les yeux apparemment vides, morts. Il était fini, à ce moment-là. Déjà sans connaissance. Ses yeux étaient ouverts mais il ne pensait plus, ne bougeait plus, simplement cette expression morte et stupide sur le visage, cette expression terrifiante, celle de Stilson quand je l’ai battu.

— Mais ils vont le geler, reprit Dink. Tout le monde sait qu’il a commencé. Je les ai vus se lever et sortir du mess des commandants. Je ne me suis pas rendu compte tout de suite que tu n’étais pas là non plus, et il m’a fallu une minute pour savoir où tu étais. Je t’avais bien dit de ne pas rester seul.

— Désolé.

— Ils vont être obligés de le geler. Indiscipline. Lui et sa saloperie d’honneur.

Puis, surpris, Dink s’aperçut qu’Ender pleurait. Couché sur le dos, le corps encore couvert d’eau et de sueur, il sanglotait, les larmes sortant de sous ses paupières closes et se mêlant à l’eau qu’il avait encore sur le visage.

— Te sens-tu bien ?

— Je ne voulais pas lui faire mal ! cria Ender. Pourquoi refusait-il de me laisser tranquille ?


Il entendit la porte s’ouvrir doucement, puis se refermer. Il comprit immédiatement que c’étaient ses instructions pour une bataille. Il ouvrit les yeux, s’attendant à trouver le noir du début de la matinée, avant 0600. Mais la lumière était allumée. Il était nu et, lorsqu’il bougea, il s’aperçut que son lit était trempé. Ses yeux étaient gonflés et douloureux, parce qu’il avait pleuré. Il regarda la montre de son bureau. 1820, indiquait-elle. C’est le même jour. J’ai déjà eu une bataille aujourd’hui, j’ai eu deux batailles aujourd’hui… Ces salauds savent ce que j’ai enduré et ils me font cela !


WILLIAM BEE, ARMÉE DU GRIFFON,

TALO MOMOE, ARMÉE DU TIGRE, 1900


Il s’assit sur le bord du lit. Le morceau de papier tremblait entre ses doigts. Je ne peux pas, se dit-il. Puis, à voix haute :

— Je ne peux pas.

Il se leva, péniblement, et chercha sa combinaison de combat. Puis il se souvint : il l’avait mise dans le nettoyeur pendant qu’il prenait sa douche.

Le morceau de papier à la main, il sortit de sa chambre. Le dîner était déjà passé et il y avait quelques élèves dans le couloir, mais personne ne lui parla, les enfants se contentant de le regarder, peut-être à cause de la stupéfaction causée par ce qui s’était passé dans la salle des douches, à midi, peut-être à cause de l’expression terrifiante, impressionnante, de son visage. Presque tous les garçons étaient au dortoir.

— Salut, Ender. Y a entraînement ce soir ?

Ender donna le morceau de papier à Hot Soup.

— Quels fils de pute ! fit-il. Deux en même temps ?

— Deux armées ! cria Crazy Tom.

— Ils vont se bousculer, estima Bean.

— Il faut que je me lave, dit Ender. Faites-les se préparer, rassemblez-les, je vous rejoindrai à la porte.

Il sortit du dortoir. Un tumulte de conversations s’éleva derrière lui. Il entendit Crazy Tom crier :

— Deux armées de bouffeurs de merde. On va leur botter le cul !

La salle des douches était vide. Nettoyée. Le sang qui s’était écoulé du nez de Bonzo avait disparu. Plus rien. Il ne s’était rien passé.

Ender se mit sous la douche et se rinça, l’eau emportant la sueur du combat dans les canalisations. Tout a disparu mais tout est recyclé, de sorte que nous boirons le sang de Bonzo demain matin. Plus de vie dedans, mais son sang tout de même, son sang et ma sueur, dilués dans leur stupidité, leur cruauté ou ce qui les a poussés à laisser cela arriver.

Il se sécha, mit sa combinaison de combat et gagna la salle de bataille. Son armée attendait dans le couloir, la porte n’était pas encore ouverte. Ils le regardèrent en silence lorsqu’il passa devant eux et alla s’immobiliser devant le champ de force gris. Bien entendu, ils savaient tous qu’il s’était battu dans la salle des douches ; et la lassitude consécutive à la bataille du matin les incitait au silence, tandis que la perspective d’affronter deux armées les emplissait de terreur.

N’importe quoi pour me battre, se dit Ender. Tout ce qu’ils peuvent imaginer, changer les règles, peu importe, pourvu qu’ils me battent. Eh bien, le jeu me donne envie de vomir. Aucun jeu ne vaut le sang de Bonzo rosissant l’eau sur le plancher de la salle des douches. Gelez-moi, renvoyez-moi chez moi, je ne veux plus jouer.

La porte disparut. Trois mètres devant, il y avait quatre étoiles côte à côte, bloquant totalement la vue.

Deux armées ne suffisaient pas. Ils voulaient qu’Ender déploie ses forces à l’aveuglette.

— Bean, dit Ender, prends tes camarades et va voir ce qu’il y a derrière cette étoile.

Bean déroula le fil qu’il portait autour de la taille, en attacha une extrémité autour de lui, donna l’autre à un membre de son unité et franchit doucement le seuil. Son unité suivit rapidement. Ils s’étaient plusieurs fois entraînés et, quelques instants plus tard, ils étaient accrochés à l’étoile, tenant l’extrémité du fil. Bean exerça une poussée puissante, le fil presque parallèle à la porte ; quand il atteignit le coin de la pièce, il exerça une nouvelle poussée, filant droit sur l’ennemi. Les points lumineux, sur les parois, indiquèrent que l’ennemi lui tirait dessus. Le fil se prenant successivement aux quatre coins de l’étoile, son arc diminua, sa direction changea et il devint impossible de le toucher. Ses camarades l’immobilisèrent adroitement lorsqu’il refit son apparition, de l’autre côté de l’étoile. Il bougea bras et jambes afin de montrer à ceux qui attendaient à l’intérieur qu’il n’avait pas été touché. Ender passa la porte.

— C’est vraiment sombre, rendit compte Bean, mais tout de même assez clair, si bien qu’il est difficile de suivre les déplacements des gens en se repérant sur la luminosité des combinaisons. La pire situation, du point de vue de la vision. L’espace est libre entre cette étoile et le côté de la salle où se trouvent les ennemis. Ils ont huit étoiles qui forment un carré autour de leur porte. Je n’ai vu personne, sauf ceux qui passaient la tête pour jeter un œil. Ils sont installés là-bas et ils nous attendent.

Comme pour corroborer l’affirmation de Bean, l’ennemi se mit à crier :

— Hé ! On a faim ! Venez, qu’on vous bouffe ! Bougez-vous le cul ! Votre cul de Dragon !

L’esprit d’Ender resta sans réaction. C’était stupide. Il n’avait pas la moindre chance, à deux contre un et contraint d’attaquer une formation à couvert.

— Dans une guerre réelle, un commandant intelligent battrait en retraite pour sauver son armée.

— Qu’est-ce que ça peut foutre ? dit Bean. Ce n’est qu’un jeu.

— Ce n’est plus un jeu, depuis qu’ils ne tiennent plus compte des règles.

— Et alors, fais la même chose.

Ender sourit.

— OK. Pourquoi pas ? Voyons comment ils réagiront à une formation.

Bean fut stupéfait.

— Une formation ! Nous n’avons jamais réalisé de formation depuis que nous sommes une armée !

— Il nous reste un mois avant la fin de notre période normale d’entraînement. Il est temps que nous nous mettions aux formations. Il est toujours bon de connaître les formations.

Il forma un A avec ses doigts, se tourna vers la porte et fit signe de le rejoindre. Une cohorte sortit rapidement et Ender la disposa derrière une étoile. Trois mètres ne constituaient pas un espace suffisant, les garçons étaient effrayés et troublés, et il fallut presque cinq minutes pour leur faire comprendre ce qu’ils faisaient.

Les soldats du Tigre et du Griffon en étaient réduits aux injures tandis que leurs commandants se demandaient s’ils devaient profiter de leur supériorité numérique et attaquer l’Armée du Dragon pendant qu’elle était encore derrière l’étoile. Momœ était favorable à l’attaque :

— Nous sommes deux contre un.

Bée, pour sa part, disait :

— Ne bougeons pas et nous ne pouvons pas perdre. Bougeons et il trouvera le moyen de nous battre.

Ainsi, ils ne bougèrent pas jusqu’au moment où, dans la lumière crépusculaire, ils virent une grosse masse sortir de derrière l’étoile d’Ender. Elle conserva la même forme, même quand elle s’immobilisa brutalement et se lança directement sur le centre des huit étoiles derrière lesquelles quatre-vingt-deux soldats attendaient.

— Bon sang ! s’écria un Griffon. C’est une formation.

— Ils doivent préparer ça depuis cinq minutes, dit Momœ. Si nous les avions attaqués pendant qu’ils le faisaient, nous aurions pu les détruire.

— Connerie, Momœ, souffla Bée. Tu as vu la façon dont le petit volait ? Il a fait tout le tour de l’étoile sans toucher une paroi. Peut-être ont-ils tous un crochet, qu’est-ce que tu en dis ? Ils ont quelque chose de nouveau.

La formation était bizarre. Une formation en carré de corps serrés les uns contre les autres, devant formant un mur. Derrière, un cylindre de six garçons de circonférence et de deux garçons de longueur, les bras tendus et gelés de sorte qu’il leur était impossible de se tenir. Néanmoins, ils restaient ensemble aussi précisément que s’ils avaient été attachés – ce qui était, en fait, le cas.

De l’intérieur de la formation, les Dragons tiraient avec une précision terrifiante, forçant les Griffons et les Tigres à rester à l’abri des étoiles.

— L’arrière de ce connard n’est pas protégé, dit Bée. Dès qu’ils seront entre les étoiles, nous pourrons passer derrière…

— Inutile de le dire ! fit Momœ.

Il ordonna aussitôt à ses hommes de se lancer en direction de la paroi et de rebondir suivant une trajectoire qui les conduirait derrière la formation des Dragons.

Dans le chaos du départ, tandis que l’Armée du Griffon tenait les étoiles, la formation du Dragon se transforma soudain. Le cylindre et le mur antérieur se fendirent en deux, sous l’effet de la poussée exercée par les garçons qui se trouvaient à l’intérieur ; presque au même moment, la formation repartit en sens inverse, retournant vers la porte des Dragons. Presque tous les Griffons tirèrent sur les formations et les garçons qui reculaient avec elles ; et les Tigres prirent les survivants de l’Armée du Dragon à revers.

Mais il y avait un problème. William Bée réfléchit pendant quelques instants et l’identifia. Ces formations n’avaient pas pu repartir dans la direction inverse en plein vol sans avoir exercé une poussée sur une paroi, et s’ils avaient exercé une poussée suffisante pour déplacer cette formation de vingt hommes, ils devaient aller vite ! Ils étaient là, six petits soldats du Dragon près de la porte de William Bée. Compte tenu de la luminosité de leurs combinaisons, Bée constata que trois étaient hors de combat et deux blessés ; un seul était sain et sauf. Pas de raison d’avoir peur. Bée les visa tranquillement, appuya sur le bouton, et… Il ne se passa rien. La lumière s’alluma. La partie était terminée.

Bien qu’il soit en train de les regarder, Bée ne comprit pas immédiatement ce qui venait d’arriver. Quatre soldats du Dragon avaient appuyé leur casque sur les coins de la porte. Et l’un d’entre eux était passé. Ils avaient purement et simplement exécuté le rituel de la victoire. Ils subissaient la destruction, ils n’avaient pratiquement mis personne hors de combat, et ils avaient eu le culot d’exécuter le rituel de victoire et de mettre un terme à la partie à leur nez et à leur barbe !

William Bée se dit seulement à ce moment-là que non seulement le Dragon avait mis un terme à la partie mais qu’il était possible que, conformément aux règles, il l’ait gagnée. Après tout, quelles que soient les circonstances, on n’avait pas véritablement gagné si l’on n’avait pas assez de soldats non gelés pour toucher les coins de la porte et entrer dans le couloir ennemi. Par conséquent, d’une certaine façon, on pouvait estimer que le rituel de fin était la victoire. De toute évidence, c’était l’avis de la salle de bataille.

La porte des professeurs s’ouvrit et Anderson entra dans la salle.

— Ender ! appela-t-il, regardant autour de lui.

Un Dragon gelé tenta de répondre à travers une bouche immobilisée par la combinaison de combat. Anderson alla près de lui et le dégela.

Ender souriait.

— Je vous ai encore battu, Major, dit-il.

— Ridicule, Ender, répondit calmement Anderson. La bataille t’opposait au Tigre et au Griffon.

— Me croyez-vous complètement stupide ? demanda Ender.

D’une voix forte, Anderson annonça :

— Après cette petite manœuvre, les règles seront changées et exigeront que tous les soldats de l’ennemi soient gelés ou mis hors de combat avant que la porte puisse être ouverte !

— De toute façon, cela ne pouvait marcher qu’une fois, commenta Ender.

Anderson lui donna le crochet. Ender dégela tout le monde en même temps. Au diable le protocole ! Au diable tout le reste !

— Hé ! cria-t-il à Anderson tandis qu’il s’éloignait. Qu’est-ce que ce sera, la prochaine fois ? Mon armée dans une cage, sans pistolets, et toute l’École de Guerre contre elle ? Que diriez-vous d’un peu d’équité ?

Un murmure d’approbation se répandit parmi les autres, et pas seulement dans les rangs de l’Armée du Dragon. Anderson ne prit même pas la peine de se retourner pour indiquer qu’il avait entendu le défi d’Ender. Finalement, ce fut William Bée qui répondit :

— Ender, si tu participes à une bataille, elle ne sera pas équitable, quelles que soient les conditions.

— Vrai ! crièrent les garçons.

Beaucoup rirent. Talo Momœ se mit à applaudir.

— Ender Wiggin ! cria-t-il.

Les autres applaudirent également et crièrent le nom d’Ender.

Ender passa par la porte ennemie. Ses soldats le suivirent. Son nom, qu’ils criaient, le suivit dans les couloirs.

— Entraînement ce soir ? demanda Crazy Tom.

Ender secoua la tête.

— Demain matin, alors ?

— Non.

— Alors quand ?

— Plus jamais, en ce qui me concerne.

Il entendit les murmures, derrière lui.

— Hé, c’est pas juste, dit un garçon. Ce n’est pas notre faute si les profs foutent le jeu en l’air ! Tu ne peux pas cesser de nous apprendre des trucs simplement parce que…

Ender frappa violemment la paroi du plat de la main et cria :

— Le jeu ne m’intéresse plus !

Sa voix résonna dans le couloir. Des soldats appartenant à d’autres armées sortirent. Il reprit, moins fort, dans le silence :

— Tu comprends ? (Puis il souffla :) La partie est terminée.

Il regagna sa chambre seul. Il avait envie de s’allonger mais il ne put pas parce que le lit était mouillé. Cela lui rappela tout ce qui s’était passé dans la journée et, de rage, il arracha matelas et couvertures, puis les jeta dans le couloir. Ensuite, il roula un uniforme pour en faire un oreiller et s’allongea sur le treillis métallique du sommier. Ce n’était pas confortable, mais Ender n’avait pas envie de se lever.

Il était là depuis à peine cinq minutes quand on frappa à sa porte.

— Va-t’en, dit-il calmement.

Celui qui frappait n’entendit pas ou n’obéit pas. Finalement, Ender dit d’entrer. C’était Bean.

— Va-t’en, Bean.

Bean hocha la tête mais ne s’en alla pas. Il fixa ses chaussures. Ender faillit crier, l’injurier, lui hurler de partir. Mais il constata à quel point Bean était fatigué, le corps tassé sous l’effet de la lassitude, les yeux cernés à cause du manque de sommeil ; néanmoins, sa peau était toujours douce et translucide, une peau d’enfant, les joues douces et rondes d’un enfant, ses membres minces. Il n’avait pas tout à fait huit ans. Peu importait qu’il soit brillant, dévoué et bon. C’était un enfant. Il était jeune.

Non, il ne l’est pas, se dit Ender. Petit, oui. Mais Bean avait vécu une bataille au cours de laquelle toute une armée dépendait de lui et des soldats qu’il commandait, et ils avaient magnifiquement agi, et ils avaient gagné. Il n’y avait pas de jeunesse, là-dedans. Pas d’enfance.

Interprétant le silence d’Ender, et son expression radoucie, comme la permission de rester, Bean fit un pas en avant. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’Ender vit le petit morceau de papier qu’il avait à la main.

— Tu es transféré ? demanda Ender.

Il était incrédule mais sa voix parut indifférente, morte.

— Dans l’Armée du Lapin.

Ender hocha la tête. Naturellement. C’était évident. Si je suis invincible avec mon armée, on va me prendre mon armée.

— Carn Carby est bien, dit Ender. J’espère qu’il comprendra ce que tu vaux.

— Carn Carby a eu son diplôme aujourd’hui. Il a été prévenu pendant notre bataille.

— Dans ce cas, qui commande l’Armée du Lapin ?

Bean écarta les bras dans un geste d’impuissance.

— Moi.

Ender hocha la tête sans quitter le plafond des yeux.

— Bien sûr. Après tout, tu n’as que quatre ans de moins que l’âge normal.

— Ce n’est pas drôle. Je ne sais pas ce qui se passe. Tous ces changements dans le jeu, puis ça. Je ne suis pas le seul transféré, tu sais. Ils ont donné leur diplôme à la moitié des commandants et nommé de nombreux types à toi à la tête de leurs armées.

— Quels types ?

— Apparemment, tous les chefs de cohorte et leurs adjoints.

— Bien sûr. S’ils décident de détruire mon armée, ils ne le feront pas à moitié. Ils vont toujours jusqu’au bout.

— Tu gagneras tout de même, Ender. Nous le savons tous. Crazy Tom, il a dit : « Vous voulez dire que je suis censé trouver le moyen de battre l’Armée du Dragon ? ». Tout le monde sait que tu es le meilleur. Ils ne peuvent pas te briser, même si…

— C’est déjà fait.

— Non, Ender, ils ne peuvent pas…

— Leur jeu ne m’intéresse plus, Bean. Je ne jouerai plus. Plus d’entraînement. Plus de batailles. Ils peuvent poser autant de petits morceaux de papier par terre qu’ils veulent, je n’obéirai pas. J’ai pris cette décision avant de franchir la porte ennemie. Je ne croyais pas que cela marcherait, mais je m’en fichais. Je voulais seulement sortir avec éclat.

— Tu aurais dû voir la tête de William Bée. Il était là, à se demander comment il avait perdu alors que tu n’avais que sept garçons encore capables de bouger les orteils et lui seulement trois qui ne pouvaient pas.

— Pourquoi voudrais-je voir la tête de William Bée ? Pourquoi voudrais-je battre qui que ce soit ? (Ender appuya les paumes sur ses yeux.) J’ai gravement blessé Bonzo, aujourd’hui, Bean. Je l’ai vraiment blessé.

— Il l’a cherché.

— Il était assommé mais tenait encore debout. C’était comme s’il était mort, debout. Et j’ai continué de frapper.

Bean ne répondit pas.

— Je voulais seulement être sûr qu’il ne me ferait plus jamais de mal.

— C’est gagné, dit Bean. Ils l’ont renvoyé chez lui.

— Déjà ?

— Les professeurs n’ont pas dit grand-chose, ils ne le font jamais. Selon l’avis officiel, il a obtenu son diplôme, mais à l’endroit de l’affectation – tu sais, École Tactique, Soutien, Pré-Commandement, Navigation, ce genre de chose – ils ont seulement indiqué : Carthagène, Espagne. C’est chez lui.

— Je suis content qu’ils lui aient donné son diplôme.

— Bon Dieu, Ender, nous sommes seulement contents qu’il soit parti ! Si nous avions su ce qu’il te faisait, nous l’aurions tué sur-le-champ. Est-il vrai qu’il avait amené toute une bande de types contre toi ?

— Non. C’était seulement lui et moi. Il s’est battu honorablement. Sans son honneur, ils se seraient jetés sur moi tous ensembles. Ils m’auraient peut-être tué. Son sens de l’honneur m’a sauvé la vie. Je ne me suis pas battu honorablement, ajouta Ender. Je me suis battu pour gagner.

Bean rit.

— Et tu l’as fait. Tu l’as chassé de son orbite.

Un coup contre la porte. Elle s’ouvrit avant qu’Ender ait eu le temps de répondre. Ender attendait d’autres soldats de son armée. Mais c’était le Major Anderson et, derrière lui, le Colonel Graff.

— Ender Wiggin, dit Graff.

Ender se leva.

— Oui, Colonel.

— L’indiscipline dont tu as fait preuve, aujourd’hui, dans la salle de bataille, était déplacée et ne doit pas se reproduire.

— Oui, Colonel, répondit Ender.

Bean n’en avait pas terminé avec l’indiscipline et ne croyait pas ce reproche mérité.

— Je crois qu’il était temps que quelqu’un dise à un professeur ce que nous pensons de ce que vous faites.

Les adultes ne tinrent aucun compte de lui. Anderson tendit un morceau de papier à Ender. Une feuille entière. Pas une de ces petites bandes qui servaient à la transmission des ordres au sein de l’École de Guerre ; c’étaient des ordres en bonne et due forme. Bean comprit ce que cela signifiait. Ender était transféré et quittait l’école.

— Diplôme ? demanda Bean.

Ender acquiesça. Pourquoi ont-ils tellement attendu ? Tu n’as que deux ou trois ans d’avance. Tu sais déjà marcher, parler et t’habiller tout seul. Que vont-ils bien pouvoir t’apprendre ?

Ender secoua la tête.

— Tout ce que je sais, c’est que le jeu est terminé. (Il plia la feuille de papier.) Pas trop tôt. Puis-je avertir mon armée ?

— Tu n’en as pas le temps, dit Graff. Ta navette part dans vingt minutes. En outre, il est préférable que tu ne leur parles pas après avoir reçu tes ordres. Cela facilitera les choses.

— Pour eux ou pour vous ? demanda Ender.

Il n’attendit pas la réponse. Il se tourna rapidement vers Bean, lui serra la main pendant quelques instants, puis prit le chemin de la porte.

— Une minute, dit Bean. Où vas-tu ? Tactique ? Navigation ? Soutien ?

— Commandement, répondit Ender.

— Pré-commandement ?

— Commandement, répéta Ender, puis il sortit.

Anderson le suivit. Bean saisit le Colonel Graff par la manche.

— Personne ne va à l’École de Commandement avant seize ans !

Graff se dégagea et s’en alla, fermant la porte derrière lui.

Bean resta seul dans la pièce, tentant de comprendre ce que cela signifiait. On n’entrait pas à l’École de Commandement sans avoir accompli trois ans en Pré-Commandement, sections Tactique ou Soutien. Mais personne ne quittait l’École de Guerre sans y avoir accompli six années, et Ender n’en avait fait que quatre.

Le système s’effondre. Aucun doute. Ou bien un dirigeant quelconque est devenu fou, ou bien il y a des problèmes avec la guerre, la vraie guerre, la guerre des doryphores. Pourquoi, dans le cas contraire, feraient-ils éclater le système de formation, ruineraient-ils le jeu comme ils l’avaient fait ? Pourquoi mettraient-ils un petit garçon à la tête d’une armée ?

Bean s’interrogeait tout en marchant dans les couloirs, regagnant son lit. La lumière s’éteignit au moment même où il arriva près de sa couchette. Il se déshabilla dans le noir, s’efforçant de fourrer ses vêtements dans un placard qu’il ne voyait pas. Il était désespéré. Au début, il crut que c’était parce qu’il avait peur de commander une armée, mais ce n’était pas le cas. Il savait qu’il serait un bon commandant. Il s’aperçut qu’il avait envie de pleurer. Il n’avait pas pleuré depuis les quelques jours de dépaysement consécutifs à son arrivée. Il tenta de mettre un nom sur le sentiment qui lui nouait la gorge et le faisait sangloter en silence, bien qu’il se retienne. Il se mordit la main pour conjurer ce sentiment, le remplacer par la douleur. Cela ne changea rien. Il ne reverrait pas Ender.

Après avoir nommé le sentiment, il put le contrôler. Il s’allongea et exécuta des exercices de décontraction jusqu’à ce que l’envie de pleurer disparaisse. Puis il s’endormit. Sa main était près de sa bouche. Elle était posée sur l’oreiller, comme hésitante, comme si Bean se demandait s’il voulait se ronger les ongles ou se sucer le bout des doigts. Son front était plissé. Sa respiration était rapide et légère. C’était un soldat et si on lui avait demandé ce qu’il aimerait faire, quand il serait grand, il n’aurait pas compris la question.


En pénétrant dans la navette, Ender remarqua que les insignes de l’uniforme du Major Anderson avaient changé.

— Oui, il est colonel, à présent, confirma Graff. En fait, depuis cet après-midi, le Major Anderson commande l’École de Guerre. On m’a confié d’autres responsabilités.

Ender ne lui en demanda pas la nature.

Graff se sangla dans un siège situé en face du sien, de l’autre côté de l’allée. Il n’y avait qu’un seul autre passager, un homme silencieux, en civil, qui lui fut présenté comme le Général Pace. Pace avait une serviette, mais n’avait pas plus de bagages qu’Ender. Bizarrement, le fait que Graff voyage également sans rien réconforta Ender.

Ender ne parla qu’une fois pendant le trajet.

— Pourquoi rentrons-nous sur Terre ? demanda-t-il. Je croyais que l’École de Commandement se trouvait dans les astéroïdes.

— Effectivement, répondit Graff. Mais l’École de Guerre ne peut pas accueillir les long-courriers. De sorte que tu bénéficies d’une courte permission sur la terre ferme.

Ender voulut demander si cela signifiait qu’il pourrait voir sa famille. Mais, soudain, à l’idée que cela serait peut-être possible, il eut peur et ne posa pas la question. Il se contenta de fermer les yeux et essaya de dormir.

Derrière lui, le Général Pace l’étudiait ; Ender ne put deviner dans quel but.

Ils se posèrent en Floride, par un chaud après-midi d’été. Il y avait tellement longtemps qu’Ender n’avait pas vu le soleil que la lumière l’aveugla presque. Il plissa les yeux, éternua et voulut rentrer. Tout était lointain et plat ; le sol, qui n’avait pas la courbe ascendante des planchers de l’École de Guerre, paraissait tomber de sorte que, sur le plat, Ender avait l’impression de se trouver au sommet d’une colline. La pesanteur paraissait différente, et il marchait en traînant les pieds. Il détestait cela. Il eut envie de retourner chez lui, à l’École de Guerre, seul endroit de l’univers comptant à ses yeux.


— « Arrêté ? »

— « Eh bien, c’est logique. Le Général Pace est le chef de la police militaire. Il y a eu un mort à l’École de Guerre. »

— « On ne m’a pas dit si le colonel Graff était promu ou traduit en cour martiale. Simplement transféré, avec ordre de se présenter au Polemarch. »

— « Est-ce bon ou mauvais signe ? »

— « Qui sait ? D’un côté, non seulement Ender Wiggin a survécu, mais encore a-t-il franchi une étape et obtenu son diplôme dans les meilleures conditions, il faut accorder cela à Graff. En revanche, il y a le quatrième passager de la navette. Celui qui fait le voyage dans un sac. »

— « Seulement le deuxième mort dans l’histoire de l’école, Au moins, cette fois, ce n’était pas un suicide. »

— « En quoi un meurtre est-il préférable, Major Imbu ? »

— « Ce n’était pas un meurtre, Colonel. Nous avons vu cela en vidéo sous deux angles différents. Personne ne peut en vouloir à Ender. »

— « Mais on pourrait en vouloir à Graff. Quand tout cela sera terminé, les civils pourront fouiller nos archives et décider ce qui était bien et ce qui ne l’était pas. Nous donner des médailles quand ils estimeront que nous avions raison, nous retirer nos retraites et nous mettre en prison quand ils estimeront que nous avions tort. Au moins ont-ils eu le bon sens de ne pas dire à Ender que le garçon est mort. »

— « En plus, c’est la deuxième fois. »

— « On ne lui a rien dit à propos de Stilson. »

— « Ce gamin est terrifiant. »

— « Ender Wiggin n’est pas un tueur. Il gagne, voilà tout – totalement. Si quelqu’un doit avoir peur, ce sont les doryphores. »

— « On pourrait presque avoir pitié d’eux, sachant qu’Ender va s’occuper d’eux. »

— « La seule personne dont je puisse avoir pitié, c’est Ender. Mais pas assez pour croire qu’il faudrait le laisser tranquille. J’ai eu accès à une partie du matériel dont Graff disposait. À propos des mouvements de la flotte… ce genre de chose. Avant, je dormais la nuit. »

— « Le temps presse ? »

— « Je n’aurais pas dû mentionner cela. Je ne peux pas vous communiquer des informations secrètes. »

— « Je sais. »

— « Disons simplement ceci : ils ne l’ont pas fait entrer à l’École de Commandement un jour trop tôt. Mais peut-être deux ans trop tard. »

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