IV

Ouvrons encore les Mélanges d'histoire locale, et voyons ce qu'il y avait sur le livre du destin pour chacun des deux époux ;

a ... Pendant la période révolutionnaire, les Islettes eurent une existence agitée. Les nouveaux propriétaires s'y calfeutrèrent pour laisser passerrorage,maisletonnerreles atteignit. M.de Coudray, qui avait donné sa démission d'otHcier, paraît s'être jeté bientôt, et vigoureusement, dans le mouvement contre-révolutionnaire ; blessé au 10 août, menacé d'arrestation, il resta quelque temps caché aux Islettes auprès de sa femme, puis passa en Angleterre, d'oCi il gagna la Vendée. Pris à l'attaque du château de Pornic, il fut, quatre jours après,guillotiné à Nantes, dans une fournée de Vendéens, et M"* de Coudray, restée aux Islettes, faillit avoir le même sort. Arrêtée sur la dénonciation d'un comité, accusée de détenir aux Islettes un dépôt d'armes, lesperquisitionneurs ayant misia main sur les fusils de chasse de M. de Coudray, elle fut, heureusement pour elle.

oubliée quelques mois dans la prison de Beauval et ne panit à Paris, avec un convoi de Carmélites, qu'à la veille même de Thermidor.

Délivrée mais complètement ruinée, elle revint s'enfermer aux Islenes qu'elle quitta en 1809 pour se remarier à un magistrat de la ville, M. F... Elle mourut plus qu'octogénaire, vers 1860... »

M™ F....! — Ainsi la Sylvie de Ligneul de VAImanach des Muses, c'était la vieille M'"* F... entrevue aux jours d'enfance dans les rues de Beauval, une petite vieille mince et frêle qui se faisait, le dimanche, rouler à l'église dans une vinaigrette par un Caleb presque également vénérable J La vieille dame dans son antique véhicule, espèce de chaise à porteurs montée sur roues, était une des curiosités de la ville; sa figure encore rose et peu ridée, impassible, fîgée dans une expression de distraction dédaigneuse, encadrée avec une sorte de coquetterie de dentelles et d'épaisses boucles blanches, apparaissait aux gens de Beauval, à travers le carreau de la vinaigrette, comme la personnification d'un passé fabuleusement lointain.

Avait-elle dû penser à Bourgogne-Cavalerie au doux temps de sa jeunesse, rêver aux ombrages des Islettes, pendant sa longue vie, aux côtés d'un vieux magistrat rigide, dans sa vieille maison étroite et froide plantée au fond d'une ruelle solitaire, aux grands murs moisis!

Pauvre Bourgogne-Cavalerie! pauvre Sylvie!

Ainsi le souffle du destin avait brutalement balayé leurs rêves; ils avaient été pris, les deux amoureux, par la tempête formidable et roulés dans la grande catastrophe faite de millions de catastrophes particulières. Le pimpant ofScicr de 1789, en quittant les Islettes pour se lancer dans la chouannerie, emporta VAlmanack des Muses, en souvenir des jours heureux, et, jusqu'au voyage final, de Pornic aux rues sanglantes de Nantes, il relut sans dôme bien souvent, avec un amer sourire aux lèvres en songeant aux douces heures passées sous la charmille à côté de Sylvie, les poésies légères, lespastoralesetlesmadrigaux d'avant le déluge.

Les Islettes, divisées en une quinzaine de lots, ne sont plus les Islettes; le château contient les bureaux, et l'habitation d'un gros manufacturier, qui de la charmille surveille les cheminées de son usine noircissant Tazur à 5oo métrés au delà. Le parc bouleversé, coupé en tranches égales, en jardins carrés et niaisement combinés, contient deux belles rangées de maisons bien régulières, des cubes d'un bourgeoisisme effréné, avec des boules de verre devant les portes et des statuettes de galants jardiniers en zinc. Disparu, le temple de la Nature! écroulé définitivement, le petit Amour rococo! finies, les Islettes !

Et toi, pauvre Almanach des Muses, qui, du salon des Islettes, en passant par les plaines de la Vendée guerroyante et par les sinistres prisons de Nantes, t'en vins échouer dans la boite à 12 sous des quais, repose en paix maintenant chez un ami, à l'abri pour le plus longtemps possible, je l'espère, dans un bon coin, sur le rayon le plus tranquille et le plus poétique de la bibliothèque.

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