Sept heures encore avant le saut vers Strabo. Geary disposa soigneusement la formation en vue du départ. À son arrivée, la flotte se déploierait de la même manière qu’en quittant Sutrah, si bien qu’il tenait à éviter les charges incontrôlées. Compte tenu du nombre des commandants de vaisseau qu’il avait sous ses ordres, il ne pouvait aucunement prévoir comment tous réagiraient dans telle ou telle situation, de sorte qu’il s’efforça de poster à l’avant-garde ceux dont il avait des raisons de croire qu’ils étaient les plus fiables. Malheureusement, ils n’étaient pas aussi nombreux qu’il l’aurait souhaité. Il jeta un coup d’œil à la formation présente de la flotte en se demandant pourquoi tant de navettes louvoyaient entre les vaisseaux.
Il releva les yeux en entendant carillonner le signal d’alarme de l’écoutille de sa cabine ; le capitaine Desjani venait d’y pénétrer. Il l’accueillit d’un sourire. « Minutage parfait. Je m’apprêtais à vous appeler pour vous demander ce que signifiaient tous ces mouvements de navettes.
— Transfert du personnel, lui expliqua-t-elle. Les prisonniers libérés ont été pleinement débriefés, et l’on a entré leurs compétences et leur expérience dans les bases de données des effectifs de la flotte, tandis que, de leur côté, tous les vaisseaux ont vérifié leurs besoins en personnel. La plupart échangent en ce moment même leurs nouveaux membres d’équipage en fonction de ces besoins et transbordent leurs surplus aux bâtiments à qui manquent des matelots spécialisés. La base de données de la flotte coordonne automatiquement tout le processus. »
Geary éprouva une brève poussée d’agacement. Pourquoi ne l’en avait-on pas prévenu ? Pourquoi ne lui avait-on pas demandé son accord ? Puis il se rendit compte que c’eût été inutile. D’ordinaire, il ne paraphait pas les demandes de transfert d’un matelot d’un bâtiment à un autre et n’avait pas le temps de s’occuper de ces détails. Les vaisseaux pouvaient aisément s’en charger eux-mêmes et, avec l’assistance de la base de données de la flotte, se préparer du mieux possible au combat tout en le laissant veiller lui-même au tableau d’ensemble. « S’il y avait un quelconque problème, j’imagine qu’on m’en ferait part.
— Bien sûr, capitaine. » Desjani s’accorda une pause, l’air un peu embarrassée. « Puis-je vous demander un conseil d’ordre personnel, capitaine ?
— Un conseil d’ordre personnel ? » À propos d’une affaire privée ? Sur laquelle elle aurait aimé connaître son avis ? « Certainement. Asseyez-vous. »
De nouveau, Desjani s’assit quasiment au garde-à-vous et se mordilla un instant les lèvres. « Vous vous rappelez avoir rencontré le lieutenant Riva quand il est monté à bord, capitaine ? »
Il fallut un moment à Geary pour se souvenir du prisonnier libéré. « Effectivement. Votre vieil ami.
— Le lieutenant Riva était… plus qu’un ami, capitaine.
— Oh ! » Puis l’emploi du passé l’interpella. « Il “était” ? »
Desjani inspira profondément. « Nous avons eu des hauts et des bas, capitaine. Mais nous n’avons jamais vraiment rompu. Aujourd’hui… Bon, il est là. Et d’un grade inférieur au mien.
— Ça peut effectivement poser un problème, convint Geary en songeant tant au règlement de la flotte qu’aux apparences en général. Mais, s’il ne s’agit que d’un ex-petit ami, je suis persuadé que vous saurez garder votre professionnalisme.
— Ce n’est pas… » Elle rougit légèrement. « Revoir le lieutenant Riva m’a frappée d’une très grande émotion. J’ai mis un bon moment à prendre conscience de son intensité.
— Oh ! » Arrête de répéter ça. « Il pourrait redevenir votre petit ami, voulez-vous dire ?
— Oui, capitaine. Le sentiment est toujours présent. Pour ma part, en tout cas. Si j’en juge par les brèves discussions que nous avons pu avoir, Cas… le lieutenant Riva est dans le même cas. » Elle haussa les épaules pour témoigner de son impuissance. « Mais, tant que nous serons sur le même vaisseau, il ne se passera rien. L’écart hiérarchique complique déjà l’affaire, mais, s’il reste sous mes ordres, ça devient tout bonnement impossible. »
Geary commençait d’entrevoir l’envergure du problème. « Néanmoins, vous venez tout juste de le retrouver en vie, et vous ne tenez pas à le transférer dans une autre unité ?
— Non, capitaine. »
C’était assurément un problème épineux : un de ces dilemmes cornéliens dont un officier confierait volontiers la résolution à un tiers. Mais régler ce genre de questions ou, du moins, s’y efforcer, faisait partie du boulot. Hélas, en l’occurrence, il pouvait s’appuyer sur une certaine expérience personnelle. « D’accord, voici ce que j’en pense. Si le lieutenant Riva reste à bord de ce vaisseau, vous ne pourrez pas entretenir une liaison avec lui. Même si nous l’affections directement sous mes ordres, ça resterait impossible. Vous seriez aussi mal à l’aise l’un que l’autre. Et, si je vous ai bien jugée, Tanya, tout ce qui vous paraîtrait contrevenir à votre conscience professionnelle est voué aux gémonies. » Elle hocha la tête sans répondre.
« Je crois qu’il faudrait le transférer sur un autre bâtiment, poursuivit-il. Choisissez un commandant dont vous aurez bonne opinion. Vous pourrez alors communiquer librement dans l’espace conventionnel, et les distances vous interdiront tout manquement au règlement tout en vous permettant d’affronter les bouleversements qui se sont produits depuis votre séparation. »
Desjani opina de nouveau puis lui jeta un regard égaré : « Et si cet autre bâtiment était détruit pendant un combat ? Celui sur lequel je l’ai envoyé ? »
Il se demanda s’il n’avait pas déjà entendu ça quelque part. « Pourquoi n’étiez-vous pas sur le même à Quintarra ?
— Nous… Nous avions besoin de prendre un peu de recul. » Elle crispa les mâchoires. « Moi, tout du moins. On a perdu le vaisseau sur lequel il avait été transféré. »
Geary soupira en songeant au fardeau de culpabilité que devait se coltiner Tanya Desjani depuis cette bataille. « Il ne faudrait pas que cela se reproduise. Écoutez, Tanya, tout ce que je peux vous dire, c’est que je ferai mon possible pour ne plus perdre aucun vaisseau. Choisissez un bon commandant, comme Duellos, Tulev ou Cresida, quelqu’un dont vous savez qu’il combattra intelligemment, et demandez-lui comme un service personnel d’accepter Riva à son bord. Si vous vous sentez gênée, je m’en chargerai moi-même.
— Merci, capitaine.
— Et je tiens à ce que vous expliquiez au lieutenant Riva, avant qu’il ne quitte le bord et en termes clairs, que ce n’est pas parce que vous avez encore besoin de prendre un peu de distance avec lui ni parce que vous préférez le voir sur un autre vaisseau, ordonna-t-il. Ne le laissez pas dans l’expectative car, s’il vous arrive malheur à l’un ou à l’autre, il ne saura jamais ce que vous ressentiez vraiment.
— Oui, capitaine. » Elle le scruta, l’incitant à se demander ce qu’il avait bien pu divulguer de son propre passé. « Excusez-moi, capitaine.
— C’est de la vieille histoire, tout ça », répondit-il en détournant les yeux. C’était vrai de presque toute son existence. « Quoi qu’il arrive, j’espère que tout se passera pour le mieux entre vous. »
Il resta assis un bon moment après son départ, hanté par le souvenir d’une femme morte depuis longtemps, tout en se demandant pourquoi il regrettait que Victoria Rione ne fût pas là pour en discuter. Mais Victoria Rione restait persuadée qu’il avait cédé aux pires tentations offertes par la situation et elle ne lui parlait plus de rien. Elle hors circuit, les derniers amis qu’il avait connus étaient disparus depuis des lustres.
Geary posa le pied sur la passerelle de l’Indomptable et fronça les sourcils en voyant le capitaine Desjani tourner vers lui un visage furibond ; mais sa colère, visiblement, n’était pas dirigée contre lui, le personnel de quart donnant l’impression d’avoir récemment subi l’équivalent verbal de dix coups de chat à neuf queues. « Que se passe-t-il ?
— Le capitaine Falco n’est plus à bord, annonça-t-elle. Il s’est arrangé pour se faire transborder par une navette à mon insu. »
Geary jeta un regard aux vigies. « Nous avons présumé qu’il en avait l’autorisation », expliqua l’une d’elles, dont le regard hésitait entre Desjani et lui.
Geary s’assit en secouant la tête. Il aurait dû deviner que Falco saurait suborner de jeunes officiers. « Où pourrait-il aller ?
— Sur le Guerrier, capitaine.
— Le Guerrier ? » Geary aurait plutôt jeté son dévolu sur l’Orion de Numos ou le Majestic de Faresa. « Qui donc commande le Guerrier ? » marmonna-t-il en même temps qu’il manipulait les commandes pour obtenir cette information.
Le capitaine Kerestes. Une touche permettait d’accéder à ses états de service et il les consulta rapidement. Évidemment. Kerestes avait réussi à survivre plus longtemps que la plupart des autres officiers et il avait servi sous les ordres de Falco lors de cette bataille dont avait parlé Duellos. Sur le même vaisseau que Duellos, d’ailleurs. Le verbiage ampoulé des états de service de Kerestes ne lui apprit pas grand-chose, mais, qu’il ne se rappelât point avoir beaucoup prêté attention à lui jusque-là (ni d’ailleurs au Guerrier) l’incita à soupçonner cet homme de n’être pas le plus dynamique et performant de ses commandants.
Il ouvrit un canal privé et appela le capitaine Duellos du Courageux. « Que pouvez-vous me dire du capitaine Kerestes ? Vous étiez sur le même bâtiment à Batana. »
La question eut l’air de surprendre Duellos. « Se serait-il distingué ?
— Le capitaine Falco a réussi à se faire transférer sur le Guerrier. Je me demande pourquoi il a choisi ce bâtiment.
— Parce que Kerestes compense son manque d’initiative et d’intelligence par une obéissance servile. Il fera tout ce que lui demandera Falco. »
Geary hocha la tête en réprimant un sourire. Ne me cachez rien, capitaine Duellos. Dites-moi ce que vous pensez sincèrement de lui. « Kerestes n’est donc pas un problème en soi ?
— Ne vous en préoccupez pas, lui conseilla Duellos. Considérez désormais le capitaine Falco comme le commandant du Guerrier, à tous les sens du terme.
— Merci. » La conversation achevée, Geary contrôla hâtivement la formation qu’il avait planifiée. Il avait posté le Guerrier sur un flanc pour appuyer les unités légères qui le composaient. Il était trop tard, à présent, pour le ramener là où Falco pourrait nuire le moins possible. Je vais devoir faire avec en espérant qu’il est plus accessible aux compromis que je ne le crois.
Il plissa le front, s’efforçant de se rappeler la question qu’il voulait poser juste avant que l’annonce du départ de Falco ne l’eût troublé. « Capitaine Desjani… cet autre officier dont nous avons parlé… La question a-t-elle été réglée de manière satisfaisante ? » Pourvu qu’on ait passé assez de temps dans la flotte, on pouvait exprimer n’importe quoi dans le jargon officiel.
« Il a été transféré sur le Furieux, capitaine, répondit-elle sur le ton d’un rapport de routine. J’ai veillé à ce qu’il soit dûment informé avant son départ de la situation et des raisons qui président à sa réaffectation, comme vous l’avez suggéré.
— Quel effet lui a fait son transfert ?
— Les ouvertures qu’il lui offrait ont paru l’enchanter, capitaine.
— Parfait. » Tout cela avait une tonalité si officielle que Geary parvenait difficilement à se rappeler qu’ils débattaient de problèmes personnels. Il espérait que son conseil aurait des conséquences plus heureuses pour Desjani et Riva que celles qu’il avait lui-même connues. « Dégageons d’ici », déclara-t-il plus ou moins à la cantonade. Après un dernier bref coup d’œil aux images décalées de plusieurs heures des unités légères du Syndic qui filaient sa flotte, et une consultation plus attentive de la longue liste de ses propres vaisseaux afin de vérifier si tous affichaient le signal vert indiquant qu’ils étaient parés, il donna l’ordre de sauter vers Strabo.
Le transit par l’espace du saut ne durerait que cinq jours, laps de temps relativement court. Le saut vers Cydoni ne demanderait guère plus, mais atteindre Sancerre serait beaucoup plus long.
L’espace du saut avait toujours été ce néant bizarre, étrange et apparemment infini de terne noirceur uniquement éclaboussée de rares apparitions de taches lumineuses. Ce qu’étaient ces lumières, ce qui les provoquait et les raisons de leur surgissement, tout cela était une énigme du temps de Geary, et le mystère, dans la mesure où il n’existait aucun moyen d’explorer l’espace du saut, restait insoluble à ce jour. Idée rassurante : quelque chose au moins n’avait pas changé depuis son époque.
Mais il n’eut droit, durant tout le voyage, qu’à ce seul réconfort. Non seulement la coprésidente Rione, la seule à qui il avait cru pouvoir partiellement se confier, ne l’avait plus abordé ni ne lui avait adressé de messages depuis leur dernière querelle, mais encore devait-il s’inquiéter, comme à l’ordinaire, des mauvaises surprises que les Syndics leur avaient peut-être ménagées à Strabo. Ils pouvaient l’avoir devancé, avoir pressenti qu’il devinerait où le conduiraient ses destinations suivantes et qu’il avait fait volte-face en conséquence. Mais s’abandonner à de telles craintes risquait de le paralyser et de lui interdire toute décision, puisqu’ils auraient aussi bien pu prévoir une tout autre ligne d’action.
Non, c’était autre chose qui le tarabustait cette fois. Au quatrième jour du saut, il avait réduit à deux le nombre de ses problèmes : celui, tout nouveau, que lui posait le capitaine Falco et l’autre, plus ancien, du capitaine Numos et des officiers mécontents dont il était le porte-parole. Je peux sans doute en régler un moi-même. Mais les deux… ? Que se passera-t-il si Numos voit en Falco la figure de proue qui lui manque pour remettre gravement en cause mon autorité ? À notre arrivée à Strabo, ils disposeront de près d’une semaine pour réfléchir à un moyen de me pourrir la vie et de mettre cette flotte en péril.
Plus frustrant encore, un bilan de la masse monstrueuse des messages échangés entre les vaisseaux de l’Alliance avant son départ de Sutrah lui était parvenu sans qu’aucun n’indiquât que Falco et Numos eussent communiqué, mais cela ne prouvait strictement rien. Avec tout ce trafic de navettes de vaisseau à vaisseau, on aurait aisément pu faire passer du papier. Cette absence totale de messages détectables entre Falco et les autres officiers semblait tirer comme un signal d’alarme dans son esprit. Falco, visiblement, aimait être le centre de l’attention générale et se servait de son entregent et de son charisme pour avancer dans sa carrière et faire progresser ce qu’il croyait être les intérêts de l’Alliance. Il ne pourrait s’empêcher d’essayer de persuader d’autres officiers de se ranger derrière lui, ce qui signifiait que les messages qu’il faisait très certainement circuler n’avaient tout simplement pas été détectés par Geary ni par aucun de ses plus solides alliés parmi les commandants de vaisseau.
Deviendrais-je paranoïaque ? Mais Duellos et Rione m’ont tous les deux prévenu contre lui et ils se sont révélés chaque fois très avisés. Dommage que je ne puisse pas communiquer réellement avec Duellos, puisqu’on ne peut recevoir dans l’espace du saut que de brefs messages rudimentaires. Et dommage aussi que Rione refuse de me parler.
Geary observait les lumières errantes, de plus en plus irrité, en se demandant ce qui allait se produire dans le système stellaire de Strabo.
Pour une étoile, Strabo ne pouvait guère plastronner. Sa taille avait tout juste permis à la fusion nucléaire de s’y déclencher et de s’y maintenir pour en faire une étoile plutôt qu’une géante gazeuse. Ses satellites eux-mêmes auraient davantage convenu à une planète qu’à un soleil : un assortiment de cailloux stériles orbitant près d’elle. Geary avait vu nombre de systèmes stellaires et ne s’en rappelait aucun qui fût aussi piètre et pitoyable que Strabo. Pas étonnant que la petite station de secours qu’y avaient jadis entretenue les Syndics soit désaffectée depuis beau temps.
« Néant », fit remarquer Desjani.
Il hocha la tête. « Faites-vous allusion aux éventuelles menaces du Syndic ou à ce système stellaire ?
— Aux deux, dit-elle en souriant.
— Les senseurs de la flotte scannent-ils déjà ce système en quête d’anomalies pouvant indiquer la présence de champs de mines ?
— Oui, capitaine. Les senseurs sont réglés pour des balayages automatiques, afin de les rendre plus efficaces que lorsqu’ils ciblent un secteur en particulier. Aucune mine n’a encore été détectée.
— Très bien. » Pas non plus de vaisseaux ennemis repérables. Geary vérifia sur l’hologramme. La flotte de l’Alliance se déployait autour de l’Indomptable et chacun de ses bâtiments maintenait la position qui lui avait été affectée. Aucune menace. Aucun problème apparent venant de Falco et Numos. Comme à Sutrah, Geary se demanda ce qu’il pouvait bien négliger.
Strabo réussissait aussi à se montrer insignifiante par le nombre de ses points de saut. Même Sutrah pouvait se targuer de quatre, quand Strabo n’en possédait que trois. Celui qui permettait d’accéder à Cydoni était diamétralement opposé à leur point d’émergence par rapport au luminaire. Pour l’atteindre, la flotte devrait passer devant le troisième, qui ne conduisait directement qu’à un seul système du Syndic ignoré par son hypernet avant de donner accès à deux autres dont Geary était persuadé qu’ils seraient protégés par des pièges ou des mines, puisqu’ils faisaient partie de ceux que la flotte aurait pu rallier depuis Sutrah. Devoir frôler ce troisième point de saut n’était pas sans l’inquiéter quelque peu, mais rien non plus ne semblait le contraindre à le contourner largement. Lors de son plus proche passage, la flotte en serait encore éloignée de plusieurs minutes-lumière. Lui imposer un plus large crochet afin d’augmenter cet écart ne ferait certainement qu’alimenter les rumeurs sur son excessive pusillanimité.
Il contrôla les manœuvres à effectuer et ordonna à la flotte de gagner le point de saut menant à Cydoni. Compte tenu de la relative petitesse de ce système stellaire, elle l’atteindrait dans un jour et demi.
Il profita de ce laps de temps pour réunir les commandants de vaisseau et organiser une nouvelle séance de simulation. Tout se passa comme sur des roulettes, chaque vaisseau exécutant fidèlement ses ordres. Ç’aurait sans doute dû le satisfaire, mais tel ne fut pas le cas. Ses officiers les plus problématiques se montraient bien trop dociles. Il n’avait essuyé aucune rebuffade de la part de Falco, de Numos ni d’aucun des personnages secondaires qui, depuis qu’il avait pris le commandement, s’étaient heurtés le plus frontalement à lui. De temps à autre, des navettes se frayaient un chemin entre les vaisseaux pour, croyait-on, des transferts routiniers de pièces détachées, de matériel ou de personnel. Geary avait la conviction qu’ils transféraient aussi des appels de Falco, mais il ne voyait vraiment pas qu’y faire. J’ai déjà vérifié auprès de la sécurité et l’on n’a pas pu me garantir qu’on pourrait trouver serait-ce un bref message vidéo, même en réduisant une navette en pièces détachées. Duellos n’a entendu parler de rien, mais personne ne lui adresse la parole puisqu’on le sait de mes alliés.
Je pourrais certes mettre Falco aux arrêts préventifs. Mais cette mesure risquerait de déclencher une mutinerie sur certains de mes vaisseaux, d’autant que je n’ai rien de précis à lui reprocher. Ou lui ordonner de revenir sur l’Indomptable, mais, s’il refusait d’obtempérer ou s’il tergiversait, il me faudrait alors choisir entre laisser faire et l’arrêter.
Je ne peux strictement rien faire sans déclencher précisément les problèmes que je redoute de sa part.
Il appela le capitaine Falco, en se persuadant qu’il valait mieux lui parler en face que se creuser les méninges en se demandant ce qu’il mijotait derrière son dos. Ce fut un capitaine Kerestes très fébrile qui lui répondit : « Capitaine Geary, j’ai le regret de vous informer que le capitaine Falco a été mis au repos par les médecins du Guerrier.
— Le capitaine Falco ne se porte pas bien ? » Geary tenait à ce que ce fût clairement exposé au cas où l’on aurait écouté.
« Un simple malaise… temporaire, déclara Kerestes, l’air coupable comme l’enfer.
— Je vois. » Toute nouvelle tentative pour joindre Falco ne réussirait qu’à mettre davantage en relief son incapacité à le contraindre. « Veuillez, je vous prie, informer le capitaine Falco de mon espoir qu’il sera bientôt suffisamment rétabli pour continuer d’œuvrer au mieux des intérêts de la flotte et de l’Alliance.
— Oui, capitaine. Bien sûr. » Geary n’eut aucune peine, dès que la communication fut coupée, à se dépeindre le profond soupir soulagé de son interlocuteur.
L’appel n’avait strictement rien donné, sinon la confirmation que Kerestes redoutait d’être remarqué par ses supérieurs.
« Madame la coprésidente. » Les soucis de Geary avaient finalement eu raison de son orgueil.
La voix de Rione sur le circuit était aussi glaciale que distante. Elle avait éteint l’écran et Geary regrettait de ne pas voir son expression. « Que désirez-vous, capitaine Geary ?
— J’aimerais savoir si vos informateurs sont au courant de problèmes éventuels relatifs à la flotte. »
Elle mit un moment à répondre. « Des problèmes ?
— Tout ce qui pourrait impliquer les capitaines Numos et Falco. »
Nouveau silence radio. « On bavarde. Sans plus.
— On “bavarde” ? Voilà qui me paraît bien plus anodin qu’à l’ordinaire.
— Ça l’est, convint-elle. Mais je n’en sais pas plus.
— Je vous serais reconnaissant, s’il y avait du nouveau, de bien vouloir m’informer dès que possible de ce que vous pourriez apprendre.
— Que craignez-vous, capitaine Geary ? Vos propres subordonnés ? » Une note audible de courroux perçait dans sa voix, dirigé contre lui. « C’est le sort de tous les héros.
— Je ne suis pas… » Il compta mentalement jusqu’à cinq. « J’appréhende un événement qui pourrait mettre en danger la vie de nombreux matelots de cette flotte. J’espère que vous saurez mettre de côté vos sentiments à mon égard pour veiller, avec moi, à ce que nul ne commette…
— Un acte stupide ?
— Exactement.
— Contraire à l’héroïsme, voulez-vous dire ? s’enquit-elle d’une voix aussi glacée que l’azote liquide.
— Bon sang, madame la coprésidente…
— Je vérifierai encore auprès de mes informateurs. Dans le seul intérêt des matelots de cette flotte. Il faut bien que quelqu’un se soucie d’eux avant tout. »
Le circuit fut brusquement coupé ; Geary dut prendre sur lui pour s’interdire de frapper du poing la cloison derrière le haut-parleur.
« Capitaine Geary. » Le capitaine Desjani avait adopté la voix précise et contrôlée qu’elle employait lors des combats. « Il se passe quelque chose. »
La flotte n’était plus qu’à une heure du point de saut. Geary ne perdit pas son temps à gagner la passerelle et se contenta d’activer l’hologramme de la flotte dans sa cabine.
Le « quelque chose » auquel Desjani faisait allusion n’était que par trop flagrant : la formation de la flotte présentait désormais des trous et des intervalles, tandis que de nombreux vaisseaux quittaient la position qui leur avait été assignée. Tous, si l’on se basait sur les trajectoires prévues par le système de manœuvre, filaient dans la même direction. Geary les identifia rapidement : Guerrier, Orion, Majestic, Triomphe, Invincible, Polaris et Avant-garde. Quatre cuirassés et trois croiseurs de combat. Six croiseurs lourds, quatre autres croiseurs légers et plus de vingt destroyers. Pas loin de quarante bâtiments.
Il afficha la projection de leurs trajectoires et constata qu’elles se dirigeaient toutes vers l’autre point de saut. Que mes ancêtres me viennent en aide ! Ils vont tenter de gagner directement l’espace de l’Alliance et se fient sans nul doute à leur « combativité » pour triompher des forces supérieures qu’ils devront affronter et dont ils sont sûrement conscients. Il activa le circuit des communications, tout en s’efforçant de réfléchir aux ordres exacts qu’il lui fallait donner. « À toutes les unités : veuillez rejoindre la formation. Exécution immédiate. » C’était parfaitement vain. S’ils avaient d’ores et déjà décidé de ne plus obéir à ses ordres, ils ne l’écouteraient certainement pas. « Vous vous dirigez vers des systèmes du Syndic puissamment défendus. Vous ne parviendrez pas à franchir ces défenses. »
Aucune réaction. Les vaisseaux rebelles continuaient de scinder la flotte en deux. Je ne peux pas les en dissuader. Pas maintenant. Ils se fient entièrement à Falco et en ce qu’ils estiment leur supériorité morale. Mais je dois veiller à ce qu’aucun autre ne se joigne à eux. Que dire ? « Votre devoir envers l’Alliance exige que vous restiez dans cette flotte au lieu d’abandonner vos compagnons. » Cinglant. Comme il se devait, puisqu’ils désertaient. « Regagnez immédiatement vos positions, pour le salut de vos vaisseaux et de leur équipage, et il ne sera pris aucune mesure disciplinaire. » Elles ne seraient pas de mise, il en était conscient, car tout échec suffirait à convaincre la plupart des commandants enclins à suivre Falco et Numos qu’on ne pouvait leur faire confiance.
Une réponse lui parvint enfin. « Ici le capitaine Falco, commandant de ces vaisseaux qui aspirent à préserver la gloire et l’honneur de la flotte de l’Alliance. J’appelle à… » Un emblème s’afficha brusquement sur l’écran de Geary et la voix de Falco fut coupée.
« Ici le capitaine Desjani, apprit-elle à Geary sur le canal interne de l’Indomptable. J’ai activé la directive d’obstruction. Tous les signaux émis par d’autres vaisseaux sur le circuit général de la flotte seront bloqués, mais nous entendrons tout ce qui nous sera transmis directement.
— Merci. » Si seulement sa flotte ne comptait que des commandants comme Tanya Desjani… Il s’était lui-même rendu compte un peu trop tard qu’on ne pouvait autoriser à Falco une tribune publique lui permettant de diffuser à tous les vaisseaux de la flotte un appel à la désertion. « À tous les vaisseaux. Il n’y a aucun honneur à déserter ses camarades de combat ni à désobéir aux autorités légitimes. Nous nous battons pour la victoire et pour la sécurité de nos foyers, pas pour la gloire. Toutes les unités doivent reprendre leur place dans la formation. Nous aurons besoin de vous tous la prochaine fois que nous frapperons les Syndics. » Peut-être cette invitation au combat suffirait-elle à les circonvenir.
Mais les trente-neuf bâtiments composant la flottille de Falco commençaient déjà à adopter une formation réduite, qui se dirigeait droit vers l’autre point de saut et n’en était plus très loin. Née de sa colère contre Falco, l’envie irrationnelle d’ouvrir le feu sur ces vaisseaux rebelles taraudait Geary, mais à peine cette idée lui avait-elle traversé l’esprit qu’il la repoussait. Impossible. Je n’en donnerai pas l’ordre. Et même si je le faisais, qui y obéirait ? Les Syndics réagiraient sans doute de cette manière. Mais que faire d’autre ? Je ne peux plus les arrêter. Ils ne sont plus qu’à quinze minutes du point de saut. « À toutes les unités qui ont quitté la formation : pour le salut de l’Alliance, de vos camarades et de vos équipages, revenez sur votre décision. Vous ne survivrez à aucune tentative de regagner l’espace de l’Alliance par les itinéraires disponibles depuis ce point de saut. »
Les vaisseaux déviants se trouvaient déjà à plusieurs minutes-lumière. Même en tenant compte de l’effet retard, il crevait les yeux que le dernier appel de Geary avait échoué. De fait, il n’avait même pas le temps d’en transmettre un autre, sinon un message plus bref qu’ils recevraient juste avant d’entrer dans l’espace du saut. Il prit une profonde inspiration et fixa le réseau de l’étoile sur son écran tout en dressant mentalement la liste des divers sauts accessibles vers ses voisines. « À toutes les unités qui ont rompu la formation. Ilion. Je répète : Ilion. »
Quelque vingt minutes plus tard, il voyait s’évanouir les images des fuyards à mesure qu’ils quittaient le système.
Il consacra un moment à redisposer la flotte de manière à combler les interstices créés par les bâtiments enfuis puis garda le silence jusqu’à ce que sa flotte eût atteint le point de saut vers Cydoni. « À tous les vaisseaux : sautez maintenant. »
Geary appréhendait un pareil coup du sort depuis qu’il avait été propulsé aux commandes de la flotte : une scission. Qu’il fût déjà démentiel de diviser leurs forces alors qu’ils étaient piégés au cœur du territoire ennemi lui avait paru évident, mais encore plus flagrant et depuis le début, que tous ses commandants de vaisseau n’avaient pas une vision rationnelle de la situation. Le précédent était désormais établi. Une quarantaine de vaisseaux fonçaient vers un destin inconnu sous les ordres d’officiers supérieurs que Geary regardait comme mal avisés et déloyaux, et, dans le cas de Numos, d’un œil pour le moins méprisant. Si seulement il avait existé un moyen de laisser ces commandants connaître le sort qu’ils méritaient sans qu’ils le partagent pour autant avec leurs vaisseaux…
Mais il reste une petite chance. S’ils réfléchissent un peu et s’avisent qu’ils ne feront pas grand-chose pour protéger leurs mondes natals en mourant d’une mort glorieuse… S’ils consentent à tirer profit de ce que je leur ai enseigné quand ils accompagnaient encore cette flotte… et de ce que je leur ai dit avant leur départ… Si les Syndics n’apprennent pas cette information de leur bouche et ne disposent pas du temps nécessaire pour nous préparer un traquenard… Si seulement je pouvais le savoir !
Supportant difficilement le silence qui régnait dans sa cabine (laquelle, depuis que la coprésidente Rione avait cessé de lui rendre visite, lui faisait l’effet d’un séjour de plus en plus solitaire), il s’obligea à refaire une tournée des compartiments de l’Indomptable, à présenter un visage confiant aux matelots ébranlés par le départ de tant de leurs camarades et à leur expliquer, de dix manières différentes, qu’une fois que la flotte aurait atteint Sancerre elle donnerait aux Syndics une leçon mémorable ; il s’efforçait de les focaliser sur l’avenir plutôt que sur ce qui venait de se passer à Strabo. Il se servit ensuite des moyens de communication restreints de l’espace du saut pour adresser aux autres vaisseaux une mouture abrégée de ses assurances, en espérant arriver au même résultat.
Il consacra le temps qui lui restait à se plonger dans la conception d’autres simulations de combat. Il espérait toujours les employer à inculquer à sa flotte certaines des tactiques qui lui restaient du siècle dernier et qu’elle avait oubliées au fil des décennies ; les pertes dévastatrices infligées aux vaisseaux et à leurs équipages avaient effacé la mémoire collective et les réflexes professionnels de celle, nettement plus modeste, qu’avait connue Geary. Il ignorait dans quelle mesure il aurait encore le loisir de lui transmettre ce savoir.
Geary monta sur la passerelle de l’Indomptable quand la flotte de l’Alliance se prépara à émerger.
Le capitaine Desjani se retourna pour le regarder et l’accueillir d’un signe de tête ; le souci qu’elle se faisait pour lui était transparent. Geary lui rendit pesamment son salut en s’affalant dans son siège de commandant. Il ne s’était pas rendu compte qu’il tirait une si longue figure depuis la défection de Falco. Assez longue, en tout cas, pour que Desjani l’ait remarquée. Fort heureusement, l’équipage ne s’en était pas avisé. À moins que son visage ne fût particulièrement tiré aujourd’hui, après la nuit blanche qu’il venait de passer à se demander ce qui les attendait dans le système de Cydoni. Et si d’autres vaisseaux n’allaient pas encore déserter la flotte…
Afin de masquer une angoisse brusquement renouvelée, il activa l’hologramme de la flotte et fit mine de l’examiner attentivement. Il avait tenté d’échafauder un plan pour Sancerre, puisqu’il ne saurait pas avant leur arrivée ce qui les y guetterait. La veille, une idée engendrée par les événements de Strabo avait germé dans son esprit et il l’avait ruminée quelques instants, tout en étudiant les noms et états de service de certains de ses commandants de vaisseau.
« Parés à quitter l’espace du saut », avertit Desjani.
Il activa hâtivement l’écran et attendit. Celui-ci n’affichait encore que les informations historiques contenues dans les vieux guides des systèmes stellaires du Syndic récupérés à Sutrah Cinq. Dès que la flotte émergerait dans l’espace conventionnel, à la lisière de celui de Cydoni, les senseurs de l’Indomptable et de tous les autres vaisseaux entreprendraient de réactualiser l’hologramme du système en fonction de ce qu’ils en percevraient depuis le point d’émergence.
Son estomac se révulsa et le cosmos émaillé d’étoiles scintillantes de l’espace conventionnel remplaça la lugubre et terne noirceur de celui du saut. Il attendit que les informations sur le système apparussent à l’écran. Pas de vaisseaux. Pas de mines détectables. Rien. Le capitaine Desjani arborait un sourire triomphant.
Mais Geary observait toujours l’hologramme, où la photosphère en expansion du soleil Cydoni avait déjà atteint la seule planète habitable dont pouvait naguère se targuer le système. Le spectacle inspirait la même fascination malsaine que la collision de deux trains, encore qu’en l’occurrence le processus s’étalât sur plusieurs siècles et se déroulât donc beaucoup plus lentement que tout accident de la circulation à l’échelle humaine. Quant à l’épave elle-même, c’était une planète entière.
L’ex-planète habitable était d’ores et déjà dépouillée de la majeure partie de son atmosphère. Les bassins vides des océans étaient depuis longtemps drainés de leurs eaux, qu’un bombardement de particules et de chaleur par le soleil boursouflé qui y avait jadis autorisé la vie avait dispersées dans l’espace. Il la dévorait à présent et aucun signe de vie n’était détectable à sa surface.
« Il subsiste probablement sous sa croûte des formes de vie résistant dans des conditions extrêmes, annonça une vigie. Elles tiennent un peu plus longtemps.
— Combien de temps faudra-t-il à la photosphère pour engloutir toute la planète ? s’enquit Geary.
— Difficile à dire, capitaine. L’expansion d’une étoile comme celle-là s’effectue par à-coups. Sans doute dans une fourchette de cinquante à deux cents ans, selon ce qui se passe exactement dans son noyau.
— Merci. » Geary jeta un regard à l’image agrandie de la planète. Les senseurs de l’Indomptable avaient repéré des secteurs où se dressaient encore des ruines, mais si endommagées et érodées par les conditions environnementales extrêmes dont elles étaient victimes qu’elles semblaient vieilles de plusieurs millénaires. Un tas de ces décombres avoisinait une mer sans eau ; ses vestiges de murs étaient quasiment submergés par des dunes de poussière, accumulées par le vent quand l’atmosphère n’était pas encore trop raréfiée, et la lumière de l’étoile en expansion conférait à la terre une luisance rougeâtre. Geary se demanda à quoi pouvait bien ressembler cette ville (ou cette cité) quand les vagues de la mer venaient encore lécher ses murs. L’information était contenue dans les guides du Syndic, à portée de ses doigts, et il l’afficha : Port-Junosa. Déjà totalement abandonnée avant la composition des documents périmés du Syndic. Des vies entières avaient été consacrées à l’édification et à l’entretien de cette ville, afin d’en faire une communauté humaine, mais il n’en restait plus que quelques ruines démantelées et, dans un siècle, l’étoile en expansion les aurait elles aussi anéanties. Après des systèmes aussi désolés que Strabo et Cydoni, en voir enfin un comme Sancerre, bruissant d’activité, serait un soulagement, même si la seule et robuste présence humaine qu’on y trouverait serait celle de l’ennemi.
« Nous devrons adopter un cap qui nous écartera largement de la photosphère en expansion », fit remarquer le capitaine Desjani.
Geary hocha la tête. « Ouais. La trajectoire recommandée par les systèmes de manœuvre du vaisseau vous pose-t-elle des problèmes ? Il nous faudra quatre jours pour atteindre le point de saut vers Sancerre, mais je ne vois pas d’alternative.
— Il n’y en a pas, convint Desjani. C’est la meilleure solution. »
Quatre jours. Autant de temps laissé aux moins sûrs de ses commandants de vaisseau pour réfléchir à ce qu’avaient fait leurs collègues à Strabo et envisager de piquer eux aussi vers un autre point de saut. Il faut les occuper. Afin qu’ils se concentrent uniquement sur Sancerre. Les absorber dans des simulations, des manœuvres et des projets de manière trop soutenue pour leur laisser le temps de réfléchir à autre chose qu’à Sancerre. Ça risque de m’épuiser, mais je n’ai pas d’autre moyen.
Il entreprit d’organiser une réunion stratégique uniquement réservée aux commandants d’une trentaine de vaisseaux. Qui la conduirait ? Il n’avait pas encore pris sa décision à cet égard, mais, en consultant la liste, qu’il avait lui-même compilée, des commandants compétents, il s’aperçut qu’un nom sortait du lot. Néanmoins, il restait une question en suspens dont la réponse ne se trouvait visiblement pas, immédiatement disponible, dans les banques de données de l’Indomptable. Soit ça, soit il ne posait pas la bonne question et les intelligences artificielles à qui il avait affaire ne comprenaient pas ce qu’il leur demandait. Il ne s’était que trop fréquemment heurté à ce problème. « Combien faudra-t-il de temps à ces agents intelligents pour me comprendre ? » grommela-t-il à haute voix.
Desjani jeta un regard à l’une de ses vigies. Celle-ci se gratta la gorge avant de répondre. « Capitaine, les agents intelligents ont mémorisé un réseau de réponses fondées sur la façon de réfléchir, d’écrire ou de parler des gens qui les interrogent. » Elle hésita.
« Et je ne réfléchis pas comme eux, pas vrai ?
— Non, capitaine. Vos présomptions tacites, l’agencement de vos pensées et votre manière de les formuler oralement ne sont pas tout à fait identiques à ceux de… euh…
— Des esprits modernes ? » suggéra-t-il, sans réussir, cette fois, à dissimuler un certain humour cinglant. C’était assez logique, comprit-il soudain. En un siècle, de subtiles (et moins subtiles) différences pouvaient s’opérer dans la façon de penser et de s’exprimer. Soit j’en ris, soit je me laisse affecter, et trop de choses tentent encore de m’affecter.
La vigie eut un sourire nerveux. « Oui, capitaine, j’en ai peur. Les agents vous livrent sans doute vos réponses, mais la grande majorité des gens à qui ils ont affaire ont une façon différente de traiter leurs informations, ce qui signifie qu’ils ne s’adaptent pas à la vôtre.
— Pourquoi ne pas installer une sous-routine permettant aux agents intelligents d’y recourir quand ils ont affaire au capitaine Geary ? demanda Desjani. Ils pourraient alors, tout en restant sur la même longueur d’onde que les autres officiers, se réinitialiser pour s’adapter à sa logique propre.
— Le règlement de la flotte l’interdit, capitaine. Les agents intelligents d’un vaisseau ne sont jamais censés devenir ceux d’un particulier. Ça pourrait susciter des conflits d’intérêt dans l’esprit d’une IA. »
Geary secoua la tête en se demandant pourquoi une chose aussi simple pouvait devenir à ce point compliquée. « Le commandant en chef de la flotte ne pourrait-il pas outrepasser cette directive en cas d’urgence ? »
En réponse à cette question, la vigie afficha une mine troublée. « Je vais devoir vérifier ce qu’est officiellement une urgence, capitaine.
— Lieutenant ! gronda le capitaine Desjani. Nous sommes au cœur du territoire ennemi et nous nous efforçons de rentrer chez nous en un seul morceau. Il me semble que c’est une assez bonne définition du mot “urgence”. Du moins à mes yeux.
— Aux miens aussi, convint Geary. Faites-le, lieutenant. Ça me facilitera la vie. »
La vigie sourit, soulagée de recevoir des instructions précises pour sortir de ce dilemme. « Oui, capitaine, bien entendu. Nous nous y attelons.
— Merci. » Geary se tourna vers Desjani. « Ça nous aidera à planifier. »
Desjani sourit à son tour ; sa confiance en Geary restait intacte. « Vous avez un plan pour Sancerre ?
— Oui. Il y a fort peu de chances pour que le système ne soit que très légèrement défendu. Je m’attends à affronter une force assez puissante pour nous poser des problèmes. Si je me trompe, nous pourrons toujours nous adapter à une moindre résistance.
— Vous comptez emprunter le portail de l’hypernet ?
— Oui. » Il baissa les yeux, le front plissé. « J’ai tenté de me renseigner à cet effet. Les Syndics, selon moi, pourraient bien tenter de le détruire. Est-il très difficile de détruire un tel portail ? »
Desjani eut l’air un peu surprise. « Je n’en ai aucune idée. On a en parlé parfois, mais personne ne l’a jamais fait à ma connaissance. »
Il haussa les épaules. « Avec un peu de chance, ce ne sera pas un problème. Si nous réussissions à attirer tous les défenseurs du Syndic loin de leurs positions et à foncer vers le portail, nous pourrions les empêcher de l’anéantir, même s’ils tentaient le coup. Les vaincre ensuite, embarquer toutes les fournitures dont nous aurions besoin et détruire toutes les installations du Syndic collaborant à son effort de guerre. »
Les yeux de Desjani brillèrent. « Frapper fort là où ils s’y attendent certainement le moins… ce serait vraiment un sale coup pour eux.
— En effet. » S’ils ne nous y attendent pas déjà, en nous tendant une embuscade du genre de celle qui a failli anéantir la flotte dans leur système mère. Et si ma flotte ne s’est pas davantage morcelée avant notre arrivée. Geary se leva. « Je dois retrouver quelques-uns de mes commandants de vaisseau. »
Le capitaine de frégate Cresida donnait l’impression d’être assise à côté de Geary, tandis que les vingt-huit autres s’alignaient le long de la table, tous visiblement intrigués et curieux de connaître la raison qui avait présidé à leur sélection pour cette réunion stratégique virtuelle.
« Vous avez été choisis pour vos états de service et parce que les archives de votre vaisseau indiquent que vous êtes tout à la fois courageux et assidus au combat, leur expliqua Geary. Nous allons arriver à Sancerre sans aucune idée des forces dont y disposeront les Syndics. Vraisemblablement, elles ne seront pas au-dessus de nos moyens, déclara-t-il avec assurance, en espérant avec ferveur ne pas se tromper. Elles pourraient toutefois suffire à nous infliger de lourdes pertes si nous ne nous y prenions pas correctement. Maintenant, voici ce que je vous demande. Le capitaine Cresida du Furieux commandera un détachement spécial formé de vos vaisseaux. Ce détachement ne rompra pas réellement avec la formation à notre arrivée, mais il fera mine de la quitter, le Furieux en tête, suivi de vous tous comme si, désobéissant aux ordres, vous comptiez engager le combat avec le plus fort bataillon des forces du Syndic que nous pourrons repérer. »
Ni le capitaine Cresida ni les autres ne parvinrent à dissimuler leur étonnement. « Vous voulez que nous rompions la formation ? demanda Cresida. Que nous feignions d’être agressifs au point de faire fi de vos instructions ?
— Oui. » Geary montra une représentation du système de Sancerre. « De charger l’ennemi bille en tête. Vous ne serez pas assez pour affronter les nombreux vaisseaux qui garderont vraisemblablement le système ou s’y trouveront pour des réparations ou un réapprovisionnement. La manœuvre est délibérée. Je veux que vous passiez pour une flottille qui s’est impétueusement détachée de la flotte et pourrait être aisément anéantie. Vous piquerez sur l’ennemi, mais en vous cantonnant hors de portée de son tir. Ensuite, je veux que vous viriez, toujours de façon débraillée et indisciplinée, pour fuir vers le bas et vous éloigner des Syndics et de la flotte. » Geary traça de l’index les trajectoires prévues.
Cresida semblait horrifiée. « Comme si nous fuyions devant l’ennemi ?
— Exactement. » Aucun des commandants de vaisseau n’avait l’air ravi. « Il y a une bonne raison à cela. L’idée générale…
— Les Syndics n’y croiront jamais, capitaine », le coupa Cresida, l’air sincèrement soucieuse.
L’espace d’un instant, l’idée que Cresida pût se montrer aussi bornée qu’un Numos avait mis Geary en fureur. Mais ces derniers propos suffirent à étouffer sa colère dans l’œuf, car la raison qui les sous-tendait semblait faire sens. « Pourquoi ?
— Nous ne refusons pas le combat, capitaine. » La voix de Cresida trahissait une fierté évidente. « Quelles que soient nos chances. » Tous ses collègues approuvèrent de la tête. « Ils le savent. Ils ne croiront jamais à une retraite simulée. »
Ça posait évidemment un problème, mais Geary ne voyait aucune raison légitime de mettre en doute la dernière affirmation de Cresida, d’autant que tous ces autres officiers triés sur le volet abondaient dans son sens. De surcroît, ça cadrait parfaitement avec cette absurdité d’« esprit combatif triomphant des supériorités les plus écrasantes » sortie de la bouche de Falco. Comment aurait-il pu négliger l’avis d’officiers dont il avait décidé lui-même qu’ils étaient particulièrement crédibles ? « En ce cas, donnez-moi votre opinion. N’importe lequel d’entre vous. Comment attirer les défenseurs du Syndic loin de leurs positions pour les inciter à poursuivre le détachement du Furieux au lieu de s’intéresser à ce que fait le reste de la flotte ? »
Le commandant Neeson de l’Implacable haussa les épaules. « Capitaine Geary, si vous voulez que les Syndics nous poursuivent, alors je recommande un assaut fulgurant. Leur tomber dessus en force, frapper leurs unités les plus extérieures avec tout ce que nous pourrons leur balancer puis poursuivre sur notre lancée. »
Cresida hocha la tête. « Oui. Ça devrait les mettre en rage. Surtout si, ensuite, nous donnons l’impression de piquer sur une cible précise. Un objectif qu’ils ne pourraient pas se permettre de nous laisser atteindre. Nous les frappons et nous altérons aussitôt notre trajectoire pour viser cette cible inestimable.
— Elles doivent abonder à Sancerre, fit remarquer quelqu’un. Nous devrions en repérer une sur le trajet. »
Geary réfléchit à ce plan en scrutant la représentation du système de Sancerre. « Mais… si vous vous enfonciez trop profondément à l’intérieur des défenses du Syndic ? Je ne veux pas en faire une mission suicide. Je ne tiens pas à vous voir taillés en pièces. »
Neeson étudia à son tour l’hologramme du système. « Nous devrions y parvenir en établissant une trajectoire braquée sur une cible de grande valeur. Les Syndics devraient alors tenter de nous intercepter en augmentant leur vélocité. Là-dessus, nous dégagerions en les laissant loin de leurs positions. Pourquoi cette diversion, capitaine ?
— Je veux que notre flotte franchisse le portail de l’hypernet avant qu’un seul vaisseau du Syndic ne comprenne qu’il leur faudrait l’emprunter pour fuir et ne réussisse à nous y précéder. Si nous pouvons nous en emparer et leur interdire la fuite, nous aurons ensuite tout le temps de détruire leurs installations à Sancerre puis de retrouver l’espace de l’Alliance par ce portail.
— S’ils le détruisaient… avança Cresida du bout des lèvres.
— Nous n’aurions plus à nous inquiéter qu’ils envoient des renforts, affirma Geary.
— Mais la pulsation d’énergie pourrait se révéler dangereuse. »
Apparemment, il avait trouvé l’expert en portails de l’hypernet qui lui manquait. « Expliquez-vous. »
Cresida montra la représentation du portail de Sancerre sur l’hologramme, « C’est une manière de matrice d’énergie captive. Une clef de l’hypernet permet d’apparier la matrice de particules d’un portail à une autre, établissant ce faisant une route navigable. Ces structures retiennent la matrice, poursuivit-elle en montrant des objets alignés tout autour du portail. Comme vous pouvez le voir, il y en a des centaines. On les appelle des torons, bien qu’ils n’en soient pas vraiment car, dans un certain sens, ils contribuent à garder la forme souhaitée à la matrice de particules. C’est de cette façon qu’on peut briser un portail, en détruisant ou désactivant ses torons. Mais, quand ça se produit, la matrice se brise et l’énergie captive est libérée. » Deux autres commandants présents approuvèrent de la tête.
« Belle description, commandant », lâcha Geary, tout en se doutant que la science qui présidait à la conception des portails était certainement plus complexe que ce que venait d’ébaucher Cresida. Il regretta que tous ceux à qui il demandait des explications techniques ne fussent pas toujours capables de les vulgariser avec une telle concision. « Quelle quantité d’énergie ? Et sous quelle forme ? »
Cresida eut une moue contrite. « Question purement théorique. On ne l’a jamais mesurée dans la pratique. La rupture de la matrice d’un portail, selon l’opinion la plus extrême, pourrait engendrer un jaillissement d’énergie de l’amplitude d’une supernova.
— Une supernova ? s’exclama Geary, incrédule. En une seule déflagration, une supernova libère autant d’énergie qu’une étoile en dix milliards d’années. Une explosion de cette envergure grillerait non seulement tout le système stellaire qui l’héberge mais encore tous ses voisins.
— Oui, convint Cresida. De toute évidence un déplorable dénouement.
— Pour le moins.
— Mais un avis diamétralement opposé affirme que l’énergie captive dans la matrice se… euh… se replierait sur elle-même comme un origami infini, pour se réduire et diminuer jusqu’à adopter un tout autre plan d’existence et disparaître de cet univers. La décharge d’énergie y serait donc nulle. »
Geary s’assit, regarda autour de lui et vit de nouveau opiner les autres officiers avertis. « Donc la fourchette entre ces deux extrêmes va de la destruction d’un système stellaire et de ses voisins à une réaction proche de zéro. Mais, entre ces deux taux opposés de libération d’énergie, lequel regarde-t-on comme le plus probable ? »
Cresida regarda ses camarades pour rendre sa réponse. « La plupart des scientifiques pensent que la décharge d’énergie serait inférieure à celle d’une supernova et supérieure à zéro, mais aucun n’est capable de prédire son niveau avec exactitude.
— Vous plaisantez ?
— Non, capitaine.
— C’est donc tout ce que la science peut nous apprendre ? Et l’on a construit ces portails en sachant qu’ils pourraient faire exploser tout un secteur de la Galaxie ?
— Oui, capitaine.
— Ils autorisent des déplacements vraiment très rapides », fit remarquer le capitaine Neeson.
Geary fixa la représentation du portail de l’hypernet de Sancerre en se demandant combien de catastrophes trouvaient leur origine dans le désir effréné de l’humanité de voyager sans cesse plus vite. Je me demandais si des intelligences non humaines ne seraient pas derrière la guerre effroyablement destructrice que nous livrons depuis un siècle. Mais je devrais savoir depuis longtemps que, pour agir stupidement, les hommes n’ont nullement besoin d’y avoir été incités par des extraterrestres.
Eh ! Une petite seconde ! « Comment se fait-il que nous n’en sachions pas plus long sur ces portails ? Nous avons bien conçu et construit le système de l’hypernet, non ? Nous devrions avoir des lumières un peu plus précises sur ses spécificités les plus importantes. »
De nouveau, Cresida échangea un regard avec ses camarades. « Je ne peux pas vous fournir une réponse bien définie, capitaine Geary. Je sais seulement que les percées technologiques qui nous ont permis de construire l’hypernet ont précédé les théories permettant de l’expliquer. On travaille encore à ces hypothèses. Ce n’est pas une première. On apprend fréquemment à faire une chose avant d’en avoir compris le fonctionnement exact.
— Les Syndics et nous ? Ces percées technologiques sont-elles survenues au même moment ? »
Elle haussa les épaules. « Les Syndics nous ont volé cette découverte, capitaine. C’est du moins ce qu’on croit, mais je ne suis pas suffisamment dans le secret des dieux pour l’affirmer. »
À moins que nous ne la leur ayons volée. « En somme, ce que vous essayez de me dire, c’est que les Syndics n’oseront pas détruire ce portail ?
— Euh… non, capitaine. On n’en sait rien. Ils ont peut-être décidé que le risque était acceptable. »
Geary s’efforça de ne pas trahir ses sentiments. On n’en sait rien. Et si l’opinion la plus extrême s’avérait et que la flotte, par ses actions, poussait les Syndics à rôtir non seulement ce système et nos vaisseaux, mais aussi plusieurs systèmes stellaires proches ? Sa seule irruption à Sancerre pourrait pousser les autorités du Syndic à détruire le portail sitôt qu’ils l’auraient repérée. Mais je ne peux pas me permettre de ne pas attaquer Sancerre. Cette flotte a besoin de s’y réapprovisionner.
Je n’ai pas le choix. Je dois continuer à espérer que tout se passera pour le mieux et que l’énergie libérée ne suffira pas à détruire ce système, les étoiles voisines ni mes vaisseaux.
Oh, zut ! Je sais déjà ce qu’ils vont faire.
« Nous devons partir du principe que les Syndics attendront que notre flotte se soit approchée du portail pour le détruire », déclara-t-il. Les autres commandants le dévisagèrent. « Qu’ils tableront sur une décharge d’énergie assez intense pour nous rôtir, mais pas pour consumer Sancerre et ses environs. »
Cresida acquiesça d’un hochement de tête. « Et, si elle consumait Sancerre, ce ne serait jamais qu’un dommage collatéral à leurs yeux.
— Que devons-nous faire, alors ? s’enquit Neeson. Nous ne pouvons pas nous contenter d’ignorer ce portail.
— Je vais réfléchir à un moyen », promit Geary. J’espère, du moins. « Si notre plan de diversion fonctionne, nous pourrons les empêcher de poster sur place des forces susceptibles de faire sauter le portail. Bon, nous sommes apparemment tombés d’accord sur la meilleure tactique à adopter par le détachement Furieux. Rompre la formation, charger les défenseurs du Syndic, les arroser au passage d’un feu nourri puis les dépasser à haute vélocité en faisant mine de viser une cible de grande valeur, ensuite virer de bord juste avant qu’ils ne l’interceptent. » Il s’interrompit un instant. « Je vous enverrai des ordres, en fonction de l’évolution de la situation, pour la suite des opérations. Il est capital que vous ne vous enfonciez pas seuls au cœur de leurs défenses. Revenez sur nous afin que je puisse coordonner votre action avec celle du reste de la flotte. » Tous opinèrent. « Je veillerai à ce que ces instructions vous soient transmises à tous. Merci. Capitaine Cresida, restez un instant, je vous prie. »
Dès que tous les autres hologrammes se furent évanouis, Geary présenta au capitaine de frégate Cresida un visage mortellement sérieux. « Après avoir chargé les Syndics, vous allez vous retrouver assez loin de la flotte. Facilement à plus d’une heure-lumière. De sorte que je ne saurai pas avant ce délai si vous avez rencontré des problèmes. J’ai confiance en vous et en votre intelligence du combat, capitaine. Continuez d’occuper les Syndics, d’attirer leur attention sur vous, mais ne vous montez pas le bourrichon. Saurez-vous battre en retraite au moment opportun ? »
Elle donna l’impression de peser un instant le pour et le contre, puis hocha la tête. « Oui, capitaine.
— Je veux vous retrouver indemne et en état de combattre, pas vous voir mourir couverte de gloire. »
Elle sourit. « Capitaine, vous nous avez prouvé que nous pouvions combattre et nous couvrir de gloire en restant vivants. Je me demande encore comment, à Caliban, vous avez réussi à maintenir la cohésion pour vaincre les Syndics. »
Il lui rendit son sourire. « Faites du bon boulot à Sancerre et je vous donnerai des cours privés.
— Marché conclu, capitaine. » Tous deux se levèrent et Cresida se fendit d’un salut correct et précis. Elle avait dû s’entraîner. Geary se garda bien de lui dire que le salut tendait à être nettement plus approximatif dans la flotte, et que le sien la faisait davantage ressembler à un fusilier spatial. Tout bien réfléchi, le colonel Carabali avait dû lui donner des leçons. Geary savait que, depuis qu’il s’efforçait de réintroduire le salut dans la flotte, les fusiliers spatiaux voyaient d’un œil amusé les piètres tentatives des autres matelots pour se montrer à la hauteur de ses exigences.
Il se rassit après son départ et fixa longuement l’hologramme ou, plutôt, la représentation du portail de l’hypernet. Que ces portails puissent être dangereux (et même extrêmement) ne lui avait jamais traversé l’esprit.
De loin les armes les plus destructrices qu’ait jamais conçues l’humanité.
Et il n’avait pas d’autre choix que de faire piquer le plus gros de sa flotte sur celui de Sancerre.