Chapitre XV

La nouvelle qu’il y avait le feu à bord du Séléné ne pouvait modifier en rien le travail de Lawrence. Il ne pouvait pas aller plus vite qu’il ne le faisait. S’il le tentait, il risquait de commettre une faute, surtout maintenant qu’il était dans la partie la plus délicate de sa tâche. Tout ce qu’il pouvait faire était de continuer, avec l’espoir qu’il serait plus rapide que les flammes.

L’appareil que l’on avait descendu dans le puits pour la besogne finale, ressemblait à un énorme graisseur, ou à quelque version géante de ces seringues dont on se sert pour orner la surface des gâteaux de noces.

Le premier problème, pour Lawrence, était d’introduire un liquide entre les deux parois de la coque, et cela sans laisser la poussière s’échapper. Utilisant une petite riveteuse, il enfonça sept écrous creux dans la paroi externe du Séléné, un au centre et les six autres également espacés autour de la circonférence.

Il enfonça la seringue dans le rivet central et pressa sur la détente. Il y eut un léger sifflement quand le liquide pénétra dans le rivet creux, faisant s’ouvrir à l’extrémité de celui-ci une petite valve. Travaillant très vite, mais avec précision, Lawrence passa d’écrou en écrou, lâchant chaque fois la même quantité de liquide. Celui-ci, maintenant, avait dû se répandre d’une façon presque régulière entre les deux coques, formant une sorte de pâté aux contours irréguliers, mais de plus d’un mètre de diamètre. Mais plutôt qu’un pâté, cela devait être un « soufflé », car le liquide avait dû se mettre à mousser dès qu’il avait été injecté.

Quelques secondes plus tard, le tout commencerait à durcir, sous l’influence des éléments catalyseurs qui étaient dans le liquide.

L’ingénieur regarda sa montre il fallait attendre cinq minutes, après quoi le mélange mousseux serait devenu aussi dur que du roc, bien qu’aussi poreux que de la pierre ponce – à laquelle d’ailleurs cette nouvelle substance ressemblerait beaucoup. Ainsi la poussière ne pourrait plus, se glisser dans cette partie de la coque. Celle qui s’y trouvait aurait été comme congelée sur place.

L’ingénieur ne pouvait absolument rien faire pour raccourcir ces cinq minutes. Toute la réussite de son plan en dépendait. Il fallait attendre que la substance qui était sous ses pieds eût atteint la consistance voulue. Si le calcul de la quantité de liquide à injecter et du temps nécessaire pour la prise était erroné, si les chimistes de la base s’étaient trompés, on pouvait tout aussi bien considérer les gens du Séléné comme déjà morts.

Il utilisa ces minutes d’attente à nettoyer le puits, renvoyant à la surface tout le matériel qui ne lui était plus utile. Bientôt il n’eut plus le moindre outil autour de lui, rien d’autre que ses mains nues. Si Spenser avait pu amener en fraude sa caméra dans cet étroit espace – et il aurait conclu un pacte même avec le diable pour pouvoir le faire – les téléspectateurs auraient été totalement incapables de deviner à quelle besogne l’ingénieur allait maintenant se livrer.

Ils auraient été encore plus perplexes en voyant descendre lentement dans le puits un objet qui ressemblait à s’y méprendre à un cerceau d’enfant.

Mais ce n’était pas un jouet. C’était en quelque sorte la clef avec laquelle Lawrence allait ouvrir le Séléné.


* * *

Susan avait déjà amené les passagers vers l’avant, c’est-à-dire la partie la plus haute de la cabine depuis que le bateau était en pente. Ils se tenaient tous là, serrés les uns contre les autres, regardant anxieusement le plafond, et l’oreille tendue pour recueillir tout bruit encourageant.

Des encouragements, pensa Pat, ils en avaient grand besoin. Quant à lui, il en avait encore plus besoin que quiconque, car il était le seul à connaître – à moins que Hansteen et McKenzie ne l’eussent aussi deviné – l’étendue réelle du danger qu’ils couraient.

La menace du feu était déjà bien assez grave – et le feu pouvait les tuer s’il faisait irruption dans la cabine. Mais il était lent, et on pouvait le combattre, ne serait-ce que pour le retarder un instant. Mais contre une explosion, ils ne pourraient absolument rien faire.

En vérité, le Séléné était une bombe – et la mèche était déjà allumée.

L’énergie en réserve dans les cellules qui actionnaient les moteurs et toutes les installations électriques pouvait se transformer en chaleur, mais ne pouvait pas exploser. Il n’en était pas de même, malheureusement, des réservoirs d’oxygène liquide.

Ils devaient encore contenir une quantité assez importante de cet élément effroyablement froid et violemment réactif. Quand la chaleur croissante crèverait ces réservoirs, il y aurait une explosion à la fois physique et chimique. Une petite explosion, certes, comparée à celles que l’homme pouvait susciter – mais qui serait sans doute équivalente à la déflagration de cent kilos de T.N.T. Ce serait largement suffisant pour mettre le Séléné en pièces.

Pat ne vit pas la nécessité de faire part de ses réflexions à Hansteen. Celui-ci s’occupait de dresser une barricade. On dévissait des fauteuils à l’avant du bateau et on les empilait entre le dernier rang de sièges et la porte de la toilette. Le Commodore avait l’air de préparer la défense contre une invasion plutôt que contre un incendie. Mais n’avaient-ils pas à redouter aussi une sorte d’invasion ? Le feu lui-même, en raison de sa nature, pouvait ne pas se répandre beaucoup après avoir franchi la paroi, mais dès que celle-ci aurait sauté, c’était la poussière qui allait envahir la toilette, puis la cabine.

— Commodore, dit Pat, pendant que vous faites ce travail, je vais commencer à organiser les passagers en vue de l’évacuation. Nous ne pouvons pas avoir vingt personnes qui se précipiteront pour sortir en même temps.

Cette perspective était pour eux un cauchemar qu’il fallait éviter à tout prix. Mais il serait difficile d’empêcher la panique – même dans ce groupe bien discipliné – si la menace d’une mort absolument imminente venait à se produire au moment même où l’on commencerait à faire sortir les gens par l’étroit tunnel vertical.

Pat gagna l’avant de la cabine. Sur la Terre, pour gravir la pente assez raide, cela aurait demandé un certain effort. Mais ici une rampe de trente degrés était à peine notable. Il examina les visages anxieux alignés devant lui et il dit :

— Nous allons quitter le bateau d’un instant à l’autre. Quand l’ouverture sera faite dans le plafond, une échelle de corde descendra. Les dames sortiront les premières, et ensuite les messieurs… Dans l’ordre alphabétique. Ne vous servez pas de vos pieds pour grimper. Rappelez-vous qu’ici votre poids est très faible. Grimpez à l’échelle avec vos mains, l’une après l’autre, aussi rapidement que vous le pourrez, mais sans bousculer la personne qui se trouvera devant vous. Vous aurez tout le temps, et il ne vous faudra que quelques secondes pour atteindre la surface.

« Susan, je vous prie de placer les passagers dans l’ordre convenu. Harding, Bryan, Johanson, Barrett, j’aimerais que vous restiez à notre disposition jusqu’à la fin comme vous l’avez déjà fait. Nous pourrons avoir besoin de votre aide pour…

Il ne termina pas sa phrase. Il y eut une petite explosion étouffée à l’arrière de la cabine – rien de spectaculaire, même pas un bruit aussi fort que celui d’un sac en papier que l’on fait éclater après l’avoir gonflé. Mais ce bruit signifiait que la paroi à l’intérieur du cabinet de toilette avait cédé. Et le trou dans le plafond de la cabine n’était malheureusement pas encore percé…

Au-dessus du toit, Lawrence venait seulement de poser son cerceau à plat sur la coque en fibre de verre et l’assujettissait avec du ciment prompt. Ce cerceau avait à peu près le même diamètre que le puits, à quelques centimètres près. Bien que l’on pût manier cet objet sans risques, l’ingénieur l’avait mis en place avec des soins exagérés, parce qu’il n’avait jamais acquis cette familiarité avec les explosifs qui caractérise ceux qui vivent avec eux.

La charge de forme circulaire qu’il fixait au fond du puits n’avait rien de particulier en soi ; c’était un modèle parfaitement courant et souvent utilisé. Sa confection n’avait posé aucun problème technique difficile. Son explosion ferait une coupure nette et propre exactement de la dimension et de l’épaisseur désirées. Elle accomplirait en un millième se seconde un travail qui aurait demandé un quart d’heure avec une scie automatique. Lawrence avait d’ailleurs tout d’abord songé à se servir d’une scie, – ce qui maintenant eût été possible. Il était très heureux d’avoir changé d’idée. Car il semblait peu probable qu’il disposerait encore d’un quart d’heure…

Il en avait eu la certitude alors qu’il attendait que le mélange mousseux achevât de durcir. Quelqu’un avait crié au-dessus de sa tête :

— Le feu gagne la cabine !

Il regarda sa montre. Il eut l’impression que l’aiguille des secondes ne bougeait pas. Mais ce n’était qu’une illusion qu’il avait eue déjà plusieurs fois dans sa vie. La montre marchait. Mais le temps n’allait pas à la vitesse qu’il aurait souhaitée. Jusqu’à ce moment, il avait plutôt passé trop rapidement ; maintenant il semblait se traîner sur des pieds de plomb.

Dans trente secondes, le mélange mousseux serait dur comme de la pierre. Il valait mieux le laisser quelques instants de plus et ne pas courir le risque de pratiquer l’ouverture alors qu’il serait encore mou et coulant.

Il commença à grimper l’échelle de corde, sans hâte, tenant dans la main le fil qui était relié au détonateur. Il avait calculé le temps avec une précision parfaite : quand il fut sorti du puits et eut branché le fil, il restait encore dix secondes.

— Dites-leur, fit-il, que nous allons commencer à compter à rebours à partir de dix…


* * *

Tandis que Pat courait vers l’arrière du bateau pour aider le Commodore – sans bien savoir d’ailleurs ce qu’il pourrait faire maintenant – il entendit Susan qui, posément, sans hâte, appelait les passagers.

— Miss Morley, Mrs Schuster, Mrs Williams…

N’y avait-il pas quelque ironie dans le fait que Miss Morley fût de nouveau la première, en raison cette fois d’un hasard alphabétique ? Mais elle ne pouvait pas grommeler contre ce privilège.

A cet instant précis une pensée beaucoup moins drôle traversa l’esprit du capitaine : et si Mrs Schuster, cette dame énorme, ne pouvait pas passer par le puits ? Si elle bloquait la sortie ? On ne pouvait pas, décemment, lui demander de sortir la dernière…

Mais non, tout irait bien… Son cas avait été prévu. Elle avait même été un facteur décisif dans l’établissement des dimensions du caisson. En outre elle avait perdu plusieurs kilos…

A première vue, la porte de la toilette donnant sur la cabine semblait tenir encore. Le seul signe qu’il s’était passé quelque chose derrière était un peu de fumée qui faisait des volutes près des gonds. Pendant un instant, Pat se sentit soulagé. Il faudrait sans doute une demi-heure avant que le feu vînt à bout de la double épaisseur de fibre de verre, et à ce moment-là…

Mais quelque chose chatouillait ses pieds nus. Il eut un mouvement de recul avant même de se demander : « Qu’est-ce que c’est ? »

Il regarda le plancher. Bien que ses yeux fussent maintenant accoutumés à la faible lumière de secours, il lui fallut un certain temps pour comprendre qu’une marée grisâtre et horrible se glissait sous la porte barricadée, et que les panneaux de celle-ci commençaient déjà à se bomber vers la cabine sous la pression de tonnes de poussière.

Peut-être n’était-ce qu’une question de minutes avant qu’ils ne cèdent. Et même s’ils ne cédaient pas, la différence ne serait sans doute pas grande. Cette marée sinistre et silencieuse en quelques instants était déjà montée jusqu’à ses chevilles.

Pat ne tenta pas de bouger, ni de parler au Commodore qui se tenait, immobile lui aussi, tout près de lui. Pour la première fois de sa vie – et il était probable que ce serait aussi la dernière – il éprouva un sentiment de haine violente et inextinguible. En cet instant, tandis que des millions de petites particules lunaires sèches et délicates caressaient ses jambes nues, il sembla à Pat que la Mer de la Soif était une entité consciente et malveillante, qu’elle n’avait jamais cessé de jouer avec eux comme le chat avec la souris. A plusieurs reprises, se dit-il, nous avons pensé que nous avions repris le contrôle de la situation, mais chaque fois elle nous préparait une nouvelle surprise. Nous faisions toujours un pas en arrière. Et maintenant elle est fatiguée de ce petit jeu. Nous ne l’amusons plus. Peut-être, après tout, Radley avait-il raison…

Le haut-parleur qui se balançait au-dessous du tuyau d’air le tira de ses rêveries fatalistes.

— Nous sommes prêts, cria une voix. Groupez-vous à l’extrémité du bateau et couvrez-vous le visage. Je vais compter à l’envers à partir de dix…

Toutes sortes de pensées continuaient à tourbillonner dans la tête du capitaine.

— Dix…

Tout le monde est déjà groupé au bout du bateau, se dit Pat. Nous n’avons pas besoin de tout ce temps… Peut-être même ne sera-t-il pas suffisant…

— Neuf…

Et je parie que ça ne va pas marcher… La Mer de la Soif ne nous lâchera pas si elle voit que nous avons une chance de nous en tirer…

— Huit…

Et ce sera lamentable, après tous ces efforts. Des tas de gens ont risqué eux-mêmes leur vie pour nous sauver… Ils méritaient mieux que cela…

— Sept…

C’est un chiffre qui porte bonheur… Nous nous en tirerons peut-être… Au moins quelques-uns…

— Six…

Faisons donc comme si tout devait bien se passer… Supposons qu’il faille quinze secondes avant de pouvoir utiliser l’ouverture…

— Cinq…

Naturellement ils devront descendre l’échelle de corde… Car ils ont dû la remonter pour plus de sécurité…

— Quatre…

Et supposons qu’il faille trois secondes par personne pour accéder à l’échelle… Non, disons cinq pour plus de sûreté…

— Trois…

… cela fera vingt-deux fois cinq, c’est-à-dire mille… Non, c’est ridicule… Je ne sais même plus compter…

— Deux…

Disons cent et quelques secondes… Près de deux minutes… Et c’est plus qu’il n’en faut pour que ces réservoirs aient le temps de tout faire sauter…

— Un…

Un ! Et je n’ai même pas couvert mon visage. Peut-être devrais-je me coucher, même si je dois avaler cette sale poussière puante…

Il y eut un craquement sec et bref et une brusque bouffée d’air. Ce fut tout. Rien de spectaculaire dans cette opération de délivrance. Mais les experts en explosifs connaissaient bien leur métier – ainsi qu’on est en droit de l’attendre de tels experts. La puissance de la charge avait été calculée avec la plus grande précision. C’est à peine si l’explosion avait soulevé la poussière qui maintenant recouvrait presque la moitié du plancher de la cabine et était déjà très épaisse à l’arrière.

Les secondes semblèrent se congeler ; pendant une éternité, il ne se passa rien. Puis ce fut le miracle, lent et magnifique, bien propre à vous couper le souffle par ce qu’il avait d’inattendu – et pourtant tout simple et naturel si l’on avait quelque peu réfléchi à la chose.

Un anneau de brillante lumière blanche apparut parmi les ombres pourpres du plafond. Il devint de plus en plus large et de plus en plus éclatant, puis soudain il fut un cercle complet et parfait tandis que tombait une section du toit.

La lumière qui arrivait d’en haut n’était que celle d’un tube au néon situé près de vingt mètres au-dessus de leurs têtes, mais pour des yeux qui depuis des heures ne connaissaient rien d’autre qu’une avare clarté rougeâtre, ce fut un spectacle plus glorieux que le plus beau lever de soleil.

L’échelle de corde atteignit le plancher presque en même temps que la section circulaire du toit. Miss Morley s’élança comme un coureur et disparut aussitôt dans le tunnel vertical. Mrs Schuster la suivit, un peu plus lentement, mais assez vite néanmoins pour que personne n’ait à se plaindre d’elle. Dans le puits, ce fut comme une éclipse. C’est à peine si quelques rayons filtraient encore le long de cette voie de salut.

Il faisait sombre à nouveau dans la cabine. Après une aube brillante, il semblait que la nuit fût revenue, plus obscure qu’auparavant.

Mrs Williams n’eut qu’une seconde de retard.

Et maintenant les hommes commençaient à grimper. Baldur fut le premier. Il devait bénir sa position dans l’alphabet. Ils n’étaient plus qu’une douzaine dans la cabine quand la porte barricadée de la toilette finalement fit sauter ses gonds et que l’avalanche se produisit.

La première vague de poussière atteignit Pat alors qu’il était au milieu de la pente. Bien que cette substance fût légère et impalpable, elle ralentit ses mouvements au point que bientôt il eut la sensation de patauger dans de la glu. Par bonheur l’air lourd et humide empêcha cette poussière de se soulever, sans quoi elle aurait rempli toute la cabine de nuages étouffants. Pat éternuait et toussait, et était en partie aveuglé, mais il pouvait encore respirer.

Dans la pénombre brumeuse, il entendait Susan qui comptait tandis qu’elle dirigeait les passagers vers le salut.

— Quatorze… Quinze… Seize… Dix-sept…

Il aurait voulu qu’elle parte avec les autres femmes, mais elle était toujours là, guidant ceux dont elle avait la charge.

Tout en luttant contre l’insidieuse poussière qui montait maintenant jusqu’à sa taille, il éprouva pour Susan un amour si grand qu’il lui sembla que son cœur allait éclater. Maintenant, il ne pouvait plus avoir le moindre doute. Le véritable amour était un parfait équilibre entre le désir et la tendresse. Du désir, il en avait éprouvé pour elle depuis longtemps, mais maintenant la tendresse était elle aussi débordante.

— Vingt… C’est à vous, Commodore… Dépêchez-vous…

— Il ferait beau voir que je passe avant vous, Susan, s’écria Hansteen. Allez… Montez vite…

Pat, aveuglé par la poussière, ne put pas voir ce qui se passait. Mais il devina que le Commodore avait soulevé Sue jusqu’au plafond et l’avait fourrée dans le puits. Ni l’âge ni le fait qu’il avait vécu des années dans l’espace n’avaient affaibli la force de ses muscles – les muscles d’un homme qui était né et avait été élevé sur la Terre.

— Etes-vous là, Pat ? cria le Commodore. Je suis déjà sur l’échelle.

— Ne m’attendez pas… J’arrive…

C’était plus facile à dire qu’à faire. Pat avait l’impression que des milliers de doigts très doux mais tenaces collaient à lui et le tiraient en arrière dans cette marée montante. Il s’accrocha à un dossier de fauteuil maintenant presque enfoui dans la poussière et se tira en avant.

Quelque chose lui fouetta le visage. Il eut un geste instinctif pour écarter cet obstacle, puis il comprit que c’était l’extrémité de l’échelle de corde. Il se hissa de toutes ses forces, et lentement, comme à regret, la Mer de la Soif relâcha son étreinte.

Avant de pénétrer dans le puits, il jeta un regard dans la cabine. Tout l’arrière était maintenant submergé par cette marée rampante et grise, qui était parfaitement plate, sans une seule ride à sa surface : cela semblait incroyable, irréel et doublement sinistre. Pat vit alors une chose dont il sut qu’il ne l’oublierait pas de toute sa vie, bien qu’elle fût banale. A un mètre de lui, une petite tasse en carton flottait sur la marée montante, comme un petit bateau de papier posé par un enfant sur un lac tranquille. Dans quelques minutes elle atteindrait le plafond et serait submergée, mais pour le moment elle continuait à défier bravement la poussière.

Il en était de même de la lumière de secours. Les ampoules pourraient continuer à briller pendant des journées, même quand chacune d’elles serait encapsulée dans des ténèbres absolues.

Maintenant il était dans le puits. Il grimpait aussi vite que ses muscles le lui permettaient, mais il ne put pas rattraper le Commodore. Il y eut un brusque flot de clarté lorsque celui-ci eut dégagé l’entrée. Pat dut plonger ses regards vers le bas pour protéger ses yeux contre un éclat aussi vif. Au-dessous de lui, la poussière montait rapidement, toujours plate et sans rides, unie, paisible… et inexorable.

Mais bientôt le capitaine atteignait le sommet du caisson et surgissait au centre d’un igloo fantastiquement surpeuplé. Partout, autour de lui, il vit ses compagnons, ses passagers, plus ou moins épuisés, dépeignés, défaits. Ils étaient aidés et secourus par quatre hommes en scaphandres et un cinquième sans scaphandre qui devait être l’Ingénieur en Chef Lawrence.

Pat trouva étrange de voir de nouveaux visages, après toutes ces journées…

— Tout le monde est-il sorti ? demanda Lawrence d’une voix anxieuse.

— Oui, dit Pat. C’était moi le dernier.

Mais il ajouta :

— Du moins je l’espère…

Il venait en effet de se demander si dans l’obscurité et la confusion des dernières minutes, quelqu’un n’était pas resté en arrière… Radley, par exemple, qui aurait pu décider de ne pas affronter la justice à son retour en Nouvelle-Zélande.

Non. Il était là avec les autres.

Pat commençait à compter les passagers lorsqu’il y eut une brusque secousse dans le plancher en matière plastique, tandis que du puits toujours ouvert jaillissait un cercle de poussière pareil à un rond de fumée. Il frappa le plafond de l’igloo, rebondit et se désintégra avant que personne ait pu bouger.

— Que diable est-ce donc ? demanda Lawrence.

— Les réservoirs d’oxygène qui viennent de sauter, répondit Pat Harris. Pauvre vieux bus ! Il aura tenu le coup juste le temps qu’il fallait…

Alors, à sa grande confusion, le capitaine du Séléné se mit à pleurer.

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