52.

Dajani revenait directement d’une surveillance de la ville entre 630 et 650, sans aucun résultat positif. Il était fatigué, irrité, et n’était visiblement pas très heureux de passer ses congés à chercher le touriste en cavale d’un autre Guide.

Il refroidit aussitôt mon élan sentimental. Je tentai de lui refaire le discours de gratitude, mais il déclara d’un ton amer :

— Pas de pommade ! Je fais ça parce que mes capacités d’instructeur seront fortement mises en doute si la Patrouille voit à quelle sorte d’anthropoïde j’ai donné un diplôme de Guide. Je ne fais que me protéger.

Il y eut un affreux silence, rempli bientôt par des glissements de pieds sur le sol et des raclements de gorge.

— Ce n’est pas très agréable à entendre, répondis-je à Dajani.

— Ne te laisse pas démonter par lui, petit, déclara Buonocore. Comme je te l’ai dit, quel que soit le Guide, un touriste peut trafiquer son chrono, et…

— Je ne parle pas de la perte du touriste, le coupa Dajani d’un air irrité. Je parle du fait que cet idiot a réussi à se doubler en essayant de corriger son erreur ! Il but une gorgée de vin. Je lui pardonne l’une, mais pas l’autre.

— Cette duplication est assez moche, admit Buonocore.

— C’est un sérieux problème, dit Kolettis.

— Un mauvais karma, dit Sam. Sans parler de la façon dont nous devrons arranger les choses.

— Je ne connais pas de cas semblable, déclara Pappas.

— Une maladresse fort gênante, commenta Plastiras.

— Écoutez, leur dis-je, la duplication a été accidentelle. J’étais trop occupé à essayer de retrouver Sauerabend pour pouvoir calculer les conséquences de…

— Nous comprenons, dit Sam.

— C’est une erreur bien naturelle, quand on est dans un état de forte tension, dit Jeff Monroe.

— Cela aurait pu arriver à n’importe qui, m’affirma Buonocore.

— C’est une sacrée malchance, murmura Pappas.

Je commençais à me sentir beaucoup moins comme étant un membre important d’une fraternité très soudée, et beaucoup plus comme un malheureux neveu trop simplet qui se mettait dans le pétrin partout où il se rendait. Les oncles du neveu essayaient de rétablir une situation particulièrement catastrophique et de calmer le neveu pour qu’il ne fasse pas d’autres bêtises.

Quand je me rendis compte de l’attitude réelle de ces hommes envers moi, j’eus presque envie d’appeler la Patrouille Temporelle, de confesser mes crimes, et de demander à être supprimé. Mon esprit se recroquevilla. Ma virilité se ratatina. Moi, qui avais forniqué avec des impératrices, qui avais séduit des femmes de la noblesse, qui bavardais avec les empereurs, moi, le dernier des Ducas, moi, le brillant Guide, l’égal de Metaxas, moi… je n’étais, pour ces Guides vétérans ici présents, qu’une simple masse de gnognote ambulante. Qu’un excrément marchant comme un homme. C’est-à-dire une merde.

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