Elle s’était endormie rapidement lorsque des coups légers à sa porte la firent sursauter. En tâtonnant elle essaya d’allumer, fit basculer le bougeoir, ne trouvait plus les allumettes. Lorsque enfin un peu de lumière se répandit dans la chambre elle réalisa qu’on essayait de tourner la poignée extérieure et elle se leva, saisit son peignoir, s’en revêtit tout en collant son oreille au battant, reconnut la voix sourde de Sonia Derek qui la suppliait d’ouvrir.
La jeune femme se précipita dans la chambre, si vite que son déplacement coucha la flamme de la bougie tandis que Zélie refermait aussitôt la porte.
— Quelqu’un essaye d’entrer chez moi par la fenêtre, haleta Sonia. Depuis un moment j’entendais gratter quelque part mais je croyais rêver. Puis je l’ai vu.
— Qui, comment, sans allumer votre bougeoir ?
— Je ne ferme pas mes volets car la lanterne publique me donne suffisamment de lumière pour me déplacer. Il y avait une ombre derrière la vitre. J’ai compris que l’homme faisait sauter le mastic de la vitre inférieure et j’ai préféré me réfugier ici.
Elle portait un négligé transparent rose qui ne laissait rien ignorer de son corps potelé. Gênée, Zélie détourna les yeux en découvrant des ombres trop révélatrices.
— Il faut appeler à l’aide, dit-elle.
— Non je vous en prie. Il y a les journalistes qui dorment dans les autres chambres, ils découvriront ma présence et voudront en savoir plus.
Zélie se dit que sa présence était désormais connue d’un certain nombre à cause de ce dessin de presse et le serait sous peu du grand public. Mais elle accepta cette raison-là.
— Je vais aller voir, dit-elle.
— Je vous en supplie, n’en faites rien.
— Que chercherait un cambrioleur ? lui demanda Zélie. Avez-vous de l’argent ou quelques secrets à cacher ? Vous voulez mon avis, il s’agit d’un journaliste que cette chambre intrigue et qui veut en savoir plus. Peut-être que toute la bande a décidé de cette visite nocturne. Ces gens-là sont curieux de profession et ils savent que l’auberge comporte six chambres à cet étage, ont connaissance de qui en occupe cinq mais la sixième, la vôtre, reste la chambre du mystère et ils ont décidé d’y pénétrer.
Tout en parlant elle resserrait son peignoir sur elle, saisissait le gros tisonnier de sa cheminée et ouvrait la porte du couloir. Tout paraissait extrêmement calme dans l’auberge. Il était 2 heures du matin et chacun dormait ou faisait semblant.
— Je ne peux pas vous accompagner, fit Sonia entre ses dents qui s’entrechoquaient. Je n’en suis pas capable.
Zélie ignora ce refus, lui demanda de laisser la porte entrouverte, qu’elle puisse se guider dans la faible lueur. Elle atteignit la porte de la jeune femme, colla son oreille au bois mais ne surprit aucun bruit. Lentement elle tourna la poignée et pénétra dans la chambre. La lanterne de la place, réparée ou remplacée après que Savane l’eut éteinte d’un jet de pierre, donnait suffisamment de lumière pour qu’elle trouve la bougie et l’allume. Tout de suite elle découvrit qu’on avait détaché la vitre basse ce qui permettait d’atteindre l’espagnolette de l’extérieur. Un vent frais s’y engouffrait d’ailleurs.
Apparemment on n’avait touché à rien mais elle voulut que Sonia vienne faire elle-même l’inventaire de ses affaires. Elle dut se montrer intransigeante pour la décider, menaçant de réveiller toute l’auberge.
Tremblante, cette femme resta sur le seuil de la chambre un bon moment avant d’oser approcher de la commode où elle rangeait ses vêtements. Elle en sortit un porte-monnaie, dit qu’on n’avait pas touché à son argent. Au passage Zélie crut apercevoir une liasse de billets de cent francs pour un montant assez considérable.
— Tout est là. Mes vêtements aussi. Je crois que rien n’a été volé.
Zélie vit que la fenêtre n’avait pas été refermée à l’espagnolette mais simplement coincée depuis l’extérieur quand l’homme avait quitté la pièce. Elle prit le bougeoir, se pencha au-dessus du toit de l’écurie et chercha d’éventuelles traces de pas sur la mousse qui tapissait les vieilles tuiles. Contrairement à ce qu’elle pensait les empreintes, simplement des traînées à peine marquées, se dirigeaient plutôt vers la droite et non vers les fenêtres des chambres où dormaient ces messieurs de la presse. La vitre avait été soigneusement déposée contre le mur.
— Si je la laisse là, demain la bonne découvrira son manque et ira le proclamer partout. Il faut la remettre en place.
Elle avisa le plateau du souper que personne n’était venu chercher et retira la mie d’un morceau de pain.
— Mâchez-la sans trop la mouiller de salive, cela fera un mastic provisoire. Demain nous aviserons à faire mieux.
— Ce sont les photographies, murmura Sonia, ce sont elles que le voleur est venu prendre. Toutes les photographies.
— Les vôtres aussi ?
— Bien sûr, ce sont ces salopards de journalistes qui ont fait le coup. Je suis perdue.
Le mot choquait Zélie plus que l’annonce du vol. Elle commença de sceller la vitre avec la mie de pain transformée en pâte molle. Les petits clous avaient été laissés en place et facilitaient son travail. Sonia apporta sa propre contribution mais ce fut avec un dégoût non apparent qu’elle utilisa cette mie sortie de la bouche de la jeune femme.
— Je ne peux pas rester là, fit Sonia, pour tout l’or du monde.
— Personne ne reviendra de la nuit, essaya de la persuader Zélie.
— Non je préfère m’en aller que de rester là.
— Bon d’accord. Venez chez moi.
La pensée de partager son lit avec elle la révulsait mais elle dut s’y résoudre. Sonia insista pour qu’elle ferme la porte à clé et sans plus de façon s’installa côté gauche du lit. Zélie avait envie de garder son peignoir mais ne voulut pas blesser cette femme. Elle se glissa à l’extrême bord du matelas, souffla la bougie.
— Ils vont se servir de mes photos, fit Sonia dans le noir. Tout le monde verra mon visage.
— L’effet d’une surprise, escomptée par Savane et Wasquehale sera perdu, c’est certain, mais un peu plus tôt un peu plus tard qu’importe.
— Oui mais je serai en danger. Il doit rester au moins un de ces sales bonshommes qui m’ont attaquée. Il voudra m’empêcher de témoigner.
— Je ne comprends pas pourquoi le voleur a pris non seulement vos photographies mais toutes celles des anciens mobiles que j’ai photographiés.
— Bah, pressé d’en finir il a fait main basse sur le tout sans chercher à le trier.
— Je croyais que vous aviez fait deux lots distincts entre ceux reconnus éventuellement comme vos tourmenteurs et les autres.
— Depuis j’avais tout mélangé, dit Sonia d’une voix endormie ou peut-être très bien simulée.
— Quel intérêt de prendre les clichés des Bourgeau une fois morts, de Rivière assassiné ensuite ?
— C’est pour en faire des dessins, répondit Sonia sur le même ton ensommeillé.
Zélie tressaillit :
— Que voulez-vous dire ?
— Que les journaux ne savent pas reproduire des photos mais seulement des dessins. Alors ils en font faire d’après photo. C’est un journaliste qui a ôté la vitre pour entrer chez moi.
— Les traces conduisaient vers la droite, le rebord du toit où devait se trouver une échelle. Celle du fenil qui reste toujours en place été comme hiver. Il suffisait de la déplacer.
Bientôt la respiration régulière de Sonia prouva que la jeune femme dormait ou faisait semblant, mais que de toute façon elle ne dialoguerait plus. Zélie commençait d’avoir des doutes sur le vol de ces clichés, se demandait si à son insu elle n’avait pas photographié un détail accusateur, notamment en ce qui concernait Riviere ou Alfred Gaillac. Pourquoi pas ce dernier ? Oui Alfred Gaillac certainement, car pour elle Rivière avait été tué pour d’autres raisons qu’une complicité dans les pillages. C’était un honnête homme qui avait dû être le témoin des exploits de ces bandes de détrousseurs. Alfred Gaillac, que les gendarmes partis pour Cubières avaient tenté de raisonner la veille, pour qu’il renonce à s’enfermer avec sa femme et son fils dans sa maison, « pareille qu’un tombeau », avait dit Marceline. Gaillac le cousin éloigné de Grizal qui avait renvoyé à sa femme Carmen le contenu des poches du mort et qui éventuellement possédait quelques objets appartenant à Jean, son mari.
Elle ne parvenait pas à s’endormir. La présence de Sonia endormie auprès d’elle était lourde de parfums excessifs, charnels. Sa chaleur irradiait tant que Zélie avait beau s’écarter, elle baignait dedans. À moins de quitter le lit elle ne pouvait y échapper et c’était à la fois désagréable et troublant.
Depuis l’engagement de Jean elle dormait seule. Elle avait découvert que de chaque côté de son corps allongé le drap restait froid, hostile et que plus jamais elle ne retrouverait la tiédeur de son mari. Sonia, elle, brûlait, fiévreuse et pourtant elle s’en éloignait comme si elle redoutait de se laisser séduire par cette sensualité équivoque.