11

Un petit sursaut vif, comme l’impression de tomber, éveilla Andrew. La nuit tombait, et la pièce était sombre. À la lueur qui passait par la fenêtre, Andrew aperçut Callista au pied de son lit. Il constata avec plaisir qu’elle était vêtue cette fois d’une jupe et d’une ample tunique, et qu’elle avait tressé ses cheveux. Non, c’était Ellemir, qui portait de la nourriture sur un plateau.

— Andrew, dit-elle, vous devriez manger.

— Je n’ai pas faim, marmonna Andrew, mal réveillé et encore désorienté par ses rêves confus.

Des chats géants ? Des loups garous ? Comment allait Damon ? Callista était-elle en sûreté ? Comment pouvait-il s’être endormi ? Comment Ellemir pouvait-elle parler de manger en un moment pareil ?

— Si, vous devez manger, répondit Ellemir, bien qu’il ne se fût pas exprimé à voix haute.

Il avait du mal à s’habituer à ce qu’on pût lire dans ses pensées. Il faudrait pourtant s’y faire, pensa-t-il. Ellemir s’assit au bord du lit.

— Le travail télépathique est terriblement fatigant, dit-elle. Vous devez reprendre des forces, si vous ne voulez pas vous surcharger. Je savais que vous refuseriez de manger, alors je vous ai apporté de la soupe et des aliments qui se mangent facilement. Je sais bien que vous n’avez pas faim, mais essayez, Andrew.

— Damon ne peut pas atteindre Callista, ajoutât-elle malicieusement, sachant que c’était là le seul moyen de le persuader. Une fois qu’il sera dans les grottes de Corresanti, il ne pourra peut-être pas la trouver dans le noir. C’est un affreux labyrinthe de passages tout sombres. J’y suis allée une fois, et on m’a raconté l’histoire d’un homme qui s’y était perdu et n’en était sorti qu’au bout de plusieurs mois, aveugle, et la peur avait blanchi ses cheveux. Vous voyez que vous devez être prêt quand Damon aura besoin de vous. Et pour cela, vous devez être fort.

À contrecœur, mais convaincu par les arguments d’Ellemir, Andrew prit la cuiller. C’était un bouillon de viande au vermicelle, très épicé et délicieux. À côté, il y avait du pain de noix et une confiture acidulée. Quand il la goûta, il se rendit compte qu’il était affamé et dévora tout ce qu’il y avait sur le plateau.

— Comment se porte votre père ? s’enquit-il par politesse.

Ellemir eut un petit rire.

— Vous devriez voir le dîner qu’il vient d’engloutir, il y a une heure environ, me racontant entre deux bouchées combien d’hommes-chats il avait tués…

— Je l’ai vu, dit Andrew calmement. J’étais là. Ils sont terribles !

Il frissonna. Il savait qu’une partie de ce qu’il avait cru être un rêve provenait de son esprit qui vagabondait dans le village détruit par le grand chat. Il avala la dernière miette de pain. Puis, il tourna son esprit vers la pierre-étoile, vers Damon. Il vit la route déserte… ils approchaient des grottes…

Cette fois-ci, il lui fut plus facile de se transporter dans le surmonde, et comme la lumière du soleil baissait, il découvrit qu’il y voyait mieux dans la lueur bleue que Callista appelait « surlumière ». Bleue ? pensa-t-il. Était-ce parce que les cristaux étaient bleus et qu’ils projetaient leur éclat à travers son esprit ? Il regarda en dessous de lui : son corps gisait sur le lit, et Ellemir, après avoir posé le plateau sur le plancher, s’agenouilla à son côté pour surveiller son pouls, comme elle l’avait fait pour Damon.

Il s’aperçut que, dans le surmonde, il ne portait plus les vêtements de cuir et de fourrure qu’il avait empruntés au serviteur d’Ellemir. Il était vêtu de la fine tunique et du pantalon en nylon gris qu’il portait dans son bureau du QG terrien, avec au cou les emblèmes des huit planètes où il avait servi.

Pas très chaud pour cette planète. Oh ! zut, c’est le surmonde. Si Callista peut s’y promener dans sa nuisette déchirée sans mourir de froid, ça n’a aucune importance. Il se rendit compte qu’il s’était beaucoup éloigné et qu’il se trouvait à présent sur une plaine grise et monotone. Au loin, il apercevait des collines comme dans un mirage. Bon, où sont les grottes de Corresanti ? se demanda-t-il, tâchant de s’orienter dans la campagne blafarde.

Il vit qu’il tenait toujours la matrice, ou plutôt son équivalent astral. Elle luisait comme un feu d’artifice, jetant des éclairs de lumière. Il se demanda si elle le mènerait directement à Callista. En effet, il se déplaçait en direction des collines qui se dessinaient à présent nettement. Une grande ombre émanait de leur centre. Était-ce derrière ce rideau noir que Damon avait aperçu le grand chat ? Était-ce lui qui maintenait Callista prisonnière à l’aide de la grande matrice illicite ?

Il frissonna et essaya de ne pas penser au grand chat. Ou plutôt, de le transformer en pensée en un personnage d’Alice au pays des merveilles, un ancien conte terrien : le Grimaçon, ce gros chat inoffensif qui souriait sans arrêt et tenait des propos farfelus. Ou en Chat botté. Ce n’est qu’un personnage de conte de fées, se dit-il, et je veux bien être pendu si je le laisse m’empoisonner. Il savait d’instinct que c’était le moyen le plus sûr de se protéger de la puissance du grand chat. Non, du Chat botté, se rappela-t-il. J’espère que Damon ne va pas se retrouver nez à nez avec lui…

Comme si le fait de penser à Damon lui avait donné une direction précise, il découvrit qu’il se trouvait sur une pente abrupte juste en face de l’ouverture béante d’une caverne. Un peu plus bas, Damon et les deux gardes, l’épée à la main, gravissaient lentement le sentier. Il essaya de leur faire signe, d’attirer l’attention de Damon. De nouveau, leurs esprits se rejoignirent. Une fois de plus, il voyait avec les yeux de Damon…

… Retenant sa respiration, il posait les pieds aussi silencieusement que possible. Comme l’an dernier, quand nous étions éclaireurs durant les campagnes et que nous allions en reconnaissance…

Des hommes-chats indolemment vautrés devant l’entrée des grottes dormaient au poste, confiants que la force qu’ils servaient les protégerait en retour.

Mais leur instinct veillait, et leurs grandes oreilles touffues se dressèrent soudain au son étouffé de bottes dans l’herbe. Instantanément, ils furent debout, leurs épées-griffes en main. Damon se sentit bondir, la lame frémissante, et se fendit à fond sur la plus proche. L’épée de l’homme-chat s’abattit en cette curieuse parade circulaire qui leur était particulière et traça un croissant de lune devant son corps, jetant un éclair métallique au côté de Damon.

Damon vit alors son bras s’élever pour parer, et sentit la lame trembler dans sa main sous le choc du fer adverse contre sa pointe baissée. Puis, son épée le contourna en sifflant contre son oreille, pour aller frapper l’épaule velue. L’homme-chat para le coup et riposta. Damon fit un bond en arrière, juste à temps pour voir le métal trancher l’air à un centimètre de ses yeux. Les battements circulaires de la lame incurvée avaient l’air fort gauches, mais malgré son adresse, Dom Esteban avait peine à trouver un point faible dans ce tourbillon de défense. Eduin et Rannan étaient engagés dans un combat à quelques pas de là – il entendait le cliquetis de leurs épées qui frappaient à coups redoublés derrière lui. Il sentit son bras se détendre pour une feinte – il reconnaissait qu’il s’agissait d’une feinte, car ses pieds n’avaient pas bougé. L’épée-griffe siffla vers lui. La lame de Dom Esteban s’écarta de sa trajectoire, remonta et vint retomber entre les oreilles du félin.

D’un petit coup expert, il sortit son arme du crâne sanglant et courut à Rannan qui, la chemise déchirée et couverte de sang, reculait devant l’une des lames tournoyantes. Son propre fer se mit à danser, frappant à plusieurs reprises sur la tête de la bête. Damon fit un bond en arrière devant une botte foudroyante qui aurait dû le couper en deux à la taille. Il sentit son épée revenir pour une riposte qu’il crut être un autre coup à la tête, mais son poignet retomba, et la longue rapière frappa l’homme-chat au genou. Son bras donna une nouvelle secousse, et à l’instant où la créature s’effondrait en braillant, il lui enfonça la pointe dans la gorge. Eduin et Rannan étaient debout à côté du cadavre de la dernière sentinelle, et de nouveau, Damon se sentit envahi par la colère irraisonnée de Dom Esteban…

Il secoua la tête. Il se sentait étrangement étourdi, comme s’il était ivre. Qu’était-il en train de faire ? Il ouvrit les yeux et remit l’épée au fourreau. Ce faisant, il éprouva une douleur dans les muscles à la base du pouce et du poignet : des muscles dont il ignorait l’existence. Vacillant légèrement, il tourna le dos aux masses de fourrure ensanglantées qui jonchaient le sol, et se dirigea péniblement vers l’ouverture de la grotte, faisant signe à Eduin et à Rannan de le suivre. Comme il avançait, il aperçut une silhouette humaine, vêtue de gris. Il mit quelque temps à l’identifier, et au moment même où il réalisait qu’il s’agissait d’Andrew Carr, ce dernier retrouva sa personnalité et fit signe à Damon de lui emboîter le pas.

Andrew avait du mal à croire que Damon pouvait le voir sans être dans le surmonde, mais après tout, lui, « en bas », avait bien vu Callista. Il précéda Damon dans l’entrée de la grotte. C’était une grande cavité sombre, et malgré la surlumière, il était difficile d’y voir. Damon venait d’entrer, et faisait signe avec impatience à ses gardes de se dépêcher. Mais Eduin et Rannan semblaient être retenus par une barrière invisible pour Andrew – et apparemment pour Damon, aussi.

Pendant un moment, le Tenebrosien parut perplexe.

— Oh ! mais bien sûr, dit-il enfin – et Andrew ne sut jamais si Damon avait parlé à voix haute ou s’il l’avait entendu penser – il y a une barrière de premier niveau à travers l’entrée, ce qui veut dire que personne ne peut entrer ou sortir, à moins qu’il ne porte une matrice, ou que l’opérateur ne le laisse passer.

Évidemment. Ce n’était pas surprenant de la part du grand chat. Mais cela indiquait peut-être un autre point faible. Il ne pouvait pas être partout, même avec une matrice. Avec un peu de chance, il ne s’en était pas encore aperçu.

Lentement, Damon traversa l’énorme entrée voûtée. Vers le fond, il entendait de l’eau goutter, et au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans la grotte, la lumière se faisait de plus en plus rare. La terreur glaciale de l’obscurité l’envahit, et il hésita. Quand j’étais adolescent et que je venais ici, il y avait des torches montées sur les parois pour que l’on puisse voir le chemin. Puis il vit la silhouette spectrale d’Andrew qui avait l’air de sortir de la muraille même. Le Terrien semblait luire d’un éclat bleuté, et il tenait dans les mains un objet qui ressemblait à une torche étincelante. La matrice, bien sûr. Est-ce qu’elle va alerter le grand chat ? Si je dois me rendre dans le surmonde pour trouver mon chemin, verra-t-il ma pierre-étoile ?

Il lui semblait à présent entendre un bourdonnement semblable à celui d’un essaim d’abeilles. Il en reconnut l’origine au bout d’un moment : une puissante matrice sans la moindre protection. Un frisson de peur le parcourut. Cet homme-chat est complètement fou ! Fou ou plus puissant qu’un humain ou qu’une gardienne ! Il faudrait un Cercle d’au moins quatre esprits pour manipuler un écran de matrice de cette taille !

On ne trouvait jamais de telles matrices à l’état naturel. Elles avaient été faites artificiellement, du temps où la technologie des matrices était à son apogée. Le grand chat avait-il trouvé celle-ci, accident de la nature, ou l’avait-il fabriquée lui-même ? Comment, par les neuf enfers de Zandru, arrive-t-il à manipuler cet engin ? Je ne voudrais toucher cette matrice pour rien au monde !

Le fantôme d’Andrew lui fit signe à nouveau. À la lueur de la pierre-étoile, il vit des piliers massifs de structure cristalline, d’énormes stalagmites et stalactites qui joignaient le sol à la voûte. Partout régnait une humidité de cave, accompagnée du suintement de l’eau et du bourdonnement de la matrice. Damon pensait qu’il n’aurait qu’à écouter pour retrouver son chemin. Mais il verrait plus tard. Pour le moment, il importait de trouver Callista avant que le grand chat ne se rende compte qu’il était là et qu’il n’envoie l’un de ses acolytes lui trancher la gorge. Au fond de la cavité, deux passages s’enfonçaient dans le noir, au fond desquels on voyait de pâles lumières. Il s’arrêta un instant, indécis, puis aperçut, au fond du couloir de gauche, la silhouette d’Andrew Carr. Il la suivit, et après avoir perdu l’équilibre par deux fois – bien sûr, Andrew se trouvant dans le surmonde, il ne pouvait pas buter contre les obstacles –, il se concentra sur sa pierre-étoile pour faire naître une boule de lumière magique. C’était bien peu, et Damon avait l’impression que cette lumière était atténuée par la proximité de l’énorme gemme, mais il réussit à accumuler assez de force pour produire un peu d’éclairage. Sacrement utile, ça aussi. Comment pourrais-je me battre, en cas de besoin, en tenant une torche dans l’autre main ?

La silhouette d’Andrew avait disparu de nouveau. Oui, il a raison. Il doit être allé trouver Callista. Lui dire que nous venons à la rescousse.

Dans l’ombre, au-delà de la lumière magique, quelque chose bougea, et une voix se fit entendre dans le langage-miaulement des hommes-chats. La voix se transforma soudain en grondement. Damon vit une lame incurvée luire hors du cercle de lumière. Le bourdonnement dans sa tête le rendait fou, lui faisait mal. Il tira son épée, la leva, mais dans sa main, elle n’était qu’un poids mort et encombrant. Dom Esteban… Il essaya frénétiquement de rétablir le contact, mais il n’y avait rien, seulement ce bourdonnement, ce son qui estompait le reste, cette douleur.

L’épée courbe commençait à siffler autour de lui. Sans savoir comment, il parvint à lever le morceau de métal inerte, à placer une barrière d’acier en travers de la trajectoire meurtrière. Suffoquant de peur, il mit son corps épuisé en position, para automatiquement, craignant, en attaquant, de se rendre vulnérable. Il était seul, il devait se battre avec ses seules forces !

L’entrée de la caverne ! Dom Esteban ne pouvait pas l’atteindre à travers la barrière ! Je suis mort ! pensa-t-il.

En une fraction de seconde, il se rappela les années de leçons assommantes – toujours le pire escrimeur parmi les garçons de son âge, le maladroit, celui qui n’était tout simplement pas fait pour les arts de la guerre. Le lâche. Engourdi de terreur, et comme s’il traînait son épée dans de la glu, il para les bottes savantes de son assaillant. Il était perdu. Il était incapable de se défendre contre des hommes qui se battaient dans le style qui lui avait été enseigné. Comment pourrait-il tenir tête à ces as d’une technique totalement étrangère ? Il recula, affolé, apercevant du coin de l’œil une autre sentinelle qui venait se joindre à la première. En un instant, il aurait à se battre contre deux – s’il vivait assez longtemps. Il vit la lame s’abattre sur lui en un coup qu’il n’aurait jamais pu parer, bien qu’il sût de quelle manière Dom Esteban l’aurait fait.

La lame arriva sur lui prestement, comme il l’avait prévu. Mais il vit avec un soulagement profond que la position de l’homme-chat rendait ce dernier vulnérable, et il lui plongea instantanément l’épée dans le corps. La seconde sentinelle se jeta sur Damon au moment même où il dégageait son arme. Damon se tourna pour lui faire face. Il savait maintenant comment Dom Esteban attaquerait celui-là, et comme son esprit formulait cette pensée, son bras se détendit, recula. Le félin para. Damon projeta tout son corps en avant et transperça la gorge de l’homme-chat ; l’épée de ce dernier s’abattit sur la sienne en une faible parade.

Il libéra rapidement sa lame. Le troisième homme-chat s’accroupit, prêt à bondir, et se mit à reculer à travers la grotte, la lame levée, prête à s’abattre sur lui en tournoyant. Damon s’avança vers lui, prudemment, et attendit…

Les secondes semblèrent des heures, et son corps ne fit rien qu’il ne lui eût commandé. Il se concentra sur le lien… rien. Seulement l’énorme vibration de la matrice géante, quelque part dans la cave, toujours invisible, mais présente, effroyable. Dom Esteban ne pouvait atteindre Damon là-dedans. Ne l’avait pas atteint. Damon n’avait pas été en contact avec Esteban, et il manqua lâcher son épée en réalisant qu’il venait de tuer deux hommes-chats de lui-même.

Et il allait en tuer un autre. Immédiatement.

Pourquoi pas ? Il avait toujours compris les astuces de l’escrime, il avait appris avec des maîtres, bien que l’entraînement lui parût hors de portée… c’était peut-être là le problème. Il avait toujours pensé à la vie plus qu’il ne l’avait vécue. Son corps et son esprit avaient toujours été séparés. Peut-être que le contact avec Dom Esteban avait enseigné directement à ses nerfs et à ses muscles comment réagir…

L’homme-chat gronda et détendit son corps vers Damon qui se jeta à terre en tendant l’épée devant lui, se rattrapant de l’autre main sur la roche. La lame-griffe siffla au-dessus de sa tête. En vain. Mais quelque chose d’humide et de gluant jaillit sur son bras. Il libéra son épée d’un coup sec et se releva. À présent, où était Callista ? Vite, avant que le grand chat ne découvre…

Il chercha Andrew des yeux et l’aperçut, une fraction de seconde, au bout du corridor. Puis Andrew disparut…

Andrew, absorbé, vivait la bataille avec Damon quand il entendit tout à coup un cri, et aperçut Callista. Elle était allongée sur le sol à ses pieds, et il réalisa alors qu’il était descendu très bas, dans les profondeurs de la grotte, où les parois rocheuses émettaient un reflet phosphorescent vert pâle. Il vit alors Callista ouvrir des yeux terrifiés et une ombre se glisser vers elle. Callista se leva précipitamment et recula, les bras tendus pour toute défense. L’homme-chat tenait une dague courbe, et Andrew se mit à courir vers lui, désespéré.

J’ai besoin de mon corps, je ne peux pas la défendre du surmonde… Pendant un instant, il hésita entre la grotte où Callista fuyait devant le couteau de l’homme-chat, et la chambre à l’étage supérieur d’Armida, où Ellemir surveillait son corps. Je ne peux pas réintégrer mon corps, je dois rester avec Callista… Puis il y eut un éclair bleu, un choc électrique pénible, et Andrew tomba rudement sur ses pieds dans la grotte sombre en se tordant la cheville.

Il poussa un cri d’avertissement et se mit à courir vers l’homme-chat. Comment suis-je arrivé ici ? Comment ? Est-ce que je suis vraiment là ? Il trébucha, se cogna douloureusement les orteils à un caillou. Il ramassa le caillou. L’homme-chat fit demi-tour en grondant. Andrew leva la pierre et la lui assena violemment sur la tempe. L’homme-chat tomba comme une masse, poussant un hurlement perçant, eut un faible spasme, puis ne bougea plus. La force du coup avait répandu sa cervelle sur le sol. Andrew glissa et faillit tomber.

— Je pense que c’est clair, dit-il d’un air idiot. Je suis vraiment là.

Puis il s’élança vers Callista qui était accroupie contre la paroi et le contemplait avec stupéfaction et terreur.

— Callista, cria-t-il. Callista, bien-aimée, ça va bien ? Ils vous ont fait mal ?

Il la saisit dans ses bras, et elle se laissa tomber contre lui. Elle était solide, réelle, et il l’étreignit, sentant tout son corps secoué de gros sanglots terrifiés.

— Andrew… Andrew… c’est vraiment vous, répétait-elle.

Il posa ses lèvres sur la joue trempée.

— C’est moi, et tout va bien, maintenant, bien-aimée. On va vous sortir d’ici dans quelques minutes. Pouvez-vous marcher ?

— Oui, dit-elle, retrouvant quelque peu son sang-froid. Je ne connais pas le chemin de la sortie, mais j’ai entendu dire qu’il y a des cordes le long des murs. Nous n’avons qu’à les longer, et nous arriverons bien à l’entrée. Si vous voulez bien me donner ma pierre-étoile, je pourrai faire de la lumière.

Andrew lui tendit doucement le cristal qu’elle prit tendrement dans ses mains. À la pâle lumière de la pierre-étoile, plus pâle que celle du surmonde, mais assez forte pour qu’on y pût voir clairement, Andrew vit l’adorable visage de Callista se contracter subitement.

— Damon, dit-elle d’une voix à peine audible. Oh, non ! Andrew, aidez-moi…

Ses doigts agrippèrent ceux d’Andrew, et instantanément, leurs esprits s’unirent comme ils l’avaient fait auparavant.

Puis, dans un nouveau choc électrique, ils se trouvèrent dans une immense cavité, partiellement éclairée, au fond de laquelle brillait, d’un éclat pénible, une gemme semblable à la pierre-étoile. Mais celle-ci était énorme et brillante comme un arc électrique, et faisait mal aux yeux. Damon se dirigeait vers elle, et il paraissait minuscule. L’esprit d’Andrew vint se placer derrière les yeux de Damon, à travers lesquels il vit une créature accroupie derrière la grosse matrice. Ses pattes étaient noircies, ses moustaches roussies, et en plusieurs endroits, la fourrure avait été brûlée. Damon leva son épée…

Et se retrouva dans le surmonde, en face du grand chat qui le dominait d’un air majestueux et menaçant. Plus haut qu’un arbre, il le foudroyait de son regard rougeoyant, semblable à des braises, et il emplit l’air d’un grondement féroce. Il leva une patte, et Damon frémit, conscient qu’un seul coup de patte le réduirait à l’impuissance…

Callista poussa un cri, et deux chiens géants – l’un énorme, avec une gueule de taureau, l’autre élancé et nerveux –, munis de crocs étincelants, se jetèrent à la gorge du grand chat et se mirent à le harceler en grondant. Andrew et Callista ! Sans prendre le temps de réfléchir, Damon retomba dans son corps et se mit à courir, dressant son épée. Il se précipita sur la créature prostrée, pendant que le bourdonnement devenait presque un hurlement qui emplissait l’air, accompagné d’un mélange de jappements et de sifflements rageurs. Damon, les mains en feu, faillit lâcher l’épée. Mais il la retint de toutes ses forces, et la passa à travers le corps de l’homme-chat.

Ce dernier se tordit en hurlant. L’énorme matrice s’embrasa et se mit à cracher des étincelles et d’énormes flammes. Puis, brusquement, toutes les lumières moururent, et le silence se fit dans la grotte sombre où l’on ne voyait plus que la lueur de la pierre-étoile de Callista. Tous trois s’étaient regroupés, et Callista se cramponnait aux deux hommes, secouée de sanglots. À leurs pieds était étendue une forme noircie qui empestait la fourrure brûlée et dans laquelle il était difficile de reconnaître un homme-chat.

La grande matrice était encore là, dans son support. Elle avait perdu tout son éclat et luisait comme un simple morceau de verre. Elle roula, tomba sur le sol rocheux avec un léger tintement, et se brisa.

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