10

Les nuages de l’après-midi s’accumulaient alors que Damon et sa troupe s’engageaient dans un chemin étroit, couvert d’herbe, vers un groupe de maisons au pied d’un escarpement.

— C’est ça, le village de Corresanti ? demanda Eduin. Je ne connais pas très bien cette région. Et d’ailleurs…

Il fronça les sourcils.

— … Tout a l’air bizarre dans ce fichu brouillard. Est-ce qu’il est là pour de bon, ou est-ce que quelqu’un manipule nos esprits pour nous faire croire qu’il fait sombre ?

— Non, je crois qu’il est vraiment là, dit Damon. Il se peut que celui qui dirige ces félins trouve la lumière du soleil inconfortable, et ait répandu une ombre pour se protéger les yeux. Ce n’est pas difficile, avec une pierre-étoile, mais je vois mal un des nôtres s’amusant à le faire. Nous avons déjà assez peu de soleil, même en été.

Pas difficile… Mais ça demande quand même pas mal de puissance. Qui que soit le manipulateur, sa force s’accroît très rapidement. Si nous ne le désarmons pas promptement, il va peut-être devenir trop puissant pour que nous puissions le combattre. Notre devoir est de délivrer Callista, certes. Mais si nous laissons cette contrée sous cette domination maléfique, d’autres vont souffrir. Pourtant, nous ne pouvons pas l’affronter avant d’avoir libérer Callista, sinon elle sera tuée.

Il se rappelait les mots de Reidel – « des jardins abandonnés » – mais il ne s’était pas attendu à une telle désolation. Les champs étaient jonchés de plantes éparses sous le soleil voilé ; les eaux usées croupissaient dans les rigoles creusées pour l’écoulement ; les grandes ailes d’un moulin à vent, éventrées et déchirées, battaient lamentablement. De temps à autre, d’une étable, on entendait les beuglements mornes de bêtes affamées, privées de soins.

Au milieu de la route, presque sous les sabots du cheval d’Eduin, un gamin déguenillé rongeait machinalement une racine sale. Quand les cavaliers passèrent près de lui, il leva les yeux. Damon n’avait encore jamais vu sur un visage humain une telle terreur, un tel désespoir. L’enfant ne pleurait pas. Il devait avoir dépassé le stade des larmes, ou peut-être était-il trop faible pour pleurer. Les maisons semblaient abandonnées, mais de temps en temps, quelques visages mornes, dénués d’expression, apparaissaient à une fenêtre au bruit des sabots des chevaux, sans manifester de curiosité.

— Bienheureuse Cassilda, protégez-nous ! chuchota Eduin. Je n’ai rien vu de tel depuis la dernière fois que la fièvre des hommes des sentiers a fait rage dans les terres basses ! Que s’est-il passé ?

— La faim et la peur, dit Damon laconiquement. Malgré la famine, ils ne veulent pas se rendre dans les champs sous les ténèbres.

Impuissant devant une misère si complète, il sentait un torrent d’imprécations lui monter à la gorge. Il saisit sa pierre-étoile et respira plus calmement. Le grand chat avait fait du beau travail en lâchant ses suppôts dans cet innocent village.

Rannan, le second garde, contrôlait avec peine la nausée qui l’envahissait.

— Seigneur Damon, n’y a-t-il rien que nous puissions faire pour ces gens… rien ?

— Autant faire un pansement sur une blessure mortelle, Rannan, répondit Damon, déchiré. Nous devons frapper au cœur. Si nous faisions le moindre geste pour aider ces pauvres gens, la puissance qui les domine se tournerait contre nous. Nous serions réduits au même sort, avec juste assez de force pour nous traîner vers la porte la plus proche et mourir dans un désespoir abject. Nous ne pourrions plus rien pour eux. Non, il faut frapper un coup décisif, mais nous ne pouvons le faire tant que ma parente est entre leurs mains.

— Comment être sûr qu’elle n’est pas encore morte, monseigneur ?

— Grâce à la pierre-étoile, dit Damon.

Il n’avait pas envie d’expliquer qu’Andrew se mettrait en contact avec lui.

— Et je vous promets que si elle meurt, nous n’aurons de cesse que nous n’ayons exterminé cette force maléfique, jusqu’à la dernière griffe, jusqu’à la dernière moustache !

Il détourna résolument les yeux du village en ruine.

— Venez. Nous devons atteindre les grottes.

Et une fois là, il faut encore trouver le moyen d’y entrer, et arriver jusqu’à Callista.

Rassemblant ses souvenirs d’une excursion qu’il avait faite quand il était adolescent, il lui sembla reconnaître la colline au pied de laquelle s’ouvrait un grand passage vers les grottes de Corresanti. Des années auparavant, ces grottes avaient servi de refuge lors d’hivers particulièrement rigoureux, quand les collines Kilghard étaient couvertes d’une couche de neige si épaisse que ni homme ni bête n’y pouvaient survivre. À présent, on s’en servait pour y entreposer de la nourriture, y faire pousser des champignons comestibles, y faire vieillir vins et fromages. Du moins, jusqu’à ce que les hommes-chats soient venus s’installer dans la région. Damon estimait qu’il devait y avoir assez de nourriture pour dépanner les villageois affamés jusqu’à la prochaine récolte. Si les hommes-chats n’avaient pas détruit les réserves par pure méchanceté, il serait possible d’y amener les villageois. À condition, bien sûr, que l’expédition en sorte saine et sauve.

Il concentra son esprit sur la pierre. Il lui semblait à présent qu’une obscurité palpable émanait du bord de la falaise, à quelques lieues de là, à l’endroit où se cachait l’entrée des grottes. Il ne s’était donc pas trompé. Les grottes étaient le cœur même des ténèbres. Là, une créature non humaine menait des expériences avec des forces inconnues et formidables. L’hypersensibilité des Ridenow, au contact de cette présence monstrueuse, éveillait en Damon une terreur profonde. Mais il parvint à se maîtriser, et continua résolument sa route par les rues désertes du village.

Il regarda autour de lui, en quête d’un visage humain ou d’un quelconque signe de vie. Est-ce que tous les habitants du village étaient paralysés par la peur ? Son regard se posa sur une maison qu’il connaissait : il y avait passé un été, quand il était adolescent, bien des années auparavant. Il arrêta son cheval, le cœur étreint d’une douleur soudaine et aiguë.

Il y a des années que je ne les ai vus. Ma mère nourricière avait épousé un MacAran qui était écuyer de Dom Esteban, et je venais ici pendant l’été. Ses fils ont été mes premiers compagnons de jeu. Il ne put tenir plus longtemps. Il fallait qu’il sache ce qui se passait dans cette maison !

Il mit pied à terre et attacha son cheval au poteau. Eduin et Rannan l’appelèrent d’un ton interrogateur mais n’obtinrent pas de réponse. Ils descendirent lentement de cheval et restèrent à l’attendre. Damon frappa à la porte. Après un silence prolongé, il ouvrit la porte. Un homme s’avança vers lui d’un pas traînant, le regard vide. Il effectua un mouvement de recul, comme par habitude.

C’est sûrement l’un des fils d’Alanna, pensa Damon. J’ai joué avec lui quand j’étais petit, mais comme il a changé ! Il essaya de se rappeler son nom. Hjalmar ? Estill ?

— Cormac, dit-il enfin.

Les yeux mornes se levèrent vers lui, et un sourire idiot se peignit sur le visage.

Serva, dom, marmonna l’homme.

— Que vous est-il arrivé ? Que… qu’est-ce qu’ils vous veulent ? Que s’est-il passé ici ?

Les questions se bousculaient sur ses lèvres.

— Voyez-vous souvent les hommes-chats ? Qu’est-ce qu’ils…

— Des hommes-chats ? interrogea l’homme dans un murmure. Pas des hommes – des femmes ! Des chattes-démones… elles viennent la nuit pour lacérer votre âme…

Damon ferma les yeux, révolté. Le visage vide, Cormac fit demi-tour. Pour lui, les visiteurs avaient cessé d’exister. Damon retourna à son cheval, trébuchant et jurant.

Un bruit de sabots parvint à ses oreilles. Damon se retourna et aperçut des cavaliers chevauchant en file indienne sur un chemin qui descendait d’une colline au-dessus du village. Pourtant, dans le village, il n’avait vu ni cheval, ni bétail, ni autre animal domestique.

Les cavaliers étaient assez près pour qu’on pût les voir nettement. Ils portaient des capes-chemises et des culottes de coupe différente de celles de Damon et de ses gardes. Ils étaient tous de haute taille, avec des cheveux drus et clairs, mais c’étaient bien des hommes. Des humains, et non pas des hommes-chats, à moins que ce ne fût encore une de leurs illusions…

Damon se concentra sur la pierre-étoile, à travers la brume qui semblait cacher, comme une eau trouble, tout ce qui n’était pas immédiatement à côté de lui. Mais c’étaient réellement des hommes, sur de vrais chevaux. Il n’était pas né, le cheval qui laisserait sans renâcler un homme-chat le monter. Les nouveaux venus n’étaient pas non plus des habitants du village.

— Une bande des Villes Sèches, chuchota Eduin. Que le seigneur de la Lumière soit avec nous !

Damon savait à présent où il avait vu de grands gaillards débraillés, au teint clair. Les gens du désert s’aventuraient rarement dans cette partie de la planète, mais de temps en temps, il en avait vu passer en caravane, voyageant silencieusement et rapidement vers leur province.

Et nos chevaux sont déjà fatigués. Si ces Séchéens sont hostiles… ?

Il hésitait. Rannan se pencha pour lui saisir le bras.

— Qu’est-ce que nous attendons ? Décampons au plus vite !

— Ce ne sont pas nécessairement des ennemis, commença Damon.

Sûrement, des humains n’allaient pas se joindre aux hommes-chats pour piller et terroriser la région… Un sourire sinistre se forma sur les lèvres d’Eduin.

— Il y en avait de petits groupes qui se battaient au côté des hommes-chats, l’an dernier, et j’ai entendu dire que les hommes-chats aidaient les Villes Sèches lors des troubles du côté de Carthon. Ils font du commerce avec les hommes-chats. Zandru seul sait ce qu’ils échangent, ou ce qu’ils obtiennent en retour, mais le commerce n’en existe pas moins.

Le cœur de Damon se serra. Ils auraient dû fuir immédiatement. Trop tard. Il fallait faire pour le mieux.

— Ce sont peut-être des marchands, dit-il, qui ne nous veulent aucun mal.

En tout cas, ils étaient tellement près, maintenant, que le chef de la bande serra la bride à son cheval.

— Il va falloir y aller au culot. Soyez prêts, mais ne tirez vos épées que si je donne le signal, ou s’ils nous attaquent.

Le chef de la bande, assis nonchalamment sur sa selle, les toisa. Était-ce son expression habituelle, ou avait-il un sourire sardonique aux lèvres ?

Hali-imyn, par Nebran ! s’écria-t-il. Qui l’eût cru ?

Son regard balaya les rues désertes.

— Qu’est-ce que vous faites encore ici, vous autres ?

— Corresanti faisait partie du domaine Alton bien avant que Shainsa ne soit élevée dans la plaine, répliqua Damon, en comptant les cavaliers : six, huit – trop ! Je pourrais même vous demander si vous vous êtes égarés de votre route habituelle, et exiger un sauf-conduit du seigneur Alton.

— Les jours des sauf-conduits sont finis, dans les collines Kilghard, répondit l’homme. Avant longtemps, ce sera vous qui devrez demander la permission de chevaucher ici.

Ses lèvres découvrirent ses dents en un rictus paresseux. Il descendit de cheval, imité par ses hommes. Damon glissa la main dans la garde de son épée, sentit la petite matrice lisse et tiède…

… Dom Esteban posa ses croquettes de viande et se renversa sur son oreiller, les yeux grands ouverts. Le serviteur qui lui avait apporté à manger lui adressa la parole, mais Dom Esteban ne répondit pas…

— Ce n’est pas de sitôt que je demanderai la permission de chevaucher sur les terres de mon parent, dit Damon. Mais qu’est-ce que vous faites ici ?

Sa voix lui semblait étrangement aiguë et faible.

— Nous ? reprit l’homme. Mais voyons, nous sommes de paisibles commerçants, n’est-ce pas, camarades ?

Derrière lui, il y eut un chœur d’assentiment. Ils n’avaient pas l’air particulièrement paisibles – évidemment, se dit Damon en une fraction de seconde, les hommes des Villes Sèches n’en ont jamais l’air – avec leurs airs fanfarons de bagarreurs de tavernes, et leurs épées qui faisaient saillie sur leurs hanches, prêtes à être dégainées. Derrière eux, les chevaux commençaient à piaffer nerveusement, et des renâclements effrayés emplirent l’air.

— De paisibles commerçants, insista le chef des Séchéens en portant la main à l’agrafe de sa cape-chemise. Nous faisons notre commerce ici avec l’autorisation du seigneur de ces terres, qui nous a donné de petites commissions.

Sa main sortit prestement de la cape, armée d’un long couteau. Puis il dégagea sa grande épée de son fourreau.

— Jetez vos armes, grinça-t-il, et si vous êtes assez fous pour croire que vous pouvez nous résister, regardez derrière vous !

Eduin serra le bras de Damon comme un étau. Damon n’eut qu’à jeter un coup d’œil par-dessus son épaule pour en voir la raison. Sortie de la forêt, une troupe d’hommes-chats avançait à pas feutrés. Beaucoup trop d’hommes-chats. Damon n’arrivait même pas à les compter. Il s’aperçut qu’il tenait l’épée de Dom Esteban en main, mais le désespoir s’empara de lui.

Dom Esteban lui-même ne pourrait jamais résister à une telle embuscade !

Les Séchéens les encerclaient lentement, couteaux et épées en main. Damon avait oublié qu’il portait une dague. Il fut surpris de sentir sa main gauche l’arracher de sa ceinture et la tendre vers l’ennemi. Il se trouva brusquement dans une position contraire à celle qui lui avait été enseignée : regardant son adversaire pardessus l’épaule gauche au-delà de la pointe de sa dague, la garde de son épée appuyée à sa joue droite. C’est vrai. Esteban a voyagé au-delà des Villes Sèches. Il connaît la manière de se battre des gens du désert…

Il se dit froidement que l’arrivée des hommes-chats était plus qu’une coïncidence, et que s’ils avaient essayé de s’enfuir, comme les Séchéens devaient s’y attendre, ils se seraient précipités dans le piège.

— Saisissez-les ! jeta le chef de la bande.

Pas de fuite possible. Il fallait se rendre ou mourir. Damon hésita, mais Dom Esteban veillait. Comme les deux lames du Séchéen arrivaient sur lui, Damon vit la pointe de son épée s’élancer, écarter prestement épée et dague ; puis il sentit ses pieds se déplacer, son corps plonger.

Ainsi, Dom Esteban pense que nous pouvons terrasser dix hommes et nous échapper, pensa-t-il ironiquement, regardant avec détachement ses deux armes s’enfoncer dans le côté de son adversaire. Il entendait des cliquetis d’acier autour de lui, et aperçut un autre homme l’approcher sournoisement.

Il dégagea son épée et se retourna vers l’ennemi qui, en courant, avait relâché sa vigilance. Damon pivota sur lui-même, et sa lame plongea dans les côtes de son adversaire. Dans les derniers rayons de soleil, il aperçut Eduin, son épée rougie de sang, qui se jetait sur un autre antagoniste. Celui-ci recula, la peur sur le visage… Puis Damon fit volte-face pour parer un coup dirigé vers sa gorge. Son épée s’abattit sur le coude de l’homme qui tomba à ses pieds en hurlant. Damon faillit s’évanouir à la vue du bras amputé…

— Ce sont des démons ! cria un Séchéen. Ce ne sont pas des hommes… !

Les derniers assaillants battirent en retraite, se bousculant contre les chevaux rétifs qui formaient un mur derrière eux. Ils n’avaient encore jamais vu cinq hommes mourir aussi vite…

Des démons… Les Séchéens étaient renommés pour leur superstition…

L’un d’eux cria quelque chose dans sa langue, tâchant de rallier ses camarades en déroute, et se précipita vers Eduin. Damon n’intervint pas, pour plonger son regard au plus profond de la pierre-étoile, et remarqua alors que la main de l’homme était placée trop haut… Mû par la volonté de Dom Esteban, il fit un pas en avant, et son épée traversa de part en part, entre les épaules, l’ennemi qui s’effondra. Mais Damon n’y prêta pas garde. Il puisa dans le placard sombre de son subconscient, où il avait enfermé ses cauchemars d’enfant, et en sortit un démon. Il était gris, couvert d’écaillés, cornu et griffu, et de la fumée jaillissait de ses narines. Damon précipita l’image dans la gemme et la fit surgir entre l’ennemi et lui…

Les Séchéens se mirent à courir en poussant des cris, essayant de rattraper leurs chevaux affolés par l’odeur du sang et des félins. Derrière eux, les cris stridents des hommes-chats s’élevèrent. Damon fit faire demi-tour au démon qui chargea les hommes-chats à travers les rues du village, grondant, crachant du feu par la bouche et les narines. Quelques-uns des hommes-chats s’enfuirent. D’autres, sentant peut-être que ce n’était qu’une illusion, essayèrent de l’esquiver.

Damon tendit la main vers les rênes de sa monture. Le cheval, fou de terreur, se cabra sauvagement.

Damon était toujours absorbé par son démon – il traquait maintenant les hommes-chats, courant de droite à gauche, répandant une odeur nauséabonde de fourrure brûlée. Il se surprit à arracher les rênes du poteau et à bondir en selle avec le talent de cavalier… de Dom Esteban, bien sûr.

Un homme-chat s’était rapproché, et Damon dut se protéger de l’épée en forme de griffe qui se dirigeait vers lui. Il abattit sa lame, vit épée et patte tomber ensemble, se contracter, et s’immobiliser. Il ne sut jamais ce qui arriva au reste de l’homme-chat. Il était déjà loin.

Un éclair frappa le monstre écailleux que Damon avait créé. Le démon éclata dans une colonne de poussière et de fumée, puis disparut.

Ce fut Esteban qui mena le cheval terrifié, qui terrassa les quelques hommes-chats qui couraient aux talons de la bête pour lui couper les jarrets, Esteban qui mena le cheval vers les grottes. Damon sentait vaguement que Dom Esteban guidait sa main. Une force le transportait contre son gré et à toute vitesse à travers le brouillard épais et bouillonnant du surmonde. Au cœur de l’ombre luisaient des yeux furieux, flamboyant comme les feux d’un volcan. Les yeux terribles du grand chat.

Alors qu’il apercevait les yeux, torrides, des griffes, d’un geste vif, essayèrent de le saisir. Damon esquiva le coup. Il savait que si la pointe d’une seule griffe le touchait, lui ratissait le cœur, il serait forcé de réintégrer son corps, et le grand chat pourrait le maîtriser, l’anéantir d’un seul souffle brûlant.

De quoi les chats ont-ils peur ? se demanda Damon. Son corps bondit. Il se retrouva à quatre pattes, et se transforma en un loup sinistre qui prit forme devant l’homme-chat. Il bondit sur lui, en poussant un hurlement de loup-garou qui résonna à travers le surmonde, un hurlement pétrifiant au son duquel la forme féline vacilla et s’effaça momentanément. Un souffle torride brûla les yeux du loup qui hurla de rage. Damon se déchaîna. Il se rua sur le grand chat, les mâchoires écumantes, attaquant le félin à la gorge…

L’immense créature fourrée s’estompa et disparut. Damon s’entendit hurler à plusieurs reprises, essayant de se jeter sur l’obscurité, exaspéré par ce besoin démesuré de déchiqueter, de mordre, de sentir le sang gicler sous ses crocs…

Mais le grand chat s’était évanoui. Damon, tremblant, épuisé, malade et écœuré par le goût du sang dans sa gorge, se retrouva chancelant en selle. Son loup-garou avait bouté le maudit félin hors du surmonde. Pour la première fois, il semblait que le grand chat ne fût pas complètement invincible, après tout. Car la route était à présent dépouillée, jonchée uniquement de cadavres.

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