IX L’oiseau rouge

Alvin se réveilla des heures plus tard ; la lune était basse à l’occident, les premières et faibles lueurs du jour pointaient à l’orient. Il n’avait pas voulu s’endormir. Mais il était fatigué, après tout, et il avait fait son travail, alors évidemment, c’était difficile de fermer les yeux et d’espérer rester éveillé. Il avait encore le temps de tirer un seau d’eau et de le porter à la maison.

Avait-il les yeux ouverts, seulement ? Le ciel, il le voyait, gris pâle à gauche, gris pâle à droite. Mais où étaient les arbres ? N’auraient-ils pas dû se balancer doucement dans la brise du matin, juste à la limite de son champ de vision ? De fait, il n’y avait pas de vent ; outre ce qu’il aurait dû voir et ce qu’il aurait dû sentir sur sa peau, il y avait d’autres choses qu’il ne percevait plus. La musique verte de la forêt vivante. Elle avait disparu ; il n’entendait plus le murmure de vie des insectes endormis dans l’herbe, ni les battements de cœur du cerf broutant à l’aube. Plus d’oiseaux perchés dans les arbres, dans l’attente que la chaleur du soleil fasse sortir les insectes.

Morte. Détruite. La forêt n’était plus.

Alvin ouvrit les yeux.

Ils n’étaient pas déjà ouverts ?

Alvin les ouvrit à nouveau et ne parvint pas davantage à voir ; sans les refermer il les ouvrit pourtant encore, et chaque fois le ciel lui parut plus sombre. Non, pas plus sombre, simplement plus loin, il s’en allait à toute allure comme s’il tombait dans un gouffre tellement profond qu’il s’y perdait.

Alvin cria de terreur, ouvrit ses yeux déjà ouverts et vit :

L’air frémissant du Défaiseur qui pesait sur lui, s’infiltrait dans ses narines, entre ses doigts, dans ses oreilles.

Il ne sentait rien, oh non, sauf qu’il savait ce qui avait désormais disparu de lui : les couches externes de sa peau, partout où le Défaiseur l’avait touché ; son corps se désagrégeait, jusque dans ses plus petites parties qui se mouraient, se desséchaient, s’effritaient.

« Non ! » hurla-t-il. Le cri ne produisit aucun son. Le Défaiseur en profita pour s’engouffrer dans sa bouche, descendre dans ses poumons ; Alvin n’arrivait pas à serrer les dents assez fort et les lèvres assez hermétiquement pour empêcher l’incréateur visqueux de se couler en lui, de le ronger de l’intérieur.

Il essaya de se guérir lui-même, comme il l’avait fait pour sa jambe la fois où la meule l’avait proprement cassée en deux. Mais c’était toujours la même histoire que lui avait racontée Mot-pour-mot : il mettait cent fois plus de temps à bâtir que le Défaiseur à détruire. Pour une partie qu’il guérissait, des milliers se détérioraient et disparaissaient. Il allait mourir, il avait déjà un pied dans la tombe, et il ne s’agirait pas d’une mort ordinaire où il perdrait sa chair en continuant de vivre en esprit, car le Défaiseur comptait le dévorer corps et âme tout pareil, à la fois la chair et l’esprit.

Plouf ! Un bruit de chute dans l’eau. Jamais de sa vie il n’avait rien entendu de plus agréable : un son. Ça voulait dire qu’au-delà du Défaiseur qui l’enveloppait et l’envahissait il y avait quelque chose.

Alvin entendit le bruit se répercuter et résonner dans sa mémoire ; il s’y accrocha, se cramponna à ce lien avec le monde réel et ouvrit les yeux.

Cette fois, il sut qu’il les ouvrait pour de bon parce qu’il vit le ciel, normalement bordé d’arbres. Et il y avait là Gertie Smith, la femme de Conciliant, qui le dominait, un seau dans les mains.

« M’est avis que c’est la première eau qu’on tire d’ce puits », dit-elle.

Alvin ouvrit la bouche et sentit l’air humide et frais y pénétrer. « M’est avis, murmura-t-il.

— J’aurais jamais cru que tu pouvais l’creuser entièrement et l’maçonner comme il faut, tout ça en une nuit, dit-elle. C’est le p’tit sang-mêlé, là, Arthur Stuart, qu’est v’nu dans ma cuisine où j’étais après faire les biscuits du p’tit déjeuner et qui m’a dit qu’ton puits était terminé. Fallait que je m’en vienne voir ça.

— Y s’lève rudement tôt, fit Alvin.

— Et toi, tu veilles rudement tard, dit Gertie. Moi, si j’étais un homme aussi costaud qu’toi, j’ficherais une bonne rinçure à mon mari, Al, apprenti ou pas.

— J’ai fait ce qu’il a d’mandé, rien d’autre.

— J’en suis sûre, tout comme j’suis sûre que c’est lui qui t’a demandé d’creuser ce trou rond en pierre là-bas, du côté d’la forgerie, j’ai pas raison ? » Elle gloussa, ravie. « Ça y apprendra, à cet imbécile. Faire si grand cas d’ce sourcier alors qu’son apprenti fait du meilleur ouvrage que l’aut’ vieux brigand…»

Pour la première fois, Alvin comprit que le trou qu’il avait creusé sous le coup de la colère, c’était comme un écriteau pour signaler à tout le monde qu’il possédait davantage qu’un talent à ferrer les chevaux. « S’il vous plaît, m’dame, fit-il.

— S’il me plaît quoi ?

— Mon talent, c’est pas çui-là d’un sourcier, m’dame, et si vous commencez à raconter ça, on m’fichera jamais la paix. »

Elle posa sur lui un regard froid. « Si t’as pas de talent d’sourcier, mon gars, dis-moi donc comment ça s’fait qu’y a de l’eau limpide dans c’puits que t’as creusé. »

Alvin avait étudié son mensonge. « La baguette du sourcier, elle s’est aussi enfoncée icitte, je l’ai vue, alors quand j’suis tombé sus d’la pierre dans l’premier puits, j’ai essayé de ce côté-ci. »

Gertie avait une nature soupçonneuse. « T’es sûr que tu dirais la même chose si Jésus s’tenait icitte, devant toi, et qu’il devait juger ton âme éternelle sus la vérité de c’que tu m’racontes ?

— M’dame, m’est avis qu’si Jésus s’tenait icitte, j’y demanderais l’pardon d’mes péchés et que je m’en ficherais pas mal, d’ces histoires de puits. »

Elle rit à nouveau et lui claqua légèrement l’épaule. « Je l’aime bien, moi, ton histoire de sourcier. T’as jusse fait qu’regarder l’vieux Hank Dowser. Oh, elle est bonne, celle-là ! C’est c’que je m’en vais raconter à tout l’monde, tu peux être tranquille.

— Merci, m’dame.

— Tiens. Bois. T’as droit à la première gorgée du premier seau d’eau claire tirée d’ce puits. »

Alvin savait que, selon la coutume, c’était au propriétaire de boire en premier. Mais elle le lui proposait et il avait le gosier tellement sec qu’il n’aurait pu cracher pour vingt-cinq sous de salive, même à cinq piastres l’once. Il porta donc le seau à ses lèvres et but, laissant l’eau lui éclabousser sa chemise.

« J’gage que t’as faim aussi, dit-elle.

— Surtout besoin d’repos, plusse que d’manger, j’crois bien, dit Alvin.

— Alors rentre donc t’coucher. »

Il savait qu’il devait y aller, mais il voyait le Défaiseur à proximité et il craignait à vrai dire de se rendormir. « J’vous remercie bien, m’dame, mais j’aimerais quand même rester quèques minutes tout seul.

— Comme tu veux », fit-elle, et elle rentra chez elle.

Le petit vent du matin le glaça quand il sécha l’eau renversée sur sa chemise. Avait-il simplement rêvé que le Défaiseur prenait possession de lui ? Il ne le pensait pas. Il était parfaitement réveillé, ça, c’était réel, et si Gertie Smith n’était pas venue plonger son seau dans le puits, il aurait été anéanti. Le Défaiseur ne se cachait plus. Il ne se faufilait plus par-derrière en faisant des détours. Il était là, partout où regardait Alvin, il miroitait dans la lumière grisâtre de l’aube.

Pour une raison inconnue, le Défaiseur avait choisi ce matin-ci pour un face à face. Seulement, Alvin ignorait comment il devait le combattre. Si creuser un puits et le maçonner comme il faut ne suffisait pas à repousser l’ennemi, alors que faire ? Le Défaiseur n’était pas un adversaire comme ceux avec lesquels il se bagarrait au village. Le Défaiseur n’offrait pas de prise par où le saisir.

Une chose était sûre. Alvin ne dormirait pas une nuit de plus s’il ne trouvait moyen de lui rabattre son caquet et de lui faire mordre la poussière.

Je suis censé te dominer, dit Alvin au Défaiseur. Alors dis-moi, Défaiseur, comment je m’y prends pour te détruire, toi qui es la Destruction même ? Qui va m’indiquer comment gagner cette bataille, quand toi, tu peux te faufiler jusqu’à moi durant mon sommeil, et que moi, je n’ai pas la moindre idée sur la façon de t’approcher ?

Tout en se disant ces mots dans sa tête, Alvin se dirigea vers l’orée du bois. Le Défaiseur reculait, toujours hors de portée. Al savait, sans même regarder, qu’il se rabattait aussi dans son dos ; il l’avait donc de tous côtés.

Je me trouve au milieu d’un bois encore intact où je devrais me sentir comme chez moi, mais le chant vert, il est désormais silencieux, mon ennemi de toujours m’encercle et je n’ai pas le moindre plan d’action.

Le Défaiseur, lui, il en avait un, de plan. Il ne perdait pas son temps à se demander avec angoisse ce qu’il devait faire, Alvin le découvrit bien vite.

Car le vent frais de ce matin d’été céda soudain place à un air glacé, et du diable si des flocons de neige ne commencèrent pas à tomber. Ils descendirent sur les arbres verdoyants, se déposèrent sur l’herbe haute et drue entre les troncs. Une couche épaisse et froide se forma, mais ce n’étaient plus des gros flocons humides et tièdes, c’étaient les minuscules cristaux de glace d’un violent blizzard d’hiver. Alvin frissonna.

« Tu peux pas faire ça », dit-il.

Mais maintenant ses yeux n’étaient pas fermés, il le savait. Il ne s’agissait pas d’un rêve dans un demi-sommeil. C’était de la vraie neige, si épaisse et si froide que les branches des arbres verts se cassaient net, que les feuilles arrachées dégringolaient par terre dans un tintement de glace brisée. Jusqu’à Alvin qui risquait de mourir gelé s’il ne trouvait pas moyen de se sortir de là.

Il entreprit de repartir par où il était venu, mais la neige tombait si dense qu’il ne voyait rien à plus de cinq ou six pas devant lui ; impossible non plus de pressentir son chemin parce que le Défaiseur avait étouffé le chant vert de la forêt vivante. Bientôt, il ne marchait plus, il courait. Seulement, il ne courait pas d’un pied sûr, comme Ta-Kumsaw lui avait appris ; il courait aussi bêtement et bruyamment que ces lourdauds d’hommes blancs et, comme le premier Blanc venu, il glissa sur de la pierre verglacée pour s’étaler la figure la première et franchir à plat ventre une plaque de neige.

De la neige qui s’introduisit dans sa bouche, son nez et ses oreilles, de la neige qui s’immisça entre ses doigts, tout comme la vase de la nuit dernière, tout comme le Défaiseur dans son rêve, et il s’étouffa, crachouilla, lança des cris…

« J’connais que c’est pas vrai ! »

Sa voix se perdit dans le mur de neige.

« C’est l’été ! » brailla-t-il.

Sa mâchoire était douloureuse à cause du froid, et il savait que ça lui ferait trop mal de parler encore, mais il cria quand même à travers ses lèvres engourdies : « J’te frai arrêter ça ! »

Il comprit alors qu’il n’arriverait jamais à rien avec le Défaiseur ; il ne le forcerait jamais à faire ou à être quoi que ce soit parce qu’il n’était rien d’autre que le Non-faire et le Non-être. Ce n’était pas au Défaiseur qu’il devait lancer son appel mais à tout ce qui vivait alentour : les arbres, l’herbe, la terre et même l’air. C’était le chant vert qu’il devait rétablir.

Il s’accrocha à cette idée et la mit à exécution. Il se remit à parler ; sa voix ne valait guère mieux qu’un chuchotement à présent, mais il lança son appel, et sans colère.

« Été », souffla-t-il.

« Air chaud ! » dit-il.

« Feuilles vertes ! hurla-t-il. Vent chaud du sud-ouest ! Nuages d’orage du tantôt, brume du matin, rayons du soleil qui réchauffent, qui évaporent le brouillard ! »

Se produisait-il un changement, un tout petit ? Les flocons tombaient-ils moins fort ? La couche de neige par terre commençait-elle à fondre, à mincir, la couche accumulée sur les branches à s’écrouler, à découvrir davantage d’écorce ?

« C’est un matin chaud et sec ! cria-t-il. La pluie s’en viendra p’t-être plus tard, de très loin, comme un don des rois mages, mais asteure le soleil tape sus les arbres, il vous réveille, vous poussez, les feuilles sortent, c’est ça ! C’est ça ! »

Sa voix se faisait joyeuse parce que la chute de neige n’était plus désormais qu’une pluie crépitante, il ne restait plus sur le sol que quelques taches blanches ici et là, et les feuilles arrachées rebourgeonnaient sur les branches aussi vite que la milice au pas de charge.

Et dans le silence qui suivit son dernier cri, il entendit le chant d’un oiseau.

Un chant comme il n’en avait encore jamais entendu. Il ne connaissait pas cet oiseau ni son agréable ramage qui changeait à chaque sifflement et ne répétait pas deux fois le même air. C’était un chant compliqué dont on ne distinguait pas le motif ; impossible donc de le reproduire, mais impossible aussi de l’emmêler, de retirer ou de le diviser. Il était tout d’une pièce, créé d’un seul tenant, et Alvin sut que s’il parvenait à trouver l’oiseau dont le gosier produisait ce chant-là, il serait sauvé. Sa victoire serait totale.

Il courut, et le chant vert de la forêt le guidait, ses pieds tombaient où il fallait sans qu’il ait besoin de regarder. Il suivit le ramage jusqu’à ce qu’il débouche dans la clairière d’où il provenait.

Perché sur une vieille souche dont l’ombre au nord-ouest abritait encore un carré de neige : un cardinal. Et assis devant la souche, presque nez à bec avec l’oiseau rouge pendant qu’il l’écoutait chanter : Arthur Stuart.

Alvin les contourna à pas très lents, en un cercle parfait, avant de se rapprocher. Comme si Arthur Stuart ne s’apercevait pas de sa présence, il ne détachait pas les yeux de l’oiseau. Le soleil avait beau les aveugler tous deux, ni l’un ni l’autre ne cillait. Alvin se taisait, lui aussi. Comme Arthur Stuart, il était captivé par le chant du cardinal.

Il ne différait en rien des autres cardinaux, des milliers de chanteurs écarlates qu’Alvin avait vus depuis tout petit. Sauf que de son gosier sortait une musique qu’aucun autre n’avait jamais chanté à ce jour. Ce n’était pas un quelconque oiseau rouge. Ni l’unique oiseau rouge. Aucun oiseau ne bénéficiait d’un don inconnu chez ses congénères. C’était tout bonnement Oiseau Rouge, celui qu’on avait désigné pour parler à cet instant au nom de tous les oiseaux, pour chanter le chant de tous les chanteurs, pour que l’enfant l’entende.

Alvin s’agenouilla dans l’herbe fraîchement poussée, à moins de trois pas d’Oiseau Rouge, pour écouter son chant. Il savait, d’après ce que lui avait un jour dit Lolla-Wossiky, que ce chant contenait la mémoire de l’homme rouge, tout ce qu’il avait accompli qui en valait la peine. Il y avait une histoire ancienne qu’Alvin aurait aimé comprendre, disons qu’il aurait aimé entendre comment Oiseau Rouge racontait les événements auxquels lui, il avait pris part : le Prophète Lolla-Wossiky marchant sur les eaux ; la rivière Tippy-Canoe tout écarlate du sang des Rouges ; Ta-Kumsaw debout, une douzaine de balles de mousquet dans le corps, criant encore à ses hommes de tenir, de se battre, de repousser les voleurs blancs.

Malgré tout, il avait beau écouter, le sens du chant lui échappait. Il était capable de courir dans la forêt avec des jambes d’homme rouge, d’entendre le chant vert avec des oreilles d’homme rouge, mais le ramage d’Oiseau Rouge ne lui était pas destiné. Le dicton disait vrai : une fille ne peut avoir tous les soupirants, ni un garçon tous les talents. Alvin était déjà capable d’accomplir beaucoup de choses, et il lui en restait beaucoup à apprendre, mais il en restait encore davantage auxquelles il n’aurait jamais accès, et le chant d’Oiseau Rouge était de celles-là.

Pourtant, l’oiseau n’était pas là par hasard, Alvin en aurait mis sa main au feu. Pour arriver comme ça, à l’issue du face à face avec le Défaiseur, il devait avoir une idée derrière la tête. Il fallait qu’Alvin trouve des réponses dans son chant.

Il était sur le point de parler, de poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis l’instant où il avait eu connaissance de sa destinée possible. Mais ce ne fut pas sa voix qui interrompit le ramage d’Oiseau Rouge. Ce fut celle d’Arthur Stuart.

« Je ne connais pas les jours à venir », fit le petit métis. Sa voix était comme de la musique et les mots sortaient plus clairs que tous ceux qu’Alvin avait jamais entendus dans la bouche d’un gamin de trois ans. « Je ne connais que les jours passés. »

Il fallut une seconde à Alvin pour saisir ce qui se passait. Ce que venait de dire Arthur, c’était la réponse à sa question. Est-ce que je serai un Faiseur comme la torche me l’a annoncé ? Voilà ce qu’Alvin voulait demander, et Arthur Stuart lui avait répondu.

Mais pas répondu de sa propre volonté, c’était évident. Le petit garçon ne comprenait pas plus ce qu’il disait que lorsqu’il avait imité la dispute de Conciliant et de Gertie la veille au soir. Il transmettait la réponse d’Oiseau Rouge. Traduisait son chant en langage clair aux oreilles d’Alvin.

Alvin s’apercevait à présent qu’il avait posé la mauvaise question. Pas besoin qu’Oiseau Rouge lui apprenne qu’il était censé devenir un Faiseur, ça, il le savait pour sûr depuis des années et ne l’oubliait pas malgré tous ses doutes. La vraie question, ce n’était pas si mais comment il allait devenir un Faiseur.

Dis-moi comment.

Oiseau Rouge modifia son chant en un air simple et doux, plus normal pour un oiseau, différent de l’histoire millénaire de l’homme rouge qu’il chantait jusqu’à présent. Alvin n’en comprenait pas le sens mais il savait tout de même de quoi il était question. Le chant du Faiseur. Sans arrêt, le même air se répétait, seulement par petits fragments… mais leur éclat aveuglait ; il y avait tant de vérité dans ce chant qu’Alvin le voyait avec les yeux, le ressentait des lèvres jusqu’à l’aine, le goûtait, le humait. Le chant du Faiseur, et c’était son chant à lui, il le reconnaissait à son goût si agréable sur la langue.

Et au plus fort du chant, Arthur Stuart se remit à parler d’une voix à peine humaine tant elle était flûtée, aiguë et claire.

« Le Faiseur, c’est celui qui fait partie de ce qu’il crée », dit le petit métis.

Alvin grava les mots dans son cœur, sans pour autant les comprendre. Parce qu’il savait qu’un jour il les comprendrait ; et ce jour-là, il aurait le pouvoir des anciens Faiseurs qui avaient bâti la Cité de Cristal. Il comprendrait, se servirait de son pouvoir, trouverait la Cité de Cristal et la rebâtirait.

Le Faiseur, c’est celui qui fait partie de ce qu’il crée.

Oiseau Rouge se tut. Il resta immobile, la tête dressée ; puis il ne fut plus Oiseau Rouge mais un oiseau banal avec des plumes écarlates. Il s’envola.

Arthur Stuart regarda l’oiseau s’éloigner hors de vue. Puis il l’appela de sa vraie voix d’enfant : « Oiseau ! Oiseau vole ! » Alvin s’agenouilla près du gamin, épuisé par le travail de la nuit, la peur du petit matin gris, le chant d’oiseau du grand jour.

« Moi, j’ai volé », dit Arthur Stuart. Pour la première fois, sembla-t-il, il remarqua la présence d’Alvin et se tourna vers lui.

« T’as fait ça ? murmura Alvin qui répugnait à briser le rêve de l’enfant en lui objectant que les gens ne volent pas.

« L’gros oiseau noir m’a emporté, dit Arthur. L’a volé et volé. » Puis il leva les mains et les pressa sur les joues d’Alvin. « Faiseur », dit-il. Puis il se mit à rire, à rire, ravi.

Arthur n’était donc pas un simple imitateur. Il avait réellement compris le chant d’Oiseau Rouge, du moins une partie. Suffisamment pour connaître le nom de ce que deviendrait Alvin.

« Le répète à personne, dit Alvin. Moi, j’répète à personne que tu connais comment causer aux oiseaux, et toi, tu répètes à personne que j’suis un Faiseur. Promis ? »

La figure d’Arthur prit un air sérieux. « Parle pas aux oiseaux, fit-il. C’est les oiseaux qui m’parlent. » Puis : « Moi, j’ai volé.

— J’te crois, dit Alvin.

— Toi, ch’te crois », fit Arthur. Puis il repartit à rire.

Alvin se leva et Arthur l’imita. Al le prit par la main. « On s’en r’tourne à la maison », dit-il.

Il ramena Arthur à l’auberge, où la Peg Guester gronda le petit sang-mêlé pour s’être ensauvé et avoir donné de l’inquiétude aux gens toute la matinée. Mais elle le gronda affectueusement, et le gamin sourit bêtement au son de voix de la femme qu’il appelait maman. Lorsque la porte se referma sur Arthur Stuart, Alvin songea : je vais dire à ce drôle ce qu’il a fait pour moi. Un jour je lui dirai ce que ça représente.

Alvin s’en revint par le chemin de la resserre et redescendit vers la forgerie, où Conciliant devait sûrement fulminer contre lui parce qu’il n’était pas à l’heure au travail, quand bien même il avait passé toute la nuit à creuser un puits.

Le puits. Alvin se retrouva près du trou creusé comme un monument dédié à Hank Dowser ; la pierre blanche luisait au soleil, aussi rayonnante et cruelle qu’un rire de mépris.

À cet instant, Alvin sut pourquoi le Défaiseur s’était approché durant la nuit. Non pas à cause du vrai puits qu’il avait creusé. Non pas parce qu’il s’était servi de son talent pour retenir l’eau, ni parce qu’il avait ramolli la pierre pour la façonner à son gré. C’était parce qu’il avait creusé ce premier trou jusqu’à la roche pour une seule raison : ridiculiser Hank Dowser.

Pour le punir ? Parfaitement ! Faire de Hank la risée de tous ceux qui verraient le puits et son fond de caillou à l’emplacement qu’il avait désigné. Ça l’anéantirait, son nom ne vaudrait plus rien chez les sourciers ; et ce serait injuste parce qu’il était vraiment un bon sourcier que la disposition du terrain avait abusé. Hank s’était trompé de bonne foi, et Al avait tout fait pour le punir comme le crétin qu’il n’était sûrement pas.

Quoique fatigué, affaibli par son labeur et sa bataille contre le Défaiseur, il ne perdit pas une minute. Il alla récupérer la pelle où il l’avait laissée, à côté du bon puits, puis il ôta sa chemise et se mit à l’ouvrage. En creusant ce mauvais puits, il avait fait le mal, il avait œuvré à la ruine d’un honnête homme sans autre raison que le dépit. Mais le combler, c’était un travail de Faiseur. Comme on était en plein jour, Alvin n’avait même pas besoin de recourir à son talent pour se faciliter les choses, il se donna à fond à sa tâche jusqu’à ce qu’il se sente près de mourir d’épuisement.

C’était le midi, il n’avait pas pris de dîner ni de petit déjeuner, mais le puits était entièrement rebouché, le gazon remis en place pour qu’il repousse ; à moins de faire bien attention, personne ne remarquerait qu’il y avait eu le moindre trou. Alvin se servit quand même un peu de son talent, vu qu’il était tout seul, pour remmêler les racines des herbes entre elles, les renfoncer et les lier dans le sol pour qu’aucun carré de gazon mort ne marque l’emplacement.

Mais durant tout ce temps, plus fort que le soleil sur son dos ou que la faim dans son ventre, ce qui le tourmentait, c’était la honte. La nuit dernière, tout à sa colère et à son envie de ridiculiser Hank Dowser, il ne lui était même pas venu à l’esprit d’accomplir une bonne action et d’utiliser son talent pour traverser la roche à l’endroit qu’avait choisi le sourcier. Personne n’aurait jamais su, en dehors d’Alvin, que l’emplacement ne valait rien. Voilà quel aurait été le geste chrétien, charitable. Quand un gars vous flanque une claque dans la figure, vous répondez en lui serrant la main, c’est ce que Jésus enseignait, mais Alvin ne voulait rien entendre, il était sacrément trop fier.

C’est ça qui a attiré le Défaiseur, se dit-il. J’aurais pu employer mon talent à construire, non à détruire. Plus jamais ça, plus jamais, plus jamais. Il répéta cette promesse trois fois ; elle était muette et personne ne la connaîtrait, mais il la tiendrait mieux que n’importe quel serment prêté devant un juge ou même un pasteur.

Il était bien temps. S’il y avait pensé avant que Gertie voie le mauvais puits ou tire de l’eau du bon, il aurait pu reboucher le second et s’arranger pour que le premier fonctionne, après tout. Mais maintenant, elle avait vu la pierre au fond, et s’il creusait au travers, alors ses secrets seraient mis à jour. Et une fois qu’on avait bu l’eau d’un nouveau puits, on ne pouvait jamais le combler à moins qu’il se tarisse de lui-même. Combler un puits en activité, c’était inviter la sécheresse et le choléra à vous poursuivre pour le restant de vos jours.

Il avait réparé son erreur au mieux. On peut regretter, on peut gagner le pardon, mais on ne peut rétablir les futurs possibles que les mauvaises décisions ont condamnés. Pas besoin d’un philosophe pour lui expliquer ça.

Conciliant ne travaillait pas au marteau dans la forge, pas plus qu’il n’y avait de fumée qui sortait de la cheminée. Le forgeron devait se trouver chez lui, occupé à quelque tâche domestique, se dit Alvin. Il remisa donc la pelle à sa place dans la forgerie puis prit la direction de la maison.

À mi-chemin, il passa près du bon puits ; Conciliant Smith était assis sur le petit muret de pierres qu’Al avait monté pour servir d’embase à l’abri.

« B’jour, Alvin, fit le patron.

— B’jour, m’sieur, répondit Alvin.

— J’ai laissé filer l’seau d’fer et d’cuivre jusqu’au fond du puits. T’as dû creuser comme un beau djab, mon gars, pour aller si loin.

— J’voulais pas qu’y s’tarisse.

— Et tu l’as déjà maçonné, dit le forgeron. Y a d’quoi s’étonner, moi j’dis.

— J’ai travaillé vite et dur.

— T’as aussi creusé où il fallait, j’vois ça. »

Alvin prit une profonde inspiration. « À c’qui m’semble, m’sieur, j’ai creusé ’xactement là où l’sourcier avait dit.

— J’ai vu un aut’ trou par là-bas, dit Conciliant Smith. Tout l’fond, c’est rien qu’du caillou, aussi dur et épais qu’les sabots du djab. Tu veux m’faire croire que tu cherches pas à c’que l’monde connaisse pourquoi tu l’as creusé ?

— C’vieux trou-là, je l’ai r’bouché, dit Alvin. J’voudrais avoir jamais creusé un puits pareil. J’ai pas envie qu’on raconte des histoires sur Hank Dowser. Y avait de l’eau là-bas, parfaitement, et pas un sourcier au monde aurait pu s’douter, pour la pierre.

— Sauf toi, fit Conciliant.

— J’suis pas un sourcier, m’sieur », dit Alvin. Et il répéta son mensonge : « J’ai jusse vu qu’sa baguette avait aussi bougé icitte. »

Conciliant Smith secoua la tête tandis qu’un sourire lui fendait lentement la face. « Ma femme m’a déjà raconté ça, et j’ai manqué mourir de rire. Je t’ai calotté par rapport que tu prétendais qu’il avait tort. Asteure tu m’dis que tu voudrais lui bailler tout l’mérite ?

— C’est un vrai sourcier, dit Alvin. Et moi pas, m’sieur, alors m’est avis que c’est à lui qu’y revient. »

Conciliant Smith remonta le seau de cuivre, le porta à ses lèvres et but quelques gorgées. Puis il pencha la tête en arrière et se versa le reste de l’eau sur la figure en éclatant d’un gros rire. « C’est la meilleure eau que j’ai bue d’ma vie, pour ça oui ! »

Il ne promettait pas de marcher dans son histoire ni de laisser Hank Dowser croire qu’il s’agissait de son puits, mais Al savait qu’il ne tirerait rien de plus de son patron. « Si ça vous fait rien, m’sieur, fit-il, j’ai un peu faim.

— Oui, va manger, tu l’as bien gagné. »

Alvin passa devant le forgeron. L’odeur de l’eau nouvelle monta du puits lorsqu’il fut à sa hauteur.

Conciliant Smith parla à nouveau dans son dos : « Gertie m’a dit que t’as bu la première gorgée du puits. »

Al se retourna, craignant à présent les ennuis. « Oui, m’sieur, mais c’est elle qui me l’a donnée. »

Conciliant réfléchit un moment, comme s’il se demandait s’il y avait là motif à punir ou non Alvin. « Ben ça, finit-il par dire, ben ça, c’est bien d’ses coups, mais y a pas d’mal. Y m’reste encore assez d’eau dans c’premier seau d’bois qu’on a tiré du puits, j’vais en mettre quèques gorgées d’côté pour Hank Dowser. J’y en ai promis du premier seau et j’tiendrai parole quand il r’passera.

— Quand il arrivera, m’sieur, fit Alvin, si ça vous ennuie pas, j’crois que j’aimerais mieux pas être là, et lui aussi il aimerait mieux, si vous voyez c’que j’veux dire. J’ai pas l’impression qu’il m’avait à la bonne. »

Le forgeron le regarda attentivement. « Si t’as trouvé c’moyen-là pour éviter d’travailler durant quèques heures quand ce sourcier reviendra, eh ben… – il eut un grand sourire – eh ben, m’est avis qu’ton ouvrage d’la nuit dernière, ça vaut bien ça.

— Merci, m’sieur, fit Alvin.

— Tu t’en retournes à la maison ?

— Oui, m’sieur.

— Bon, moi, je m’en vais ranger ces outils… toi, tu m’ramènes ce seau à la patronne. Elle l’attend. Ça fait plus près que l’ruisseau pour tirer de l’eau, y a bien moins long à porter. Faut que j’remercie tout spécialement Hank Dowser d’avoir choisi cet emplacement-là. » Le forgeron gloussait encore devant autant d’esprit lorsque Alvin atteignit la maison.

Gertie Smith prit le seau, fit asseoir Alvin et le gava jusqu’au goulet de lard frit tout chaud et de bons biscuits graisseux. Elle lui donna tant à manger qu’il dut la supplier d’arrêter. « On a déjà fini un cochon, dit-il. Pas b’soin d’en tuer un autre rien qu’pour mon p’tit déjeuner.

— Les cochons, c’est jamais qu’du maïs sur pattes, dit-elle, et ton ouvrage d’la nuit dernière, ça vaut bien deux gorets, c’est moi qui te l’dis. »

Le ventre plein, Alvin grimpa en rotant l’échelle pour gagner la soupente au-dessus de la cuisine, retira ses vêtements et s’enfouit sous les couvertures de son lit.

Le Faiseur, c’est celui qui fait partie de ce qu’il crée.

Il se répéta la phrase sans arrêt avant de s’endormir. Aucun rêve ni cauchemar ne vint troubler son sommeil, il dormit d’une traite jusqu’à l’heure du dîner, puis remit ça toute la nuit jusqu’à l’aube.

Lorsqu’il se réveilla le lendemain matin, juste avant le lever du jour, une faible lumière grise à peine plus claire que celle de la lune filtrait par les fenêtres dans la maison. C’est à peine si elle monta dans la soupente où couchait Alvin ; il ne se leva pas d’un bond, plein d’entrain, comme à son habitude, il se sentait vaseux d’avoir trop dormi et courbaturé par ses efforts de la veille. Il resta donc tranquillement au lit tandis qu’une espèce de chant d’oiseau ténu gazouillait au fond de sa tête. Il ne réfléchit pas à la phrase qu’Arthur Stuart avait traduite du chant d’Oiseau Rouge. Il se demanda plutôt ce qui s’était passé la veille. Comment avait-il chassé le plein hiver et ramené l’été rien qu’en criant ?

« Été, murmura-t-il. Air chaud, feuilles vertes. » Qu’est-ce qui faisait que lorsqu’il disait « été », l’été venait ? Ça ne marchait pas toujours comme ça, dame non – jamais quand il travaillait le fer ni quand il pénétrait dans la pierre pour la réparer ou la casser. Fallait qu’il garde bien leur configuration à l’esprit, qu’il comprenne comment les éléments s’ordonnaient, qu’il trouve les plis et les lignes de fracture, les fibres du métal et le grain de la roche. Et quand il guérissait, c’était si compliqué qu’il avait besoin de toute sa tête pour découvrir comment le corps devait s’agencer avant de le remettre en état. Tout était si petit, si difficile à voir… enfin, pas à voir, mais ça revenait à ça. Des fois, il lui fallait fournir de gros efforts pour saisir comment ça s’organisait à l’intérieur.

À l’intérieur, très loin, là où les composants étaient si ténus et délicats ; et les grands secrets de leur fonctionnement se défilaient comme des cancrelats quand on s’amène avec une lampe dans une chambre, ils devenaient tout le temps de plus en plus petits, trouvaient de nouvelles et curieuses façons de se combiner. Existait-il une particule plus petite que tout le reste ? Un point au cœur des choses où l’on voyait l’ultime réalité et pas seulement un assemblage d’un tas de pièces minuscules, elles-mêmes composées de pièces plus réduites encore ?

Il n’avait toujours pas compris comment le Défaiseur avait produit l’hiver. Alors comment ses cris de désespoir avaient-ils fait revenir l’été ?

Comment devenir un Faiseur si je ne comprends même pas ce que je fais ?

La lumière du dehors entra, plus forte, à travers les vitres indécises des fenêtres du dessous et, l’espace d’un instant, Alvin crut voir en elle de petites billes qui volaient à toute vitesse, comme si on les avait frappées avec un bâton ou tirées à la carabine ; elles allaient même plus vite que ça, elles rebondissaient partout, la plupart allaient se coincer dans les minces fentes des cloisons de bois, du plancher ou du plafond ; seules quelques-unes parvenaient jusqu’à la soupente où les yeux d’Alvin les captaient.

L’instant suivant, la lumière devint comme du feu, du vrai feu, qui dériva dans la soupente ; on aurait dit les vagues molles qui baignaient le rivage du lac Mizogan, et partout où le flot passait il réchauffait ce qu’il touchait : les murs de bois, la grosse table de la cuisine, le fer du fourneau ; si bien que tout frémissait, tout dansait comme animé d’une vie propre. Seul Alvin voyait ça, seul Alvin savait que toute la pièce s’éveillait avec le jour.

Ce feu du soleil, c’est ce que le Défaiseur déteste le plus. La vie qu’il donne. Éteindre ce feu, c’est à quoi songe le Défaiseur. Éteindre tous les feux, geler toute l’eau en glace ; le monde entier sous une couche uniforme de glace, l’ensemble du ciel noir et froid comme la nuit. Et pour se dresser contre la volonté du Défaiseur, un seul malheureux Faiseur incapable de bien faire même lorsqu’il creuse un puits.

Le Faiseur, c’est celui qui fait partie de… partie de quoi ? Qu’est-ce que je crée ? Comment j’en fais partie ? Quand je travaille le fer, est-ce que j’en fais partie ? Et quand je casse des cailloux ? Ça n’a pas de sens, et faut pourtant que j’en trouve un si je ne veux pas perdre ma guerre contre le Défaiseur. Quand bien même je le combattrais ma vie entière, de toutes les façons que je connais, le monde serait à ma mort encore plus bas sur la mauvaise pente qu’au jour de ma naissance. Il doit exister un secret, une clé qui me permettrait de construire instantanément. Faut que je trouve cette clé, c’est tout, que je trouve le secret, je prononcerai alors un mot, et le Défaiseur bondira en arrière, se tapira, renoncera et mourra, oui, peut-être même qu’il mourra, pour que la vie et la lumière durent toujours sans jamais s’éteindre.

Alvin entendit Gertie commencer à se retourner dans la chambre, et l’un des enfants émit un petit cri, dernier bruit avant le réveil. Alvin fléchit ses membres, s’étira, sentit se ranimer l’agréable, délicieuse courbature des muscles endoloris, et s’apprêta pour une nouvelle journée à la forge, une journée au feu.

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