Cinq

Accroupie près du corps, la caporale Maya évitait de le toucher et prenait soin de ne laisser aucune pièce de sa cuirasse, hormis la semelle de ses bottes blindées, entrer en contact avec le sol d’Europa. « Je ne crois pas que ce soit une des nôtres », avança-t-elle d’une voix neutre de professionnelle. En faisant preuve d’une surprenante délicatesse, elle déplaça du museau de son fusil quelques-unes des mèches qui masquaient le visage de la morte. Elles se brisèrent comme de minuscules glaçons.

« Ce n’est pas elle, déclara Desjani, la voix rauque. Ce n’est pas le lieutenant Castries.

— Vous avez capté, sergent ? s’enquit Geary.

— Cinq sur cinq, amiral. Nous avons fouillé le secteur, et c’est le seul cadavre.

— Le sas est juste au-dessus de moi, poursuivit Maya en se relevant. L’étui de son arme est vide. Ce n’est pas un suicide. Quelqu’un la lui a prise puis a balancé cette femme hors de l’appareil. Vous avez raison, sergeot. Elle essayait de remonter à bord quand Europa l’a tuée. »

Geary reporta le regard sur une autre fenêtre virtuelle ouverte près de celles des fusiliers ; celle-là montrait le docteur Nasr et le toubib chargé de la quarantaine en train d’observer la même scène. « Existe-t-il un moyen de déterminer si cette femme était contaminée avant sa mort, docteur ?

— Non, répondit succinctement le docteur Palden.

— Suggérez-vous qu’elle aurait été éjectée de l’appareil parce qu’elle était malade ? demanda Nasr. C’est difficile à dire compte tenu du peu de données dont nous disposons, mais, si les rapports sur le fléau sont exacts, si elle a bien été infectée et montrait des symptômes de la maladie, elle aurait été trop atteinte pour tenter de grimper. Une fois que le mal s’est manifesté, désorientation et faiblesse physique surviennent très vite. Les autres l’ont peut-être suspecté, à moins que le motif de son expulsion soit entièrement différent. »

Le docteur Palden se renfrogna mais ne chercha pas à le contredire.

« On l’a jetée dehors vivante, dit Desjani. On voulait qu’elle souffre. C’est un coup des ravisseurs. Rien à voir avec l’épidémie.

— Je suis de l’avis de votre commandant, déclara Nkosi. J’ai déjà vu des criminels expulser ainsi des gens par un sas. Ils s’appellent même ça “passer à la planche”, comme s’ils étaient des pirates de roman plutôt que de vulgaires assassins. »

Orvis devait être parvenu à la même conclusion. « Une de moins dont nous aurons à nous inquiéter. Très bien. Ils savent que nous sommes là puisque nous avons dû arroser la coque de ce coucou pour le clouer au sol. Première et troisième sections, commencez à forcer l’entrée. Feu à volonté. Éliminez toute menace mais veillez à ne tirer qu’après vous être assurés que votre cible n’est pas un de nos officiers. Ni grenades ni armes de zone. Il ne s’agit pas d’un assaut mais d’un sauvetage. Deuxième et quatrième sections, couvrez-les et assurez-vous que personne d’autre ne tombe d’une écoutille secondaire. »

La caporale Maya fit signe à sa section de venir la retrouver, plia les genoux puis bondit, droite comme un I, aidée par la faible gravité d’Europa et l’énergie déployée par sa cuirasse. Elle s’accrocha à l’écoutille extérieure et posa les bottes sur une étroite corniche qui courait juste en dessous, le long de la coque, pour attendre que trois fantassins de sa section l’eussent rejointe. Les autres se regroupèrent à leur pied. Sur l’autre flanc de l’appareil, le sergent Hsien et sa section s’attaquèrent à la seconde écoutille. Les sections commandées par le caporal Bergeron et le sergent Koury restèrent en position, l’arme braquée sur l’appareil furtif, prêtes à faire feu.

« Écoutille verrouillée, rapporta Hsien.

— Pareil ici, dit Maya.

— Forcez-les », ordonna le sergent Orvis.

Un première classe dont la légende de la fenêtre virtuelle indiquait qu’il était spécialiste en démolition et effraction se faufila près du sas et plaça un petit boîtier à côté de son panneau de commandes extérieur. « Qu’est-ce ? demanda le sénateur Sakaï depuis le fond de la passerelle, arrachant Geary à sa concentration.

— On appelle ça un passe-partout, répondit Geary. J’ai vu des fusiliers y recourir plusieurs fois. C’est conçu pour ouvrir une porte par tous les moyens disponibles. »

Au bout de quelques secondes, le première classe secoua la tête, donnant le tournis à ceux qui observaient la scène par la visière de son casque. « Marche pas. Notre matos n’arrive pas à prendre le contrôle du logiciel de ces types. Ce n’est pas aussi bizarre qu’un machin bof, mais c’est trop différent de ce que les Syndics et nous utilisons.

— Tu ne peux pas outrepasser mécaniquement ? demanda Hsien.

— J’essaie. » Deux autres secondes s’écoulèrent. « Pas facile de lire des trucs sur la coque extérieure avec tous ces revêtements de polymère intégral qui les masquent.

— Y a un mécanisme de verrouillage manuel, annonça son collègue qui œuvrait du côté de Maya. Regarde par là.

— Où ça ? Là ? Trouvé. Ça ressemble pas mal à nos propres dispositifs. Un champ magnétique juste ici… Ça y est ! »

Deux soldats ouvrirent le sas de l’écoutille pendant que leurs compagnons les couvraient. « La côte est claire, annonça le sergent Hsien en jetant un œil dans le petit compartiment qui s’ouvrait derrière.

— Ouvert et dégagé ! rapporta Maya de son côté.

— Grillez-moi ça ! » ordonna Orvis.

De part et d’autre, un fusilier balança un petit objet rond dans le sas le plus proche puis rejoignit ses compagnons qui s’écartaient déjà de l’écoutille extérieure. Geary vit clignoter des signaux d’alarme sur l’écran de chacun d’eux quand les impulsions électromagnétiques se déchaînèrent dans les sas, grillant toute l’électronique sauf celle protégée par un épais blindage, en même temps, du moins fallait-il l’espérer, que les mines, pièges, armes et autres senseurs.

« Prêts, annonça Maya.

— Prêts, lui fit écho Hsien.

— Parfait. Entrez. » Orvis attendit pendant que plusieurs fantassins s’engouffraient dans les deux sas, tandis que d’autres bondissaient sur les corniches que libéraient les premiers.

« Un blindage en composite léger sur la coque interne, rapporta Maya. Mais rien de tel sur l’écoutille intérieure.

— Même chose de votre côté, Hsien ? demanda Orvis. Très bien. Préparez les lamies pour faire sauter les portes. Je me charge du compte à rebours. À un, activez les lamies, attendez trois secondes, puis forcez les portes intérieures et entrez.

— Activer les lamies à un, attendre trois secondes et entrer, répéta Hsien.

— Activer à un, attendre trois et entrer », ajouta Maya pour indiquer qu’elle avait compris les instructions.

Un fusilier s’agenouilla devant l’écoutille intérieure de chaque sas et plaça un tube court devant la porte. Les deux première classe spécialistes en démolition et en effraction se plantèrent devant et appliquèrent en toute hâte sur leurs arêtes ce qui ressemblait à une bande étroite, puis ils en recouvrirent également la surface d’une sorte de croisillon de la même bande, avant d’y piquer un petit détonateur déclenché par télécommande et de reculer. « Ne bougez plus, ordonna Orvis. Au temps ! Trois… deux… un. »

Geary vit tressauter les images transmises par les soldats quand les tubes des lamies se déchaînèrent. Les hommes se redressèrent vivement, l’arme au poing. Ne restaient plus que des trous lisses là où les cartouches avaient perforé les écoutilles intérieures comme du papier.

« Trois… Feu ! » crièrent en même temps Hsien et Maya.

La bande adhésive posée sur les portes s’éclaira brusquement d’une intense brillance et rongea dans l’instant le matériau qui se trouvait derrière. Les écoutilles intérieures explosèrent en minuscules fragments qui, sous la pression de l’air s’échappant de l’appareil furtif, sifflèrent aux oreilles des fusiliers. Ceux-ci s’élancèrent dès que les débris furent passés et s’engouffrèrent dans l’appareil contre le vent de son atmosphère qui se déversait à présent dans celle, presque inexistante, d’Europa.

Même captées par les senseurs des soldats, les scènes auxquelles ils étaient confrontés à l’intérieur n’étaient que chaos et confusion. Chaque lamie avait explosé après avoir creusé son trou dans l’écoutille et déclenché ce faisant d’autres charges d’IEM, ainsi que d’éblouissantes déflagrations et un vacarme tonitruant. Des hommes et des femmes équipés d’armes de poing, qui avaient couvert les écoutilles de l’intérieur de l’appareil, refluaient à présent en désordre, parfois en frappant sur leur arme que leurs circuits grillés avaient rendues inopérantes, parfois en se cramponnant frénétiquement à l’équipement de leur combinaison de survie, parce qu’ils venaient brusquement de comprendre que lui aussi avait grillé.

Tout juste capables de s’immiscer dans les coursives étroites du petit appareil ainsi revêtus de leur cuirasse de combat, les assaillants n’en tiraient pas moins avec une redoutable efficacité. Tous les criminels encore armés furent touchés ou réduits à l’impuissance en l’espace de quelques secondes, tandis que les autres prenaient la fuite.

Une soldate de la première section s’arrêta brusquement pour regarder une silhouette qui se convulsait à ses pieds, puis elle fit feu.

« Hotch ! aboya le sergent Hsien.

— Il allait mourir asphyxié, sergent ! »

Hsien marqua une pause. « D’accord. Inutile de prolonger leur agonie comme eux l’ont fait à cette femme balancée par le sas. Nous avons six autochtones abattus de ce côté.

— Cinq malfrats à terre du nôtre, rapporta Maya.

— Continuez, ordonna Orvis. Sécurisez tout l’appareil. »

Les sections de Hsien et Maya parcoururent le coucou aussi vite que possible, défonçant littéralement les écoutilles et les portes grâce à la puissance de leur cuirasse de combat. Compte tenu des deux seuls ponts qu’abritait cet appareil de taille relativement réduite, cela ne leur prit guère de temps. Derrière eux, quelques-uns de leurs collègues fixaient en toute hâte des écoutilles hermétiques de secours aux sas endommagés afin d’empêcher l’atmosphère de s’échapper davantage de l’appareil échoué.

« Gare ! » cria soudain le première classe Francis.

Geary arracha son regard aux écrans des fusiliers des première et troisième sections. Francis, qui appartenait à la quatrième, était en train de regarder dehors et, en raison de son angle d’observation, avait été le premier à repérer une petite écoutille qui venait de s’ouvrir sous le ventre de l’appareil.

Deux silhouettes en combinaison spatiale s’en laissèrent tomber. Armées toutes les deux, elles continuaient de tirer frénétiquement dans leur chute.

Francis et une demi-douzaine de ses collègues ripostèrent et criblèrent de tirs les deux silhouettes avant même qu’elles n’eussent touché terre. Elles s’y vautrèrent et restèrent allongées sur la glace, inanimées.

« J’en ai encore un autre là ! appela un des hommes de la deuxième section. Devant, juste sous la proue ! »

Cette fois, on vit des armes de poing saillir de cette écoutille et tirer quasiment à l’aveuglette, puisque ceux qui les tenaient restaient entièrement à couvert.

« Se croient-ils dans une vidéo de merde ? » grommela le sergent Koury. Sa section et elle rendaient coup pour coup. Assistées par la précision des capacités de visée de leurs cuirasses, les IEM frappèrent les armes qui dépassaient de l’écoutille et en arrachèrent deux des mains de leur propriétaire tandis que la troisième explosait dans un brouillard de fluides propulseurs giclant en même temps. Les trois bandits tombèrent du sas : le premier se ramassa sur la glace qu’il continua de gratter faiblement, tandis que les deux autres palpaient fébrilement leur combinaison de survie, percée de trous par où l’air s’échappait.

« Nos ancêtres nous préservent, marmonna Orvis. Mettez fin à leurs affres, Koury.

— Mais, sergeot, on avait cessé d’achever même les Syndics ! Et si on les capturait plutôt ?

— On ne pourrait pas les ramener. Soit ils crèvent maintenant, soit ils agonisent lentement. Vous tenez à voir ça ?

— Non, répondit Koury au bout d’une seconde de réflexion. Mais je ne demanderai à personne de le faire. » Elle leva son arme et tira plusieurs fois.

« Ils font preuve de miséricorde, murmura, comme s’il cherchait à s’en convaincre, le commandant Nkosi à côté de Geary.

— Encore quatre autres ici », rapporta un première classe de la troisième section depuis l’intérieur de l’appareil. L’image transmise par sa visière montrait quatre criminels terrifiés tassés l’un contre l’autre entre les couchettes d’un dortoir, dans un compartiment tout juste assez large pour en contenir quelques-unes vissées aux cloisons.

« Des armes ? demanda le sergent Hsien

— Je n’en vois aucune, sergent.

— Demandez-leur s’ils savent où se trouvent les officiers de la flotte. »

Le soldat retransmit la question par son haut-parleur externe. Le son était à peine audible dans l’atmosphère désormais raréfiée de l’appareil. « Ils disent l’ignorer, sergent.

— Alors ressortez et laissez un homme de garde dans le compartiment pendant que vous continuez à fouiller.

— Eh, sergeot ! l’appela Maya une minute plus tard. On dirait bien que cette écoutille mène à la passerelle. »

Le commandant Nkosi adressa un signe de tête à Geary. « Ça correspondrait assez à ce modèle de spationef. L’écoutille est probablement blindée en prévision d’une mutinerie.

— On connaît ça, laissa tomber Geary avant d’appeler Orvis. Le commandant local confirme que la caporale Maya a vraisemblablement trouvé la passerelle. L’écoutille risque d’être blindée, de sorte qu’elle devrait faire aussi office de citadelle, comme chez les Syndics.

— Merci, amiral. Nous avons fouillé tout l’appareil à l’exception de ce qui se trouve derrière cette écoutille. Nos gens s’y trouvent sûrement, avec qui sait combien d’ennemis encore actifs. Nous en avons dénombré vingt jusque-là, amiral.

— Ce compartiment ne doit pas être très large, les avisa Nkosi. Il ne peut guère en contenir plus d’une douzaine. Si vos officiers sont dedans, faire sauter l’écoutille pourrait mettre leur vie en danger.

— Nous n’avons guère le choix », dit Geary. Il tourna les yeux vers Desjani. Son masque rigide ne trahissait aucune émotion, mais il lisait l’anxiété dans son regard. Cela étant, elle répondit à sa question muette par un hochement de tête.

« Vous avez raison, amiral, ajouta-t-elle. Néanmoins, voyons ce dont est capable le sergent Orvis.

— Je me dirige vers l’écoutille de la passerelle », annonça celui-ci avant de faire un bond puis de se hisser dans le sas provisoire, constitué de couches superposées d’un fin matériau transparent que la faible pression qui régnait encore dans l’appareil faisait faseyer à l’extérieur. « Maya, je voudrais que tu entres en force avec la moitié de ta section. Ne fais rien avant mon arrivée. À voir comment ça se passe, nous ne pouvons pas nous permettre d’employer une lamie sans risquer de nuire sérieusement aux officiers de la flotte.

— M’étonne pas, grommela Maya. Jaworski, ramène ta viande ici. Vous autres, restez en position, tas de macaques. »

Orvis déambula péniblement dans l’appareil jusqu’à atteindre l’écoutille où l’attendaient Maya et ses fantassins. « Tu as essayé de frapper ? D’appuyer sur un bouton ?

— Non, sergeot. Vous m’avez dit de ne rien faire.

— Et tu m’as écouté ? Tu passeras peut-être sergent un jour. » Orvis gagna la cloison où s’ouvrait l’écoutille et l’examina soigneusement. « Jamais vu ce modèle. Mais elle n’a pas l’air blindée. Voyons un peu qui est à la maison avant de l’abattre. »

Il tendit la main pour effleurer d’un index cuirassé le panneau de com voisin. « Ça devrait être la sonnette, non ? »

La réponse à cette question lui fut fournie une seconde plus tard : le panneau de com s’éclaira, montrant un homme au visage convulsé de terreur qui brandissait une arme de poing. « Je les détiens ici ! Forcez l’écoutille et je les descends tous les deux !

— Martien, affirma le commandant Nkosi d’une voix trahissant clairement son écœurement. Le tatouage derrière son oreille gauche. C’est la marque d’un gang chez les mafieux rouges.

— Hé, détendez-vous ! » Le sergent Orvis s’adressait au criminel d’une voix apaisante, contrastant singulièrement avec sa façon de s’exprimer habituelle. « Vous pouvez m’entendre ?

— Ouais. Ouais. Enfoncez l’écoutille et je les abats !

— Compris. On ne s’en prend pas à vous. On ne veut que nos deux officiers.

— Ce n’est pas ma faute si on se retrouve ici ! » cria le preneur d’otages. Ses paroles se chevauchaient, il parlait trop fort et sur un débit trop rapide. « C’est la faute de Grassie ! Elle nous a fait atterrir sur Europa avant qu’on ne comprenne ses intentions ! Je n’y suis pour rien !

— Je me fiche de qui c’est la faute, mon pote ! Je veux juste qu’on nous rende les nôtres indemnes, lui assura Orvis. On laissera aux locaux le soin de décider du sort de ta Grassie. »

L’homme éclata d’un rire suraigu passablement exaspérant. « On s’en est déjà chargés ! On l’a balancée par un sas pendant qu’elle continuait de se vanter d’avoir un plan pour nous tirer de là ! C’est sa faute ! Elle voulait aller sur Europa ? On a exaucé ses vœux ! »

Ça expliquait au moins la présence d’un cadavre dehors. « Les tarés ! lâcha Desjani d’un air dégoûté. Ils ont paniqué et tué leur pilote.

— Ils doivent avoir un remplaçant à bord, suggéra le commandant Nkosi. Ou, du moins, un programme de pilotage automatique. Mais ça n’en reste pas moins un acte stupide et bestial. »

Le sergent artilleur Orvis s’adressa de nouveau au preneur d’otages de la même voix calme et mesurée : « D’accord. Vous avez réglé le cas de votre pilote. On n’a donc plus aucun problème.

— Au… Aucun problème ? » L’homme avait l’air aussi stupéfait que terrifié.

« Exactement. Vous êtes seul là-dedans avec les nôtres ? De quoi avez-vous besoin ?

— Quoi ? » Le criminel fixa Orvis d’un œil éberlué.

« Qu’est-ce qu’il vous faut ? On fait chacun notre boulot, vous et moi, pas vrai ? Le mien consiste à récupérer ces officiers sains et saufs. C’est mon but. Quel est le vôtre ? Passer un marché ?

— Un marché ? » Le preneur d’otages se raccrocha à ce dernier mot comme un homme dans le vide à une combinaison de survie. « Ouais. Un marché. Je vous les échange.

— Correct, déclara Orvis. Contre quoi ? Quel est le marché ?

— Euh… Vous m’arrachez à ce caillou, voilà le marché ! Promettez-moi de m’emmener avec vous puis de me laisser filer, sinon je tue vos amis ! »

Orvis tendit son fusil au plus proche fantassin puis montra pacifiquement ses mains vides. « C’est tout ? Rien d’autre ?

— Ouais ! Jurez-moi de m’embarquer loin d’Europa ! En un seul morceau !

— Bien sûr, reprit Orvis. On se moque de ce qui vous arrive. Marché conclu.

— Marché conclu ? Comme ça ? Vous n’avez pas à en référer à vos supérieurs ?

— Jamais de la vie ! J’ai toute latitude en la matière. Vous nous laissez entrer, on récupère nos deux officiers sains et saufs et on fait ce que vous demandez. »

Le commandant Nkosi foudroya Geary du regard. « Amiral, vous ne pouvez pas… »

Geary secoua la tête. Devant son visage sévère, Nkosi ravala ses paroles suivantes. L’amiral venait de comprendre ce qu’Orvis méditait de faire incessamment et une boule se forma dans son estomac, mais aucun contre-ordre destiné à l’en empêcher ne lui vint aux lèvres. Je dois prendre ma part. Je savais qu’on en arriverait là. J’en suis responsable. « Vous n’avez pas à vous inquiéter, promit-il à Nkosi.

— Que non pas », renchérit Desjani. Elle n’avait pas l’air perturbée. Seulement implacable. Geary se demanda à combien de reprises elle avait dû affronter une situation analogue et prendre la même décision.

Le traître qui avait fourni à l’Alliance une clef de l’hypernet syndic puis conduit sa flotte dans une embuscade qui aurait pu causer sa destruction était mort sur cette même passerelle. Nul n’avait jamais dit à Geary qui avait pressé la détente, mais, qu’elle eût ou n’eût pas exécuté cet homme, il l’en savait capable.

Enfant d’une guerre interminable, elle faisait ce qu’il fallait.

« Mais votre sergent lui a promis… reprit Nkosi.

— Nous avons livré une guerre d’un siècle à des adversaires capables de mentir comme des arracheurs de dents et de commettre les pires atrocités, le coupa Desjani. Elle nous a appris à faire le nécessaire. »

Nkosi la fixa. « Mais… l’honneur…

— Non. Ne vous aventurez pas sur ce terrain, déclara Desjani de sa voix la plus mortellement dangereuse. Vous n’avez pas le droit de nous juger. »

Le commandant détourna les yeux, manifestement bouleversé, mais il n’ajouta rien.

« Vous me le promettez ? demandait de nouveau le preneur d’otages. Vous tiendrez parole ?

— Oui, c’est promis, répondit nonchalamment Orvis. Ouais, nous tiendrons parole. » À l’insu du criminel, mais ni de Geary ni des observateurs qui assistaient à ce qu’affichait la visière d’Orvis, le sergent artilleur cocha l’image de son interlocuteur puis passa en surbrillance le nom de la caporale Maya. Presque instantanément, l’AR de Maya clignota vert sur son écran.

« Écoutez, insista Orvis, vos supports vitaux sont en train de s’épuiser là-dedans, et, plus nous nous attardons sur cette boule de glace, plus nous prenons de risques. Finissons-en, voulez-vous ? »

Le preneur d’otages hésita puis hocha la tête. « D’accord. N’oubliez pas. Vous avez promis. J’ai un enregistrement.

— Parfait. Moi aussi. »

Un bruit sourd se fit entendre, les verrous de l’écoutille se rétractant, puis elle s’ouvrit à la volée. L’air s’évada en rafales de la passerelle, sa pressurisation et celle du reste de l’appareil se remettant à niveau. Orvis entra lentement, toujours désarmé, en levant les mains le plus haut possible, puis il traversa le sas. Quelques soldats lui emboîtèrent le pas, le canon de leur fusil pointé vers le pont ou le plafond, en s’efforçant d’adopter une allure détendue. La caporale Maya fermait la marche. Son arme n’était pas braquée directement sur le preneur d’otages.

Le criminel ne se fiait manifestement pas aux fusiliers. Le museau de son pistolet était collé au front du lieutenant Castries. Celle-ci, les yeux clos, était mollement affalée dans un fauteuil, vêtue d’une combinaison informe.

« Droguée, affirma Nasr à Geary. Si elle n’était qu’inconsciente, son souffle serait plus rapide. »

Le lieutenant Yuon, quant à lui, gisait sur le pont près du fauteuil de Castries, parfaitement inerte. Seule sa poitrine se soulevait et s’affaissait lentement au rythme de sa respiration.

Le preneur d’otages concentrait toute son attention sur Orvis et les fusiliers du premier rang, de sorte qu’il ne remarqua pas que l’arme de Maya se relevait légèrement et le prenait pour cible. « Comment allons-nous procé… », commença-t-il.

À si courte portée, le tir et l’impact parurent se confondre. Le preneur d’otages tressauta quand le faisceau d’énergie de l’arme de Maya lui emporta la tête avant de frapper un des écrans qui se trouvaient derrière lui.

Orvis le rejoignit d’un pas vif et arracha le pistolet de la main flasque du cadavre, qui, en raison de la faible gravité d’Europa, n’avait pas encore touché le pont.

« Quel demeuré, lâcha Maya sur le ton de la conversation. Même les Syndics ne sont plus assez bêtes pour tomber dans ce panneau.

— Parce qu’ils nous l’ont enseigné, rétorqua Orvis en faisant preuve d’une brutale franchise.

— On ne pouvait pas le ramener, sergeot ! Le seul moyen de l’empêcher de tuer nos deux gradés, c’était de lui dire ce qu’il voulait entendre.

— Ça n’en reste pas moins une promesse mensongère. À notre retour à bord, rappelle-moi d’aller me faire pardonner ce mensonge par mes ancêtres.

— Entendu, sergeot, répondit Maya d’une voix soumise. Ça ne sera pas une première, n’est-ce pas ?

— Sûrement pas, bon sang ! Mais j’espère bien que c’est une dernière. » La voix d’Orvis se départit de toute trace de douce persuasion. « Très bien, bande de macaques ! Fourrez-les tous les deux dans les cuirasses d’appoint ! Réduisez au minimum les contacts jusqu’à ce qu’elles soient hermétiquement scellées !

— Réduire… quoi, sergeot ? demanda un première classe.

— Ne les touchez pas !

— Comment leur enfiler ces cuirasses sans les toucher, sergeot ?

— Veillez à ne pas les toucher quand vous les touchez, voilà comment ! Exécution, maintenant ! »

Alors qu’à bord de l’Indomptable on regardait les fusiliers enfermer les lieutenants Castries et Yuon inconscients dans leur cuirasse hermétique, le commandant Nkosi secoua la tête. « Si j’avais fait cela, on m’aurait jeté en prison.

— Une chance pour vous qu’on se soit trouvés là pour s’en charger, répliqua Desjani, mordante.

— Ce n’est pas fini, loin s’en faut, déclara Geary pour couper court à un pénible débat. Il faut encore les récupérer. »

Nkosi se lécha les lèvres avant de reprendre la parole. « Amiral, vous comprenez que, si mes médecins ne me garantissent pas que la cuirasse de vos fusiliers a bien été décontaminée, mes vaisseaux devront tirer sur eux avant que votre bâtiment n’ait pu les embarquer. Ma présence à votre bord ne les empêchera nullement de suivre mes ordres à la lettre.

— Je n’en attends pas moins d’eux, répondit Geary. Mais, jusque-là, vos médecins ont l’air satisfaits. » Il ne se donna pas la peine d’ajouter ce que tout le monde savait : l’Indomptable ne resterait certainement pas les bras croisés si les unités chargées d’appliquer la quarantaine s’en prenaient aux fusiliers de l’Alliance. « Nous nous sommes occupés de l’appareil furtif pour vous », rappela-t-il à Nkosi.

Orvis vérifiait les joints hermétiques des cuirasses abritant à présent Yuon et Castries. « Ça m’a l’air parfait. Allons-y. Tout le monde dégage. »

Les fusiliers s’ébranlant, Maya et trois soldats de sa section se chargèrent de transporter les deux lieutenants. Un homme posa une question plaintive : « Sergent ? Et ces gars, là-bas ? Les quatre du compartiment d’accostage ?

— Oublie-les ! aboya Hsien.

— Mais…

— Oublie-les, c’est tout ! »

L’homme s’éloigna au trot, comme pressé de fuir le compartiment où les quatre derniers criminels étaient encore en vie. Ses coéquipiers, eux aussi, dégagèrent les coursives au plus vite pour gagner en toute hâte le sas provisoire, en enjambant au passage les cadavres de ceux qui avaient défendu l’entrée.

Orvis attendait sur la glace pour dénombrer les fantassins qui émergeaient de l’appareil et sautaient à côté de lui. « Ça s’arrête là.

— Sergeot ? demanda le première classe qui avait gardé les quatre prisonniers.

— Je sais ce que tu vas me demander. On ne peut rien faire pour eux. Ils se le sont infligé eux-mêmes.

— Sergeot, cet appareil est maintenant une épave. Ça va devenir invivable dans… »

Orvis montra d’un geste le spationef échoué. « Nous avons laissé les armes de ceux que nous avons abattus à l’intérieur. Certaines fonctionnent encore. Et nous n’avons pas touché aux réserves de médicaments et de drogues. Il y en a bien assez pour les assommer tous quand viendra la fin. Ils ne sentiront rien. Nous ne pouvons pas davantage pour les quatre survivants. Tu comprends ? C’est le mieux que nous puissions faire. À moins que tu n’aies envie de remonter les achever toi-même.

— Non, non, sergeot. Je fais déjà trop de cauchemars comme ça.

— Toi comme moi. En rang, maintenant. On saute dans l’ordre. Vérifiez vos réacteurs. Mettez tout ce que vous avez dans le ventre dans ce saut, et ils s’activeront automatiquement dès que vous aurez quitté le sol. »

Les fusiliers formaient une vague colonne à la surface d’Europa ; la plupart levaient la tête vers la masse de Jupiter qui les surplombait. Aucun ne regardait la glace dure et sale qui le portait. « Conformez-vous aux instructions, les avisa encore Orvis. Intervalles de trois minutes. Déconnez et moi-même je ne pourrai pas vous sauver. Nos lieutenants sont toujours dans le coaltar, Maya ?

— Ouais, sergeot. Ça doit être chouette de faire la grasse matinée, non ?

— Hilarant. Ceux qui les portent et toi, asservissez leurs cuirasses aux vôtres afin qu’ils sautent automatiquement avec vous.

— Vu ! O.K., sergeot, leur cuirasse est en mode zombie. »

Geary se tourna vers Desjani, qui étudiait son écran. « On est en position ? Nous sommes parés. Navettes en attente.

— Sergent artilleur Orvis, on n’attend plus que vous.

— C’est parti, annonça Orvis à ses fusiliers. Prêts ? Je commence le décompte. Un. »

Les genoux déjà fléchis, le premier de la colonne se détendit en un saut convulsif ; combinée à la faible gravité, l’énergie de sa cuirasse le précipita vers le ciel avant que ses réacteurs ne s’activent pour l’arracher à Europa à une vitesse fulgurante.

Trois minutes plus tard, un deuxième l’imitait. Puis un troisième, un quatrième…

Geary suivait leur progression sur son écran : un chapelet de silhouettes s’élevant d’Europa. L’idée le frappa brusquement qu’ils étaient les premiers à quitter cette lune maudite depuis qu’une épidémie engendrée par l’homme l’avait frappée plusieurs siècles plus tôt. De là-haut, il voyait le dôme d’une des cités qui, depuis, n’abritait plus que des défunts mais dont les lumières alimentées par l’énergie solaire brillaient encore, créant une image trompeuse de vie et de chaleur là où tout était mort et glacé.

Lorsque le premier fusilier atteignit l’orbite, une des navettes largua un câble qui s’accrocha à sa jambe. Elle le tracta ensuite à proximité de l’Indomptable puis attendit.

Desjani pressa une de ses touches de com. « Chef Tarrini, ciblez ce soldat. Veillez à ne rien oublier. »

Une des lances de l’enfer du vaisseau se déclencha. Le faisceau de particules à pleine puissance aurait sans doute perforé la cuirasse du fusilier de part en part, mais il avait été soigneusement réglé afin de dégager une énergie suffisante pour ne désintégrer que sa couche extérieure. Alors qu’elle tressautait sous l’impact, Geary entendit grogner son occupant, tant étaient violents les coups qui, au travers, se transmettaient à son corps. La corrosion s’étendant rapidement à toute la surface de la cuirasse, des données chiffrant le stress apparurent sur la visière, ainsi que des alertes. Puis image et son furent coupés net : l’ultime cinglon avait vaporisé les derniers relais extérieurs.

La navette se servait du câble pour faire précautionneusement pivoter le patient et veiller à ce que le faisceau couvre toute la surface de sa cuirasse.

« Qu’en dites-vous ? » demanda Geary à Nasr.

Le docteur Palden répondit la première. « Ce point-ci mérite une autre frappe. Sous la fixation du câble aussi, n’oublions pas.

— Dès que la navette l’aura relâché, fit observer Nasr d’une voix inhabituellement tranchante.

— Allez-y », concéda Palden de mauvaise grâce.

Quelques secondes plus tard, les deux médecins donnaient leur approbation. La première navette éjecta le câble contaminé afin qu’il retombe sur Europa puis en lança un autre pour agripper le fusilier suivant, tandis que la deuxième allait recueillir celui déjà soigné. Geary souffla pesamment lorsqu’il consulta les chiffres de la température imposée à sa cuirasse. « J’espère que le docteur Nasr et le sergent Orvis ne se sont pas trompés en affirmant que son occupant pourrait supporter ce traitement. »

Desjani, qui commençait à se détendre, lui adressa un sourire entendu. « Les médecins peuvent parfois se tromper, mais les sergents artilleurs… ? Jamais. »

Pendant qu’on flagellait le deuxième fusilier, on hissait le premier à bord de la seconde navette ; tout le monde retint son souffle tandis que les médecins étudiaient scrupuleusement leurs données. « Il est entièrement décontaminé », déclara le docteur Nasr.

Palden se renfrogna sans doute lorsqu’elle consulta les mêmes données, mais elle ne dit rien.

« Il y a quelqu’un dans cette cuirasse, finit par l’aiguillonner Nasr.

— Je dois en être sûre ! » Mais elle haussait les épaules un instant plus tard. « C’est bon.

— Sortez-le de là », ordonna Desjani.

Geary vit les soldats s’agenouiller devant la silhouette rigide du fusilier. Le chef Gioninni supervisait lui-même l’opération, et Geary avait déjà assisté au désossement d’une cuirasse brisée par les techniciens chargés de la maintenance de la coque de l’Indomptable : ils la dépeçaient littéralement pour récupérer les pièces détachées nécessaires à leur équipement. Il ne trembla pas moins quand des lames monomoléculaires incroyablement tranchantes, capables de sectionner un bras ou une jambe sans rencontrer de résistance, entreprirent de la découper.

Mais, quand elles se retirèrent, rien ne parut problématique. « Posez les pignons », ordonna Gioninni après avoir inspecté les entailles.

Geary n’avait pas la première idée de la désignation technique officielle de ces « pignons ». Comme tout un chacun, il avait entendu donner universellement ce surnom (et ce depuis plus d’un siècle) aux dispositifs destinés à ouvrir en force n’importe quel objet à partir du plus étroit orifice. La rumeur affirmait qu’il dérivait de la capacité des champignons à fendre jusqu’aux dalles de béton lorsqu’ils poussaient.

Les techniciens se plièrent aux instructions de Gioninni et appliquèrent des patchs de pignons sur les entailles de la cuirasse. De microscopiques filaments en émergèrent pour s’y infiltrer, avant de grossir, de s’allonger et d’élargir inexorablement ces ouvertures en dépit de la très forte résistance des couches internes de la cuirasse. Arrivés à la limite de leur allonge et de leur existence, les pignons se flétrirent et tombèrent.

« Désincarcérez-le », ordonna Gioninni.

Les techniciens s’agenouillèrent de nouveau devant le fusilier pour l’extraire de sa cuirasse tronçonnée. Le première classe, encore étourdi par les coups de fouet de la lance de l’enfer et la chaleur qui avait régné à l’intérieur, les dévisagea, l’œil vitreux. Un matelot l’aida à s’asseoir puis lui tendit une boisson qu’il téta avidement.

L’homme reposa ensuite le récipient en forme de bulbe et adressa aux spatiaux un regard lourd de reproches. « Le sergeot avait promis de la bière.

— Vous en aurez dès que vous serez remontés à bord du croiseur, le rassura Gioninni. Pour l’instant, la potion que les toubibs vous ont concoctée est plus salutaire.

— Visez-moi tous ces bleus sur sa peau, fit remarquer un technicien en feignant l’effroi. À croire que tu rentres d’une perme fichtrement agitée.

— C’est pas vraiment l’effet que ça me fait, grommela le fusilier avant de siroter en grimaçant une autre gorgée de son breuvage.

— Peu importe, dit l’autre. Vous avez fait du sacrément bon boulot en bas, les gars.

— Bah, on a juste fait notre taf. Ces bouffons n’avaient aucune chance. » Il fixa le néant d’un œil sombre pendant que les spatiaux se préparaient à accueillir le suivant.

Décontaminer tous les fusiliers puis les désincarcérer de leur exosquelette en ruine parut exiger une éternité. Mais, finalement, le sergent Orvis (le dernier) s’en extirpa tout seul, le visage déjà constellé d’ecchymoses naissantes, en dédaignant l’assistance des spatiaux exténués. Il se tourna vers la pile de cuirasses détruites et secoua la tête. « Mission accomplie, amiral. Mais les petits hommes en gris vont tirer la gueule en voyant toutes ces cuirasses déglinguées.

— Je laisse au capitaine Smyth le soin de s’en inquiéter », répondit Geary, sachant que son chef de l’ingénierie saurait trouver un moyen d’expliquer cette dépense aux comptables, ou, tout du moins, de les embrouiller suffisamment pour qu’ils n’élèvent pas d’objections. « Mais l’opération n’est pas entièrement terminée. » Les cuirasses renfermant les lieutenants Yuon et Castries gisaient encore sur le pont de la navette, intactes, mais leur couche extérieure noircie et irradiant de la chaleur. « Le docteur Nasr vous retrouvera dans la soute des navettes. Veuillez aider à transférer ces deux cuirasses dans le compartiment de quarantaine du service médical.

— À vos ordres, amiral. Je dois cependant vous dire une chose : à l’intérieur de ces cuirasses, c’est franchement l’enfer. Il faudrait en débarrasser ces deux lieutenants le plus vite possible. »

Entre-temps, la navette avait pratiquement rejoint l’Indomptable. En l’espace d’une minute, elle se posa et abaissa sa rampe d’accès. Les fusiliers épuisés grognaient assez fort pour exprimer leur mécontentement, mais pas assez toutefois pour s’attirer une rebuffade de la part du sergent Orvis. Ils enfilèrent des gants isolants et hissèrent les officiers encore encastrés sur des civières métalliques qui s’éloignèrent aussitôt, suivies au pas de course par les docteurs Nasr et Palden.

Geary éprouva lui-même une envie pressante de gagner le lazaret au trot, mais, dans la mesure où il continuait d’observer la situation, il préféra rester sur la passerelle et assister de loin au transfert des deux lieutenants. C’était tout juste s’ils pouvaient tenir à deux dans l’étroit compartiment de quarantaine, réservé aux urgences les plus extrêmes et conçu normalement pour une seule personne.

Le docteur Nasr en activa les dispositifs autonomes avec une diligente assurance. Après avoir vérifié que les fermetures hermétiques du compartiment étaient en place et solidement verrouillées, il les régla pour découper les cuirasses. Le processus était certes plus long et complexe qu’avec l’assistance physique des spatiaux, mais les corps flasques des deux lieutenants furent bientôt extraits de leur coquille protectrice.

Des manchons chargés du télédiagnostic s’ajustèrent d’eux-mêmes aux bras des deux officiers, prélevèrent des échantillons et procédèrent à des relevés qui furent ensuite retransmis à Nasr. « Aucun signe d’infection, déclara-t-il avec soulagement.

— Aucun signe d’une infection active », corrigea le docteur Palden.

Au lieu de répondre, Nasr ordonna au matériel robotisé du compartiment de commencer à perfuser les deux lieutenants de solutions chargées au premier chef de les alimenter et de les hydrater, mais contenant aussi des drogues destinées à contrecarrer les effets de celles qui les maintenaient dans un semi-coma.

Au bout de quelques minutes, le lieutenant Castries cligna des paupières puis regarda autour d’elle, quelque peu sonnée. Elle essaya de se relever, chancela puis abaissa un regard confus sur les manchons médicaux et les divers tuyaux et dispositifs reliés à sa personne. À la vue des bleus et des ecchymoses qui marquaient ses quelques plages de peau visibles, Geary eut une grimace de commisération et espéra que ce que lui administraient les toubibs contenait aussi de puissants analgésiques.

Le docteur Palden consultait les relevés avec attention. Son visage exprimait la suspicion. « Faiblesse et désorientation, conclut-elle comme si elle prononçait une sentence de mort.

— Parfaitement explicables par l’épreuve qu’elle a endurée et sa condition physique présente, rétorqua le docteur Nasr. La température corporelle se stabilise et revient à la normale. Les fonctions cérébrales ne montrent aucun signe de détérioration ni d’anomalie.

— Effectivement », concéda Palden à contrecœur.

Le lieutenant Castries avait relevé les yeux pour fixer l’écran de contrôle du compartiment. « Que s’est-il passé ? Où… C’est l’Indomptable ? »

Geary intervint. « Oui, lieutenant. Vous êtes saine et sauve à bord de l’Indomptable. Saviez-vous que vous avez été kidnappée ?

— Hein ? Je marchais dans la rue et… je me retrouve ici. » Elle regarda autour d’elle et repéra Yuon, qui commençait à remuer. « Lui aussi ? Pourquoi sommes-nous là tous les deux ? Et qu’est-ce que… ? » Castries regardait les cuirasses brisées, complètement abasourdie.

« Vous êtes placée en isolement médical total, expliqua le docteur Nasr. Vous ne présentez aucun signe d’infection active, mais il vous faudra rester dans ce compartiment pendant encore au moins trois semaines.

— D’infection ? » Castries regarda sa main, laquelle était couverte de diverses nuances de noir, de violet et de vert, les bleus commençant d’apparaître.

« Vous étiez sur Europa.

— Je… C’est… Quoi ? Je suis vraiment réveillée ? C’est bien réel ? Je dois passer trois semaines là-dedans ? » Castries prit brusquement conscience de quelque chose et reporta le regard sur Yuon, qui commençait à son tour à cligner des paupières. « Trois semaines avec lui dans ce trou à rats ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? se désola-t-elle.

— Peut-être un sédatif est-il indiqué ? » suggéra Palden, impassible.

Soulagé de trouver Castries en bon état et d’avoir finalement mené à bien une opération de sauvetage passablement risquée, Geary ne put s’empêcher de laisser échapper un petit rire en se tournant vers Desjani. « Je crois qu’on peut désormais écarter tout sujet d’inquiétude quant au sort de Yuon et Castries. »

Elle sourit. « On ne sait jamais. Ils vont se retrouver tous les deux coincés là-dedans pendant trois semaines, de sorte qu’on ne saurait exclure un… comment dit-on déjà ?… syndrome de Stockholm. »

Geary raccompagna le commandant Nkosi à la soute des navettes, où les deux médecins, le chef Tarrini et les deux spécialistes de l’armement qu’avait amenés Nkosi les retrouvèrent. Derrière Geary venaient le sénateur Sakaï et Victoria Rione. À son entrée, l’amiral constata qu’un jovial chef Gioninni avait acculé les deux spécialistes dans un angle où, manifestement, il les remerciait profusément.

Nkosi s’arrêta avant de pénétrer dans sa navette personnelle pour consulter son unité de com. « Mon vaisseau me fait suivre un message. Le gouvernement de Sol m’ordonne de ne pas autoriser votre opération avant plus ample réflexion. »

Geary sourit. « Les limitations et délais imposés par les vitesses subluminiques peuvent parfois jouer dans votre camp.

— Absolument, surtout quand ceux à qui l’on envoie ses rapports et qui vous transmettent leurs ordres se trouvent à près d’une heure-lumière. » Nkosi hésita un instant. « Je leur rapporterai ce que j’ai vu.

— C’était l’idée générale, convint Geary, dont le sourire s’effaça. Nous n’avons rien cherché à vous cacher. Et nous n’avons fait que ce que vous-même auriez fait si vos ordres vous l’avaient permis, et cela le plus tôt possible.

— Oui, renchérit Rione. Ce que vos ordres auraient exigé. Veillez à le répéter à tout le monde, commandant. Nous avons pris les dispositions que nous imposaient les lois du système solaire. »

Nkosi soutint son regard sans ciller. « Je veillerai à ce que ce soit largement diffusé. Faire appliquer la quarantaine à Europa a été une tâche solitaire, passablement ennuyeuse et, parfois, une horrible expérience. Je n’hésiterai pas à rappeler à la population du système solaire ce que ses lois exigent des équipages de mes vaisseaux et de ceux de vaisseaux étrangers. Et je leur dirai aussi que les mesures que vous avez prises n’étaient pas seulement nécessaires, mais qu’elles ont éradiqué une épouvantable menace pour nous tous.

— Merci, commandant, déclara Sakaï. L’Alliance vous est reconnaissante de votre coopération dans cette affaire.

— Espérons qu’elle ne sera pas la seule ! » Nkosi salua puis tourna les talons et entra dans sa navette. Le docteur Palden et les deux techniciens de l’armement lui emboîtèrent le pas. Geary vit ces deux derniers traîner derrière eux deux gros appareils de communication qu’ils secouèrent, l’air très intrigués.

Dès que la navette eut décroché, les chefs Tarrini et Gioninni éclatèrent de rire.

« Qu’avez-vous manigancé ? s’enquit Geary.

— On n’a rien fait de mal, amiral, le rassura Tarrini. Vous avez vu les gros appareils que trimbalaient les deux techniciens. Des unités de com, soi-disant ! Même Sol n’est pas assez en retard sur nous pour avoir besoin de machins aussi volumineux. C’étaient des dispositifs de collecte de données. Ils ont scanné et enregistré toutes nos armes qu’ils pouvaient approcher.

— Alors on a laissé dans cet angle un puissant électroaimant, pouffa Gioninni. Je les y ai coincés pour leur dire combien nous leur étions redevables de l’aide qu’ils nous avaient apportée, puis le chef Tarrini l’a activé. Le champ magnétique était assez puissant pour envoyer valser tous leurs fichiers dans le trou noir des données corrompues.

— Un accident malencontreux, conclut le sénateur Sakaï en se fendant d’un de ses rares sourires. Je crois que mes propres fichiers ont fait la connaissance de ce trou noir à une certaine occasion.

— Sénateur, avec la permission du gouvernement de l’Alliance, j’aimerais assez que nous gagnions le portail de l’hypernet pour rentrer chez nous, intervint Geary.

— Permission accordée, lâcha Sakaï en recouvrant sa solennité. C’est la formule consacrée, n’est-ce pas ? » Il regarda autour de lui. « Merci à tous d’avoir trouvé le moyen de sauver deux jeunes officiers et d’en avoir excellemment mené à bien l’exécution. J’aimerais féliciter personnellement vos fusiliers dès que l’occasion se présentera. »

Tarrini dévisagea Sakaï comme si elle se posait des questions sur les motifs réels qui le poussaient à les remercier, mais Gioninni sourit.

« Tout le plaisir était pour nous, sénateur. Cela dit, il se passera sans doute quelques jours avant qu’ils ne puissent vous rencontrer. Ils sont vannés.

— Et ils auront besoin, me semble-t-il, d’un traitement et d’une médication supplémentaires pour se remettre de ce qui s’est passé sur Europa », ajouta Nasr. En dépit de la froideur de son ton, il se conduisait comme si un nuage noir s’était levé depuis le départ de Palden.

« C’était une sale besogne, convint Geary. Je regrette d’avoir dû la leur imposer. » Il tapota sur le plus proche panneau de com. « Cap sur le portail de l’hypernet, capitaine Desjani. On rentre à la maison. »

Il ne s’écoula que quelques secondes avant qu’il n’entendît des acclamations se réverbérer dans les coursives du croiseur. La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre.

Geary n’était pas d’humeur à se joindre à la liesse. Les événements d’Europa avaient jeté une ombre par trop sinistre sur son esprit. Il ne ressentait qu’une sorte de soulagement empreint de lassitude à l’idée qu’une autre tâche incontournable avait de nouveau été accomplie.

Il arrivait parfois à la sénatrice Costa de prendre place à la table d’un compartiment de réfectoire pour engager la conversation avec les matelots. Geary avait depuis longtemps compris que l’objectif de Costa n’était pas seulement de se mettre dans les bonnes grâces de l’équipage, mais encore de lui tirer les vers du nez et de jauger ses réactions à diverses questions.

Il se contentait d’ordinaire de la saluer poliment lorsqu’il la trouvait se livrant à cette activité, mais, cette fois, en entrant, il vit deux matelots se lever de la table qu’ils partageaient avec la sénatrice ; ils avaient fini de déjeuner. Avant qu’elle pût les imiter, il s’y installa. « Comment allez-vous, sénatrice ? »

Le sourire de Costa fut aussi peu sincère que celui d’un CECH syndic. « Pas trop mal, amiral.

— Puis-je me joindre à vous ?

— Bien sûr. Vous me voyez très surprise de vous voir chercher à engager la conversation avec moi. »

Les tables environnantes furent peu à peu désertées par les spatiaux qui s’éclipsaient discrètement. D’autres obliquaient en passant près de la leur pour ne pas trop s’en approcher. En quelques secondes, sans qu’on en ait donné le signal ni prononcé le premier mot, un large cercle de tables inoccupées s’était créé autour d’eux, leur accordant une certaine intimité jusque dans ce local pourtant public.

La sénatrice n’avait pas l’air de l’avoir remarqué ; elle guettait la réponse de l’amiral, dans l’expectative, mais lui constata qu’elle tapotait de l’index, à deux reprises, le petit bracelet qui ceignait son poignet gauche. Il avait passé assez de temps avec Victoria Rione pour reconnaître la manœuvre : Costa venait d’activer un champ d’intimité personnel qui brouillerait leur voix pour toute oreille indiscrète.

Elle pouvait se montrer abrupte quand elle le voulait, et, à cette occasion, Geary décida de marcher sur ses brisées ; il prit place en face d’elle et s’exprima sur un registre normal pour voir comment elle allait réagir : « Je me demandais seulement quelles informations vous aviez glanées cette fois sur les sentiments de l’équipage », lui demanda-t-il.

Le sourire factice de la sénatrice s’élargit encore. « Craignez-vous que j’apprenne quelque chose d’inopportun ? » Elle-même n’avait pas baissé la voix, de sorte que son interlocuteur ne s’était pas trompé : elle ne craignait pas d’être entendue.

« Non. » Geary chercha ses yeux. « Je tiens à ce que vous sachiez ce que pense l’équipage du gouvernement de l’Alliance.

— Et de vous-même ?

— Ça ne traduit aucune déloyauté envers l’Alliance. »

La sénatrice ne répondit pas aussitôt, mais un regard évaluateur se substitua à son sourire de façade. « Je sais que vous avez visité autant de ruines et de décombres que moi sur la Vieille Terre, amiral. Nous n’avons eu le temps que d’en voir une infime partie, sans rien dire des séquelles de la dévastation infligée parfois ailleurs dans ce système stellaire.

— Je les ai vus, acquiesça Geary. Ça… donne à réfléchir.

— Dans quelle proportion ces édifices ont-ils été bâtis par d’anciens empires et dans quelle proportion détruits lors de leur chute ? » Costa se pencha, l’air de le mettre au défi. « Quel sera le coût de celle de l’Alliance ? Nous en avons vu des exemples dans le territoire qui appartenait naguère aux Syndics. Que feriez-vous pour empêcher cela, amiral ?

— Je ne tiens pas à ce que ça se produise.

— Tout le monde dit ça. » Costa balaya l’argument d’un geste.

« Les Danseurs nous ont prouvé que nous autres humains avons beaucoup de choses en commun et que nous devrions nous intéresser davantage à ce que nous partageons qu’à ce qui nous sépare. Vous l’avez dit vous-même.

— Évidemment, admit-elle sans rien témoigner de l’émotion qu’elle avait laissée transparaître lors de cet événement à la surface de la Vieille Terre. Mais cela ne veut pas dire que je doive accepter de prétendues solutions fondées sur les bons sentiments plutôt que sur la dure réalité. Qu’allez-vous faire, amiral ? Quelle est la vôtre ?

— Je m’y attelle déjà, déclara-t-il. Je soutiens le gouvernement, j’exécute ses ordres et je défends l’Alliance contre toutes les menaces que je connais.

— Toutes les menaces ? » Le regard de Costa se fit encore plus glacial. « Serait-ce une mise en garde ?

— Loin de moi cette intention. Je ne menace personne. J’observe les ordres et je prends les mesures nécessaires à la préservation de l’Alliance.

— Des mesures passives ! Toutes autant qu’elles sont ! Interdiriez-vous à d’autres de prendre des dispositions pour sa sauvegarde ? insista la sénatrice. Passeriez-vous vous-même à l’action s’il le fallait ? »

Geary choisit ses mots avec le plus grand soin : « Quant à ce qui pourrait sauver l’Alliance et aux mesures qu’il faudrait prendre, les avis divergent.

— Mais vous vous croyez qualifié pour en décider, vous qui avez dormi durant ce long trauma qu’a été la guerre contre les Syndics ?

— J’en ai vécu le début, lui rappela-t-il en s’efforçant de réprimer la colère qu’il sentait pointer dans sa voix. Et j’étais encore là à la fin. » J’y ai même mis un terme, mais je me garderai bien de m’en vanter. Pas question de plastronner à propos d’événements auxquels j’ai survécu quand tant d’autres ont trouvé la mort. « À mon réveil, on m’a fait comprendre que de nombreux forfaits avaient été commis parce que, sur le moment, on les jugeait nécessaires à la victoire. Aucun n’a eu cet effet et quelques-uns ont même, à mon humble avis, sérieusement contribué à la prolongation du conflit. En conséquence, vous comprendrez mon scepticisme quant aux dispositions dont on affirme qu’elles seraient nécessaires à la sauvegarde de l’Alliance. »

Costa sourit encore, mais du bout des lèvres. Rien dans son visage, sinon cette mimique, ne reflétait l’ombre d’un vrai sourire. « Paroles d’une grande modestie. Mais, si vous en empêchez d’autres d’agir, vous décidez seul de ce qui est nécessaire ou ne l’est pas. Certains d’entre nous n’aimeraient pas voir l’Alliance prendre le chemin de ces anciens empires, ni assister au chaos et à la destruction qui s’ensuivraient. Nous ne le permettrons pas. Vous devez être conscient de la nécessité de faire preuve de poigne, de recourir sans hésiter à la force comme nous l’avons fait sur Europa. »

Comme nous l’avons fait ? Costa avait manifestement décidé de s’attribuer le mérite de cette opération maintenant qu’elle avait trouvé un heureux dénouement. « On ne doit recourir à la force qu’avec discernement et retenue, déclara Geary. Qu’arriverait-il si les mesures que vous estimez nécessaires à la sauvegarde de l’Alliance amenaient précisément le chaos et la destruction que vous voulez empêcher ? » demanda-t-il, non sans se rappeler que le sénateur Sakaï lui avait posé à peu près la même question.

Nouveau sourire insincère de Costa, en même temps qu’elle se rejetait en arrière avec une feinte nonchalance. « Qui a parlé de moi ? »

Geary réussit à lui renvoyer son propre sourire hypocrite. « Personne. Je suis bien certain que vous ne suggériez aucune mesure qui ne tiendrait pas compte de ce qu’il en coûterait à ceux qui en feraient les frais.

— Nous sommes tous prêts à nous sacrifier, amiral.

— Il me semble à moi qu’on attend de certains de plus grands sacrifices que d’autres. »

La mine de benoîte supériorité qu’affichait Costa jusque-là s’effaça. « Voilà une déclaration bien séditieuse de la part de quelqu’un qui prétend soutenir le gouvernement.

— Pas du tout. La seule chose que j’ai dite, c’est que je respecte trop les gens placés sous mes ordres pour me montrer insoucieux de leur vie. »

La sénatrice renonça à tout simulacre de camaraderie et le regard qu’elle posait sur Geary se durcit. « Vous êtes bien sûr de vous. Vous devriez vous demander, amiral, pourquoi les mesures que je juge nécessaires ont l’appui de votre QG comme celui des forces terrestres. Votre propre soutien pourrait sans doute nous être utile. Mais nous n’en avons pas besoin. »

Elle se leva, lui adressa un vague au revoir de la main puis se fraya un chemin entre les groupes de spatiaux, qui s’écartaient sur son passage.

Geary s’efforça de ne pas laisser transparaître ses sentiments en se levant. Ainsi, quelles que soient les mesures qu’encourage la sénatrice Costa, elle ne s’en cache ni du QG de la flotte ni de celui des forces terrestres. Mes supérieurs soutiennent le projet de construction d’une flotte secrète et la nomination de l’amiral Bloch à sa tête bien qu’il ait fomenté une tentative de coup d’État militaire avant de pratiquement mener la flotte de l’Alliance à sa destruction puis d’être capturé par les Syndics.

Que les ancêtres nous viennent en aide !

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