« Je vous l’avais bien dit ! s’exclama Desjani. Une chance qu’ils soient trop éloignés pour représenter une menace directe.
— Ce ne sont pas des Syndics », rapporta Yuon, éberlué.
Les inconnus orbitaient sans doute à trente minutes-lumière du portail, trop loin donc pour attaquer, mais leur présence restait inexplicable.
Hormis ces vaisseaux, toute la circulation spatiale du système semblait parfaitement normale. Des cargos cabotaient entre les planètes, tandis que des vaisseaux estafettes et des transports de passagers adoptaient des trajectoires plus rectilignes et que, près de la plupart des mondes colonisés gravitant autour de Sol, on voyait de plus petits appareils plonger dans l’atmosphère ou en émerger.
Les yeux rivés sur son écran, Geary laissait son esprit se détendre et s’imprégner du spectacle, en s’efforçant d’interdire aux noms de ces planètes passées dans la légende – Mars, Jupiter, Vénus et la Vieille Terre elle-même – de le distraire. L’Indomptable cinglait au milieu de ces monuments élevés aux premiers exploits de l’Homme, aux premiers pas de l’humanité dans l’espace. Mais, parmi ces mondes et ces noms fabuleux, croisaient des vaisseaux d’origine inconnue dont les intentions ne l’étaient pas moins. « Quelqu’un saurait-il à qui nous avons affaire ? » finit-il par demander.
Tant la voix que l’expression de Suva trahissaient sa stupeur. « Le système stellaire de Sol est neutre et démilitarisé. Seules… Seules y sont autorisées des forces militaires de parade.
— Ceux-là n’ont pas l’air de parader, rétorqua Rione. Vous les reconnaissez, amiral ?
— Non. Nos systèmes de combat non plus. » Les senseurs de l’Indomptable évaluaient tout ce qu’ils réussissaient à capter des mystérieux vaisseaux, mais, bien que des identifications d’armes et de senseurs fissent de timides apparitions sur les symboles de leurs coques, les vignettes MODÈLE DU VAISSEAU et ALLÉGEANCE restaient vides.
« Des Syndics, affirma Costa. Ils ont en partie modifié la conception de…
— Nos systèmes auraient tôt fait de le repérer, dit Geary en évitant de se montrer tranchant. Ce ne sont pas des Syndics. »
Une fenêtre virtuelle s’ouvrit devant lui, révélant le lieutenant Iger. « Rien ne correspond à ces bâtiments dans les banques de données du service du renseignement, amiral.
— Sont-ils au moins humains ?
— Absolument, amiral. Même si nous ne pouvons pas les identifier, certaines caractéristiques de leur facture trahissent leur origine. Sol, précisa Iger d’une voix contrite.
— Sol ? » Geary fit de son mieux pour ne pas avoir l’air de s’irriter contre le lieutenant. « Tout ce qui est humain provient de Sol. Seriez-vous en train de me dire que ces vaisseaux appartiennent à Sol ?
— Non, amiral. Mais ils sont d’origine humaine. »
Geary jeta un coup d’œil sur les six vaisseaux des Danseurs qui entouraient le sien. L’information d’Iger n’était pas aussi inutile qu’il y paraissait au premier abord. « C’est l’identification la plus précise que vous pouvez me fournir ? Le Système solaire pour origine commune ?
— Si nous interprétons correctement les caractéristiques que nous captons, la facture de ces vaisseaux et celle de ceux qui nous sont familiers ont divergé à Sol, s’expliqua Iger.
— Il n’y a rien d’inhabituel dans les retransmissions de ce système stellaire relatives aux avis aux vaisseaux entrants, rapporta le lieutenant Yuon. À propos de la démilitarisation de Sol, ils emploient les mêmes termes que dans nos propres procédures d’entrée.
— Et pourtant ils sont là. » Desjani fit la grimace. « Six d’entre eux sont relativement gros mais plus petits que nous. Ni croiseurs lourds ni cuirassés. Ils ressemblent un peu à ces cuirassés de reconnaissance que l’Alliance a armés un certain temps.
— Ceux anéantis lors des combats ? s’enquit Geary, tout en connaissant déjà la réponse.
— Ouais. Ceux-là mêmes. » Tanya tapa une brève instruction. « Quels qu’ils soient, ils sont un peu plus petits que ces cuirassés de reconnaissance. Difficile de préciser leur type de blindage.
— Il faudra les observer à la manœuvre, intervint Iger. Nous disposerons alors d’assez de données pour calculer leur masse. Toute masse supérieure à celle qu’on pourrait raisonnablement attribuer à un vaisseau de cette taille devrait correspondre à sa cuirasse.
— Et pour les plus petits ? » demanda Geary. Son écran se remplissait à toute allure de données sur les six escorteurs, dont la silhouette de barracuda rappelait celle des destroyers de l’Alliance et des avisos syndics en un peu plus petit. « Leur masse est encore inférieure à celle des avisos syndics.
— Des corvettes ? suggéra Desjani. Non. Ils sont encore plus petits que les “Nickels” syndics.
— À qui appartiennent-ils ? interrogea la sénatrice Suva. Vous devriez le savoir. Comment pouvez-vous l’ignorer ? »
Geary soupira et se massa le front d’une main. « L’Alliance ne dispose actuellement d’aucune information sur l’origine de ces vaisseaux, quelle que soit leur provenance, sénatrice.
— Quelle peut-elle bien être ?
— Je crois le savoir. » Le sénateur Sakaï avait réussi à retenir leur attention à tous. « J’ai beaucoup étudié l’histoire, reprit-il. Y compris l’époque où l’humanité faisait ses premiers pas hors du Système solaire. Les vaisseaux en partaient dans toutes les directions, mais ils empruntaient deux routes principales. La première s’enfonçait à l’intérieur du bras de la Galaxie que nous occupons actuellement. Ce qui, dans cette direction, s’est d’abord traduit par des colonies proches de Sol, puis par l’Alliance et ces autres coalitions de systèmes que sont la République de Callas et la Fédération du Rift, et ensuite, au-delà, par les Mondes syndiqués. L’autre voie longeait le même bras de la Galaxie, mais vers l’extérieur. Certaines des premières colonies humaines y ont vu le jour. Ces vaisseaux proviennent peut-être d’étoiles diamétralement opposées à notre propre expansion. »
Geary entra la même recherche que tout le monde et vit apparaître une image de la Galaxie près de son écran : l’espace colonisé par les hommes s’y inscrivait en surbrillance. Cette vue lui donna à réfléchir. Nous qui croyons avoir fait tant de chemin ! Bon, peut-être pour des hommes. Des centaines d’années-lumière, sans doute. Des distances inimaginables. Mais examinons mieux la région de la Galaxie que nous avons explorée et colonisée ; ce n’est qu’une infime partie d’un unique bras de la Voie lactée, laquelle n’est qu’une galaxie parmi d’innombrables autres. Je suis habitué à l’immensité de l’espace, mais, même à moi, il est interdit d’appréhender celle de l’univers.
Rione reprit la première la parole. « Je ne m’étais pas rendu compte jusque-là de la forme asymétrique qu’avait prise l’expansion humaine. En termes de systèmes stellaires et de distances parcourues, le plus clair s’est fait vers l’intérieur et le moyeu de la Galaxie. Nous avons donc essaimé vers le bas et le centre. Je m’en étais toujours plus ou moins doutée. Mais les données m’affirment pourtant que nous avons commencé par aller vers l’extérieur.
— Quelque chose a dû arrêter notre progression, avança Costa d’une voix cauteleuse. Peut-être une autre menace comme celle des Énigmas qui, elle, bloque notre expansion vers l’intérieur ?
— Comment un tel secret aurait-il pu rester préservé si longtemps et si près de la Vieille Terre ? demanda Rione. Les Syndics nous ont caché pendant un siècle l’existence des Énigmas, mais cela parce que leurs quelques contacts avec eux se sont produits dans des régions de l’espace très éloignées de notre territoire, en même temps que la guerre limitait les communications de façon drastique.
— Et aussi parce qu’après avoir fait chou blanc sur tant de planètes et dans tant de systèmes nous avions cessé de chercher d’autres espèces intelligentes, ajouta Charban. Dans les premiers temps de l’expansion humaine, nous nous attendions à faire ces rencontres d’un jour à l’autre. »
Le regard de Geary était rivé sur les images de plus en plus précises des vaisseaux inconnus que les senseurs de l’Indomptable affichaient sur son écran. « Ils ont l’air humains. Les vaisseaux, je veux dire. Nous avons acquis une certaine expérience de l’architecture de vaisseaux extraterrestres. Je ne vois rien en ceux-là qui ressemble aux divergences qu’accusent les bâtiments des Bofs, des Énigmas ou des Danseurs avec les nôtres.
— Que dois-je faire ? demanda Desjani.
— Gagner la Vieille Terre, ordonna Geary. Transmettez le message d’arrivée standard aux autorités de Sol. Poursuivons notre mission jusqu’à ce que quelque chose ou quelqu’un s’y oppose. »
Un sénateur avait-il envie de mettre son grain de sel ? En tout cas, nul ne s’y risqua, sans doute parce qu’ils n’entrevoyaient aucune ligne d’action plus fructueuse pour l’heure.
« Ces vaisseaux ont peut-être été construits par des hommes, mais regardez toute la ferraille dont ils se hérissent, fit remarquer Desjani après avoir légèrement ajusté le cap de l’Indomptable. Ils ont l’air de sortir d’un film de science-fiction. Comment appelleriez-vous ces machins ?
— Garnitures et fanfreluches, commandant, répondit le lieutenant Castries. Vous avez raison. Ces vaisseaux évoquent les illustrations d’un livre d’heroic fantasy spatiale, avec rois, princesses et magiciens. Ils croulent sous la déco. Nos systèmes cherchent à comprendre la destination de tous ces appendices, mais je ne crois pas qu’ils aient d’autre but que l’enjolivure.
— Est-ce pour la même raison que leurs ailerons sont si grands ? demanda le lieutenant Yuon. Ils sont bien plus hauts que ne l’exigerait l’hébergement de senseurs ou de générateurs de boucliers. »
Desjani fixa Castries en arquant un sourcil. « Vous lisez de l’heroic fantasy, lieutenant ?
— Pas… beaucoup… ces derniers temps, commandant. Euh… oui, commandant.
— Tout le monde a besoin d’un peu de romance, affirma Geary pendant que le lieutenant Castries donnait l’impression de s’absorber dans l’analyse des relevés de ses senseurs.
— Oh, s’il vous plaît ! » Desjani leva les yeux au ciel. « Ce genre de fadaises où une belle et spirituelle princesse réveille d’un baiser un Black Jack endormi, afin qu’à eux deux ils puissent enfin détrôner le méchant démon interstellaire et vivre ensuite heureux jusqu’à la fin des temps ? »
Geary se rendit compte qu’il avait la mâchoire pendante et il la referma précipitamment. « Vous voulez rire, non ?
— Jamais de la vie. Lieutenant Castries ?
— Celles-là sont souvent assez chouettes, admit le lieutenant à contrecœur. Elles ne vous touchent pas, bien sûr, amiral.
— Vous voulez voir quelques-unes de leurs illustrations ? proposa Desjani.
— Non merci, sans façons. Si je puis revenir à la situation à laquelle nous sommes confrontés, vous m’affirmez donc que ces vaisseaux d’outre-espace sont excessivement ornementés sans que ces enjolivures répondent à un but utilitaire. »
Le lieutenant Iger, qui avait suivi la conversation mais s’était sagement gardé de tout commentaire jusque-là, hocha la tête. « Ça n’a peut-être aucune incidence sur leurs capacités guerrières, amiral, mais ça indique au moins qu’ils peuvent se permettre le luxe d’investir dans une ornementation non fonctionnelle. »
Rione secoua la tête. « J’ai vu de mon temps quantité d’ornementations non fonctionnelles et je peux vous garantir que ceux qui s’en portaient acquéreurs en avaient toujours les moyens. Peut-être avons-nous affaire ici à des considérations de statut social, d’apparence ou autres n’ayant aucun rapport avec les calculs pécuniaires. »
Le lieutenant Castries intervint de nouveau, l’air très excitée. « Commandant, j’ai demandé à nos systèmes d’évaluer les ailerons de ces vaisseaux en ajoutant le facteur de non-fonctionnalité aux variables. Ils ont répondu qu’il y avait de très fortes probabilités pour qu’ils répondent à des critères esthétiques plutôt qu’à des exigences techniques ou militaires.
— Ostentation ? suggéra Suva. Étalage complaisant ? Sommes-nous bien certains qu’il s’agit de vaisseaux de guerre ?
— Nous avons identifiés quelques armes, répondit Iger. Pas encore en très grande quantité, mais ils sont bel et bien armés. »
Charban secoua la tête, la bouche en cul-de-poule. « Dans mes fonctions d’observateur extérieur, j’ai pu voir de nombreux vaisseaux. Mais aucun qui avait cette allure et n’était pas un vaisseau de guerre.
— Communauté de facture héritée de nos ancêtres ? avança Sakaï. C’est bien ce qu’ont répondu nos systèmes, n’est-ce pas ? Ces vaisseaux ont la même origine que celui à bord duquel nous nous trouvons. Nous pouvons raisonnablement déduire leur fonction de leur apparence.
— Ils nous ont enfin vus, annonça le lieutenant Yuon. Ils altèrent leur trajectoire. »
Geary consulta son écran au moment où les vaisseaux inconnus pivotaient vers l’intérieur du système et entreprenaient d’accélérer. « Ils viennent dans notre direction mais pas droit sur nous.
— Observez leur vecteur. Ils veulent d’abord nous interdire de regagner directement le portail de l’hypernet, affirma Desjani. Attendons de voir. Quels qu’ils soient, ils cherchent à nous en bloquer l’accès. Ce n’est pas un geste amical.
— Peut-être qu’ils… » Suva s’interrompit puis secoua la tête. « On dirait qu’ils cherchent à nous empêcher de partir avant même de nous avoir mis en garde, si c’est bien ce qu’ils comptent faire.
— Ils cherchent à nous coincer ? » demanda Costa.
Geary se tourna vers Rione et Charban. « Veuillez dire aux Danseurs que nous préférerions qu’ils ne s’éloignent pas. S’ils posent des questions sur ces vaisseaux, répondez-leur que nous nous efforçons de découvrir qui ils sont et ce qu’ils veulent.
— À vous entendre, ce serait l’enfance de l’art, ironisa Rione. Nous ferons au mieux.
— Commandant ? » L’officier des trans avait interpellé Desjani. « Nous recevons un message des vaisseaux non identifiés. Il est dans l’ancien format standard des communications de la Vieille Terre et il s’adresse à notre… euh… “autorité supérieure et superviseur suprême”.
— Que de redondance, grommela Desjani. Transmettez à l’amiral Geary.
— À toute la passerelle, ordonna Geary. Envoyés Rione et Charban, veuillez ajourner ce message aux Danseurs jusqu’à ce que nous sachions ce que ces vaisseaux veulent nous dire. »
L’image d’un homme d’un certain âge, assis sur une passerelle guère différente de celle de l’Indomptable, lui apparut. Rien d’étonnant jusque-là. La disposition la plus efficace des commandes et autres consoles de surveillance avait été établie des siècles plus tôt. Quiconque voyagerait dans l’espace colonisé par l’homme rencontrerait à peu près la même partout où il irait.
L’homme portait un uniforme à la coupe et l’ornementation si élaborées que Geary se surprit à chercher du regard l’insigne de son grade sans réussir à le repérer parmi les innombrables rangées d’objets scintillants qui ornaient sa tenue. Les complets des CECH syndics étaient certes réputés pour leur facture aussi sophistiquée que coûteuse, mais ce costume aurait fait verdir un CECH de jalousie. Ses cheveux lui tombaient sur les épaules et sa coiffure n’était pas moins ostentatoire que sa vêture, puisqu’ils se dressaient en épi pour retomber ensuite sur son crâne comme le plumet d’un heaume d’autrefois. Sur sa poitrine, à droite comme à gauche, une couche ininterrompue de médailles, rubans et décorations lui faisait comme un pectoral bariolé.
Tout cela était manifestement destiné à impressionner, mais, alors même qu’il enregistrait chaque détail de cette vision haute en couleur, Geary entendit Desjani réprimer – sans grand succès – un gloussement amusé. Partout sur la passerelle de l’Indomptable, on entendait des rires étouffés et des exclamations d’étonnement mal refoulées.
« Je suis Son Excellence le capitaine commodore de première classe Earun Tavistorevas, de la Garde stellaire du Poing du peuple, chef prépondérant du Bouclier de Sol, se présenta d’une voix blasée l’extravagant officier. Je condescends à palabrer avec les modestes représentants du gouvernement barbare de l’insignifiante Alliance. Vous êtes entrés dans ce système stellaire sans autorisation. Vous avez amené avec vous des créatures ultramontaines dont la seule présence est un affront à la Terre immaculée. Pliez-vous à mes instructions. Débranchez tous vos systèmes de combat. Vous serez gracieusement accueillis par des commissaires de la sécurité qui monteront à bord de votre vil appareil, le fouilleront en quête d’impuretés et lui ôteront toute capacité de nuisance. Livrez-nous les moyens de transport ultramontains. Dès que vous aurez obtempéré, je vous autoriserai à partir en réponse à votre supplique de clémence. En vertu de l’autorité qui m’a été conférée pour veiller à la sécurité de tous, Earun Tavistorevas. »
Geary fut le premier à prendre la parole : « Que veut dire “ultramontain”, par l’enfer ?
— Je viens de vérifier, répondit Rione. C’est un ancien terme qui signifie littéralement “par-delà les montagnes”. Ses acceptions plus récentes – et par plus récentes j’entends vieilles déjà de plusieurs siècles – sont “étranger”, “barbare”, “extraterrestre”.
— Ne pouvait-il se contenter d’“extraterrestre” ? demanda Charban. J’imagine que ça fait allusion aux Danseurs.
— “Vil appareil ?” répéta Desjani d’une voix menaçante. Ils ont traité mon Indomptable de vil appareil ?
— Ils ont l’air de se sentir supérieurs à nous de plus d’une façon, répondit Rione en s’adressant directement à elle, réaction bien peu courante de sa part.
— Combien de décorations ce clown avait-il étalées sur sa poitrine ? » Charban, qui s’exprimait rarement avec une telle brutalité, dégoulinait littéralement de mépris. « C’est sûrement le plus grand héros qu’ait jamais connu l’humanité. Et de loin.
— Montrez-moi l’arrière-plan de cette transmission », ordonna Geary.
Une fois effacée la silhouette du « capitaine commodore », on distinguait aisément celles des autres occupants de sa passerelle. Toutes les poitrines arboraient de larges placards de décorations, mais moins rutilants et impressionnants que celui de leur leader.
« Mettons que cet équipage soit entièrement composé de héros fabuleux, lâcha dédaigneusement Desjani. On doit leur donner une médaille rien que pour se lever le matin.
— À les voir, on croirait plutôt qu’on leur en décerne une chaque jour pour les récompenser d’avoir joliment disposé celles de la veille, renchérit Geary.
— N’avez-vous pas bientôt fini de vous moquer de lui, tous autant que vous êtes ? intervint aigrement la sénatrice Suva. Êtes-vous conscients qu’il vient de nous demander de leur livrer ce vaisseau ? Et que notre infériorité numérique est écrasante ?
— Il se trouve à plus de la moitié d’une année-lumière, fit remarquer Geary. J’ignore quelle vélocité il peut atteindre, mais ses vaisseaux et les nôtres ont l’air de manœuvrer de manière comparable. Même si nous n’accélérons pas, il aura du mal à nous rattraper.
— Accélérer ? Vous ne comptez pas obtempérer ? »
Ce fut Rione qui répondit, visiblement agacée. « Rien ne nous y oblige. Et je ne me fie pas non plus à sa promesse de nous laisser repartir si nous désarmons et si nous le supplions de nous pardonner d’avoir enfreint des règles dont nous ignorions l’existence, et que nous n’avons d’ailleurs pas à suivre.
— Il pourrait nous y contraindre par la force, objecta Charban d’une voix épaissie. Il possède la puissance de feu requise.
— Nous ne pouvons pas combattre dans le Système solaire ! s’insurgea Suva. Même ceux qui n’y verraient pas un blasphème seraient scandalisés ! »
Geary prit la parole d’une voix assez sonore pour clore les débats. « Nous n’avons pas l’intention de combattre. Je vais répondre à ce bouffon et lui expliquer poliment qu’un vaisseau de l’Alliance n’a pas à se soumettre à son autorité dans un système stellaire neutre. Et j’ajouterai que les Danseurs n’ont pas affaire à lui mais aux autorités de ce système… quelles qu’elles soient.
— Ce message ne vous était pas adressé, et ce n’est donc pas à vous d’y répondre, trancha Costa. Il a bien précisé qu’il était destiné aux représentants de… » Elle s’interrompit brusquement, l’air décontenancée.
Sakaï opina lentement. « Comment savait-il que ce vaisseau transportait des représentants du gouvernement de l’Alliance ?
— Quelqu’un nous aurait-il précédés ici ? s’interrogea Costa.
— Probablement. Un appareil qui aurait prétendument quitté Varandal pour une tout autre destination et aurait gagné Sol avant d’en repartir avant notre arrivée. » Le visage de Sakaï s’était fait aussi indéchiffrable qu’une dalle de marbre. « Ces vaisseaux attendaient notre irruption et ont réagi agressivement dès qu’ils nous ont vus. Qu’adviendrait-il de nous si nous nous rendions à leurs exigences ? Je me le demande.
— Qui pourrait bien vouloir de nous trois… » Suva se tut brusquement.
Sakaï hocha de nouveau la tête. « Peut-être ne sommes-nous pas en danger tous les trois. Sans doute en relâcheraient-ils un ou deux. Ce n’est pas sûr. Des gens tiennent peut-être à ce qu’aucun de nous trois ne rentre à la maison.
— C’est là une certitude, cracha Costa. Dont probablement quelques nantis. Ce clown chamarré peut faire mine de mépriser le vil gouvernement de l’insignifiante l’Alliance, mais je parie qu’il a touché un pot-de-vin conséquent de… de je ne sais qui. » Elle regarda autour d’elle, moitié méfiante et moitié inquiète, en prenant lentement conscience que d’autres assistaient à la discussion.
Le regard de Desjani se porta sur Geary. Il y lut très clairement le message qu’il véhiculait : C’est toi aussi qui es visé. Toi et l’Indomptable.
Il acquiesça d’un signe de tête en s’efforçant de ne pas tirer une trop longue figure. Black Jack sans le soutien de sa flotte. Un unique croiseur de combat, seul et en infériorité numérique. Les politiques qui se trouvaient à son bord, Costa, Suva, Sakaï et Rione, étaient peut-être des cibles, mais étaient-ce les cibles principales ? Ou bien, comme l’équipage de l’Indomptable, ne feraient-ils office que de dommages collatéraux à des tentatives destinées à « arrêter » Black Jack ?
« Pourquoi n’en savons-nous pas davantage sur ces gens ? » se plaignit Rione en fixant d’un œil noir les données affichées par sa tablette. Elle s’était mise à entrer furieusement des questions dans le moteur de recherche et se tournait à présent vers l’image du lieutenant Iger. « On ne trouve strictement rien sur les systèmes stellaires au-delà de Sol, sinon des résumés datant quasiment de l’Antiquité. »
Iger eut un geste d’excuse. « Au cours du dernier siècle, tout s’est recentré sur les Mondes syndiqués. Mais, même avant la guerre, j’imagine qu’on n’avait accordé qu’une très faible priorité à la collecte de données sur des systèmes stellaires si éloignés de l’Alliance. Compte tenu de leur distance, ils n’avaient guère d’importance stratégique.
— Ils en ont pourtant une, s’ils nous menacent et se comportent dans le Système solaire comme une force de police ! s’exclama Suva.
— Il n’y a pas de précédent connu, déclara Sakaï en consultant sa propre tablette de données. Avoir ces vaisseaux sous les yeux, c’est un peu comme de visionner une version différente de notre propre devenir. Quasiment l’histoire in vivo. Fantastique !
— Je préfère ma propre histoire in vivo un peu plus désarmée et moins agressive, déclara Geary.
— Parfaitement d’accord, convint Sakaï. Le dernier passage d’un bâtiment de l’Alliance remonte à plus d’un siècle et on n’a gardé aucune trace archivée, à cette époque ni même antérieurement, d’une rencontre avec des vaisseaux provenant de systèmes stellaires d’au-delà de Sol.
— Une sorte de vacance du pouvoir ? avança Geary. Nous n’étions plus là, alors quelqu’un a pris notre place.
— Et ce quelqu’un en profite pour nous menacer ? » Rione eut un geste de mauvaise humeur. « Ce n’est pas si simple. Du moins pour ce qui concerne Sol et la Vieille Terre. Le Système solaire est censé ne plus s’occuper de politique et ne plus s’impliquer dans les querelles. Je m’étonne qu’on puisse si ouvertement s’y réclamer d’une quelconque autorité.
— L’Alliance a construit un portail dans ce système, fit remarquer Geary.
— Oui. Il y a quarante-cinq ans, précisa Rione en reportant le regard sur sa tablette. Un important investissement, tant en argent qu’en moyens, à une époque où l’Alliance ne pouvait pas se permettre de les gaspiller.
— Alors pourquoi l’a-t-elle fait ? »
Elle haussa les épaules. Tout le monde la regardait, guettant sa réponse, mais elle n’en semblait pas consciente. « À ce que j’ai cru comprendre, c’était une manœuvre politicienne. Désespérée sans doute, mais dont d’aucuns estimaient qu’elle en valait la peine, parce qu’elle risquait d’apporter à l’Alliance un appui extérieur contre les Syndics et, en même temps, de remonter le moral de sa population. Sol reste un système à part pour l’humanité. L’Alliance proclamait qu’elle y construisait un portail qui profiterait économiquement à ce système et faciliterait à tous les hommes la visite de notre Foyer. Pur altruisme. Le véritable but du portail, même si l’on n’en disait rien, c’était de lier symboliquement Sol à l’Alliance et réciproquement. Les Syndics restaient hors jeu, puisque nous nous interposions entre Sol et eux.
— Sol a dû donner son approbation à la poursuite de sa construction, fit remarquer Charban.
— Vous ne comprenez pas. Sol reste divisé. Des dizaines de gouvernements souverains, héritage de l’ancien temps, se partagent ce système stellaire et la Vieille Terre elle-même. Ils s’entendent sans doute bien maintenant, après avoir guerroyé jusqu’à l’épuisement pendant des siècles, mais, aujourd’hui encore, ils doivent se quereller à propos de la construction de ce portail et du quitus qu’ils doivent donner à l’Alliance. Les autorités de la Vieille Terre s’expriment par la voix d’une organisation bâtie sur les cendres des dernières guerres et destinée à prévenir l’envoi d’expéditions militaires par une autre nation du Système solaire. » Rione s’interrompit brusquement, l’air abasourdie, puis se gifla le front si fort que le bruit de sa claque résonna dans toute la passerelle. « Quelle idiote je fais ! Nous aurions dû le prévoir !
— Quoi donc ? » demanda Sakaï. Tout le monde fixait Rione.
« C’est nous qui avons causé ceci ! répondit-elle. Nous avons fait du portail de l’hypernet que nous avons construit une sorte de symbole. Un symbole qui pour d’autres est une provocation, mais qui ne nous rapporte pas grand-chose. Pourquoi ces vaisseaux d’outre-Sol sont-ils ici ? Pourquoi prétendent-ils protéger le Système solaire et la Vieille Terre ? Parce que l’Alliance y a planté l’emblème d’une revendication territoriale qu’aucun système voisin ne saurait ignorer. Ces gens sont là parce que nous avons érigé ce portail, alors que nous aurions dû nous douter que Sol serait incapable d’interdire à d’autres de nous imiter et d’agir, soi-disant dans le seul intérêt du Système solaire, de manière tout aussi unilatérale.
— Je crois que vous avez mis dans le mille, déclara Sakaï en hochant la tête au terme d’une longue minute de silence.
— Alors il s’agit peut-être d’une méprise, avança la sénatrice Suva.
— J’en serais heureux, affirma Geary. Cela dit, il faudrait aussi convaincre ces gens d’outre-Sol de la prendre à la rigolade.
— Ils ne voudront rien savoir de nos justifications ! déclara Rione. À leurs yeux, nous avons planté notre drapeau sur Sol. Ils chercheront à affirmer leur autorité en réfutant notre revendication. Même s’ils n’ont pas été soudoyés, ils contesteront notre présence ici. Si, en revanche, ils ont été stipendiés dans le but de nous empêcher de sortir en vie de ce système, cela ne devrait que renforcer leur détermination à tenir l’Alliance à l’écart. Pour autant que nous le sachions, ceux qui les ont avertis de notre venue leur auront certainement affirmé aussi que nous comptions établir ici une base militaire permanente. »
Costa fit la grimace. « J’aimerais assez les envoyer paître, mais ils sont bien trop nombreux.
— Il va falloir réfléchir à une ligne d’action appropriée, convint Sakaï. Pour la sauvegarde des intérêts de l’Alliance, le salut de notre mission et celui de tous les occupants de ce vaisseau.
— Rien ne devra être entrepris tant que les représentants du gouvernement à bord de ce bâtiment n’auront pas arrêté une décision, déclara Suva en fixant Geary. Nos vies sont également en jeu. »
À ces mots, Geary sentit se raidir le personnel de la flotte présent sur la passerelle. Mais, avant qu’il eût pu ouvrir la bouche, Rione se chargeait de répondre à Suva, certes courtoisement mais non sans une certaine gravité. « Vous avez raison, sénateur. Il faut très sérieusement peser le pour et le contre. Nous devons décider d’une politique susceptible de répondre à ces circonstances imprévues, et le plus tôt sera le mieux.
— Vous n’avez pas voix au chapitre, répliqua dédaigneusement Suva.
— En fait, si. Le sénateur Navarro m’a donné procuration avant notre départ.
— Il…
— Mais je n’ai pas l’intention de l’utiliser dans la précipitation. Nous devons en débattre. Ainsi que de l’identité de ceux qui ont cherché à faire échouer notre mission et à provoquer la destruction de ce vaisseau. Et de notre meilleure ligne d’action. Mais en privé.
— Je ne…
— Bien sûr qu’il faut en discuter en privé, la coupa Suva en balayant la passerelle des yeux avant de reporter délibérément le regard sur Costa. Sénateur Sakaï ?
— Bien entendu.
— Amiral Geary, avant que nous ne revenions avec d’autres instructions, vous devrez vous en tenir strictement à celles que le gouvernement vous a déjà données.
— Oui ! lui fit écho Suva. Tenez-vous-en strictement aux instructions du gouvernement, amiral.
— Comptez sur moi », répondit Geary en s’efforçant de réprimer un sourire. Rione, quant à elle, était impavide. Et, si Rione en était capable, lui aussi.
Charban suivit des yeux les trois sénateurs qui quittaient la passerelle puis se tourna vers Geary, l’air lugubre. « N’étant moi-même élu à aucun poste ni ne disposant d’un pouvoir que m’aurait confié un élu, je n’ai pas à intervenir dans ce débat. Je me bornerai donc à transmettre aux Danseurs le message dont nous parlions un peu plus tôt, à moins que vous ne croyiez nécessaire d’en modifier la teneur.
— Faites donc, général. » Geary montra les bâtiments extraterrestres sur son écran. « Il reste indispensable de leur conseiller de se tenir à l’écart de ces vaisseaux d’outre-Sol. Mais tâchez de leur préciser que, à la lumière du message que nous avons reçu, il s’agit d’une sorte de quiproquo qu’il nous faut éclaircir, et qu’il serait donc périlleux de s’en approcher tant que l’affaire ne sera pas élucidée.
— Je ferai de mon mieux, amiral », répondit Charban. Il claqua les talons, salua avec un sourire désabusé et quitta à son tour la passerelle.
Geary se tourna vers Desjani, laquelle fixait toujours son écran, les mâchoires crispées. « Quel est le problème ? »
Elle le dévisagea, le regard noir. « Ils vous ont lié les mains. Vous ne vous en êtes donc pas aperçu ?
— Que non pas. On m’a exhorté à me plier aux instructions antérieures. Rione a fait en sorte de bien le souligner avant de sortir avec les sénateurs. »
La compréhension apparut dans les yeux de Tanya. « Et vos instructions antérieures vous autorisent à agir à votre guise en des circonstances imprévues ?
— Exactement.
— Bon sang ! » Elle semblait encore plus retournée à présent. « Je déteste quand cette femme fait ça !
— Fait quoi ?
— Des trucs comme ça… Complaisants ! Ça m’incite toujours à me demander ce qu’elle complote. » Tanya se rejeta en arrière, la mine soudain songeuse. « Que comptez-vous faire ?
— Je pourrais parlementer avec eux.
— Ça n’a pas marché avec les Énigmas ni avec les Bofs. Et rarement avec les Syndics. Et, autant je ne tiens pas à tomber d’accord avec ce qu’ont dit ces politiciens, autant je trouve louche que ces vaisseaux aient su que l’Indomptable arrivait et qui se trouvait à son bord. S’ils étaient prévenus et qu’ils ont pris ces mesures, ils n’écouteront même pas ce que vous leur direz.
— C’est un fait. Mais si je leur parlais d’une manière qui leur soit compréhensible ? En évitant de reconnaître qu’il y a des représentants du gouvernement de l’Alliance à notre bord. Ça pourrait les embrouiller. Et, pendant les pourparlers, nous continuerions de filer vers la Vieille Terre.
— Et s’ils nous traquaient ?
— Alors je leur ferais comprendre que nous ne nous coucherons pas sans combattre. »
Geary étudia encore longuement l’image rutilante, clinquante et bariolée du « capitaine commodore » de la flottille d’outre-Sol puis appuya sur la touche RÉPONDRE. « Capitaine commodore Tavistorevas, ici l’amiral Geary de la flotte de l’Alliance. Vous devez certainement comprendre que ce croiseur de combat est un prolongement de l’Alliance, aussi souverain qu’elle-même. Je ne peux en aucun cas permettre à des représentants d’une puissance étrangère d’aborder ce vaisseau alors que nous nous trouvons dans un système stellaire neutre. Je suis également chargé par mon gouvernement d’accompagner en toute sécurité les vaisseaux abritant les émissaires de l’espèce extraterrestre que nous appelons les Danseurs jusqu’à la Vieille Terre. Cette espèce extraterrestre intelligente est la seule avec qui l’humanité a réussi à nouer une relation amicale. Conformément à mes instructions, je dois les protéger contre toute ingérence, intervention ou menace extérieure, et je compte bien m’y plier.
» Au cas où vous souhaiteriez élever une protestation officielle contre les agissements de l’Alliance, veuillez me la faire parvenir et je veillerai à la transmettre aux autorités compétentes dès notre retour dans le territoire de l’Alliance.
» En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé. »
Desjani haussa les épaules. « Ça ne mange pas de pain. Hmmmm. Ils accélèrent à 0,2 c. Ils ne cherchent pas seulement à nous empêcher de partir, ils veulent nous attraper.
— Amiral. » L’image du lieutenant Iger était réapparue. « Nos systèmes ont eu l’occasion d’évaluer les capacités de manœuvre de ces vaisseaux. Ils sont parvenus à la conclusion que les bâtiments du… euh… Bouclier de Sol n’ont pas de blindage.
— Pas de blindage ?
— Il y aurait une faible probabilité pour que certaines zones critiques soient protégées par une cuirasse légère, nuança Iger.
— Et l’armement ? Je n’ai encore vu sur mon écran que quelques emplacements et modèles d’armes.
— Toutes celles qui ont été diagnostiquées ou confirmées avec une large marge de probabilité, expliqua l’officier du renseignement. La décoration rococo de ces vaisseaux pourrait en dissimuler beaucoup d’autres, mais nous procédons toujours à une analyse, pixel par pixel, de scans à haute résolution. S’il y en a d’autres, nous les trouverons.
— Le plus tôt possible, alors », précisa Geary en tournant vers Desjani un regard mécontent, tandis que l’image d’Iger disparaissait. « Il y a sûrement un armement plus complexe à bord de ces vaisseaux. Nous devons nous faire une idée plus précise de ce qu’il nous faudra peut-être combattre.
— Pas de blindage, grommela-t-elle. Mais ils ne sont pas plus rapides que nous. Parfait. Et, si je ne m’abuse, à voir et entendre môssieu le Décoré, leur commandement semble hautement centralisé. Si nous réussissions à l’éliminer, venir à bout des autres serait sans doute plus facile. »
Geary observa un instant la formation des vaisseaux étrangers : une sorte de tube, plus long que large et inexplicablement flanqué, de part et d’autre, d’un mégacroiseur et de deux corvettes. « Môssieu le Médaillé est probablement dans le vaisseau qui occupe le centre. Il ne sera pas facile à dégommer.
— Non, convint Desjani. Pas sans subir un feu nourri des deux côtés, et l’Indomptable n’est pas bâti pour ça. »
Geary ne répondit pas. Sa morosité croissait à mesure qu’il s’imprégnait de la situation. L’Indomptable était seul. Il devait veiller sur les six Danseurs, mais, même sans tenir compte de ce handicap, il était dans une mauvaise passe puisqu’il affrontait une supériorité numérique écrasante et, sans doute aussi, une puissance de feu supérieure. De surcroît, l’ennemi restait de multiples façons une inconnue. À quelles tactiques recourait-il ? Ses systèmes de visée étaient-ils fiables ? Ses armes puissantes ? Môssieu le Décoré était-il un stratège intelligent plutôt que le prétentieux bouffon qu’il paraissait ? Auquel cas sa burlesque apparence n’était peut-être qu’une comédie, une duperie destinée à tromper l’ennemi et à le pousser à le sous-estimer.
Jusqu’à quel point ceux qui avaient prévenu l’ennemi de la présence de représentants de l’Alliance à bord de l’Indomptable l’avaient-ils renseigné sur le croiseur de combat lui-même ?
Trop de questions et pas assez de réponses.
Et conjecturer pouvait se révéler fatal en cas d’erreur, pas seulement pour l’Indomptable, mais pour les futures relations de l’humanité avec les Danseurs, et pour les espoirs qu’elles suscitaient.