L’aventure commence dès qu’on quitte le palais.
Mon ancienne vie (avec le coussin rouge, les croquettes, la télévision, mon abreuvoir, Félix…) me semble si loin.
Pythagore et moi sommes désormais immergés dans de nouveaux défis et de nouveaux décors.
Nous évoluons dans un monde plein de dangers, de surprises, riche d’enseignements. Je suis de plus en plus attirée par tout ce qui me surprend et tout ce que j’ignore. J’ai l’impression que cela nourrit mon esprit et lui permet de s’élargir encore plus.
Odeurs. Bruits. Rencontres. Visions. Sensations.
Tout ce qui est nouveau me ravit.
Pour ce voyage vers la forêt de l’est, Pythagore préfère suivre le périphérique, tout simplement parce qu’il n’y a pas de bouches d’égout ni de sorties de métro, ni de tas d’ordures le long de ce large ruban d’asphalte noir qui ceint la ville. Donc, forcément, moins de risques d’être attaqués par des hordes de rats.
Arrivés au niveau de la porte Maillot, nous découvrons des milliers d’épaves de voitures abandonnées.
— Un vent de panique a saisi tous les humains de la ville quand a résonné l’alerte à la peste, m’explique Pythagore. Alors que la plupart se sont cloîtrés chez eux, certains ont voulu tenter de fuir en prenant leur voiture pour rejoindre l’autoroute de l’Ouest, l’A13. Les premiers véhicules ont pu franchir la sortie sans difficulté, mais d’énormes embouteillages ont bientôt obstrué les voies. La course vers la vie s’est avérée une course vers la mort. Certains ont dû tenter de forcer le passage. Ils ont percuté les autres et ont fini par se retrouver coincés.
— Ils devaient avoir leur propre Nabuchodonosor les incitant à aller vers la mer pour être aussi nombreux à avoir choisi l’option de la fuite.
Pythagore poursuit son explication :
— L’autoroute A13 a aussi dû se retrouver complètement obstruée en très peu de temps.
— Et ensuite que s’est-il passé selon toi ?
— Dans cette débandade généralisée, les automobilistes coincés dans leur voiture ont dû essayer de fuir à pied par l’ouest, qui sait si certains y sont parvenus…
Pythagore et moi avançons sur les toits des voitures abandonnées. Cela réduit nos chances de faire une mauvaise rencontre avec les rampants, les humains, chiens ou rats. De ces promontoires, nous distinguons au sol les automobilistes malchanceux gisant sur leur volant, ainsi que les rats qui grouillent autour d’eux.
— Maintenant que les rats ont goûté à la chair humaine, ils n’ont plus peur de rien.
Comme pour souligner ses propos, des détonations retentissent au loin. Une camionnette d’hommes en combinaison orange attaquée par des hordes de rats. Ils se défendent à la mitraillette et au lance-flammes, mais ils sont submergés par le nombre, et progressivement les crépitements cessent pour être remplacés par des sifflements aigus victorieux.
— Il va falloir faire vite, signale Pythagore. Les rats n’ont pas encore goûté suffisamment à la viande de chat pour que nous soyons dans leurs priorités, mais nous sommes probablement les suivants sur leur menu.
Pythagore accélère, et ses bonds sur les toits métalliques résonnent autour de nous. J’essaye de suivre le rythme et manque de déraper plus d’une fois, mais j’ai le temps d’entrevoir en contrebas qu’il y a déjà des rats prêts à me réceptionner.
Il faut rester concentrée et bien regarder où j’atterris à chaque saut.
Des corbeaux tournoient dans le ciel et, à notre hauteur, nous traversons parfois des nuages de moucherons.
— Ne perdons pas de temps, m’intime mon compagnon de voyage.
Pythagore et moi bondissons de toit en toit, côte à côte de manière parfaitement synchrone. Même notre respiration est en phase.
Je me tasse, je m’élance, j’atterris et je repars. À force, mes coussinets chauffent. Cette ligne de voitures est sans fin. Et les rats au sol semblent de plus en plus nombreux à s’intéresser à nous.
Surtout, ne pas glisser.
Au bout d’une heure de progression, Pythagore consent à faire une halte. Nous trouvons refuge à l’intérieur d’un camion.
Là, je le regarde longuement et je ressens à nouveau une pulsion de pure affection à son égard. Comme je n’ose pas lui demander de m’enlacer tendrement (ce dont j’ai le plus envie au monde à cette seconde), je lui demande de me raconter la suite de l’histoire des hommes et des chats.
Il se lèche une patte pour rafraîchir ses coussinets, la passe sur son oreille, estime que nous avons en effet suffisamment de temps devant nous pour ça, puis reprend son récit là où il l’avait arrêté lors de notre dernière leçon.
– À partir des années 1900, les chats ne sont plus assimilés à la sorcellerie mais à la liberté. Le chat noir devient le symbole du mouvement anarchiste. Les militants de ce parti peignent des chats noirs sur leurs drapeaux.
– Ça veut dire quoi « anarchiste » ?
— C’est un mouvement politique qui vise à détruire les gouvernements en place pour vivre sans aucun chef. Ils sont contre la police, contre l’armée, contre les religieux, contre toute forme d’autorité.
— Ils étaient nombreux ?
— Non, mais ils étaient déterminés. Ils ont par exemple assassiné des rois, des ministres et même des présidents.
— Pour manger leur caviar ?
– À force de déstabiliser les gouvernements, un attentat anarchiste à Sarajevo contre un empereur autrichien a entraîné la première grande guerre mondiale.
– Ça veut dire quoi « guerre mondiale » ?
– Ça veut dire que tous les humains vivants sont en guerre.
— Tous les humains sans exception, partout sur la planète ?
— Il y avait des zones de conflit plus chaudes que d’autres.
— Et nous dans tout ça ?
— En 1914, les Anglais créent une brigade de chats chargée de détecter les gaz toxiques avant que les humains n’en pâtissent.
— Les chats devaient donc mourir pour sauver les humains… Ont-ils réussi ?
— La Première Guerre mondiale a fait 20 millions de morts. Elle a duré quatre ans, suivis de vingt ans de paix.
— C’est long.
— C’était le temps nécessaire pour faire apparaître une nouvelle génération d’humains qui ignoraient les ravages de la guerre. La Deuxième Guerre mondiale a été déclenchée par un dictateur allemand du nom de Hitler.
— Lui aussi détestait les chats, je crois me souvenir ?
— En effet, il était phobique des chats. Dans cette guerre, encore plus d’humains étaient impliqués, des millions et des millions. Ils utilisaient des armes encore plus destructrices et il y a donc eu encore plus de morts.
— C’est ta théorie du trois pas en avant, deux pas en arrière ?
— Et après, à nouveau trois pas en avant jusqu’au prochain effondrement. La Deuxième Guerre mondiale a provoqué la mort de 65 millions d’humains. Puis, pendant des années, Russes et Américains se sont regardés en chiens de faïence, mais la bombe atomique leur a donné à réfléchir. Et plutôt que de se faire une guerre frontale, ils ont opté pour une « guerre froide ».
– Ça veut dire quoi, ils se battaient dans la neige ?
— Ils utilisaient des pays tiers pour s’affronter, mais sans se faire la guerre directement. En 1961, l’armée américaine a décidé de fabriquer un chat bionique pour espionner l’ambassade de Russie. Ils ont incrusté des appareils électriques et électroniques à l’intérieur de son corps.
— Un peu comme toi ?
— Si ce n’est qu’à l’époque, l’électronique n’était pas aussi bien miniaturisée. Ils ont opéré ce chat, qui se nommait Kitty, pour lui mettre une grosse batterie dans le ventre, reliée à des micros placés dans les oreilles et une antenne métallique dans la queue. La mission se nommait « opération Chaton acoustique ». Le jour dit, les scientifiques ont placé Kitty en face de l’ambassade. Kitty était dressé pour entrer dans le bâtiment visé, mais il a désobéi et en est ressorti. Ceux qui écoutaient ont entendu un grand bruit sec.
— Le matériel électronique est tombé en panne ?
— Kitty s’est fait écraser par un taxi. Les militaires américains ont malgré tout reproduit l’expérience et une dizaine de chats ont ainsi été opérés pour être transformés en espions électroniques. Aucun n’a réussi sa mission.
— Ils auraient dû prendre des chiens, c’est plus obéissant.
Alors que nous discutons, j’aperçois un humain blessé qui rampe dans notre direction, se hisse jusqu’au pare-brise et prononce des mots incompréhensibles. Il est couvert de boursouflures vertes. Je suis trop prise par le récit de Pythagore pour lui accorder plus d’attention.
— Durant cette guerre froide, en 1963, une chatte fut envoyée dans l’espace. Elle se nommait Félicette. Elle embarqua dans une capsule à bord d’une fusée française qui effectua un vol de dix minutes dont cinq en apesanteur, et fut récupérée vivante. Ce fut la première chatte astronaute.
J’imagine une chatte seule dans un vaisseau spatial, et je me dis que j’aurais bien aimé être à sa place.
— Parmi les chats célèbres, je pourrais aussi citer Mrs Chippy, qui accompagna la première expédition au pôle Nord, et Stubbs, le premier chat élu maire, en 1997, dans la ville américaine de Talkeetna, en Alaska.
Je me sens fière d’être chatte.
— Actuellement, il y a 10 millions de chats en France. 50 millions en Europe. 800 millions dans le monde.
L’humain malade qui tentait d’escalader notre camion renonce et retombe au sol.
— Et combien d’humains ?
— Les humains auraient dû être bientôt 8 milliards.
Donc il y aurait dix fois plus d’humains que de chats.
— Et combien de rats ?
— Ils sont plus difficiles à compter, mais on pense qu’avec la multiplication des grandes villes aux sous-sols truffés d’égouts et de tunnels de métro, ils ont proliféré de manière exponentielle.
— Donne-moi un chiffre, même approximatif.
— Sur Internet on estime que les rats sont au moins trois fois plus nombreux que les humains : environ 24 milliards.
— Trente fois plus que nous !
Je ne me rendais pas compte que la situation était à ce point en faveur de ces maudits rongeurs.
— En fait, il y en a probablement beaucoup plus car aucun scientifique humain n’a eu le courage d’aller les dénicher dans les bas-fonds pour les compter. Il s’agit d’une estimation globale. Mais j’ai trouvé une étude encore plus inquiétante. Un scientifique humain s’est aperçu que, du fait de la montée des températures, les rats deviennent de plus en plus grands et de plus en plus gros. La chaleur augmenterait leur fécondité mais aussi le nombre de maladies qu’ils véhiculent sans en être eux-mêmes affectés.
— Quelle taille ?
— Les chercheurs de cette étude ont évoqué la possibilité d’un doublement de volume.
— Alors nous sommes tous condamnés.
— Pour l’instant, la technologie des hommes les protège et nous protège aussi, mais si les scientifiques sont tués pour faire place à des religieux et des politiciens dogmatiques, si les hommes oublient leurs connaissances scientifiques et préfèrent mettre leur énergie à se détruire entre factions rivales plutôt que de s’unir pour lutter contre les rats, alors ces derniers deviendront forcément leurs maîtres. Ce n’est qu’une question de temps.
— Ici ?
— Pas seulement à Paris, mais dans toutes les villes du pays, puis du monde. Il n’y a pas un seul endroit sur la planète où ils ne sont pas présents, pas un seul endroit où, comme ici, ils n’acculent pas les hommes et toutes les autres espèces animales pour imposer leur hégémonie.
À quoi ressemblerait un monde où les rats auraient triomphé ? Les hommes et les chats se cacheraient dans les forêts, la campagne, abandonneraient les grandes cités. Cambyse et ses hordes de guerriers aux incisives tranchantes faisant régner la terreur.
J’ai beau me sentir en phase avec l’Univers, je ne sais pas pourquoi je perçois l’énergie des rats comme une énergie sombre qui ne va pas participer à l’élévation générale des consciences.
Plus que jamais, j’ai l’impression que maintenant que je connais la menace, ma responsabilité est énorme.
— Comment en est-on arrivés là ? je demande au siamois.
— En éliminant beaucoup d’espèces sauvages pour privilégier les espèces domestiques ou celles servant de bétail, les humains ont surtout éliminé les prédateurs naturels des rongeurs : aigle, loup, ours, renard, serpent.
— Ils ont brisé le fragile équilibre qui maintient l’harmonie de la nature. Quelle erreur !
— En installant des égouts, ils leur ont fait cadeau d’un milieu parfait où ils ne sont pas dérangés. Mais il faut aussi reconnaître que les rats sont dotés d’une intelligence et d’une capacité d’adaptation exceptionnelles.
— Ils sont quand même moins forts que nous.
— Nous nous sommes endormis en vivant auprès des hommes. Là où les rats doivent combattre pour se nourrir, nous recevons des croquettes sans le moindre effort. Là où ils sont tous les jours en train de se battre, nous n’affrontons plus aucun adversaire. Quel est le prédateur du chat ?
Je dois bien admettre qu’avant la crise actuelle, je ne connaissais même pas le sentiment de peur envers une autre espèce. Je ne connaissais que le sentiment d’impatience ou d’agacement.
Je n’avais même pas conscience que vivre dans un tel confort avait endormi mes sens.
— Les rats sont peut-être la prochaine espèce dominante. Ils sont intelligents et sociaux. Il ne faut pas les sous-estimer.
— Alors comment les contenir ?
— En nous unissant. Les humains ont besoin de nous comme nous avons besoin des humains. Si nous ne réussissons pas à nous entendre pour combattre l’adversaire commun, nous serons tous vaincus. C’est pour ça que je suis là, avec toi, Bastet. Allez, ne perdons pas plus de temps, nous avons encore beaucoup de chemin à effectuer avant de rejoindre le bois de Vincennes.
Pythagore a vraiment l’air de croire que je suis capable d’émettre vers les humains. Je n’ose plus lui révéler la décevante réalité. En fait, après ma prise de conscience extraordinaire d’hier, j’ai l’impression que je ne suis pas à la hauteur des missions qui me sont confiées. Il me tarde de refaire l’amour avec lui pour me réapproprier son énergie. Lui, par contre, semble avoir d’autres préoccupations.
Nous quittons l’habitacle du camion et reprenons notre galopade sur les toits des voitures. Je suis presque à bout de force lorsque enfin Pythagore nous fait quitter le périphérique pour rejoindre une zone arborée.
Le bois de Vincennes ressemble beaucoup au bois de Boulogne.
Ni chiens, ni chats, ni rats, ni humains à l’horizon.
— Le signal de sa balise GPS indique que ta servante est par là, annonce-t-il en désignant un sentier.
Nous avançons entre les grands arbres, au milieu d’une nature un peu trop silencieuse à mon goût. Même mes poils de moustache ne détectent aucune présence alentour. Soudain, avant que nous ayons pu réagir, nous nous retrouvons propulsés en l’air et prisonniers d’un épais filet de corde.
Un piège.
Trop tard. Nous avons beau nous agiter, nous sommes pris dans les mailles. Une clochette tinte à chaque geste que nous faisons pour nous débattre. J’essaye d’entailler le cordage avec mes dents et la clochette sonne de plus belle.
— Ne bouge plus ! m’intime Pythagore.
Nous restons là, suspendus entre ciel et terre, à attendre. J’ai une patte coincée dans les mailles. Ça fait mal.
Mais je finis par fermer les yeux. Pythagore, lui, semble déjà dormir.
L’inconfort de ma position dans le filet me force à me percevoir comme une entité autonome. Je me lance :
— Avant de mourir, je voudrais te dire que je t’aime.
— Merci.
Il m’agace. Pourquoi ne me répond-il pas qu’il m’aime lui aussi, qu’il m’adore, que je suis tout pour lui ?
— Tu as l’air insensible à tout, Pythagore. Mais pourtant, reconnais que cela a été extraordinaire quand nous avons fusionné nos corps.
— En effet.
Il m’énerve, il m’énerve, il m’énerve.
— Et c’est quoi pour toi, l’amour ? ne puis-je m’empêcher d’insister.
— C’est une… émotion particulière.
— Peux-tu être plus précis ?
— Quelque chose d’intense.
— Que tu as ressenti avec moi ?
— Comment résumer cela ?… Il faudrait trouver une formule qui explique ce ressenti particulier.
Pythagore secoue un peu la tête :
— Pour moi l’amour, c’est quand je suis aussi bien avec l’autre que lorsque je suis tout seul.
Il semble satisfait d’avoir trouvé la formule exacte qui définit selon lui cette notion.
— Eh bien pour moi, par contre, l’amour c’est quand je suis mieux avec l’autre que quand je suis toute seule.
Il va pour ouvrir la bouche, puis se ravise. Et se contente de bâiller.
Je me demande vraiment, au final, si sa volonté de ne dépendre de personne n’est pas simplement une forme d’égoïsme. Ne serait-il qu’un ignoble être égocentrique uniquement tourné vers l’énergie de son nombril ? Comme tous les mâles, d’ailleurs. Comment ai-je pu être assez naïve pour penser que celui-ci, parce qu’il était siamois, parce qu’il avait un Troisième Œil, parce qu’il me semblait plus instruit, pouvait être différent ? Pourtant, ma mère m’avait avertie. « Ils sont tous faibles et décevants. Ils sont incapables de vrais sentiments. Ils ne savent pas aimer vraiment. » Comment ai-je pu penser que celui-ci pouvait échapper à la règle ?
Pythagore dodeline de la tête.
— Très bien… je reconnais que je suis mieux avec toi, Bastet, que lorsque je suis tout seul…
Cela semble lui avoir coûté tellement de dire ça que j’en suis toute retournée. Il déglutit, puis ajoute :
— Je suis mieux avec toi, même dans ce piège… Même suspendu au-dessus du sol dans un filet… Même avec nos probabilités de futur assez sombres.
Ah ! les mâles. Je ne m’y ferai jamais. Il a tellement peur d’avouer qu’il a de l’attachement pour moi ! Il a tellement peur d’avouer qu’il a eu, comme moi, une révélation lors de l’union de nos corps.
Finalement, il n’y a que nous, les femelles, qui osons avoir des émotions profondes et les exprimer sans pudeur.
Je n’aimerais pas être un mâle, j’aurais l’impression d’être handicapée des sentiments.
— Hier, j’ai eu une intuition grâce à toi, dis-je. J’ai compris que ce que je pressentais depuis toujours — que je n’étais pas limitée à mon corps — était vrai.
— Je suis désolé, reconnaît-il, je ne suis pas allé aussi loin.
Soudain, je comprends que son accès à Internet et la possibilité de tout voir et tout comprendre à travers son Troisième Œil électronique l’ont rendu sourd à ce sens naturel qu’est l’intuition.
Moi, je n’ai pas besoin de tout son attirail, il me suffit de fermer les yeux, de rêver et de me brancher sur l’énergie de vie qui parcourt l’Univers pour avoir accès à des connaissances précieuses, peut-être plus que les siennes.
— Je suis désolé de ne pas être plus empathique dans cet instant, souffle-t-il mais… cette fois-ci j’ai réellement peur de mourir.
Pas moi.
Qu’est-ce que la mort ? Depuis que j’ai pris conscience que je n’étais faite que de poussières flottant dans du vide, unies simplement par l’idée que je me fais de moi-même, la mort me semble juste une « autre » organisation de ces particules.
Ayant compris cela, pourquoi aurais-je peur de changer d’état ? Mourir, après tout, n’est qu’un changement d’organisation de l’infime quantité de matière qui me compose.
En tout cas, aujourd’hui, je me sens plus philosophe que Pythagore, qui tremble à l’idée d’achever sa longue existence. La destruction de son architecture de particules dans le vide lui semble un drame parce qu’il se croit important. Il se croit différent du reste de l’Univers. Et c’est aussi ce sentiment de différence qui l’a empêché de vivre la fusion de nos corps aussi intensément que moi.
S’il était conscient de tout cela, il saurait aimer vraiment.
Sa vision de lui-même est limitée à son enveloppe charnelle, coupée des autres, alors que moi j’ai compris que j’étais sans limite. Oui : je suis infinie et immortelle. Je me sens bien, même si mon corps risque d’être désorganisé dans sa structure générale. Je n’ai pas la moindre inquiétude, je survivrai autrement.
Je ferme les yeux et mon esprit s’envole loin de ce corps pris dans un filet.
Je rêve que je suis Félicette dans sa fusée et que je vole vers la Lune.