Sept

« Comment se porte le capitaine Falco ? » s’enquit Geary sur un ton professionnel, sec et néanmoins empreint d’une certaine sollicitude pour un camarade et collègue. Il ne tenait pas à ce qu’on aille raconter partout qu’on l’avait entendu ironiser à son sujet.

Le médecin de la flotte se renfrogna légèrement à l’écran. « Il est heureux. »

Autrement dit, Falco continuait de divaguer. S’il avait été conscient d’être aux arrêts au lieu de commander la flotte, il aurait été fou de rage. « Est-il bien soigné ?

— On le maintient dans un état stable, répondit le médecin. Ce sont nos ordres et la procédure habituelle quand on ne peut pas contacter un parent susceptible de prendre une décision sur la poursuite du traitement. Nous empêchons son état d’empirer et nous veillons à ce qu’il ne devienne pas violent pour son entourage ni pour lui-même. Il passe le plus clair de son temps à imaginer les plans de campagne et les besoins logistiques de la flotte virtuelle à laquelle il a accès.

— La dernière fois que je me suis renseigné, les médecins de la flotte procédaient encore à des examens et à une évaluation du capitaine Falco. Pouvez-vous me dire s’il est ou non incurable ? demanda Geary, pas bien certain de vouloir connaître la réponse.

— Restez en ligne, je vais consulter son dossier. » L’image du toubib disparut, remplacée par un économiseur d’écran représentant les médecins de la flotte au travail. Geary s’efforça de ne pas se formaliser de son attitude, identique à celle qu’observaient déjà un siècle plus tôt, et sans doute depuis des millénaires, les hommes de l’art envers les profanes.

L’image du médecin daigna enfin réapparaître. « Un traitement est envisageable. Possible, dirais-je. En fonction de son état, corrigea-t-il. Nous pourrions réduire ses délires de façon conséquente, mais, compte tenu de ce que j’ai pu apprendre de son passé dans son dossier, le capitaine Falco souffrait d’une maladie mentale longtemps avant d’être confié à mes soins. Cet état lui est sans doute devenu coutumier, et se contenter de soigner physiquement le problème et le récent déni de réalité consécutif au stress ne modifierait en rien un processus mental profondément enraciné.

— Une maladie mentale ancienne ? Qu’il aurait développée pendant son internement dans le camp de travail syndic ?

— Non, non », rectifia le médecin sur le ton un tantinet agacé que témoigne sa profession envers tous ceux qui, n’ayant pas fait médecine, tentent d’en comprendre les arcanes. « Depuis longtemps. Avant même qu’il ne soit fait prisonnier par les Mondes syndiqués, le capitaine Falco se croyait le seul homme au monde qualifié pour commander la flotte de l’Alliance et gagner la guerre. Cet état est plus fréquent que vous ne l’imaginez, pontifia le toubib, oubliant manifestement qu’il s’adressait au commandant de la flotte.

— Vraiment ?

— Mais oui. Assez pour qu’on lui ait donné un nom plusieurs décennies plus tôt.

— Un nom ?

— En effet ! Le complexe de Geary. » Le médecin s’interrompit, fronça les sourcils et scruta attentivement son interlocuteur. « C’est bien vous, n’est-ce pas ?

— Oui, du moins la dernière fois que j’ai vérifié », répondit Geary en se demandant combien d’officiers de la flotte avaient souffert du complexe de Geary au cours d’un siècle de guerre.

Le médecin opina pensivement, non sans dévisager Geary comme s’il s’attentait à le voir délirer d’un instant à l’autre. « Eh bien, en ce cas, vous êtes bien placé pour comprendre de quoi je veux parler. »

Geary s’apprêtait à éclater de rire mais il se ravisa. Il n’avait aucun mal à imaginer ce que dirait Victoria Rione et elle aurait en partie raison. Il se croyait effectivement le mieux placé pour commander cette flotte. Non parce qu’il se faisait de ses compétences une idée mégalomaniaque et s’imaginait pouvoir la mener tout seul à la victoire, ni non plus parce qu’il cherchait à correspondre à la légende de Black Jack, mais dans la mesure où sa légende pouvait servir à en maintenir la cohésion, et l’entraînement qu’il avait subi par le passé et réintroduit à remporter ces victoires.

Je ne ressemble en rien à Falco et je n’en ai aucune envie. C’est ce qui nous sépare, précisément, qui me pousse à vouloir lui parler.

Il haussa finalement les épaules. « Peut-être, docteur. Mais je ne tiens pas particulièrement à commander cette flotte. Je n’ai pas d’autre choix. J’en suis l’officier le plus ancien et j’ai un devoir à remplir. »

Le docteur opina, l’air de ne pas chercher à contrarier un patient. « Bien entendu. Tous ont leur version personnelle : le devoir, la responsabilité de sauver l’Alliance et ainsi de suite. » Geary soupira ; il n’appréciait guère cette conversation un peu trop personnelle. « J’ai au moins celle de sauver des vies, docteur, et, si vous consultez les bases de données de la flotte, vous constaterez que je suis de loin son plus ancien capitaine. » Il avait été promu un siècle plus tôt. Promotion posthume, sans doute, puisqu’on le croyait mort à Grendel, mais le règlement de la flotte ne s’en préoccupait pas. Puisqu’il était réapparu en vie, son ancienneté subsistait. « Puis-je ordonner qu’on soigne le capitaine Falco ? De façon à lui faire recouvrer le sens des réalités ?

— Certes, puisque vous êtes le commandant de la flotte. Bien entendu, les autorités de l’Alliance devraient confirmer votre décision. »

Celle-ci aurait dû être facile à prendre. Pourquoi laisser un homme à sa folie ? Mais Falco était aux arrêts et inculpé de nombreuses violations du règlement de la flotte et des lois de l’Alliance, qui toutes pouvaient lui valoir la peine capitale. Guéri, il lui faudrait affronter une réalité autrement sinistre que les illusions qu’il nourrissait. Mais de quel droit pouvait-on interdire à son prochain de mieux se porter quand on en avait la possibilité ? « Ce n’est pas une décision aisée, finit-il par avouer pesamment.

— Je ne la recommanderais pas, déclara le médecin. Compte tenu des circonstances qui entourent actuellement le capitaine Falco, contraint d’affronter la réalité il risquerait de devenir dépressif et suicidaire. Quand il devra assumer ses responsabilités, il le fera beaucoup plus confortablement dans un établissement de santé pleinement équipé et diligent. »

C’était l’échappatoire qu’attendait Geary. Il n’aurait pas à décider de son propre chef. « Je ne vois aucune raison d’aller à l’encontre de vos recommandations, docteur. Veuillez, je vous prie, me tenir informé de l’évolution du traitement ou d’une éventuelle modification, favorable ou défavorable, de l’état mental du capitaine Falco.

— Je peux le faire, j’imagine. Oui… vous êtes le commandant de la flotte et vous avez donc accès à ces informations.

— Merci. J’aimerais rendre visite au capitaine Falco. En mode virtuel, je veux dire.

— Lui rendre visite ? » Le médecin semblait ébahi.

« Le capitaine Falco ne reçoit-il pas de nombreuses visites ?

— Il est aux arrêts. Vous l’ignoriez ?

— Non. C’est moi qui en ai donné l’ordre, expliqua patiemment Geary.

— Oh ! En effet. Mais vous voulez le voir tout de suite ?

— Et lui parler. »

Le médecin eut un froncement de sourcils méditatif puis hocha la tête. « Une visite n’est pas contre-indiquée dans son état et ne présente évidemment aucun risque dans la mesure où vous ne serez pas physiquement présent. Mais je vous exhorte à ne pas insister sur son équilibre mental réel.

— Je n’en ai nullement l’intention. J’imagine que le logiciel de la salle de conférence me permettra de rendre visite à Falco dans sa cabine. Veuillez me faire connaître le lien et tous les codes d’accès exigés. »

La requête déclencha d’autres mimiques renfrognées, assorties de mises en garde relatives aux procédures médicales et à l’intimité des patients, mais le médecin finit par cracher les informations. Geary coupa la connexion non sans un certain soulagement et se dirigea vers la salle de conférence en s’efforçant de réprimer la morosité qui l’accablait.

Songer à ce qu’il était advenu de Falco lui déplaisait. Une certaine partie de lui-même aurait voulu haïr cet homme pour la responsabilité qu’il avait prise dans la perte inutile de tant de vaisseaux et de leurs spatiaux. Une autre le prenait en pitié. Et une troisième s’effrayait des dégâts que Falco risquait encore de commettre s’il était ramené à la réalité ou, tout du moins, à cette version de la réalité à laquelle il avait si longtemps souscrit.

Geary veilla à fermer hermétiquement l’écoutille de la salle de conférence avec son propre code d’accès, activa le logiciel à son plus haut niveau de sécurité puis entra les données permettant de contacter Falco.

Un instant plus tard, l’image du capitaine se tenait devant lui dans son uniforme impeccable, l’air de se libérer à l’instant d’une occupation importante. Il regarda autour de lui puis accommoda sur Geary. « Oui ? » Au bout d’un moment, le sourire de franche camaraderie, longuement répété et pratiqué, dont Geary avait gardé le souvenir, se substitua à son expression agacée.

« Je me demandais si vous auriez le temps de discuter de quelques questions avec moi, capitaine Falco, commença prudemment Geary.

— Le temps ? Un commandant de la flotte tel que moi a de nombreuses responsabilités, vous savez, pontifia Falco avant d’afficher de nouveau son sourire factice. Mais je peux toujours consacrer quelques instants à un camarade. J’ai ordonné à la garde d’honneur des fusiliers spatiaux de poster des sentinelles devant ma cabine pour veiller à ce que tout officier désirant me voir y ait accès. »

Comme l’avait dit le médecin, Falco se croyait toujours à la tête de la flotte et allait jusqu’à fantasmer la présence de ces sentinelles, en concordance avec ce statut. Avait-il seulement reconnu Geary ? « Il s’agit d’une question stratégique portant sur les mouvements de la flotte.

— Oui. Bien sûr. J’ai examiné la situation. Je n’ai pas encore pris de décision quant à notre destination suivante. »

Déclaration assez proche de celle que Geary avait faite à Rione pour lui arracher une grimace ; mais il réussit à se maîtriser. « Puis-je ? » s’enquit-il avant d’activer l’hologramme des étoiles montrant le secteur environnant. Falco jeta sur l’écran un regard plein d’assurance, comme s’il lui était déjà intimement familier. « La flotte se trouve à Ixion.

— Bien sûr. La dernière offensive se déroule très convenablement, affirma Falco.

— Euh… oui. Mais nous regagnons maintenant l’espace de l’Alliance.

— Hmmm. » Falco étudia l’hologramme puis parut brièvement désorienté. « L’hypernet. L’hypernet syndic.

— Nous pourrions l’utiliser, déclara Geary. Mais les Syndics tenteront de détruire tout portail avant que nous ne l’atteignions.

— Oui, évidemment. » Falco pointa le doigt. « La route la plus directe passe par T’negu. Mais nous n’irons pas. »

Geary s’était attendu à ce que Falco voie en T’negu le seul choix logique. « Non ?

— Bien sûr que non. » Le sourire de Falco se fit encore plus éblouissant. « C’est un piège ! Qui saute aux yeux, vous ne voyez pas ? » Geary hocha la tête, mais il ne voyait strictement rien. « Les mines. Tout le système en sera tapissé. » Son expression s’altéra de nouveau. « Les mines. » Geary se demanda s’il se rappelait les dommages qu’un champ de mines syndic avait causés à Vidha.

Geary n’avait pas envisagé l’éventualité d’un gigantesque champ de mines syndic à T’negu, pourtant elle tombait sous le sens. T’negu était un goulet d’étranglement donnant sur l’espace de l’Alliance. Un passage obligé. Le système n’offrait aucun monde habitable, et la seule et infime présence syndic se réduisait à quelques cités souterraines sur une planète privée d’atmosphère et trop éloignée de l’étoile pour bénéficier de sa chaleur. Tout point de saut risquait d’être non seulement piégé avec un champ de mines, mais encore transformé en un véritable labyrinthe de ces champs, dont l’étendue ne serait limitée que par l’arsenal dont disposeraient les Syndics.

Falco fixait toujours l’hologramme, mais il gardait à présent le silence. « Où devrions-nous plutôt aller ? insista Geary.

— Où ? » Falco cligna des paupières. Son regard se reporta sur son interlocuteur puis de nouveau sur l’hologramme. « Lakota.

— Lakota ? Il y a un portail à Lakota. Les Syndics n’auront aucun mal à renforcer ce système.

— Exactement ! Ils savent que nous le savons ! Ce qui signifie qu’ils n’en feront rien, car ils s’imagineront que nous aurons peur de nous y rendre ! » Falco eut un sourire triomphant. « Nous les surprendrons. »

Geary s’efforça de saisir le raisonnement. D’une certaine façon, il semblait logique. Lui-même ne l’avait absolument pas envisagé. Falco aurait-il raison ? Les Syndics ressentaient visiblement les effets des coupes franches infligées à leur flotte par celle de l’Alliance au cours des derniers mois. Ils avaient perdu de nombreux vaisseaux. Persuadés que Geary n’oserait pas s’y rendre, prendraient-ils le risque d’à peine protéger Lakota ?

Falco n’était pas informé de la destruction du portail de Sancerre, ni de ce que les Syndics avaient donné amplement la preuve qu’ils étaient prêts à détruire un de leurs portails plutôt que de permettre à la flotte de s’en servir. Mais eux savaient que la flotte en était consciente.

« Une force syndic gardera ce portail, fit remarquer Geary. Ils ne peuvent pas se permettre de n’y pas conserver au moins une flottille de taille appréciable.

— Bien entendu, lâcha Falco en balayant l’argument d’un geste. Mais rien dont nous ne pourrions venir à bout. Nous liquiderons ces défenseurs, nous bombarderons la planète habitée, nous la réduirons en ruines puis nous repartirons à notre guise. »

Sans doute, mais Geary n’avait aucunement l’intention de bombarder des cibles civiles. Les documents en provenance de Baldur que lui avait montrés le lieutenant Iger confirmaient ses propres soupçons : la stratégie de l’Alliance en faveur d’une guerre inconditionnelle avait fait long feu. L’homme de la rue des Mondes syndiqués la craignait, redoutait de voir sa planète natale dévastée et n’en luttait que plus âprement pour la vaincre. Mais le reste du raisonnement de Falco faisait-il sens ? Ne témoignait-il pas, en l’occurrence, de sa folie démentielle ?

Geary étudia l’hologramme. Les points de saut de Lakota donnaient accès à quatre autres étoiles dont Ixion.

Ça pouvait marcher.

« Merci, capitaine Falco. Excusez-moi de vous avoir dérangé. » Falco sourit derechef et, à l’idée d’avoir dupé un aliéné, Geary éprouva un pincement de remords. « Vous allez bien ?

— Si je vais bien ? Oui, naturellement. Si l’on excepte la tension imposée par le commandement. Vous savez ce que c’est. Mais je suis honoré de pouvoir servir l’Alliance de mon mieux. C’est mon devoir. » Le sourire reparut.

« Vous n’avez besoin de rien ?

— Nous devrions tenir bientôt une conférence stratégique. Chargez-vous de l’organiser, voulez-vous, capitaine… ?

— Geary.

— Vraiment ? Seriez-vous apparenté au grand héros ? »

Geary hocha la tête. « En quelque sorte, oui.

— Fantastique. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, le devoir m’appelle. » Falco se leva et regarda autour de lui, légèrement déboussolé.

Geary coupa la communication et l’image de Falco s’évanouit. Bon sang de bon sang de bonsoir !


« Lakota ? » Victoria Rione n’était pas loin de hurler. « Où as-tu péché cette idée ? » Son visage afficha une compréhension horrifiée. « Tu as parlé cet après-midi au capitaine Falco. Te l’aurait-il suggérée ? Et tu l’écouterais ?

— Je… » Geary la dévisagea. « Tu sais que je me suis entretenu avec Falco ? J’avais sécurisé cette entrevue au maximum.

— J’ignore ce que vous vous êtes dit, si ça peut te rassurer. » Elle se retourna en secouant la tête. « Confirme-moi, je t’en supplie, que tu ne lui as pas demandé son avis.

— Pas exactement en ces termes. » Geary se sentait sur la défensive ; il était conscient que Rione avait de bonnes raisons de ne pas le croire. « Je voulais seulement savoir ce qu’il aurait fait à ma place.

— Une énorme sottise ! J’aurais pu te le dire.

— Il n’aurait pas opté pour T’negu. »

Rione se tourna pour le regarder, les yeux plissés.

« Il redoutait un piège. »

Rione leva les bras au ciel. « Et je découvre subitement que je tombe au moins d’accord avec lui sur un point. Je n’aurais jamais cru que cela puisse se produire. »

Geary vérifia que l’écoutille de sa cabine était fermée. Il ne tenait pas à ce qu’on surprît par inadvertance cette partie de leur discussion.

« Écoute, je n’aurais jamais choisi Lakota.

— Alors n’y va pas.

— Les Syndics s’en doutent certainement, expliqua Geary aussi patiemment qu’il en était capable. Ils croient savoir où je compte me rendre : un des systèmes stellaires accessibles depuis Ixion. Ils savent quel itinéraire empruntera cette flotte si elle choisit d’adopter la route la plus directe vers l’espace de l’Alliance. Lakota n’en fait pas partie.

— Parce qu’il serait stupide de s’y rendre !

— Les Syndics savent que ce serait une sottise de notre part, et nous le savons aussi. De sorte que cette destination est sans doute la dernière qu’ils s’attendent à nous voir choisir. »

Rione le fixa. « Tu es sérieux ?

— Mais oui. » Geary arpenta sa cabine puis s’arrêta pour se tourner vers l’hologramme et le centrer sur Ixion. « T’negu est un objectif par trop flagrant. Nous ne pouvons pas gagner ce système sans présupposer que chacun de ses points de saut sera infesté de bien plus de champs de mines que ceux qui nous attendaient ici. Retourner à Daïquon ne nous mènerait nulle part, sinon à saper le moral de la flotte et, peut-être, à nous retrouver nez à nez avec la force syndic qui nous traque de système en système. Vosta nous ramène de nouveau en arrière, en territoire syndic, et ses points de saut ne permettent d’accéder qu’à deux autres étoiles. Kopara nous fait sans doute faire un crochet, sans perdre ni gagner de terrain, mais elle ne donne accès ensuite qu’à un unique système. Selon notre service du renseignement et les archives que nous avons confisquées, Dansik est un centre stratégique régional et sera à coup sûr lourdement défendu. Ne reste donc plus que Lakota. »

Rione arracha ses yeux à l’hologramme pour scruter Geary avec circonspection puis fixa de nouveau l’écran. « Et où le capitaine Geary irait-il, lui ?

— À Vosta. » Il étudia l’hologramme. « Pour égarer nos poursuivants.

— Mais les Syndics t’ont déjà vu rebrousser chemin plus d’une fois.

— Ouais.

— Ne vont-ils pas se persuader que tu choisiras Kopara ?

— Peu probable. Ils ne devraient poster de forces assez importantes pour nous piéger que dans deux systèmes stellaires. Évidemment, ce serait délicieux de leur part de me croire aussi bête, mais je ne peux pas tabler là-dessus. »

Le visage de Rione se durcit. « Et tu as réussi à nous conduire à Ixion alors que toutes les options qui s’y offrent à toi t’indisposent ? »

Il faillit répondre par un grognement puis se rendit compte qu’elle n’avait pas entièrement tort. « Je ne pensais pas que nous parviendrions jusqu’ici. Je croyais que les Syndics réagiraient plus vite et que, dès Daïquon, nous nous détournerions de notre ligne directe vers l’espace de l’Alliance.

— Et, maintenant, tu fondes tout ton plan sur l’espoir qu’ils ne te prendront pas pour un imbécile ? Non, mais regarde-toi ! Tu vas prendre conseil chez Falco, qui a toujours été un crétin doublé désormais d’un cinglé. » Rione contourna l’hologramme et enfouit son visage dans ses mains. « Ne fais pas cela, John ! Ne conduis pas la flotte à Lakota. »

Jamais encore elle ne l’avait appelé par son seul prénom. « Nos autres choix sont encore moins propices. Si tout se passe bien à Lakota… »

Elle baissa les mains et le fusilla du regard. « Si ! Et sinon ? Quel choix te restera-t-il ?

— Nous pourrons toujours éviter le combat, traverser le système et sauter vers une autre destination. »

La tête de Rione s’affaissa. « Crois-tu sincèrement que la flotte te permettra de refuser l’engagement ? Certes, elle l’a déjà fait, après les lourdes pertes qui lui avaient été infligées dans le système mère des Syndics, quand tous étaient traumatisés au point d’en avoir provisoirement perdu leur besoin instinctif de se livrer à des charges suicidaires. Mais si tu cherches à te soustraire au combat à Lakota et que quelques-uns de tes vaisseaux l’engagent malgré tout, que feras-tu ? »

Il n’y avait pas songé. Il fixa un point derrière elle et réfléchit. « Tu en crois vraiment certains commandants capables ? Ceux qui conspirent contre moi, Casia et ses pareils, ne m’ont pas l’air prêts à risquer leur vie dans une charge héroïque à laquelle ils n’auraient aucune chance de survivre.

— Ce n’est pas d’eux qu’il faut t’inquiéter ! Quelle sorte de cervelle t’ont donc donnée les vivantes étoiles, John Geary ? » Rione se rapprocha et lui agrippa les bras. « Les plus dangereux sont ceux qui croient assez en toi pour te proposer une dictature mais pas suffisamment pour accepter de renoncer à leurs raisonnements spécieux ! Demande à l’officier auquel tu te fies le plus ! Demande à Roberto Duellos. Il te dira la même chose. Tanya Desjani elle-même te le dira. Pose-leur la question si tu ne me crois pas ! »

Ça tombait sous le sens. « Te voir raisonner en politicienne a parfois des avantages.

— Merci. Enfin, je crois », lui lança Rione en s’écartant brusquement. Elle montra de nouveau l’hologramme. « S’ils te savaient absolument incapable de choisir Kopara…

— Non ! Si nous nous retrouvions piégés à Kopara, il n’y aurait pas d’échappatoire ! Lakota nous offre plusieurs choix. » Il fixa de nouveau sombrement l’hologramme puis reporta le regard sur Rione. « Pourquoi t’en abstiens-tu ? »

Elle lui rendit son regard. « De quoi ?

— De me menacer d’ordonner aux vaisseaux de la République de Callas et de la Fédération du Rift de refuser dorénavant de m’obéir. Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?

— Parce que je ne profère aucune menace que je ne peux pas tenir, répliqua-t-elle avec colère. La loyauté de mes propres commandants est désormais partagée. S’il te plaît, ne fais pas semblant de croire que tu l’ignores encore. Quoi que je dise, nombre d’entre eux te suivraient.

— Vraiment ? » Sa surprise avait dû transparaître. « Je n’ai nullement essayé de détourner de toi leur…

— Ahiiii ! glapit Rione, ivre de fureur, en se rapprochant de nouveau de lui pour lui marteler la poitrine du poing. Cesse de jouer les imbéciles, John Geary ! Ils croient en toi. Parce que tu as conduit la flotte jusque-là et remporté de remarquables victoires en chemin ! Ils pensent que tu n’es pas un politicien et ils ont certainement raison. Mais tu as gagné leur confiance. » Elle désigna l’écran d’un index furieux. « Ne va pas les en remercier en les conduisant à Lakota !

— Enfer ! » Geary se laissa tomber sur le fauteuil le plus proche, brusquement pris de lassitude. « Crois-tu réellement que je ne m’efforce pas chaque minute d’agir de mon mieux pour ceux qui ont placé en moi leur confiance ? »

La fureur de Rione la quitta, la laissant pantoise ; elle fixait Geary avec une visible impuissance. « Que comptes-tu faire ?

— Convoquer une conférence stratégique. Pour voir comment ils réagiront à ma décision de gagner Lakota.

— Ils vont adorer. Exactement le genre de témérité dont serait capable Black Jack. » Rione s’effondra à son tour dans un fauteuil.

« Madame la coprésidente, auriez-vous déjà entendu parler d’un “complexe de Geary” ? » s’enquit-il au bout d’une minute de silence.

Rione releva la tête. « Oui. Voilà des années. Un collègue sénateur y a fait allusion la première fois devant moi à propos du capitaine Falco. Ça t’est finalement revenu aux oreilles ?

— Je me demande pourquoi tu ne m’as jamais accusé d’en être victime.

— On pouvait tout juste t’accuser de te prendre pour le capitaine John Geary.

— Il existe au moins un médecin de la flotte pour m’en soupçonner, répliqua-t-il sèchement. Je ne comprends pas. Tu es différente.

— Eh bien, je te remercie, râla-t-elle. Qu’est-ce que c’est censé signifier ?

— Entre autres que tu ne m’as pas mis une seule fois en garde contre le danger que représente Black Jack et ce qu’il adviendrait si je me prenais pour lui. »

Rione haussa les épaules. « Je l’ai déjà fait maintes et maintes fois et tu en sembles désormais conscient. Le répéter friserait probablement l’acharnement.

— Ça ne t’en a jamais empêchée jusque-là.

— Peut-être serait-il plutôt temps de te prévenir contre ton sens de l’humour mal placé, déclara-t-elle d’une voix mortellement froide. Essaies-tu de me dire quelque chose ?

— Oui. » Il la scruta avant de répondre. « Tu t’opposes fermement à mon idée de conduire la flotte à Lakota. Tu penses que je me fourvoie, que je m’efforce peut-être de me hisser à la hauteur de la réputation de Black Jack. Mais tu n’as pas explosé. Tu n’es pas sortie en trombe de la cabine et tu n’as pas non plus proféré de menaces à peine voilées sur ce qui risquait de m’arriver personnellement si je me mettais réellement à jouer les Black Jack. Pourquoi n’en as-tu rien fait ? »

Elle haussa les épaules et détourna les yeux. « Je m’efforce peut-être de me montrer imprévisible. Tu prévois que je vais réagir de telle ou telle manière et je le sais, de sorte que je prends le contre-pied. Encore qu’en l’occurrence ce soit loin d’être idiot.

— Tu ne manques pas d’humour non plus. » Geary lissa sa voix, en gommant soigneusement tout sarcasme. « Sérieusement ? Qu’est-ce qui a changé ? »

Rione ne répondit pas sur-le-champ. Elle finit par reporter le regard sur lui. « Pour parler carrément, j’ai déjà formulé de sinistres avertissements sur les décisions que tu songeais à prendre. J’étais chaque fois persuadée d’avoir raison et il s’est trouvé chaque fois que j’avais tort et que tu étais dans le vrai. Rien ne nous permet de dire où en serait cette flotte si tu m’avais écoutée, mais je vois mal comment elle pourrait être en meilleur état, ni comment l’ennemi aurait pu essuyer davantage de pertes.

— Tu me fais confiance ? » Sa stupeur n’était sans doute pas passée inaperçue.

Rione eut un sourire désabusé. « J’en ai peur. Je crois sincèrement qu’aller à Lakota serait une erreur. Je te l’ai déjà dit et je t’ai exposé mes raisons. Tu m’as écoutée. Oui. Je m’en suis aperçue. Maintenant, compte tenu de nos résultats passés à tous les deux, je ne pense pas avoir le droit de contrarier ton instinct. Il t’a trop souvent bien inspiré. » Elle s’interrompit pour chercher ses yeux. « Oui, je sais, tu te demandes s’il ne t’abuse pas sur mon compte. Tu ne sais pas exactement pourquoi je te suis revenue, ni même pourquoi j’ai choisi de partager ton lit la première fois. »

Il opina. « En effet.

— Et tu ne me poseras pas la question parce que tu ne crois pas pouvoir te fier à mes réponses. Ne le nie pas. Je te sens vaciller. Et je le mérite.

— Je n’ai jamais dit…

— Tu n’en as pas besoin. » Rione montra ses paumes. « Tu espères m’entendre dire que je t’aime ? Ça n’arrivera pas. Tu sais déjà à qui va mon cœur.

— Pourquoi, en ce cas ? Pourquoi couches-tu avec moi ?

— Les femmes te trouvent irrésistible. Tu l’ignorais ? » Elle éclata de rire. « Tu aurais dû voir la tête que tu as tirée. »

Il lui rendit son sourire, conscient qu’elle ne répondrait jamais à la question et qu’elle se contenterait de se payer de mots dont il ignorerait toujours s’ils étaient sincères. « Je vais encore y réfléchir.

— À Lakota ? Vraiment ? » L’hilarité de Rione se dissipa et elle hocha la tête. « Peut-être est-ce pour cela que je suis venue vers toi, John Geary. Et pourquoi je serai avec toi cette nuit.

— Que se passera-t-il quand nous aurons retrouvé l’espace de l’Alliance ? Du moins si nous y parvenons. Sortiras-tu de ce vaisseau à mon bras ? Passeras-tu encore tes nuits avec moi ? »

Elle le dévisagea longuement sans mot dire. « Tu demandes à une politicienne ce qu’elle compte faire à l’avenir ? Mais… oui. Est-ce que tu me crois ?

— Je n’en sais rien.

— Tant mieux. Je t’ai déjà beaucoup appris sur les hommes politiques. Tu en auras besoin à ton retour. » Elle se leva et tendit la main. « Viens. Allons manger un morceau. En public. Ensemble. Tâchons de montrer à cette flotte que son héros est un homme heureux. »

Geary se leva à son tour ; il se sentait toujours épuisé. « Je peux tenter de passer quelques heures pour un homme heureux, j’imagine.

— Tu te débrouilleras très bien. » Elle sourit encore, mais différemment cette fois. « Et, à notre retour ici, nous tâcherons de nous rendre mutuellement heureux l’espace de quelques instants. »

En dépit de toute l’excitation que suscitait cette promesse, Geary aurait bien aimé savoir ce que Rione pensait réellement sur le moment.


« Décider de notre ligne d’action n’a pas été une mince affaire », déclara Geary alors que les images des commandants de la flotte commençaient de s’amasser dans la salle de conférence. La tension évoquait une veillée d’armes. Ses adversaires les plus évidents, tels les capitaines Casia, Midea et Yin, étaient prêts à bondir dès sa première allusion à une conduite qu’ils ne jugeraient pas assez agressive.

Ses alliés, les capitaines Duellos, Tulev, Cresida et leurs homologues, semblaient en revanche tout aussi inquiets de le voir proposer une stratégie qui, destinée à contenter ses officiers, mettrait sérieusement la flotte en péril. Il leur avait parlé à tous en tête à tête pour s’efforcer de les persuader qu’il allait mûrement y réfléchir. Il espérait les avoir convaincus.

Près de lui, le capitaine Desjani en personne concentrait toute son attention sur ses adversaires comme si elle avait été son garde du corps. Plus loin, vers le milieu de la table, la présence virtuelle de la coprésidente Rione siégeait parmi les commandants de vaisseau de la République de Callas et de la Fédération du Rift. Elle avait préféré assister ainsi à la réunion plutôt que s’y présenter physiquement, pour prouver aux vaisseaux de sa propre république qu’elle leur était toujours aussi dévouée. Mais Geary ne pouvait pas s’empêcher de se demander ce qu’elle avait tenu sous le boisseau lors de leur dernière conversation, si elle le soutiendrait, garderait le silence ou émettrait une opinion contraire lorsque s’ouvrirait le débat.

L’hologramme des étoiles s’activa. « Vous savez déjà quelles options s’offrent à nous. Si séduisante que paraisse T’negu, un traquenard nous y attendra certainement…

— Nous avons jusque-là parcouru sans trop d’encombre un trajet en droite ligne vers l’espace de l’Alliance, le coupa Casia.

— Et établi ce faisant une piste que les Syndics peuvent suivre les yeux fermés, rétorqua Duellos. T’negu est le site idéal pour de vastes champs de mines.

— Exactement mon opinion, dit Geary en clouant Casia à son fauteuil d’un regard noir avant que ce dernier ne reprît la parole. Les autres étoiles accessibles présentent toutes des défauts variés, à divers degrés de danger. Après mûre réflexion et consultation de certains de vos collègues, j’ai décidé que notre destination la plus propice était Lakota. »

Le capitaine Midea s’apprêta à intervenir puis ravala ses paroles en comprenant enfin ce que Geary venait d’annoncer. « Lakota ?

— Oui. » Qu’elle ait ou non le don de surprendre les Syndics, sa décision aurait à tout le moins stupéfait Midea. Pensée réconfortante : les espions de ses adversaires n’avaient donc pas réussi à découvrir ses projets plus tôt. « Une flottille syndic y gardera à coup sûr le portail de l’hypernet. Mais les Syndics regarderont notre irruption dans ce système comme si improbable qu’elle sera certainement trop faible pour nous arrêter.

— Pourrons-nous utiliser ce portail ? s’enquit une voix haletante.

— Ce n’est pas exclu », répondit Geary sur un ton égal. Il ne pouvait pas les laisser s’illusionner. « Mais nous savons qu’ils sont prêts à détruire leurs portails pour nous en interdire l’accès, et la flottille de Lakota en aura sûrement reçu l’ordre. Avec beaucoup de chance, nous la surprendrons avant qu’elle soit en position pour atteindre avant elle le portail. Mais ce serait vraiment jouer de bonheur. S’ils entreprennent de le détruire… » Il laissa la phrase en suspens, permettant à ses commandants de raviver leurs souvenirs de l’effondrement de celui de Sancerre.

« Nous pourrions toujours le charger pour tenter de les en empêcher, argua Yin.

— Je ne parle qu’en mon nom personnel, déclara le commandant de l’Audacieux, mais j’aime autant ne plus jamais me trouver près d’un portail de l’hypernet sur le point de s’effondrer.

— Moi non plus, renchérit celui du Diamant. Si l’Orion veut s’en charger, je lui laisse allègrement ma place. »

Yin jeta un regard noir aux deux autres commandants, mais elle eut le bon sens de comprendre qu’elle ne réussirait qu’à se ridiculiser davantage en déclenchant une algarade.

« Combien de Syndics pourraient-ils nous attendre à Lakota ? demanda le commandant de l’Écume de Guerre. Nous leur avons passablement nui lors des dernières batailles et nous avons pulvérisé leurs vaisseaux en construction avec les chantiers navals de Sancerre. Si la petite bande qui nous attendait à Ixion peut servir de point de comparaison, ils doivent maintenant cruellement en manquer.

— Rappelez-vous les pertes sévères que nous avons subies nous-même dans leur système mère, répondit sombrement le capitaine Tulev. Chaque perte infligée depuis lors aux Syndics n’a fait que compenser l’une des nôtres. »

Un silence lugubre s’abattit sur la salle de conférence. Nul ne chercha à nier les propos de Tulev.

« Mais les spatiaux de ces vaisseaux détruits étaient tous de jeunes recrues, fit remarquer le capitaine Neeson de l’Implacable. Jamais on n’aurait dû les envoyer au casse-pipe.

— En effet, déclara Duellos. Le capitaine Geary et moi en avons débattu et nous pensons que les Syndics estimaient notre irruption à Ixion hautement improbable et qu’ils ont donc dépêché les équipages les mieux qualifiés vers d’autres systèmes stellaires.

— Ce qui signifie qu’ils manquent de vaisseaux, ergota Neeson.

— Oui, mais dans la seule mesure où ils s’efforcent de conserver leur supériorité numérique dans plus d’un système stellaire, puisqu’ils ne savent pas exactement où nous émergerons la prochaine fois, souligna Duellos. Ils ont de plus en plus de mal à atteindre cet objectif, assurément.

— Et, avec un peu de chance, la force qui nous attendra à Lakota en pâtira, ajouta Geary.

— En avez-vous parlé avec le sénateur Rione ? » s’enquit Midea.

Geary lui jeta un regard impavide, tout en se disant que cette femme ressemblait de plus en plus à un commandant en chef syndic. « Bien qu’elle appartienne au Sénat de l’Alliance, son titre exact est coprésidente de la République de Callas, capitaine Midea. Oui, j’en ai parlé avec elle.

— Donc c’est d’elle que vient l’idée d’aller à Lakota ? »

Des dos se raidirent tout autour de la table. Geary n’eut aucun mal à juger de l’ampleur de la réaction. Il savait aussi qu’on venait de tendre à Rione la perche idéale si elle décidait d’élever des objections contre son plan durant la conférence. « Comme je l’ai déjà déclaré, la coprésidente Rione ne prend aucune décision concernant les mouvements de cette flotte, affirma-t-il fermement.

— En ma qualité de sénateur de l’Alliance, je ne jouis d’aucune autorité sur cette flotte, capitaine Midea, déclara Rione d’une voix plate. Vous l’ignoriez ? »

Midea rougit. « Si la coprésidente Rione exerce une grande influence sur les décisions de son commandant, cela revient au même. »

Rione eut un mince sourire. « Je suis parfaitement disposée à jurer sur l’honneur de mes ancêtres que le capitaine Geary n’a que très rarement suivi mes conseils à cet égard.

— L’honneur d’une politicienne… » marmonna quelqu’un.

Quelques commandants de la République de Callas se rembrunirent. Mais pas tous. D’autres réagirent à ce camouflet par un léger sourire. La plupart restèrent impassibles.

Geary était conscient que ses propres sentiments n’étaient que par trop transparents. « Mon propre honneur suffira-t-il à satisfaire ceux qui doutent de l’affirmation de la coprésidente Rione ? » les défia-t-il. Rione n’avait pas profité de l’occasion pour exprimer ouvertement ses doutes et il en était à la fois soulagé et reconnaissant.

Seul le silence fit écho à ses paroles, jusqu’à ce que le capitaine Mosko intervienne maladroitement : « On s’attendait à vous voir la défendre, capitaine Geary. Compte tenu de votre relation. Mais c’est aussi la réaction d’un officier honorable.

— La coprésidente Rione ne donne pas d’ordres au capitaine Geary et, si elle s’y essayait, il ne l’écouterait pas, déclara Desjani d’une voix claire et dépourvue d’émotion. C’est ce que j’ai pu déduire de mon observation directe du capitaine Geary sur la passerelle de l’Indomptable. Je l’affirme sur mon honneur et je suis bien convaincue que nul ne s’imagine que j’entretiens avec la coprésidente Rione une relation qui m’obligerait à la défendre.

— Vous vous sentez pourtant contrainte de défendre le capitaine Geary », insinua le capitaine Midea, sur un ton laissant entendre que les devoirs de Desjani envers Geary n’étaient pas de nature purement professionnelle.

Desjani le foudroya du regard. « Capitaine Midea, je défendrais tout officier capable de vaincre l’ennemi, surtout s’il montrait autant de compétence que le capitaine Geary. C’est mon commandant, celui de cette flotte et un homme d’honneur. Ce sont les Syndics et ceux qui les aident mes ennemis. »

Cette fois, le silence recéla une tension encore plus palpable. Le capitaine Casia le rompit, mais en donnant l’impression de n’appuyer les propos déplacés de Midea qu’à contrecœur. « Discussions et débats entre les commandants sont tolérés au sein de cette flotte sans donner lieu pour autant à des accusations de haute trahison.

— Ai-je accusé quelqu’un de haute trahison ? »

Geary profita du silence embarrassé qui suivit pour reprendre la parole : « Discussions et débats ouverts sont effectivement tolérés, mais pas après qu’on a décidé d’une ligne d’action. Je sais que certains officiers disent tout bas ce qu’ils n’osent pas dire tout haut. Je l’ai déjà déclaré et je le répète : j’encourage les suggestions et les commentaires constructifs, mais, en tant que commandant de cette flotte, j’ai aussi le devoir et la responsabilité de prendre des décisions et de donner des ordres. »

Le capitaine Badaya opina. « C’est ce que nous avons appris à attendre de vous, déclara-t-il en jetant un regard de mépris à Casia. Si nous ne pouvions pas emprunter le portail de Lakota, quel serait notre prochain objectif ? »

Reconnaissant à Badaya de lui fournir une occasion de débattre de problèmes stratégiques plutôt que de relations personnelles réelles ou fantasmées, Geary montra l’hologramme : « Deux options favorables s’offrent à nous. Le choix de notre destination suivante dépendra avant tout de ce que nous trouverons à Lakota et de l’importance des combats qui en résulteront. » Il chercha du regard le capitaine Tyrosian et les autres commandants des auxiliaires assis tout au bout de la longue table virtuelle. « Grâce au remarquable travail de nos auxiliaires, nous avons pu reconstituer nos stocks de munitions et de cellules d’énergie à un niveau convenable, même s’il en manque encore environ un pour cent à chacun de nos vaisseaux. Mais, pour ce faire, nous avons dû épuiser la majeure partie des minerais que nous avions récupérés à ce jour. Il nous faudra donc en trouver davantage pour remplir les soutes de nos auxiliaires. L’urgence de cette opération sera fonction du nombre de cellules d’énergie que nous devrons griller à Lakota et de la quantité des munitions que nous devrons y dépenser.

— Nous perdons beaucoup de temps à protéger et réapprovisionner les auxiliaires, semble-t-il, grommela le commandant de l’Aventureux.

— Si nous nous en dispensions, vous seriez déjà dans un camp de travail syndic, fit remarquer Duellos d’une voix enjouée. Difficile de se battre sans énergie ni munitions. »

Le commandant de l’Étançon acquiesça d’un hochement de tête. « Mon vaisseau a subi de gros dommages à Daïquon. Les ingénieurs se sont crevé la paillasse pour nous aider à réparer. Mes gars et moi sommes ravis de continuer à les escorter jusqu’à ce que nous soyons à nouveau opérationnels. »

Un certain nombre d’officiers se retournèrent vers Yin et les commandants par intérim du Majestic et du Guerrier. On procédait actuellement à de lourdes réparations sur ces trois cuirassés et aucun d’eux n’avait défendu les auxiliaires.

« Nous leur sommes tout aussi reconnaissants, se hâta d’affirmer le capitaine de frégate Suram du Guerrier. Nous le serons peut-être à temps pour Lakota. »

Le commandant du Revanche sourit. « Sans vous la quatrième division n’est plus la même. » Son sourire s’évanouit. « Il nous reste toujours à venger le Triomphe. Nous serons bien contents de trouver le Guerrier à nos côtés pour nous aider à rendre aux Syndics la monnaie de leur pièce. »

Les dommages. Geary fixa le dessus de la table, la mine renfrognée, en cherchant à se rappeler le détail des avaries infligées à ses vaisseaux les plus endommagés. Le Titan avait réparé les siennes, causées par une mine, et le Guerrier était en bonne route, mais Orion et Majestic restaient tout juste capables d’avancer, tandis qu’un certain nombre d’unités plus légères s’employaient âprement à se remettre en état. Si seulement il pouvait s’affranchir de la traque des Syndics pendant deux mois, dans un système stellaire riche en ressources… et disposant d’un chantier naval… d’un gros… Autant espérer tomber sur un portail de l’hypernet non surveillé par les Syndics. Nos chances sont à peu près aussi fortes. « Nous les ferons encore payer, ajouta-t-il. La flotte ajustera sa trajectoire vers le point de saut pour Lakota. Nous y pénétrerons plus lentement qu’ici et, cette fois, dès notre émergence, nous négocierons un virage sur tribord pour éviter les champs de mines. Nous serons encore parés au combat, mais je ne m’attends pas à tomber sur une force d’interception aussi puissante qu’à Ixion.

— Quand les autorités syndics d’Ixion auront rendu compte de l’aisance avec laquelle nous avons balayé les défenseurs du point de saut de Daïquon, leur haut commandement ne répétera certainement pas la même erreur, fit observer Tulev.

— Sauf si nous avons de la chance, répondit Geary, faisant éclore quelques nouveaux sourires. D’autres questions ? Parfait. Nous nous reverrons à Lakota. »

Quatre silhouettes s’attardèrent cette fois avec Geary dans la salle de conférence après la disparition des autres officiers : Tanya Desjani, bien sûr, mais aussi Badaya, Duellos et Tyrosian.

Tyrosian jeta un regard étonné à ses deux collègues puis prit promptement la parole : « Je tenais seulement à vous remercier, capitaine Geary, de votre appréciation favorable du rôle que nous jouons dans la flotte. J’ai travaillé avec de nombreux amiraux qui voyaient surtout dans les auxiliaires les difficultés qu’ils créent. Ça fait un bien fou de travailler pour un homme conscient de notre utilité.

— Je m’estime heureux d’avoir le Titan, le Sorcière, le Djinn et le Gobelin, lui assura Geary. Ils sont pour moi d’une valeur inestimable. Et leurs spatiaux ont fait un travail fabuleux. Transmettez à ces vaisseaux, je vous prie. »

Tyrosian opina, salua hâtivement et disparut.

Le capitaine Badaya fixa Desjani en fronçant les sourcils. « Vous n’auriez pas dû tolérer ces sottises de la part d’une femme comme Midea. Elle a failli passer en cour martiale il y a trois ans pour comportement déplacé envers son second et, aujourd’hui, elle insinue publiquement que vous vous conduisez mal. »

Desjani fit la grimace. « Ce que disent des gens comme elle m’indiffère.

— Si Midea était relevée de son commandement, la flotte ne s’en porterait que mieux, poursuivit Badaya. Elle a toujours eu tendance à agir impulsivement, sans réfléchir, sauf quand elle est soumise à une forte autorité. Sa révocation ne soulèverait guère d’objections, capitaine Geary. Elle n’a pas très bonne réputation. Le capitaine Casia non plus, d’ailleurs.

— Ni le capitaine Numos, signala Duellos. Mais beaucoup l’écoutent.

— En effet, admit Badaya. Cela dit, leur nombre ne s’accroît guère. Je ne suis pas le commandant de la flotte et je n’ai pas la prétention de lui dicter ce qu’il doit faire, mais je tenais à lui dire qu’il n’a pas à tolérer les absurdités de Midea. Et aussi à exprimer mes regrets au capitaine Desjani… Par ailleurs, j’imagine, il y a pire que d’être regardée comme l’élue du capitaine Geary. »

Desjani piqua un fard ; cette dernière déclaration ne lui plaisait visiblement pas, mais Badaya n’eut pas l’air de s’en apercevoir. « Merci, capitaine Badaya », répondit-elle fraîchement.

Badaya sourit, salua roidement et disparut à son tour.

Desjani secoua la tête puis poussa un gros soupir. « Je ne devrais sans doute pas rester seule avec vous, capitaine, déclara-t-elle d’une voix empreinte de fureur et d’exaspération. Je vais donc prendre congé avant le capitaine Duellos. »

Celui-ci fit un pas en avant. « Ceux qui vous connaissent ne prêtent aucune attention à ces racontars, Tanya. »

Elle hocha la tête. « Je vous remercie. Mais je me soucie encore de ce que pensent ceux qui ne me connaissent pas. » Desjani salua et sortit précipitamment.

Les dents serrées, Geary jeta un regard dans sa direction. « Elle ne mérite pas ça.

— Non, reconnut Duellos. Mais, contrairement à ce que croit le capitaine Badaya, vous débarrasser de Midea n’améliorerait pas la situation. Le bruit se répandrait que vous avez voulu la faire taire.

— Vous avez sans doute raison. Ce qu’a dit Badaya, comme quoi il fallait lui tenir la bride haute… Est-ce que ça correspond à votre propre impression ? »

Duellos opina. « Ironique, n’est-ce pas ? Le capitaine Numos, dont les compétences d’officier n’impressionnent pas grand monde, a si bien réussi à la contrôler que son irréflexion et son imprudence sont passées inaperçues tant qu’il a commandé la division des cuirassés.

— Ironique, en effet. Je n’aurais jamais cru trouver un jour à Numos des aptitudes au commandement. » Geary exhala pesamment et se retourna vers la place où s’était assise Desjani. « Comment faire taire ces rumeurs ? Continuer à traiter Desjani en officier et en camarade reste la seule méthode qui me vienne à l’esprit. Je vois mal que faire d’autre.

— Il me semble. Mais en approuvant si maladroitement l’idée qu’elle puisse être votre compagne, Badaya n’a rien arrangé. Aux yeux de beaucoup, même s’il n’en a rien dit, une telle liaison serait de loin préférable à celle qui vous unit à une politicienne.

— La personnalité de ma maîtresse ne regarde que moi ! Du moins tant que je me conduis honorablement et que je n’enfreins pas le règlement, ajouta Geary.

— Je ne le nie pas. Mais vous n’êtes pas n’importe quel commandant et l’on ne se fie pas aux politiques, même aussi intègres que la coprésidente Rione. Les gens comme Badaya s’imaginent certainement que vous voir quitter Rione pour Desjani serait la meilleure issue possible : deux officiers de la flotte à la tête de l’Alliance. » Duellos marqua une pause puis reprit : « Le feriez-vous ?

— Quoi ? » Geary fixa Duellos. « Comment pouvez-vous me poser cette question ? Je vous ai dit que je refusais de traiter Desjani de la sorte. »

Un coin de la bouche de Duellos se retroussa pour dessiner un sourire de dérision. « Pardonnez-moi. Je l’ai admis. Mais je faisais plutôt allusion à cette proposition que Badaya vous a faite récemment.

— Oh ! » La colère de Geary s’apaisa et il secoua la tête. « Non. Je ne l’ai pas acceptée et je ne l’accepterai jamais. Je le lui ai dit. Combien de personnes sont-elles au courant ?

— Sans doute tous les commandants de la flotte. » Duellos regarda Geary droit dans les yeux. « Content que vous fassiez preuve d’une telle fermeté à cet égard. J’ai mes défauts, dont mon lot personnel d’irritation contre nos dirigeants politiques, mais je prends mon serment de fidélité à l’Alliance très au sérieux. Je n’aurais pas pu vous soutenir dans cette aventure. Je me serais senti obligé de m’y opposer. »

Geary se contenta d’opiner, tout en se disant que Duellos resterait forcément loyal au gouvernement. « Badaya a-t-il raison ? La majorité des officiers de la flotte me suivraient-ils dans cette voie ? J’espère que vous allez me répondre par la négative.

— Hélas, ça m’est impossible. Les deux tiers accepteraient vraisemblablement votre dictature, mais pour des raisons chaque fois différentes. » Duellos détourna un instant les yeux. « Et certains de ceux qui s’y opposeraient seraient déposés par leur équipage au profit d’un homme que vous leur préféreriez, quel qu’il fût. »

Geary se massa le front à deux mains et s’efforça de réfléchir. « Je ne poserais même pas la question au colonel Carabali, de crainte qu’elle ne s’imagine que je la sonde.

— Les fusiliers spatiaux ? » Duellos plissa le front, concentré. « Bon, voilà un joker. Certes, ils vous sont très loyaux, mais leur fidélité à l’Alliance reste légendaire. » Il haussa les épaules. « Peu importe au demeurant. Si les spatiaux vous suivaient, les fusiliers ne seraient pas assez nombreux pour les mater.

— J’ai du mal à croire que je suis en train de parler de ça. » Geary secoua la tête et entreprit d’arpenter lentement la salle, d’une cloison à l’autre. Il allait devoir tenir bon, tant en son for intérieur qu’en apparence. « Je n’accepterai pas l’offre de Badaya. »

Duellos sourit. « Parfait. Je ne vous en prête pas l’intention, d’ailleurs, mais l’enjeu est si élevé que se l’entendre confirmer de vive voix est rassurant. Je n’aimerais pas vous avoir comme adversaire.

— Nous sommes donc au moins deux à le penser, répondit Geary en souriant à son tour. Nous serons toujours du même bord, me semble-t-il.

— Tanya Desjani vous suivrait, elle. Elle serait déchirée mais vous resterait loyale.

— Pourquoi me dites-vous cela ?

— Parce que je ne pense pas que vous lui ayez jamais demandé de rompre son serment, ce qu’elle refuserait de faire en toute autre circonstance. Mais elle se plierait à vos ordres. Je tenais à ce que vous le sachiez.

— Merci. » Cela dit, Geary ne savait pas trop pourquoi Duellos tenait tant à l’en informer. « Quel effet vous fait le choix de Lakota ? Toujours inquiet ? »

Duellos eut un autre petit sourire. « Pas vous ? C’est un gros risque, mais je crois qu’il faut le prendre. Il en serait de même partout. Si intelligemment que nous prenions les devants, la chance tournera tôt ou tard et la flotte aura de sérieux ennuis. Autant mourir en guerriers touchant les étoiles qu’en petites souris terrées dans le noir.

— Même si les Syndics nous y attendaient en très grand nombre, ça ne signifierait pas forcément la fin de cette flotte.

— Espérons-le. Mais, si c’est le cas, vous nous aurez au moins aidés à survivre, contre tout espoir après cette débâcle dans leur système mère. Si nous emportons assez d’ennemis dans la tombe, il restera encore une chance à l’Alliance. » Duellos salua. « Nous nous reverrons à Lakota. »


« On a de la compagnie, capitaine. »

Au son de la voix de Desjani, Geary se réveilla en sursaut dans sa cabine plongée dans le noir, et il frappa son panneau de commande pour prendre réception du message. « Combien ?

— Huit gros vaisseaux syndics viennent d’émerger à Ixion par le point de saut de Dansik : quatre cuirassés et quatre croiseurs de combat, escortés de six croiseurs lourds et de l’assortiment conventionnel de croiseurs légers et d’avisos. Ils sont à environ deux heures-lumière sur notre flanc tribord et se déplaçaient à 0,1 c voilà deux heures.

— Ils ont sans doute infléchi depuis leur trajectoire. Vers nous.

— Oui, capitaine. La voici. Nous commençons à les voir pivoter. Je ne crois pas qu’ils tenteront une interception. Nous atteindrons le point de saut de Lakota dans quatre heures et dix minutes.

— Non », convint-il. Il leur faudrait vingt heures à 0,1 c pour couvrir cette distance. Et, dans la mesure où ils arrivaient sur la flotte de l’Alliance selon un certain angle pendant qu’elle continuait de progresser, le trajet sera encore plus long. « Ils nous fileront jusqu’au point de saut pour lequel nous opterons et sauteront après nous. » L’ennemi était repéré, mais on ne pouvait rigoureusement rien y faire. Détourner la flotte pour l’intercepter serait plus que futile puisque les nouveaux venus se borneraient à éviter l’affrontement en attendant des renforts. « Merci pour l’information. Poursuivez vers le point de saut pour Lakota.

— Oui, capitaine. »

Geary se rallongea. Il avait mauvaise conscience. Desjani surveillait la situation et observait l’ennemi de la passerelle pendant que lui restait couché dans sa cabine. Bon, bien sûr, il n’en aurait guère fait davantage là-haut, mais il ne se sentait pas moins mal à l’aise.

La main de Rione rampa lentement sur sa poitrine. « Ils vont nous suivre à Lakota ? lui murmura-t-elle à l’oreille.

— Ouais. Pardon de t’avoir réveillée.

— Pas grave. Tu auras probablement du mal à te rendormir. » Sa main glissa plus bas. « Il serait stupide de gâcher ce réveil, n’est-ce pas ? »

L’annonce de l’irruption d’autres vaisseaux syndics dans le système stellaire ne semblait pas l’avoir perturbée. À moins qu’elle ne s’inquiétât encore de ce qui les attendait à Lakota et tînt sincèrement à ne pas gaspiller cette dernière occasion d’une étreinte.

Au bout de quelques instants, il cessa de se soucier de ses mobiles.


Assis sur la passerelle de l’Indomptable, Geary fixait l’hologramme de sa flotte. Il l’avait disposée selon une ancienne formation, connue sous la désignation d’Écho Cinq et composée de cinq sous-formations semblables à des pièces de monnaie légèrement concaves. Chaque disque regardait vers l’avant. Écho Cinq Un, construite autour des vestiges de la cinquième division de croiseurs de combat du capitaine Cresida renforcés de la septième, formait l’avant-garde. Soit cinq vaisseaux au total pour deux divisions. Déprimant, quand il se risquait à y réfléchir. Mais, avec son escorte de croiseurs lourds, de croiseurs légers et de destroyers, cette avant-garde n’en disposait pas moins d’une aptitude convenable au combat.

Écho Cinq Deux et Trois en constituaient les flancs. Cinq Deux se composait des huit croiseurs de combat des première et deuxième divisions, auxquels s’ajoutaient un grand nombre d’unités légères, et Cinq Trois des huit cuirassés des deuxième et cinquième divisions ainsi que d’une escorte de vaisseaux plus légers. Cinq Cinq abritait les quatre auxiliaires et les bâtiments endommagés, dont le Guerrier, l’Orion et le Majestic, plus l’Infatigable, le Rebelle et l’Audacieux de la septième division de cuirassés.

Les cinq croiseurs de combat rescapés, dont l’Indomptable, les treize autres cuirassés et les deux cuirassés de reconnaissance formaient, avec Cinq Quatre et les autres croiseurs lourds, croiseurs légers et destroyers qui l’accompagnaient, le noyau dur du corps principal. L’un dans l’autre, la flotte de l’Alliance aurait dû se montrer capable d’affronter tout ce qu’elle rencontrerait en émergeant du point de saut à Lakota.

« À toutes les unités. Ralentissez à 0,04 c, ordonna le capitaine Desjani. Apprêtez-vous à sauter. »

Geary opina lentement du chef, tout en espérant qu’il ne commettait pas finalement l’erreur qu’il redoutait depuis qu’il avait pris le commandement. « À toutes les unités. Préparez-vous à combattre en émergeant du point de saut. Sautez ! »

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