1 Beltaine

La Roue du Temps tourne, les Ères vont et viennent, laissant des souvenirs qui deviennent des légendes. Les légendes s’estompent dans le mythe, et même le mythe est oublié depuis longtemps quand revient l’Ère qui lui a donné son nom. Au cours d’une Ère, appelée par certains la Troisième Ère, Ère à venir, Ère révolue, un vent se leva dans la grande forêt appelée Bois de Braem. Le vent n’était pas le commencement. Il n’y a ni commencement ni fin dans la rotation de la Roue du Temps. Mais c’était un commencement.

Au nord et à l’est le vent soufflait tandis que le soleil brûlant montait dans un ciel sans nuages, au nord et à l’est à travers les arbres desséchés aux feuilles jaunies et aux branches cassantes, à travers les villages espacés tremblotant dans la brume de chaleur. Le vent n’apportait aucun soulagement, aucune promesse de pluie, et encore moins de neige. Au nord et à l’est il soufflait, sous l’ancienne arche de pierre finement sculptée dont certains disaient qu’elle avait été la porte d’une grande cité, et d’autres un monument à la mémoire d’une bataille oubliée. Seuls quelques vestiges de gravures érodés, illisibles, demeuraient sur les pierres massives, rappelant silencieusement les gloires perdues du célèbre Coremanda. Quelques chariots bringuebalaient en vue de l’arche, sur la route de Tar Valon, et les piétons abritaient leurs yeux de la poussière soulevée par les sabots et les roues et poussée par le vent. La plupart ne savaient pas où ils allaient, seulement que le monde semblait faire un tonneau, l’ordre disparaissant partout où ce n’était pas déjà fait. Certains étaient poussés par la peur, alors que d’autres étaient attirés par quelque chose qu’ils ne voyaient pas clairement et ne comprenaient pas, et eux aussi avaient peur.

Inéluctablement, le vent poursuivait son voyage, traversant les eaux bleu-vert du fleuve Erinin, poussant les navires qui transportaient les marchandises au Nord et au Sud, car il fallait commercer même en ces temps troublés, bien que personne ne sût où le commerce était sûr. À l’est de la rivière, la forêt commençait à s’éclaircir, faisant place peu à peu à de basses collines vallonnées couvertes d’herbe roussie par le soleil et parsemées de petits bouquets d’arbres. En haut d’une de ces collines, on voyait un cercle de chariots, aux bâches roussies ou totalement brûlées et arrachées à leurs arceaux de fer. En haut d’un mât, taillé dans un jeune arbre mort de sécheresse, et attaché à l’arceau dénudé d’un chariot pour lui donner plus de hauteur, flottait une bannière écarlate avec un disque noir et blanc en son centre. Certains l’appelaient la Bannière de la Lumière, ou Bannière d’al’Thor. D’autres lui donnaient des noms plus inquiétants, et frissonnaient quand ils les prononçaient à voix basse. Le vent secoua violemment la bannière, puis disparut.

Perrin Aybara, assis par terre, son large dos appuyé contre une roue de chariot, espérait que le vent soufflerait encore. Il avait fait plus frais pendant un moment. Et le vent du sud avait débarrassé ses narines de l’odeur de la mort, qui lui rappelait où il était censé être, dernier endroit où il désirait se trouver. Il était bien mieux ici, dans le cercle de chariots, dos au nord, où il pouvait oublier dans une certaine mesure. Hier après-midi, les chariots survivants avaient été hissés en haut de la colline, quand les hommes avaient trouvé la force de faire autre chose que remercier la Lumière d’être encore vivants. Maintenant, le soleil continuait à monter dans le ciel, et la température avec lui.

Il gratta sa courte barbe bouclée avec irritation ; plus il transpirait, plus elle le démangeait. La sueur inondait tous les visages, sauf ceux des Aiels, et l’eau se trouvait maintenant à un mile au nord. Mais aussi les horreurs et les odeurs. La plupart trouvaient qu’ils ne perdaient pas au change. Il aurait dû être en train de faire son devoir, et pourtant ce léger remords ne l’ébranlait pas. Aujourd’hui, c’était la fête de Beltaine, et dans son village natal des Deux Rivières on banquetterait tout le jour et on danserait toute la nuit ; c’était le Jour de la Réflexion, où l’on était censé se rappeler toutes les bonnes choses de sa vie, et où quiconque se plaignait se voyait renverser un seau d’eau sur la tête pour laver la malchance. Ce serait un vrai plaisir maintenant. Pour un homme ayant la chance d’être vivant, il trouvait très dur de formuler une pensée positive. Hier, il avait appris des choses sur lui-même. Ou peut-être que c’était ce matin, quand tout avait été fini.

Il ressentait encore la présence de quelques loups, une poignée de ceux qui avaient survécu et partaient maintenant loin d’ici, loin des hommes. Au camp, les loups étaient encore l’objet de toutes les conversations, de spéculations craintives tendant à savoir d’où ils sortaient et pourquoi. Quelques-uns pensaient que Rand les avait appelés. La plupart croyaient que c’étaient les Aes Sedai. Les Aes Sedai ne disaient pas ce qu’elles pensaient. Aucun blâme envers les loups – ce qui était fait était fait – mais il ne pouvait pas imiter leur fatalisme. Ils étaient venus parce qu’il les avait appelés. De temps en temps, il entendait d’autres loups qui n’étaient pas venus parler avec mépris de ceux qui avaient répondu à l’appel : voilà ce qui arrivait quand on fréquentait les deux-jambes. On ne pouvait s’attendre à rien d’autre.

C’était dur de garder ses réflexions pour lui. Il avait envie de hurler que les méprisants avaient raison. Il avait envie d’être à la maison, aux Deux Rivières. Il avait peu de chances d’y retourner, jamais peut-être. Il avait envie d’être avec sa femme, n’importe où, et que tout redevienne comme avant. Plus que la nostalgie de la maison, plus même que les loups, ses inquiétudes au sujet de Faile le tenaillaient, comme un furet cherchant à lui ronger les entrailles. Elle avait paru contente de le voir quitter Cairhien. Qu’allait-il faire à son sujet ? Il ne trouvait pas les mots pour exprimer à quel point il aimait sa femme et avait besoin d’elle, mais elle était jalouse sans motif, blessée alors qu’il n’avait rien fait de mal, et furieuse pour des raisons qu’il ne comprenait pas. Il devait faire quelque chose, mais quoi ? La réponse lui échappait. Il était réfléchi et posé, alors que Faile fulminait comme vif-argent.

— Les Aiels devraient enfiler quelques vêtements, marmonna Aram, l’air pincé, les yeux baissés.

Il était accroupi non loin de lui, tenant patiemment les rênes d’un grand hongre gris ; il s’éloignait rarement de Perrin. L’épée attachée dans son dos jurait avec sa veste de Rétameur rayée de vert, ouverte à cause de la chaleur. Un bandeau noué sur son front empêchait la sueur de lui couler dans les yeux. Au début, Perrin le trouvait presque trop beau pour un homme. Une humeur sinistre s’était emparée de lui, et maintenant, il fronçait les sourcils la plupart du temps.

— C’est indécent, Seigneur Perrin.

À regret, Perrin cessa de penser à Faile. Avec le temps, il trouverait la solution. Il le fallait. D’une façon ou d’une autre.

— C’est leur coutume, Aram.

Aram grimaça comme s’il allait cracher.

— Eh bien, ce n’est pas une coutume décente. Cela permet de les contrôler, je suppose – personne n’irait s’enfuir ou faire du grabuge dans cet état, mais c’est indécent.

Il y avait des Aiels partout, bien sûr. Grands et réservés, dans des tons de gris, de brun et de vert, seul le bandeau écarlate noué sur leur front leur donnait une touche de couleur, avec le disque blanc et noir entre les deux yeux. Ils se donnaient le nom de siswai’aman. Parfois, ce nom titillait sa mémoire, comme un mot qu’il aurait dû connaître. Posez la question à un Aiel, et il vous regardait comme si vous étiez débile. Aucune Vierge de la Lance ne portait le bandeau écarlate. Qu’elle ait les cheveux blancs ou l’air à peine assez grande pour quitter sa mère, chaque Vierge circulait en gratifiant les siswai’amans de regards de défi assez satisfaits, que les hommes leur rendaient sans ciller, émettant une odeur ressemblant à celle de la faim, certainement la jalousie, mais jalousie de quoi, Perrin n’en avait aucune idée. Quoi que ce fût, ce n’était pas nouveau, et ils avaient peu de chances d’en venir aux coups. Quelques Sagettes étaient également à l’intérieur des chariots, en jupes volumineuses et blouses blanches, portant leurs châles noirs malgré la chaleur, bracelets et colliers d’or et d’ivoire scintillants compensant la simplicité du reste de leur tenue. Certaines semblaient amusées par les Vierges et les siswai’amans, d’autres exaspérées. Tous et toutes – Sagettes, Vierges et siswai’amans – ignoraient les shaidos comme Perrin aurait ignoré un tabouret ou un tapis.

Hier, les Aiels avaient fait prisonniers environ deux cents shaidos, hommes et Vierges – ce qui était peu, vu leur nombre – et ils circulaient librement. Enfin, façon de parler. Perrin aurait été bien plus à son aise s’ils avaient été gardés. Et habillés. Au lieu de cela, ils allaient puiser de l’eau et faisaient les commissions, nus comme au jour de leur naissance. Entre eux, ils étaient doux comme des agneaux. Tous les autres se voyaient gratifiés d’orgueilleux regards de défi. Perrin n’était pas le seul à s’efforcer de ne pas les remarquer, et Aram n’était pas le seul à grommeler. Une bonne partie des hommes des Deux Rivières présents au camp faisaient de même. Une bonne partie des Cairhienins manquaient d’avoir une crise d’apoplexie chaque fois que leur regard tombait sur un Shaido. Les Mayeners se contentaient de branler du chef, comme si c’était une bonne blague. Et ils lorgnaient les femmes. Ils avaient aussi peu de pudeur que les Aiels.

— Gaul m’a tout expliqué, Aram. Vous savez ce qu’est un gai’shain, non ? Au sujet du ji’e’toh et du fait de servir un an et un jour et tout ça ?

Aram hocha la tête, ce qui était aussi bien. Perrin n’en savait pas grand-chose lui-même. Les explications de Gaul concernant les coutumes des Aiels l’embrouillaient parfois plus qu’elles ne l’éclairaient. Gaul trouvait toujours tout évident.

— Bon, les gai’shains ne sont pas autorisés à porter quoi que ce soit que pourraient revêtir les algai’d’siswai – ce qui signifie Guerriers de la Lance, ajouta-t-il, devant l’air interrogateur d’Aram.

Soudain, il réalisa qu’il fixait une Shaido qui semblait trottiner vers lui, grande jeune femme aux cheveux d’or, jolie en dépit de ses cicatrices sur le corps. Très jolie, et nue comme un ver. Il détourna les yeux en s’éclaircissant la gorge et se sentit rougir.

— Bref, c’est pour ça qu’ils sont… comme ils sont. Les gai’shains portent des robes blanches, et ils n’en ont pas ici. C’est leur coutume, c’est tout.

Au diable Gaul, et au diable ses explications, pensa-t-il. Ils pourraient trouver quelque chose pour se couvrir !

— Perrin aux Yeux d’Or, dit une voix de femme, Carahuin m’envoie vous demander si vous voulez de l’eau.

Aram s’empourpra, et, toujours accroupi, lui tourna le dos.

— Non, merci.

Perrin n’eut pas besoin de lever les yeux pour savoir que c’était la Shaido aux cheveux d’or. Il continua à regarder ailleurs. Les Aiels avaient un sens de l’humour très bizarre, et celui des Vierges – Carahuin était une Vierge – était le plus bizarre de tous. Elles avaient vite vu comment ceux des Terres Humides réagissaient aux shaidos – il aurait fallu qu’elles soient aveugles pour ne pas s’en apercevoir – et soudain les gai’shaines leur étaient dépêchées sous le moindre prétexte, et les Aiels se roulaient par terre de rire devant leurs rougeurs et leurs bredouillements et même leurs protestations. Carahuin et ses amies l’observaient en ce moment, il en était certain. C’était au moins la dixième fois qu’une gai’shaine venait lui demander s’il voulait de l’eau, s’il n’avait pas une pierre à aiguiser à lui prêter et autres fariboles semblables.

Une idée le frappa soudain. Elles persécutaient rarement les Mayeners de cette façon. Une poignée de Cairhienins appréciaient le spectacle, bien que pas aussi ouvertement que les Mayeners, et aussi certains hommes d’âge mûr des Deux Rivières, qui auraient dû avoir plus de jugement. Une chose était sûre : à sa connaissance, aucun ne s’était vu adresser deux fois un de ces messages coquins. En revanche, ceux qui réagissaient violemment… Des Cairhienins, qui avaient protesté le plus fort contre tant d’indécence, et deux ou trois jeunes des Deux Rivières, qui bredouillaient et rougissaient si fort qu’ils semblaient prêts à s’évanouir, avaient été poursuivis de leurs assiduités jusqu’à ce qu’ils quittent définitivement les chariots…

Avec effort, Perrin leva les yeux sur le visage de la gai’shaine. Concentre-toi sur ses yeux, pensa-t-il, paniqué. De grands yeux verts. Et sans aucune douceur. Son odeur était pure furie.

— Remerciez Carahuin pour moi, et dites-lui que vous pourriez graisser ma selle de rechange, si elle n’a rien contre. Et je n’ai plus une chemise propre. Acceptera-t-elle que vous fassiez un peu de lessive ?

— Elle acceptera, dit la femme d’une voix tendue, puis elle lui tourna le dos et repartit au petit trot.

Perrin détourna les yeux, mais l’image resta dans sa tête. Par la Lumière, Aram avait raison ! Mais avec un peu de chance, il venait peut-être de mettre fin à d’autres attentions importunes. Il faudrait qu’il signale cela à Aram et aux hommes des Deux Rivières. Peut-être que les Cairhienins l’écouteraient aussi.

— Qu’est-ce qu’on va faire à leur sujet, Seigneur Perrin ?

Aram ne parlait plus des gai’shaines.

— C’est à Rand de décider, dit lentement Perrin, toute satisfaction envolée.

Il pouvait sembler bizarre de considérer comme un petit problème des gens qui se promenaient tout nus, mais le problème de Rand était plus important sans conteste. Et il s’était efforcé de l’éluder aussi énergiquement que ce qui s’était passé dans le Nord.

De l’autre côté du cercle de chariots, près de deux douzaines de femmes étaient assises par terre. Toutes habillées pour le voyage, beaucoup en soie, la plupart avec de légères capes de lin, et sans une perle de sueur sur le visage. Trois paraissaient assez jeunes pour qu’il leur ait demandé une danse avant d’épouser Faile.

Si elles n’étaient pas Aes Sedai, se dit-il avec ironie. Une fois, il avait dansé avec une Aes Sedai, et avait failli avaler sa langue en réalisant qui il faisait virevolter. Et elle était devenue son amie, si ce mot peut s’appliquer à une Aes Sedai. Jusqu’à combien d’années dans leurs fonctions pouvait-on leur donner un âge ? Les autres paraissaient sans âge, naturellement : vingt ou trente ans, la quarantaine, peut-être plus, changeant d’un regard au suivant, on n’avait aucune certitude. C’était ce que disaient leurs visages, même si certaines grisonnaient. On ne pouvait jamais savoir avec les Aes Sedai. Rien sur rien.

— Au moins, celles-ci ne sont plus dangereuses, dit Aram, montrant de la tête trois sœurs un peu à l’écart des autres.

L’une pleurait, la tête sur les genoux ; les deux autres regardaient dans le vague, les yeux hagards, l’une tripotant machinalement sa jupe. Elles n’avaient guère changé d’attitude depuis la veille ; au moins, elles ne hurlaient plus. Si Perrin avait bien compris, ce dont il n’était pas sûr, elles avaient été désactivées quand Rand s’était libéré. Elles ne canaliseraient plus jamais le Pouvoir Unique. Pour une Aes Sedai, il valait sans doute mieux être morte.

Il aurait cru que les Aes Sedai les réconforteraient, s’occuperaient d’elles d’une façon ou d’une autre, mais la plupart les ignoraient totalement, bien que détournant les yeux d’une façon un peu trop étudiée. D’ailleurs, les Aes Sedai désactivées refusaient aussi de voir les autres. Au début au moins, certaines des autres sœurs les avaient approchées, chacune isolément, d’un calme imperturbable malgré leurs fortes odeurs de répugnance et d’aversion, mais elles n’avaient rien obtenu pour leur peine, pas un mot, pas un regard. Aucune n’avait tenté quoi que ce soit ce matin.

Perrin branla du chef. Les Aes Sedai semblaient affecter d’ignorer ce qu’elles ne voulaient pas admettre. Par exemple, les hommes en capes noires situés au-dessus d’elles. Il y avait un Asha’man pour chaque sœur, même pour les trois désactivées, et ils ne cillaient jamais. De leur côté, les Aes Sedai regardaient par-dessus leurs têtes ou à travers eux, comme s’ils n’existaient pas.

C’était un coup à prendre. Ce n’était pas leurs sévères vareuses noires à haut collet ou l’épée qu’ils portaient sur la hanche qui les rendaient dangereux. Tous les Asha’man pouvaient canaliser, et, d’une façon ou d’une autre, ils empêchaient les Aes Sedai de le faire. Des hommes capables de manier le Pouvoir Unique, des objets de cauchemar. Rand canalisait, bien sûr, mais il était Rand, et le Dragon Réincarné en plus. Ces hommes donnaient à Perrin la chair de poule.

Les Liges survivants des Aes Sedai captives étaient assis à l’écart, surveillés par leurs propres gardes. Une trentaine d’hommes d’armes du Seigneur Dobraine, coiffés de casques cairhienins en forme de cloches, et autant de Gardes Ailés mayeners en plastrons rouges, tous vigilants comme s’ils gardaient des léopards. Bonne attitude étant donné les circonstances. Il y avait plus de Liges que d’Aes Sedai ; apparemment, certaines prisonnières étaient des Vertes. Davantage de gardes que de Liges, beaucoup plus, mais peut-être pas assez.

— Fasse la Lumière que nous n’ayons plus de problèmes avec cette bande, grommela Perrin.

Pendant la nuit, les Liges avaient tenté deux fois de s’évader. À vrai dire, ces tentatives avaient été réprimées plus par les Asha’man que par les Cairhienins ou les Mayeners. Aucun Lige n’avait été tué, mais au moins une douzaine dorlotaient des fractures qu’aucune des sœurs n’avait été autorisée à Guérir.

— Si le Seigneur Dragon ne peut pas prendre la décision, dit doucement Aram, peut-être qu’un autre devrait la prendre à sa place. Pour le protéger.

Perrin le regarda de travers.

— Quelle décision ? Les sœurs leur ont dit de ne pas faire une autre tentative, et ils obéissent à leur Aes Sedai.

Fractures ou pas, désarmés, les mains liées derrière le dos, les Liges avaient toujours l’air d’une meute de loups, attendant que le loup dominant ordonne d’attaquer. Aucun ne serait tranquille tant que son Aes Sedai ne serait pas libérée, peut-être même jusqu’à ce que toutes les sœurs le soient. Aes Sedai et Liges : piles de chêne bien sec prêtes à s’enflammer. Mais même les Aes Sedai et les Liges n’avaient pas été à la hauteur des Asha’man.

— Je ne parlais pas des Liges.

Aram hésita, puis se rapprocha de Perrin et baissa encore la voix, qui ne fut plus qu’un murmure rauque.

— Les Aes Sedai ont kidnappé le Seigneur Dragon. Il ne peut pas leur faire confiance, plus jamais, mais il ne fait pas non plus ce qu’il devrait. Si elles mouraient toutes avant qu’il le sache…

— Que dites-vous là ? s’étrangla Perrin, se redressant en sursaut.

Il se demanda, et pas pour la première fois, s’il restait en Aram quelque chose du Rétameur.

— Elles sont sans défense, Aram ! Ce sont des femmes sans défense !

— Ce sont des Aes Sedai, dit Aram, plongeant ses yeux noirs dans les yeux d’or de Perrin. On ne peut pas leur faire confiance, et on ne peut pas les libérer. Combien de temps peut on retenir une Aes Sedai contre sa volonté ? Elles font ce qu’elles font depuis bien plus longtemps que les Asha’man. Elles doivent en savoir plus. Elles sont un danger pour le Seigneur Dragon, et pour vous, Seigneur Perrin. J’ai vu comment elles vous regardent.

De l’autre côté du cercle de chariots, les sœurs parlaient entre elles à voix basse, de sorte que même Perrin n’entendait pas. De temps en temps, l’une regardait vers lui et Aram. Le regardaient lui, pas Aram. Il avait appris une poignée de noms. Nesune Bihara. Erian Boroleos et Katerine Alruddin. Coiren Saeldain, Sarene Nemdhal et Elza Penfell. Janine Pavlara, Beldeine Nyram, Marith Riven. Ces dernières étaient jeunes, mais jeunes ou vieilles, elles l’observaient avec des visages si sereins qu’elles semblaient avoir le dessus même sur les Asha’man. Vaincre les Aes Sedai n’était pas facile ; leur faire admettre la défaite était pratiquement impossible.

Il força ses mains à se détendre et à se poser sur ses genoux, lui donnant une apparence de calme qu’il était loin de ressentir. Elles savaient qu’il était ta’veren, de ceux autour desquels le Dessin se modèlerait pendant un temps. Pis, elles savaient qu’il était lié à Rand d’une façon que personne ne comprenait, lui et Rand moins que personne. Ou Mat ; Mat, lui aussi empêtré dans cet imbroglio, ta’veren lui aussi, mais ni l’un ni l’autre aussi puissant que Rand. À la moindre occasion, ces femmes l’emmèneraient – et Mat aussi – à la Tour Blanche aussi vite qu’elles y amèneraient Rand, attachés comme des chèvres au piquet attendant le loup. Et elles avaient kidnappé Rand, l’avaient maltraité. Aram avait raison sur un point : on ne pouvait pas leur faire confiance. Mais quant à ce qu’Aram proposait – il n’admettrait jamais une chose pareille. L’idée seule lui donna mal au cœur.

— Je ne veux plus en entendre parler, gronda-t-il.

L’ancien Rétameur ouvrit la bouche, mais Perrin le fit taire.

— Plus un mot, Aram. Vous m’entendez ? Plus un mot !

— Comme le veut mon Seigneur Perrin, murmura Aram, inclinant la tête.

Perrin aurait voulu voir son visage. Son odeur n’annonçait aucune colère, aucun ressentiment. C’était bien là le pire. Aram n’avait émis aucune odeur de rage en suggérant ces meurtres.

Deux hommes des Deux Rivières grimpèrent sur les roues du chariot voisin, et, par-dessus le plateau, regardèrent le bas de la colline vers le nord, chacun portant sur la hanche droite un carquois bien garni, et un long couteau, presque une courte épée, sur la gauche. Au moins trois cents de ses compatriotes avaient suivi Perrin jusqu’ici. Il maudissait le jour où le premier l’avait appelé Seigneur Perrin, maudissait le jour où il avait renoncé à les en empêcher. Même avec tous les murmures et les bruits d’un camp de cette taille, il n’avait aucun mal à entendre ce qu’ils disaient.

Tod al’Caar, d’un an plus jeune que Perrin, poussa un long soupir, comme s’il voyait pour la première fois ce qu’il y avait en bas. Il sentit presque remuer sa mâchoire prognathe. La mère de Tod l’avait laissé partir volontairement, uniquement pour que son fils ait l’honneur de suivre Perrin aux Yeux d’Or.

— Fameuse victoire, dit-il enfin. C’est nous qui l’avons remportée, n’est-ce pas, Jondyn ?

Le vieux Jondyn Barran, noueux comme une racine de chêne, était l’un des plus âgés des trois cents. Meilleur archer que personne aux Deux Rivières, à l’exception de Maître al’Thor, et meilleur chasseur de tous, sans exception, c’était l’un des habitants les moins distingués du village. Jondyn n’avait pas travaillé un jour de plus que nécessaire depuis qu’il avait quitté la ferme de son père. La forêt et la chasse, c’était tout ce qui l’intéressait, ça et la boisson les jours de fête. Il cracha bruyamment.

— Si tu le dis, mon garçon. De toute façon, c’est ces sacrés Asha’man qu’ont gagné. Et grand bien leur fasse. Dommage qu’ils n’aillent pas fêter ça ailleurs.

— Ils ne sont pas si mauvais, protesta Tod. Ça ne me ferait rien d’être comme eux.

C’était davantage bluff et vantardise que vérité ; confirmé par l’odeur ; sans regarder, Perrin était sûr qu’il s’humectait les lèvres. Sans doute que sa mère l’avait effrayé avec des histoires d’hommes canaliseurs il n’y avait pas si longtemps.

— Je voulais dire – Rand – enfin, le Seigneur Dragon – ça sonne bizarre, non ? Que Rand al’Thor soit le Dragon Réincarné, et tout ça ? dit-il avec un petit rire gêné. Bon, il peut canaliser et ça n’a pas l’air… il n’est pas… je veux dire…

Il déglutit bruyamment.

— En plus, qu’est-ce qu’on aurait fait sans lui avec toutes ces Aes Sedai ? murmura-t-il.

Maintenant, il sentait la peur.

— Jondyn, qu’est-ce qu’on va faire ? Je veux dire, des Aes Sedai prisonnières ?

De nouveau, son aîné cracha, plus bruyamment cette fois. Et il ne se donna pas la peine de baisser la voix. Jondyn disait toujours ce qu’il pensait, quelque cruel que ce fût, une raison de plus de sa mauvaise réputation.

— Il aurait mieux valu pour nous qu’elles meurent toutes hier, mon garçon. On le paiera avant la fin. Crois-moi, on le paiera cher.

Perrin n’écouta pas la suite, chose difficile avec ses oreilles. D’abord Aram, et maintenant Jondyn et Tod, quoique moins directement. Au diable, Jondyn ! D’accord, auprès de lui Mat pouvait passer pour travailleur, mais s’il disait cela tout haut, c’est que les autres le pensaient tout bas. Aucun homme des Deux Rivières n’aurait fait du mal à une femme, mais qui d’autre souhaitait voir mortes les Aes Sedai prisonnières ? Et qui essaierait de réaliser ce souhait ?

Il inspecta le cercle de chariots avec inquiétude. L’idée d’avoir à protéger les Aes Sedai prisonnières n’avait rien d’agréable, mais il ne s’y dérobait pas. Il avait peu de sympathie pour elles en général, et pour celles-ci en particulier, mais il avait grandi avec la certitude inexprimée que tout homme devait risquer sa vie pour protéger une femme, dans la mesure où elle le permettait ; qu’il la connût ou qu’il l’aimât n’avait rien à voir. Certes, toute Aes Sedai pouvait réduire un homme à sa merci, mais coupée du Pouvoir, elle était comme tout le monde. C’était son dilemme, chaque fois qu’il les regardait. Deux douzaines d’Aes Sedai. Deux douzaines de femmes qui savaient peut-être se défendre sans le Pouvoir.

Un moment, il étudia les gardes Asha’man, qui affichaient tous un visage sinistre. Sauf les trois qui surveillaient les désactivées. Ils s’efforçaient de paraître aussi sombres que les autres, mais il y avait autre chose sous cette apparence. De la satisfaction, peut-être. Si seulement il était assez près pour percevoir leur odeur. Toute Aes Sedai représentait une menace pour un Asha’man. Peut-être l’inverse était-il vrai, aussi. Peut-être qu’on se contenterait de les désactiver. D’après ce qu’il savait, la désactivation équivalait à un meurtre qui mettait plusieurs années à se finaliser.

Quoi qu’il en soit, décida-t-il à contrecœur, il devait laisser les Asha’man à Rand. Ils ne parlaient qu’entre eux et aux prisonnières, et Perrin doutait qu’ils écoutent quiconque à part Rand. La question était : que dirait Rand ? Et que pourrait faire Perrin si Rand ne disait pas ce qu’il fallait ?

Écartant le problème, il se gratta la barbe de l’index. Les Cairhienins craignaient trop les Aes Sedai pour penser à leur nuire, et les Mayeners les respectaient trop, mais il les surveillerait du coin de l’œil quand même. Qui aurait cru que Jondyn aille aussi loin que ça ? Parmi les Cairhienins et les Mayeners, il possédait une certaine influence, mais elle s’évanouirait sans doute s’ils se mettaient à réfléchir. Il n’était qu’un simple forgeron, après tout. Ce qui laissait les Aiels. Perrin soupira. Il ne savait pas exactement quelle influence même Rand avait sur les Aiels.

Il était difficile d’isoler des odeurs individuelles au milieu de tant de gens, mais il s’était habitué à juger autant avec ses yeux qu’avec ses narines. Les siswai’aman proches de lui avaient l’odeur douce et forte du calme et de la vigilance. Ils semblaient à peine remarquer les Aes Sedai. Les Vierges émettaient des odeurs piquantes, pleines de fureur, qui s’accentuaient encore quand elles regardaient les prisonnières. Et les Sagettes…

Toutes les Sagettes venues de Cairhien pouvaient canaliser, mais aucune n’avait un visage sans âge. Il supposa qu’elles utilisaient trop rarement le Pouvoir Unique. Quand même, peau de pêche comme Edarra ou visage parcheminé comme la grisonnante Sorilea, elles évoluaient avec un sang-froid qui égalait facilement celui des Asha’man. La plupart grandes et gracieuses, comme toutes les Aielles, elles semblaient ignorer les sœurs.

Les yeux de Sorilea passèrent sur les prisonnières sans s’arrêter, et elle se mit à parler doucement à Edarra et à une autre Sagette, blonde mince dont il ne savait pas le nom. Si seulement il avait pu saisir ce qu’elles disaient. Elles passèrent près de lui, les trois visages imperturbables ne changèrent pas, contrairement à leur odeur. Quand Sorilea balaya du regard les Aes Sedai, son odeur se fit froide et distante, lugubre et déterminée, et à mesure qu’elle parlait aux deux autres, leurs odeurs changèrent pour s’accorder aux siennes.

— Sacré merdier, gronda-t-il.

— Un problème ? demanda Aram, se redressant sur ses talons, la main prête à tirer l’épée.

Il était devenu très bon à l’épée en peu de temps, et il n’hésitait jamais à s’en servir.

— Pas de problème, Aram.

Ce n’était pas tout à fait un mensonge. Tiré de ses sombres ruminations, Perrin regarda vraiment les autres comme pour la première fois. Tous ensemble. Il n’aima pas ce qu’il vit, et les Aes Sedai n’étaient qu’une partie du problème.

Cairhienins et Mayeners observaient les Aiels avec suspicion, ce qui était réciproque, surtout envers les Cairhienins. Rien d’étonnant à ça. Après tout, les Aiels avaient la réputation de ne pas porter dans leur cœur quiconque né de ce côté de l’Échine du Monde, et les Cairhienins encore moins que les autres. La vérité, c’est que les Aiels et les Cairhienins se haïssaient aussi fort qu’il est possible de haïr. Ni les uns ni les autres n’avaient mis de côté leur animosité – le mieux qu’on pouvait en dire, c’est qu’ils la tenaient en laisse pourtant, jusqu’à maintenant, Perrin était convaincu que tout se passerait bien. Par fidélité à Rand, à défaut d’autre chose. Mais une atmosphère lourde pesait sur le camp, une tension qui mettait tous les nerfs en pelote. Rand était libre maintenant, et les alliances n’étaient que temporaires. Les Aiels levaient leurs lances quand ils regardaient les Cairhienins, et ceux-ci tripotaient sombrement leurs épées. Ainsi faisaient les Mayeners ; ils n’avaient rien contre les Aiels, ne les avaient jamais combattus sauf pendant la Guerre des Aiels comme tout le monde, mais si l’on en venait aux mains, il ne faisait aucun doute de quel côté ils se rangeraient. Les hommes des Deux Rivières aussi, probablement.

Mais c’étaient les Asha’man et les Sagettes que cette sombre ambiance affectait le plus. Les hommes en capes noires n’accordaient pas plus d’attention aux Vierges et aux siswai’aman qu’aux Cairhienins, aux Mayeners ou aux hommes des Deux Rivières, mais ils étudiaient les Sagettes avec des visages aussi sombres que lorsqu’ils regardaient les Aes Sedai. Sans doute qu’ils ne faisaient guère de différence entre une femme capable d’utiliser le Pouvoir et une autre. Chacune pouvait être une ennemie dangereuse, réunies elles étaient un danger mortel, et il y avait plus de quatre-vingt-dix Sagettes dans le camp ou dans les parages. Moins que la moitié du nombre des Asha’man, mais assez pour causer des dégâts si elles voulaient. Elles semblaient suivre Rand, et pourtant c’étaient des femmes capables de canaliser.

Les Sagettes regardaient les Asha’man à peine moins froidement que les Aes Sedai. Les Asha’man étaient des hommes capables de canaliser mais ils suivaient Rand ; mais… Rand était un cas spécial. Pourtant, d’après Gaul, son canalisage n’était pas mentionné du tout dans leurs prophéties sur le Car’a’carn, mais les Aiels feignaient de croire que ce fait gênant n’existait pas. Les Asha’man ne figuraient pas du tout dans ces prophéties. Ce devait être la même chose que découvrir une bande de lions enragés luttant à vos côtés. Jusqu’à quand resteraient-ils fidèles ? Peut-être vaudrait-il mieux les abattre maintenant.

Il laissa retomber sa tête contre la roue du chariot, les yeux clos, sa poitrine se soulevant en un rire silencieux, sans joie. Pense à toutes les réjouissances de Beltaine. Au diable, se dit-il avec ironie, j’aurais dû partir avec Rand. Non, il valait mieux savoir, et le plus tôt possible. Mais, par la Lumière, qu’allait-il faire ? Si les Aiels, les Cairhienins et les Mayeners se tournaient les uns contre les autres, ou pire, les Asha’man et les Sagettes… Un tonneau de serpents, et la seule façon de savoir lesquels étaient des vipères était de plonger la main dedans. Par la Lumière, comme je voudrais être à la maison avec Faile, sans personne qui me traite de seigneur.

— Votre cheval, Seigneur Perrin. Vous n’avez pas dit si vous vouliez Marcheur ou Steppeur, alors j’ai sellé…

Les yeux d’or le foudroyèrent, et Kenly Maerin recula précipitamment, se cognant dans l’étalon isabelle qu’il conduisait.

Perrin eut un geste apaisant. Ce n’était pas la faute de Kenly. On devait tolérer ce qu’on ne pouvait pas changer.

— Du calme, petit. Tu as bien fait. Steppeur fera l’affaire. Tu as bien choisi.

Il détestait parler comme ça à Kenly. Petit et trapu, Kenly était à peine en âge de se marier ou de quitter la maison – et certainement pas en âge d’arborer la barbe clairsemée qu’il cultivait pour imiter Perrin –, pourtant il avait combattu les Trollocs au Champ d’Emond et il s’était bien battu la veille. Mais il sourit jusqu’aux oreilles au compliment du Seigneur Perrin aux Yeux d’Or, que le diable l’emporte !

Perrin se leva et prit sa hache posée jusque-là contre le chariot, hors de vue et hors d’esprit, et en passa le manche dans une boucle de sa ceinture. Une lourde lame en demi-lune, équilibrée par une pique épaisse ; objet uniquement destiné à tuer. Le manche était trop familier à ses mains pour le rassurer. Se rappelait-il seulement ce que ressentait un bon forgeron ? Il y avait d’autres choses, à part le « Seigneur Perrin », qu’il était peut-être trop tard pour changer. Un ami lui avait dit un jour de conserver cette hache jusqu’à ce qu’il commence à aimer s’en servir. L’idée le fit frissonner malgré la chaleur.

Il sauta sur le dos de Steppeur, suivi comme son ombre par Aram sur le gris, et se tourna vers le sud dans le cercle de chariots. Au moins moitié plus grand que la plupart des Aiels, Loial enjambait soigneusement les bras entremêlés des chariots. Avec sa taille, un faux pas aurait pu casser un lourd montant comme du petit bois. Comme d’habitude, l’Ogier avait un livre dans les mains, un gros doigt marquant la page où il en était, et bien d’autres gonflaient les vastes poches de sa cape. Il avait passé la matinée dans un petit bouquet d’arbres qu’il trouvait ombreux et reposant, mais quelle que fût l’ombre parmi ces arbres, la chaleur l’affectait lui aussi. Il avait l’air fatigué, sa cape était déboutonnée, sa chemise délacée, et ses bottes roulées sous ses genoux. Ou peut-être que c’était autre chose que la chaleur. Juste à l’intérieur du cercle, Loial s’arrêta, pour regarder les Aes Sedai et les Asha’man, ses oreilles poilues tremblotant de gêne. Il roula vers les Sagettes des yeux grands comme des soucoupes, et ses oreilles se remirent à vibrer. Les Ogiers sont sensibles à l’atmosphère des lieux.

Voyant Perrin, Loial s’approcha à grands pas. Assis sur sa selle, Perrin avait deux ou trois mains de moins que Loial debout.

— Perrin, murmura-t-il, ça ne va pas. Ce n’est pas normal, et c’est dangereux en plus.

Pour un Ogier, c’était un murmure, mais cela sonnait comme un bourdon de la taille d’un mastiff. Certaines Aes Sedai tournèrent la tête.

— Pourrais-tu parler un peu plus fort ? dit Perrin entre ses dents. Je crois que quelqu’un en Andor n’a pas entendu. Dans l’ouest d’Andor.

Loial eut l’air déconcerté, puis il grimaça, ses longs cils frôlant ses joues.

— Je sais comment murmurer, vous savez.

Cette fois, il était peu probable qu’on l’ait entendu à plus de trois pas.

— Qu’est-ce qu’on va faire, Perrin ? C’est mal de retenir les Aes Sedai contre leur volonté, mal et malavisé en plus. Je l’ai déjà dit, et je le répéterai. Et ce n’est pas le pire. L’atmosphère ici… Une étincelle, et tout s’enflammera comme un chariot de feux d’artifice. Rand le sait-il ?

— Je ne sais pas, répondit Perrin aux deux questions, et au bout d’un moment, l’Ogier hocha la tête à regret.

— Quelqu’un doit savoir, Perrin. Quelqu’un doit faire quelque chose.

Loial regarda vers le nord, par-dessus les chariots derrière Perrin, et Perrin sut qu’il ne pouvait plus remettre son départ.

De mauvaise grâce, il fit tourner Steppeur. Il aurait préféré se ronger les sangs à propos des Aes Sedai, des Asha’man et des Sagettes jusqu’à en perdre tous ses cheveux, mais il fallait faire ce qui devait être fait. Pense aux réjouissances de Beltaine.

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