Où êtes-vous né ?
À Denver.
Et où avez-vous été élevé ?
Rock. Boulder.
Quel genre d’enfant étiez-vous ?
Je ne sais pas.
Donnez-moi vos impressions.
Je voulais savoir pourquoi.
Vous étiez curieux ?
Très curieux.
Vous vous amusiez avec des jeux scientifiques ?
Tous.
Et vos amis ?
Je ne m’en souviens pas.
Essayez de dire n’importe quoi.
Je ne pense pas que j’aie eu beaucoup d’amis.
Etiez-vous ambidextre dans votre enfance ?
Je ne m’en souviens pas.
Pensez à vos expériences scientifiques. Vous serviez-vous de vos deux mains dans ce cas ?
Je crois que cela a souvent été nécessaire.
Vous écriviez avec votre main droite ?
Je le fais actuellement. Je… Je le faisais alors. Oui. Quand j’étais enfant.
Et vous faisiez quelque chose avec votre main gauche ? Vous vous brossiez les dents, vous vous peigniez, vous mangiez, vous montriez les choses, lanciez des ballons ?
Je faisais tout ça avec ma main droite. Est-ce que ça aurait été important si je ne l’avais pas fait ?
Eh bien, voyez-vous, dans les cas d’aphasie, les vrais droitiers se conforment tous assez bien à un certain profil. Les activités sont localisées, ou, pour mieux dire cela, coordonnées dans certains secteurs du cerveau. Quand nous déterminons précisément les problèmes que vit l’aphasique, nous arrivons à localiser plutôt bien les lésions de son cerveau. Et vice versa. Ce schéma ne se présente pas avec les gauchers et les ambidextres. On peut dire que le cerveau des gauchers et des ambidextres est organisé de façon légèrement différente.
Vous savez que la plupart des enfants ectogènes d’Hiroko sont gauchers.
Oui, je le sais. Je lui en ai parlé, mais elle prétend ne pas savoir pourquoi. Elle dit que c’est peut-être dû au fait qu’ils sont nés sur Mars.
Vous trouvez cela plausible ?
Eh bien… On comprend encore très mal les problèmes de dextralité, de toute manière, ainsi que les effets de la gravité allégée… Ça prendra des siècles, non ?…
Je suppose que oui.
Cette idée ne vous plaît pas, n’est-ce pas ?
J’aimerais mieux obtenir des réponses.
Et si toutes vos questions avaient reçu des réponses ? Vous seriez satisfait ?
J’ai du mal à imaginer une telle… situation. Un faible pourcentage de mes questions reçoivent des réponses.
Mais c’est une idée merveilleuse, n’êtes-vous pas d’accord ?
Non. Ce ne serait pas scientifique d’être d’accord sur ce point.
Vous concevez la science comme rien de plus que des réponses à des questions ?
Comme un système destiné à générer des réponses.
Et quel en est le but ?
… Savoir.
Et que ferez-vous de votre savoir ?
… J’en apprendrai plus.
Mais pourquoi ?
Je ne sais pas. C’est ainsi que je suis.
Certaines de vos questions ne devraient-elles pas être orientées dans ce sens : découvrir pourquoi vous êtes ainsi ?
Je ne pense pas que l’on puisse trouver de bonnes réponses à des questions sur… la nature humaine. Il vaut mieux la considérer comme une boîte noire. On ne peut pas lui appliquer de méthode scientifique. Pas assez bien, en tout cas, pour être sûr de vos réponses.
En psychologie, nous croyons avoir identifié une pathologie particulière dans laquelle une personne a besoin de tout savoir parce qu’elle a peur de ne pas savoir. Cette pathologie, nous la nommons mono-causotaxophilie, selon le terme de Pöppel : l’attrait pour des causes simples qui expliquent tout. Qui peut se transformer en peur de manquer de causes. Car le manque peut être dangereux. La recherche de la connaissance devient primitivement défensive, en ceci qu’elle est un moyen de nier la peur alors que l’on est vraiment effrayé. Au pire, ça n’est même pas la recherche de la connaissance, parce que lorsque les réponses arrivent, elles cessent d’être intéressantes, puisqu’elles ne sont plus dangereuses. Donc, la réalité elle-même n’a plus d’importance pour le sujet.
Tout le monde essaie d’éviter le danger. Mais les motivations sont toujours multiples. Et différentes d’une action à l’autre. D’un moment à un autre. N’importe quel schéma est l’objet de… la spéculation de l’observateur.
La psychologie est une science dans laquelle l’observateur devient intimement impliqué dans le sujet de l’observation.
C’est une des raisons pour lesquelles je ne crois pas que ce soit une science.
Mais c’est une science, ça ne fait pas de doute. L’un de ses dogmes est : si vous voulez en savoir plus, aimez davantage. Tous les astronomes aiment les étoiles. Sinon, pourquoi les étudier ?
Parce qu’elles sont des mystères.
Qu’est-ce que vous aimez ?
La vérité.
La vérité n’est pas une très bonne maîtresse.
Je ne cherche pas l’amour.
En êtes-vous sûr ?
Pas plus sûr que n’importe qui lorsqu’il pense aux… motivations.
Vous reconnaissez que nous avons des motivations ?
Oui. Mais la science ne peut pas les expliquer.
Donc elles sont une part du Grand Inexplicable.
Oui.
Et vous concentrez donc votre attention sur d’autres choses.
Oui.
Mais les motivations sont toujours là.
Oh oui.
Que lisiez-vous dans votre jeunesse ?
Toutes sortes de choses.
Vous aviez quelques livres préférés ?
Sherlock Holmes. D’autres romans policiers aussi. La Machine pensante. Le Dr Thorndyke.
Vos parents vous punissaient-ils si vous étiez pénible ?
Je ne crois pas. Ils n’aimaient pas que je leur crée des problèmes. Mais je pense qu’ils étaient tout simplement comme les autres à ce sujet.
Est-ce que vous les avez jamais vus en crise ?
Je ne m’en souviens pas.
Vous ne les avez jamais vus pleurer, ou crier ?
Je ne les ai jamais entendus crier. Mais je crois que maman pleurait quelquefois.
Vous saviez pourquoi ?
Non.
Vous vous demandiez pourquoi ?
Je ne me souviens pas. Est-ce que ce serait important si je m’en souvenais ?
Que voulez-vous dire ?
Je veux dire, si j’avais eu tel passé. J’aurais pu devenir n’importe quelle personne. Ça dépendait de ma réaction aux… aux événements. Et si j’avais eu tel autre passé, les mêmes variations auraient suivi. Donc, votre questionnaire est inutile. Du fait qu’il n’a pas de rigueur explicative. C’est une imitation de la méthode scientifique.
Je considère votre conception de la science comme parcimonieuse et réductrice, comme vos activités scientifiques. Vous dites pour l’essentiel que nous ne devrions pas étudier l’esprit humain car il est trop complexe pour que cette étude soit facile. Ceci n’est guère courageux de votre part. L’univers extérieur est tout aussi complexe, mais vous ne nous conseillez pas de nous en détourner. Alors, pourquoi cette attitude envers l’univers intérieur ?
Vous ne pouvez pas isoler les facteurs, vous ne pouvez pas répéter les conditions, vous ne pouvez pas mettre au point des expériences contrôlées, vous ne pouvez pas émettre des hypothèses falsifiables. L’ensemble de l’appareil scientifique ne vous est pas accessible.
Pensez un peu aux premiers scientifiques.
Les Grecs ?
Avant eux. La préhistoire n’était pas seulement la ronde des saisons, sans forme ni temps, comprenez-vous. Nous avons tendance à croire que ces gens ressemblaient à nos propres esprits inconscients, mais ils n’étaient pas ainsi. Pendant cent mille ans au moins, nous avons été aussi intellectuels que nous le sommes maintenant. Et chaque âge a eu ses grands savants, qui ont tous travaillé dans le contexte de leur temps, comme nous le faisons. Pour les plus anciens, il n’existait guère d’explications à quoi que ce fût – la nature était un tout aussi complexe et mystérieux que le sont nos propres esprits pour nous aujourd’hui, mais qu’y pouvaient-ils ? Ils devaient bien commencer quelque part, hein ? Voilà ce que vous devez vous rappeler. Et il a fallu des milliers d’années pour apprendre les plantes, les animaux, l’usage du feu, les roches, les haches, l’arc et la flèche, le refuge, les habits. Puis, la poterie, l’agriculture, la métallurgie. Et tout cela si lentement, au prix de tant d’efforts. Tout cela transmis par l’enseignement oral, d’un savant à un autre. Et tout ce temps, il y eut des gens, sans aucun doute, pour dire que tout ça était trop complexe pour qu’on fût certain de quoi que ce soit. Pourquoi essayer après tout ? À propos de cette situation, Galilée a déclaré : « Les anciens avaient de bonnes raisons de considérer les premiers savants comme des dieux, parce que les esprits communs étaient tellement peu curieux. Les petits indices qui ont précédé les grandes inventions relevaient d’un esprit surhumain et non pas trivial. » Surhumain ! Ou, plus simplement, ce qu’il y a de meilleur en nous, les esprits les plus aventureux de chaque génération. Les scientifiques. Et en quelques millénaires, nous avons façonné un modèle du monde, un paradigme très précis et puissant. Non ?…
Mais est-ce que nous n’avons pas fait autant d’efforts durant toutes ces années – avec si peu de succès – pour nous comprendre nous-mêmes ?
Disons que oui. Peut-être cela prendra-t-il plus de temps. Mais réfléchissez : nous avons fait pas mal de progrès dans ce domaine. Et ce n’est pas récent. Rien que par l’observation, les Grecs ont découvert nos quatre tempéraments, et ce n’est que très récemment que nous en avons suffisamment appris sur le cerveau pour dire quelle était la base neurologique du phénomène.
Vous croyez aux quatre tempéraments ?
Oh, oui. Et si on le souhaite, on peut les confirmer par expérience. De même que tant de choses concernant l’esprit humain. Peut-être qu’il ne s’agit pas là de physique, et qu’il n’en sera jamais question. Il se peut que nous soyons simplement plus complexes et imprévisibles que l’univers.
Ça me paraît peu probable. Nous sommes faits d’atomes, après tout.
Mais animés ! Nous sommes mus par la force verte, nous avons un esprit : le Grand Inexplicable !
Des réactions chimiques…
Mais pourquoi la vie ? Elle est plus que de simples réactions. Il existe une pulsion vers la complexité qui s’oppose directement aux lois physiques sur l’entropie. Pourquoi est-ce donc ainsi ?
Je ne sais pas.
Pourquoi cela vous déplaît-il tant quand vous ne pouvez pas dire pourquoi ?
Je ne sais pas.
Le mystère de la vie est une chose sainte. C’est notre liberté. Nous nous sommes expulsés de la réalité, nous existons désormais dans une sorte de liberté divine, et le mystère en est partie intégrante.
Non. Nous sommes une réalité physique. Des atomes qui tournent. Déterminés sur la plupart des échelles, aléatoires sur d’autres.
Bien. Nous sommes en désaccord. Mais, quoi qu’il en soit, le boulot d’un scientifique est de tout explorer. Quelles que soient les difficultés !
De rester ouvert, d’accepter l’ambiguïté. D’essayer de fusionner avec l’objet de la connaissance. D’admettre que des valeurs percent dans l’ensemble de l’entreprise. De l’aimer. De travailler afin de découvrir les valeurs selon lesquelles nous devrions vivre. De travailler pour livrer ces valeurs au monde. D’explorer… et bien plus : de créer !
Il faudra que j’y réfléchisse.
L’observation n’est jamais suffisante. Et puis, ça n’était plus leur expérience. Desmond arriva à Dorsa Brevia et Sax vint le retrouver.
— Peter vole toujours ?
— Mais oui. Si c’est ce que tu veux dire, il passe pas mal de temps dans l’espace.
— Oui, c’est ça. Est-ce que tu peux me mettre en contact avec lui ?
— Bien sûr que je le peux. (Le visage parcheminé de Desmond était perplexe.) Tu t’exprimes de mieux en mieux, Sax. Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?…
— Des traitements gérontologiques. Et aussi des hormones de croissance, L-dopamine, sérotonine, et d’autres produits. Des trucs extraits des étoiles de mer.
— Ils t’ont fait pousser un nouveau cerveau, hein ?
— Oui. En partie, en tout cas. Ils m’ont aussi fait des stimuli synaptiques synergiques. Et j’ai énormément parlé avec Michel.
— Oh, oh !
— Mais je suis encore moi.
Le rire de Desmond fut presque animal.
— Je le vois. Écoute, je vais repartir d’ici deux jours, et je te conduirai à l’aéroport de Peter.
— Merci.
On lui avait fait pousser un nouveau cerveau. Ça n’était pas une façon de dire très précise. La lésion était circonscrite au tiers postérieur de la convolution frontale inférieure. Les tissus étaient morts à la suite de l’interruption de la stimulation focalisée par ultra-sons de la zone mémorielle du langage au cours de l’interrogatoire. Une attaque. Une aphasie de Broca. Des difficultés avec le dispositif moteur du langage, peu de mélodie, des difficultés dans l’amorce des articulations, réduction à la télégrammèse, surtout des noms et les formes simplifiées des verbes. Toute une batterie de tests détermina que la majorité des autres fonctions cognitives étaient intactes. Il n’en était pas si sûr. Il comprenait les gens quand ils lui parlaient, il pensait toujours de la même façon, pour autant qu’il sût, et il n’avait pas de problèmes dans les tests non linguistiques, comme de spatialité. Mais lorsqu’il tentait de parler, c’était soudain la trahison – dans sa bouche et son esprit. Les choses perdaient leur nom. C’était étrange, car même sans nom elles restaient des choses. Il pouvait les voir et y penser en termes de formes différentes, ou de nombres. De formules de description. Combinaisons variées de sections coniques ou les six surfaces de révolution symétrique autour d’un axe, le plan, la sphère, le cylindre, la caténoïde, l’onduloïde et le nodoïde. Les formes sans les noms, mais ces formes seules étaient comme des noms. La spatialisation du langage. Pourtant il s’avéra que se souvenir sans mots était difficile. Il fallait emprunter une méthode, la méthode du palais de la mémoire, en commençant par le spatial. Un espace de l’esprit fut établi pour ressembler à l’intérieur des labos du Belvédère d’Echus, dont il se souvenait suffisamment bien pour les reparcourir en esprit, avec ou sans noms. Et à chaque place il y avait un objet. Ou à une autre place. Sur un comptoir : tous les labos d’Acheron. Sur le réfrigérateur : Boulder, Colorado. Et ainsi, il se rappelait toutes les formes auxquelles il pensait par rapport à leur situation dans son labo mental.
Et ensuite, parfois, le nom lui revenait. Mais quand il le connaissait et tentait de le prononcer, il était très possible que ce fut un mauvais nom qui sorte de sa bouche. Il avait toujours eu cette tendance. Après des réflexions intenses, quand tout était clair en lui, il avait souvent peiné à traduire ses pensées au niveau du langage, ce qui s’adaptait mal à la forme de pensée qu’il développait. Donc avait été ardu. Mais ça ne ressemblait en rien à cela, cette saisie interrompue, erratique, traîtresse des mots, dans laquelle il échouait, ou qui le trompait. C’était totalement frustrant. Douloureux. Quoique certainement préférable encore à l’aphasie de Wernicke dans laquelle on parle avec volubilité sans avoir conscience que les phrases que l’on débite n’ont pas de sens. Tout comme il avait eu une tendance à perdre les mots qui désignaient les choses, il existait des gens qui développaient une tendance wernickienne sans avoir l’excuse de lésions cérébrales. Comme Art l’avait remarqué. Et Sax se disait qu’il préférait son problème.
Ursula et Vlad étaient venus lui rendre visite.
— L’aphasie est différente pour chaque cas, lui dit Ursula. Il existe des formes, des groupes de symptômes qui correspondent à certains schémas de lésion pour les adultes droitiers. Mais, pour les esprits exceptionnels, il existe de nombreux cas particuliers. Nous savons déjà que tes fonctions cognitives sont restées à un très haut degré pour quelqu’un qui présente les difficultés d’élocution que tu as. Il est probable qu’une grande part de ton activité mentale vouée aux maths et à la physique n’utilisait pas le langage.
— C’est juste.
— Et s’il s’est agi d’une pensée géométrique plutôt qu’analytique, elle s’est probablement située dans l’hémisphère droit de ton cerveau. Et c’est lui qui a été épargné.
Sax acquiesça, peu certain de pouvoir parler.
— C’est ainsi que les perspectives de guérison varient largement. Mais il y a presque toujours une amélioration. Les enfants, en particulier, sont très adaptables. Lorsqu’ils sont atteints à la tête, même une lésion circonscrite peut poser des problèmes sérieux, mais ils s’en remettent presque toujours. On peut amputer un hémisphère complet du cerveau sur un enfant si le problème le nécessite, et alors l’autre hémisphère réapprendra toutes les fonctions. Cela s’explique par le taux de croissance incroyable du cerveau chez l’enfant. Pour l’adulte, c’est différent. La spécification s’est installée, et les lésions circonscrites causent un dommage spécifique limité. Mais quand un talent a été détruit dans un cerveau mature, toute amélioration notable est rare.
— Le tri. Le traitement.
— Exact. Mais vois-tu, le cerveau est précisément l’une des zones que le traitement gériatrique a le plus de mal à pénétrer. Mais nous y avons quand même travaillé. Nous avons conçu un ensemble de stimuli que l’on utilise conjointement avec le traitement quand nous avons affaire à des dommages au cerveau. Cela pourrait devenir une phase régulière du traitement, si les essais continuent à être satisfaisants. Cette injection augmente la plasticité du cerveau en stimulant la croissance de l’axone[64] et de l’épine dendritique, ainsi que la sensibilité des synapses de Hebb. Le corps calleux y est très sensible, ainsi que l’hémisphère opposé à la partie lésée. L’apprentissage peut construire de nouveaux réseaux neuraux.
— Faites-le, dit Sax.
La destruction est la création. Redevenir petit enfant. Le langage est espace, une sorte de notation mathématique, des emplacements géométriques dans le palais de la mémoire. Lecture. Cartes. Codes, substitutions, noms secrets des choses. L’irruption flamboyante d’un mot. La joie de bavarder. La longueur d’onde de chaque couleur, par le nombre. Ce sable est orange, rouille, blond, jaune, sienne, ombre, ombre brûlée, ocre. Ce ciel est céruléen, cobalt, lavande, mauve, violet, bleu de Prusse, indigo, aubergine, bleu nuit. Il suffit de regarder les palettes de couleurs avec des mots : la riche intensité des couleurs, les sons des mots – il voulait plus encore. Un nom pour chaque longueur d’onde du spectre visible. Pourquoi pas ? Pourquoi être si pingre ? La longueur d’onde de.59 est tellement plus bleue que la.6, et la.61 est tellement plus rouge… Ils avaient besoin de plus de mots pour les pourpres, tout comme les Eskimos avaient besoin de plus de mots pour désigner la neige. Les gens se servaient toujours de cet exemple : les Eskimos en avaient une vingtaine. Mais les scientifiques, eux, avaient plus de trois cents mots pour neige, et qui avait jamais reconnu que les scientifiques accordaient de l’attention au monde environnant ? Ressemblance. Il n’y a pas deux flocons de neige identiques. Bla, bla… Bière, bar, branque, bombe, boum. Bah… Cet endroit où mon bras se plie est mon coude ! Mars ressemble à une citrouille ! L’air est froid. Et empoisonné par le gaz carbonique.
Il y avait certaines parties de son discours intérieur qui étaient entièrement composées de vieux clichés, qui venaient sans doute de ce que Michel appelait le « surappris » d’activités de son passé, qui avait tellement imprégné son esprit qu’il avait survécu aux dommages. Design net, bonnes données, parts par milliard, mauvais résultats. Et puis, coupant au travers de ces formulations rassurantes, comme entièrement séparées du langage, il y avait les perceptions nouvelles, et les phrases nouvelles qui se reformaient à tâtons pour les exprimer. Le discours était toujours le bienvenu, qu’il vienne d’un domaine ou de l’autre. L’exaltation joyeuse de la normalité. Qu’il avait trouvée tellement normale. Michel venait parler avec lui tous les jours. Il l’aidait à construire son nouveau cerveau. Pour un homme de science, Michel entretenait des certitudes très inquiétantes. Les quatre éléments, les quatre tempéraments, des formulations alchimiques de toutes sortes, des positions philosophiques qui se présentaient comme de la science…
— Tu ne m’as pas demandé si je pouvais changer le plomb en or ?
— Je ne le pense pas.
— Michel, pourquoi passes-tu tout ce temps à me parler ?
— J’aime bien parler avec toi, Sax. Tu dis quelque chose de neuf tous les jours.
— J’aime bien lancer des choses de la main gauche.
— Je l’ai constaté. Il est possible que tu finisses par être gaucher. Ou ambidextre, parce que ton cerveau gauche est tellement fort qu’il ne laissera pas grand-chose derrière lui, même si la lésion a été importante.
— Mars ressemble à une boule de fer avec de vieilles planétésimales.
Avec Desmond, il vola jusqu’au refuge des Rouges, dans le cratère de Wallace, où Peter séjournait fréquemment. Et il était bien là. Peter le fils de Mars, toujours aussi grand, vif et fort, gracieux, amical quoique impersonnel, distant, absorbé dans son travail et dans sa vie propre. Comme Simon. Sax lui dit ce qu’il voulait faire, et pourquoi. Il trébuchait encore parfois dans son discours. Mais c’était tellement mieux qu’auparavant qu’il ne s’en troublait plus. Il fallait forger les mots ! C’était comme de parler une langue étrangère. Pour lui, tous les langages étaient étrangers, désormais. Excepté son idiolecte[65] des formes. Mais ce n’était pas une aggravation – bien au contraire, c’était un réel soulagement que de s’en tirer aussi bien. De voir le brouillard se dissiper devant les mots, de retrouver les connexions à l’intérieur de sa bouche. Même de cette façon nouvelle et hasardeuse. Une chance d’apprendre. Parfois, cette nouvelle façon lui plaisait. La réalité d’un individu peut vraiment dépendre de son paradigme scientifique, mais en définitive, elle dépend surtout de la structure de son cerveau. Si vous changez ça, vos paradigmes peuvent très bien suivre. On ne peut pas lutter contre le progrès. Ni contre une différenciation progressive.
— Est-ce que tu comprends ?
— Oh, oui, je comprends, dit Peter avec un large sourire. Je pense que c’est une très bonne idée. Très importante. Il va me falloir quelques jours pour préparer l’avion.
Ann les rejoignit. Elle avait l’air vieillie et fatiguée. Elle salua à peine Sax : sa vieille antipathie était plus forte que jamais. Et il ne sut quoi lui dire. Est-ce qu’il y avait un nouveau problème ?
Il décida d’attendre jusqu’à ce que Peter lui ait parlé et de voir si cela faisait une différence. Il attendit. Maintenant, quand il ne parlait pas, personne ne le dérangeait. Des avantages se faisaient jour de tous côtés.
Ann revint après un entretien avec Peter pour se joindre à un repas avec les autres Rouges dans leur petite salle commune, et là elle l’observa avec curiosité. Elle le cherchait par-dessus les têtes, comme si elle inspectait une nouvelle colline du paysage martien. Son regard était intense et objectif. Évaluateur. Une modification de statut dans un système dynamique est un point de données qui suggère une théorie. Soutien ou animosité. Qu’est-ce que tu es ? Pourquoi fais-tu ça ?
Il affronta son regard calmement, essayant de l’arrêter, de le renvoyer. Oui, je suis encore Sax. J’ai changé. Et toi, qui es-tu ? Pourquoi n’as-tu pas changé ? Pourquoi me regarder encore comme ça ? J’ai eu un accident. L’individu pré-morbide n’est plus là, plus vraiment. J’ai subi un traitement expérimental, je me sens bien, je ne suis pas l’homme que tu as connu. Et pourquoi tu n’as pas changé ?
Si suffisamment de points de données troublent la théorie elle peut se révéler fausse. Si elle était basique, il se peut que le paradigme doive changer.
Elle s’assit à la table. Il était douteux qu’elle ait pu lire ses pensées aussi finement. Mais néanmoins, c’avait été un tel plaisir que de rencontrer son regard !
Il s’installa dans le petit cockpit avec Peter et, juste après le laps de temps martien, ils roulèrent sur la piste de rocher, accélérèrent presque aussitôt et grimpèrent vers le ciel noir, dans les vibrations du grand avion spatial aérodynamique. Sax se laissa aller en arrière, écrasé dans son siège, et attendit patiemment que l’avion atteigne le haut de la grande courbe asymptotique, ralentisse en se redressant doucement, jusqu’à ce qu’il se retrouve dans la douceur de la haute stratosphère et que la transition s’opère de l’avion à la fusée, au niveau le plus ténu, à cent mille mètres d’altitude, là où les gaz du cocktail de Russell étaient annihilés jour après jour par le rayonnement UV. Le placage de l’appareil était maintenant porté au rouge. À travers le filtre du cockpit, il avait la couleur du soleil au crépuscule. Il affectait sans doute leur vision nocturne. Tout en bas, la planète était obscure. Seules les traces claires des glaciers du Bassin d’Hellas étaient visibles sous la clarté des étoiles. Ils prirent encore de l’altitude en une spirale qui allait s’élargissant. L’espace était un dôme énorme et opaque rempli d’étoiles. Le ciel de nuit de Mars. Ils montaient toujours. La fusée était à présent d’un jaune translucide, intense, hallucinatoire. La dernière création de Vishniac, conçue partiellement par Spencer. Elle était en matériaux composites intermétalliques, principalement du gamma titanium aluminium, restructuré en une tapisserie de nodoïdes et caténoïdes semblables à des yeux et des crochets, qui entraient en vibration folle avec l’élévation de la chaleur. Eh oui ! voilà ce qu’on pouvait construire ! Des avions air-espace. On sort dans sa cour et on s’envole pour Mars dans une boîte de conserve.
Sax décrivit à Peter ce qu’il comptait faire. Et Peter rit.
— Tu penses que Vishniac peut y arriver ?
— Oh oui !
— Ça va poser des problèmes de design.
— Je sais, je sais. Mais ils vont les résoudre. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas besoin d’être un expert en fusées pour être expert en fusées.
— Absolument vrai.
Peter se mit à chantonner pour passer le temps. Sax se joignait à lui quand les paroles lui revenaient.
« Sixteen tons, and what do I get ? Another day older and deeper in debt[66]. »
Peter raconta comment il s’était échappé de l’ascenseur spatial dans sa chute. Ce qu’il avait éprouvé en dérivant dans l’espace en combinaison AEV[67]. Seul pendant deux jours.
— Je crois que j’y ai pris goût, c’est tout. Je sais que ça paraît étrange.
— Je comprends.
Les formes, là-haut, étaient tellement pures et grandes. Et leurs couleurs.
— Qu’est-ce que ça fait de recommencer à parler ?
— Il faut que je me concentre pour y arriver. Et que je réfléchisse très dur. Des choses me surprennent tout le temps. Celles que j’avais apprises et oubliées. Celles que je n’ai jamais apprises. Et aussi celles que j’avais apprises juste avant les lésions. D’ordinaire, cette période est occultée. Mais elle était tellement importante. Quand je travaillais près du glacier. Il faut que je parle de ça à ta mère. Ça n’est pas comme elle le pense. Tu vois, la terre. Et toutes ces nouvelles plantes. Le soleil jaune comme un papillon. Il ne faut pas que…
— Tu dois lui en parler.
— Elle ne m’aime pas.
— Parle-lui dès que nous serons revenus.
L’altimètre indiquait qu’ils étaient à deux cent cinquante kilomètres de la surface. L’avion escaladait le ciel vers Cassiopée.
Chaque étoile était d’une teinte différente, distincte des autres. Il en discernait au moins cinquante. En dessous, à la lisière est du disque noir qu’était la planète, le terminateur apparut, zébré d’ocre sableux et d’ombre dense. Le mince croissant de lumière lui donna soudain la perception claire du disque comme d’un grand sphéroïde. Une boule lancée entre les étoiles de la galaxie. L’énorme masse continentale d’Elysium montait sur l’horizon, parfaitement dessinée par les ombres horizontales. Les deux hommes contemplaient la planète au-delà de la longue dorsale. Hecates Tholus était à demi caché par le cône d’Elysium Mons, et Albor Tholus apparaissait plus loin sur le côté.
— La voilà ! fit Peter en pointant le doigt.
Au-dessus d’eux, à l’est, le bord oriental de la loupe aérienne était d’argent pur dans la lumière du matin. Le reste était encore dans l’ombre de la planète.
— On est assez près ? demanda Sax.
— Presque.
Sax regarda à nouveau le croissant qui s’épaississait. Tout en bas, sur le flanc obscur des highlands accidentées d’Hesperia, un nuage de fumée montait et s’enflait juste au-delà du terminateur, dans le premier éclat du soleil. Même à l’altitude à laquelle ils volaient, ils étaient encore dans ce nuage, dans la partie invisible de la colonne. La loupe elle-même glissait sur ce courant thermique, en se servant de sa poussée et de la pression du soleil pour maintenir sa position au-dessus de la zone incendiée.
À présent, la loupe entière était visible, pareille à un immense parachute argenté dépourvu de sustentes, marquée par endroits de mauve ou de bleu ciel. Cette coupe était une section de sphère de mille kilomètres de diamètre, dont le centre culminait à cinquante mille mètres. Et qui tournait dans le ciel comme un frisbee. Au sommet, un trou laissait pénétrer le soleil. Partout ailleurs, les bandes de miroirs circulaires de la coupe reflétaient la lumière du soleil et de la soletta, la dirigeaient vers le bas et la concentraient sur un point mouvant de la surface, développant une température qui faisait fondre le basalte. Les miroirs pouvaient produire 900 kelvins, et la roche en fusion atteignait cinq mille degrés. Libérant les gaz volatils.
Tandis qu’il observait la loupe géante, une image apparut dans l’esprit de Sax. Celle d’une loupe qu’il avait tenue entre ses doigts il y avait si longtemps, et qui enflammait une poignée d’herbes sèches et une branche de pin. De la fumée, une flamme, du feu. Les rayons concentrés du soleil. L’assaut des photons.
— Est-ce qu’on n’est pas suffisamment près ? On dirait qu’elle est juste au-dessus de nous.
— Non. On est encore loin du bord. On n’a pas intérêt à se risquer sous ce machin, quoique je suppose qu’il faudrait que la lumière se focalise sur nous pour que nous soyons grillés. De toute façon, elle se déplace à mille kilomètres à l’heure au-dessus de la zone brûlée.
— Comme les jets quand j’étais jeune.
— Hum… (Des voyants verts clignotèrent sur les consoles.) OK. On y va.
Peter tira le manche vers lui et l’avion se dressa pour monter droit vers la loupe, qui était encore à cent mille mètres au-dessus d’eux, et plus à l’ouest. Il enfonça un bouton et, dans la même seconde, l’avion fut secoué : une batterie de missiles était apparue sous ses ailes courtes. Instantanément, ils s’embrasèrent et filèrent droit sur la loupe. Un essaim d’épingles de feu jaune contre un colossal OVNI d’argent. Les missiles se perdirent très vite dans la lumière. Sax attendit, les lèvres plissées, s’efforçant de garder les yeux ouverts sans battre des paupières.
Le rebord de la loupe commença à s’effilocher. La chose était fragile, ce n’était après tout qu’une vaste coupe faite de bandes de voiles solaires. Elle se défaisait avec une rapidité surprenante. Elle s’enroulait sur elle-même tout en basculant vers le bas, droit en avant, laissant derrière elle de longs tourbillons, comme des dizaines de cerfs-volants désemparés qui tombaient ensemble. Mais il s’agissait en fait d’un milliard et demi de kilos de voiles solaires qui se déchiraient et s’étiraient dans leur longue trajectoire, qui paraissait lente uniquement à cause des dimensions de la chose. En fait, la masse totale se déplaçait encore à une vitesse supérieure à la vélocité terminale. Et une grande partie se consumerait avant de s’abîmer à la surface en une pluie de silice.
Peter se détourna pour observer la chute de la loupe détruite, se maintenant loin à l’est. Dans le ciel à présent mauve, la gigantesque masse s’embrasa et plongea comme une comète dorée à la queue d’argent, droit vers le sol fauve.
— Bien visé, commenta Sax.
De retour au cratère de Wallace, ils furent accueillis comme des héros. Peter protesta :
— C’était l’idée de Sax. Le vol lui-même n’a pas posé de problème. En dehors du tir de missiles, c’était comme une simple reconnaissance. Je ne comprends pas comment nous n’y avons pas pensé avant.
— Ils vont en installer une autre sur orbite, déclara Ann en dévisageant Sax avec une expression très curieuse.
— Mais elles sont tellement vulnérables, répliqua Peter.
— Des missiles sol-espace, dit Sax, qui se sentait soudain nerveux. Est-ce qu’on pourrait faire l’invention… l’inventaire de tous les objets en orbite ?
— Mais c’est déjà fait. Nous ne les avons pas tous identifiés, mais la plupart sont évidents.
— J’aimerais voir cette liste.
— J’aimerais te parler, dit Ann d’un air sombre.
Tous les autres quittèrent la pièce, en haussant les sourcils comme une bande d’Art Randolph.
Sax s’assit dans une chaise en bambou. La pièce était petite, sans fenêtre. Il avait l’impression de se retrouver dans un des caveaux d’Underhill, tout au commencement. La forme était correcte. De même que les textures. La brique était un produit si sûr. Ann s’assit en face de lui et se pencha pour le dévisager de près. Elle semblait plus âgée. La leader des Rouges, acclamée, décharnée, illuminée. Il sourit :
— Est-ce que tu n’aurais pas besoin d’un traitement géronto ? dit-il, et ils furent tous les deux aussi surpris l’un que l’autre.
Ann ignora cette impertinence, cependant.
— Pourquoi voulais-tu abattre cette loupe ? demanda-t-elle, le regard pénétrant.
— Parce que je ne l’aimais pas.
— Ça, je le sais. Mais pourquoi ?
— Elle n’était pas nécessaire. Les choses se réchauffent suffisamment vite comme ça. Il n’y a aucune raison d’accélérer. Nous n’avons même pas besoin de beaucoup plus de chaleur. Et puis, elle libérait des quantités de gaz carbonique. Ce sera difficile de l’évacuer. Il était bien pris dans la roche – et c’est difficile d’extraire le CO2 des carbonates. Pour autant qu’on ne fasse pas fondre la roche, il y demeure. (Il secoua la tête.) C’était stupide. Ils n’ont fait ça que parce qu’ils le pouvaient. Des canaux. Je ne crois pas aux canaux.
— Donc, pour toi, ça n’était pas la bonne technique de terraforming.
— Juste. (Il soutint paisiblement son regard.) Je crois au terraforming tel que nous l’avons défini à Dorsa Brevia. Toi aussi, tu étais d’accord. Pour autant que je m’en souvienne.
Elle secoua la tête.
— Non ? Mais les Rouges, eux, ils ont signé ?…
Elle acquiesça.
— Eh bien… pour moi, c’est la bonne solution. Je te l’ai déjà dit. Surface viable jusqu’à une certaine altitude. Et au-dessus, une atmosphère ténue et froide. Il faut procéder lentement. C’est ça, l’ecopoésis. Aucune de leurs nouvelles méthodes industrielles lourdes ne me plaît. Je veux bien accepter un peu d’azote importé de Titan. Mais rien du reste.
— Et les océans ?
— Je ne sais pas. Tu vois ce qui se passe sans pompage ?
— Et la soletta ?
— Je ne sais pas non plus. Le surplus d’insolation permet de diminuer le recours aux gaz industriels. Ou d’autres méthodes. Mais… nous aurions pu nous en passer. Je pense que les miroirs de l’aube étaient suffisants.
— Mais tout cela ne dépend plus de toi désormais.
— Non.
Ils restèrent silencieux un moment. Ann semblait réfléchir intensément. Sax observait son visage parcheminé en se demandant depuis combien de temps elle n’avait pas eu de traitement. Ursula le conseillait tous les quarante ans minimum.
— J’avais tort, dit-il enfin.
Il essaya de suivre le cheminement de sa pensée. C’était une question de formes, de géométries, d’élégance mathématique. Le chaos de recombinaison en cascade. La beauté est la création d’un étrange aimant.
— Nous aurions dû attendre avant de démarrer. Quelques décennies, pour étudier l’état primitif. Nous aurions appris comment procéder. Je ne pensais pas que les choses changeraient aussi vite. Mon idée originale était plus proche de l’écopoésis.
Elle plissa les lèvres.
— Mais maintenant il est trop tard.
— Oui. Je suis désolé. (Il ouvrit la main et examina sa paume. Toutes les lignes étaient là, identiques.) Tu devrais refaire le traitement.
— Je ne le suis plus.
— Oh, Ann… Ne dis pas ça. Est-ce que Peter le sait ? Nous avons besoin de toi. Je veux dire… nous avons besoin de toi.
Elle se leva sans un mot et sortit.
Le projet suivant de Sax était plus complexe. Si Peter était confiant, ceux de Vishniac étaient réservés. Sax s’expliqua du mieux qu’il pouvait. Avec l’aide de Peter. Et les objections des autres ne furent plus que des détails pratiques. Trop important ? Engagez plus de Bogdanovistes. Impossible de faire ça discrètement ? Vous n’avez qu’à couper le réseau de surveillance. La science, c’est la création, leur déclara Sax. Ça, ça n’est pas de la science, mais de l’ingénierie, le contra Peter. Mikhail acquiesça, mais il aimait cet aspect-là. L’écosabotage : une branche de l’ingénierie écologique. Très difficile à mettre en place. Il n’y a qu’à engager les Suisses, dit Sax. Ou les mettre au courant. De toute façon, la surveillance, ils n’aiment pas ça. Prévenez Praxis.
Les choses commençaient à prendre forme. Mais il leur fallut attendre encore longtemps avant de redécoller à bord d’un avion spatial. Cette fois, ils montèrent au-dessus de la stratosphère, puis plus haut encore. À vingt mille kilomètres au-dessus, ils se retrouvèrent à proximité de Deimos. En orbite de rendez-vous.
La gravité de la petite lune était si faible que la manœuvre ressembla plus à un amarrage qu’à un apontage. Jackie Boone, qui avait participé au projet, surtout pour rester près de Peter, pilotait l’avion. Durant l’approche, Sax eut une vue parfaite de Deimos. La surface noire était couverte d’une fine couche de régolite poussiéreux – tous les cratères étaient presque enfouis et leurs rebords n’apparaissaient que comme des ondulations. Deimos était oblongue, irrégulière, composée de plusieurs facettes arrondies. C’était quasiment un ellipsoïde triaxial, se dit Sax. Près du centre du cratère Voltaire, il découvrit un antique atterrisseur robot, les patins enfoncés dans le sol, ses nacelles et ses entretoises de cuivre ternies par la poussière.
Ils avaient décidé de se poser sur l’une des crêtes qui séparaient deux facettes, là où la roche à nu émergeait de la couverture de poussière. Les crêtes étaient d’anciennes cicatrices de spallation[68] où des impacts avaient arraché des fragments de la petite lune. Jackie les posa en douceur sur une crête située à l’ouest des cratères Voltaire et Swift. L’évolution orbitale de Deimos était fixée par les courants de marée, comme c’avait été le cas de Phobos (ce qui était pratique pour leur projet), et le point submartien servait de degré zéro à la fois pour la longitude et la latitude, ce qui était très sensé. La crête où ils allaient aborder était située près de l’équateur, à 90° de longitude. À dix kilomètres de marche du point submartien.
Durant leur approche, la rebord de Voltaire disparut sous l’horizon noir et courbe. Dès qu’ils déclenchèrent les fusées, la poussière s’éleva. La couche n’était heureusement épaisse que de quelques centimètres sur la roche. De la chondrite carbonacée vieille de cinq milliards d’années. Ils se posèrent avec un bruit sourd, rebondirent et glissèrent lentement. Sax pouvait sentir le plancher, mais le contact était à peine perceptible : il ne devait plus peser que deux kilos tout au plus.
D’autres fusées se posèrent à leur tour sur la crête, de chaque côté, soulevant des gerbes de poussière dans le vide où elles dérivèrent avant de retomber. Tous les appareils rebondirent avant de glisser dans la poussière. En moins d’une demi-heure, il y en eut huit sur la crête, formant une file entre les deux horizons. Le spectacle était étrange : les coques arrondies luisaient comme de la chitine sous la clarté chirurgicale du soleil à nu, dans le vide de l’espace qui rétrécissait les distances en soulignant les formes. Une image venue d’un rêve.
Chaque avion spatial avait embarqué un composant du système. Des robots de forage, des robots broyeurs et des perceurs de tunnel. Ils devaient aménager des galeries de vidange pour l’eau des veines de glace qu’ils allaient faire fondre. Une usine de traitement pour séparer l’eau lourde, qui représentait un six-millième de l’eau ordinaire. Une autre usine destinée à extraire le deutérium de l’eau lourde. Un petit tokamak[69] qui devait fonctionner en réaction de fusion deutérium-deutérium. Enfin, des fusées de manœuvre qui se trouvaient surtout à bord des appareils qui s’étaient posés sur les autres faces de la petite lune.
Les techniciens bogdanovistes qui avaient accompagné le matériel se chargeaient de la majeure partie du travail d’installation. Sax s’introduisit dans une combinaison pressurisée, franchit le sas et débarqua sur la surface de Deimos. Il voulait vérifier que l’avion qui avait chargé les fusées de manœuvre destinées à la région Swift-Voltaire s’était bien posé.
Les grandes bottes chauffantes de la combinaison étaient lestées, et il en était heureux : la vitesse de fuite gravifique, ici, excédait à peine vingt-cinq kilomètres par heure, ce qui voulait dire qu’il suffisait d’un grand bond pour échapper à l’attraction de Deimos. Il était difficile de conserver son équilibre. À chaque pas, il soulevait un nuage dense de poussière noire qui montait jusqu’à ses hanches avant de retomber très lentement au sol. Il vit des rochers éparpillés sur la couche de poussière, surtout dans les petites poches creusées par le souffle de leurs fusées. L’ejecta avait sans doute fait plusieurs fois le tour de Deimos après l’impact. Il ramassa une pierre. Une balle de base-ball noire. Envoie-la à la bonne vitesse, fais demi-tour, attends qu’elle fasse le tour du monde, rattrape-la à hauteur de poitrine. Un nouveau sport.
L’horizon n’était qu’à quelques centaines de mètres et se modifiait à chaque pas – des cratères, des crêtes de spallation, des rocailles nichées dans la couche de poussière. Il observa les gens debout sur la crête, entre les avions. Ils avaient tous un angle différent du sien, ils semblaient penchés alors qu’ils étaient droits. Comme dans Le Petit Prince. La vue était d’une netteté surprenante. Il observa les empreintes de ses bottes. Les nuages de poussière en suspension allaient décroissant en direction de la crête.
Peter sortit du sas et vint à sa rencontre, suivi de Jackie. Peter était le seul homme qui eût jamais vraiment attiré Jackie. Elle tournait autour de l’objet de son amour, en une orbite désespérée. Et Peter, selon Sax, était bien le seul homme qui n’eût jamais répondu aux avances amoureuses de Jackie. Perversité du cœur. Tout comme l’attrait que lui, Sax, avait éprouvé pour Phyllis, cette femme qu’il n’avait jamais supportée. De même que son désir d’être approuvé par Ann, alors même qu’il jugeait folles ses conceptions. Alors même qu’elle le haïssait. Mais il y avait sans doute un fond de rationnel dans tout cela. Si quelqu’un tourne autour de vous, il faut s’interroger sur son jugement. Ou quelque chose de ce genre.
Pour l’heure, Jackie suivait Peter à la trace. Malgré leurs visières, Sax devinait à ses gestes qu’elle lui parlait, qu’elle essayait de le séduire. Il passa sur la fréquence commune et surgit dans leur conversation.
— … pourquoi on les a baptisés Voltaire et Swift, disait Jackie.
— Parce que l’un et l’autre avaient prédit l’existence des lunes de Mars. Dans des livres qu’ils avaient écrits un siècle avant que quiconque observe réellement les lunes de Mars. Dans Les Voyages de Gulliver, Swift donne même leur distance par rapport à la planète et leurs rotations. Il n’était pas tombé loin.
— Tu plaisantes !
— Mais non.
— Mais comment il a pu faire ça ?
— Je l’ignore. Un coup de chance, je pense.
Sax s’éclaircit la gorge et dit :
— Une séquence.
— Quoi ? firent-ils ensemble.
— Vénus n’a pas de lune, la Terre en a une et Jupiter quatre. Donc Mars devait en avoir deux. Comme on ne pouvait pas les distinguer au télescope, elles devaient être petites, probablement. Et très proches de la planète. Donc, elles tournaient très vite.
Peter répondit en riant :
— Swift devait être un type très malin.
— Ou celui qui l’a renseigné. Mais ça reste une question de chance. La séquence étant une coïncidence.
Ils s’arrêtèrent sur une nouvelle crête de spallation. De là, ils pouvaient apercevoir le cratère Swift, au ras de l’horizon. Un petit avion-fusée gris était posé sur la poussière noire. À cette distance, c’était comme un mirage. Mars occupait presque tout le ciel, orange et vaste. La nuit s’avançait sur le croissant oriental. Ils étaient juste sous Isidis. Même si Sax ne parvenait pas à distinguer Burroughs, il repéra les grandes taches blanches des plaines du nord. Là, les glaciers avaient fusionné pour former des lacs de glace, avant-coureurs d’une future mer de glace. Oceanus Borealis. Une couche de nuages ondulée dérivait au-dessus du sol, et lui rappela soudain la Terre, telle qu’ils l’avaient vue depuis l’Arès. Un front froid descendait de Syrtis Major. Et la formation nuageuse était exactement ce qu’elle aurait été sur Terre dans les mêmes conditions. Condensation cyclique d’agrégats lobaires.
Il quitta la crête pour retourner vers les avions. Les lourdes bottes lui avaient permis de rester debout, mais à présent il avait les chevilles douloureuses. C’était comme s’il avait marché au fond de l’océan. L’océan Univers. Il se courba vers la poussière. Il enfonça ses doigts jusqu’à dix, vingt centimètres, mais la couche pouvait aussi bien faire cinq, dix mètres, peut-être plus. Les nuages qu’il soulevait à chaque pas retombaient en une minute à peu près. Le régolite était si fin qu’il aurait pu rester en suspens indéfiniment dans n’importe quelle atmosphère. Mais dans le vide de l’espace, les particules retombaient normalement, comme toute chose. De l’ejecta sous une gravité proche du zéro. D’un coup de pied, on pouvait envoyer de la poussière dans l’espace. Franchissant une autre crête, il se retrouva brusquement sur la plaine en pente, de l’autre côté de la facette. Il était évident que la petite lune de Mars était façonnée comme un outil du paléolithique, dont les facettes avaient été taillées par des coups anciens. Un ellipsoïde triaxial. Curieux que son orbite fut à ce point circulaire, l’une des plus parfaites du système solaire. Ce n’était pas vraiment ce que l’on pouvait attendre, que Deimos fut un astéroïde capturé ou un ejecta arraché à Mars lors d’un important impact météoritique. Pour laisser quoi ? Un très ancien prisonnier sur orbite. Avec d’autres corps sur d’autres orbites, qui régularisaient son mouvement. Cassure. Cassure. Spallation. Le mot était tellement beau. Dans l’océan de l’espace, des rocs s’affrontaient, se heurtaient. Des fragments arrachés volaient au loin. Jusqu’à retomber sur la planète ou se perdre dans les profondeurs du vide. Sauf deux. Sur des milliards. Bombe lunaire. Stand de tir. Ils tournaient juste un peu plus vite que Mars, si bien que de n’importe quel point de la surface on pouvait les voir dans le ciel durant soixante heures d’affilée. Pratique. Ce qui est connu est plus dangereux que l’inconnu. Peu importait ce que pouvait en dire Michel. Sax foulait la roche vierge d’une lune vierge, l’esprit vierge. Le Petit Prince. Les avions dressés sur l’horizon paraissaient absurdes. Des insectes surgis d’un rêve, chitineux, articulés, colorés, minuscules sous le noir étoilé de l’espace, le fond de poussière. Il remonta dans le sas.
Plusieurs mois après, alors qu’il se trouvait seul dans Echus Chasma, les robots de Deimos ayant achevé la construction, le démarreur au deutérium déclencha le moteur de propulsion. Mille tonnes de fragments de roche éclatée furent éjectées à chaque seconde, à une vitesse de deux cents kilomètres par seconde. Ils fuyaient dans le plan orbital, selon la tangente de l’orbite. Au bout de quatre mois, quand la moitié environ de la masse de Deimos aurait été ainsi expulsée, le moteur serait coupé. La petite lune se trouverait exactement à 614.287 kilomètres de Mars, selon les calculs de Sax. Elle échapperait alors totalement à l’influence de la planète pour redevenir un astéroïde libre.
Dans le ciel nocturne, elle apparaissait comme une pomme de terre grisâtre, moins lumineuse que la Terre ou Vénus, si l’on oubliait la comète qui jaillissait de ses flancs. Une vision spectaculaire. La nouvelle allait se propager sur les deux mondes. Scandaleux ! Il y aurait des controverses au sein même de la Résistance, où il y avait toujours deux factions. Hiroko allait très vite s’en lasser et repartir pour son territoire, il le sentait. Il voyait comment les choses allaient se passer. Oui, non, quoi, où ? Qui a fait cela ? Pourquoi ?
Ann l’appela. Sur son bloc de poignet, elle avait l’air furieuse.
— C’était une parfaite plate-forme de tir, lui dit Sax. Ils auraient pu la transformer en base militaire, comme Phobos. Nous aurions été sans défense.
— Alors tu n’as fait ça que sur la simple supposition qu’on pourrait en faire une base militaire ?
— Si Arkady et son équipe ne s’étaient pas occupés de Phobos sur une simple supposition, nous n’aurions pas pu nous en tirer. Nous aurions tous été tués. En tout cas, les Suisses ont entendu dire que ça allait venir.
Elle secouait la tête en le dévisageant comme s’il était fou. Un saboteur dément. L’hôpital se moquant de la charité, se dit-il. Il la regarda droit dans les yeux. Quand elle coupa la communication, il haussa les épaules et appela les Bogdanovistes.
— Les Rouges ont un… un catalogue de tous les objets en orbite autour de Mars. Nous allons avoir besoin d’un système de lancement surface-espace. Spencer nous aidera. Il y a les silos de l’équateur. Les moholes désactivés. Vous me comprenez ?
Oui, dirent-ils. Pas besoin d’être un expert scientifique en fusées. Et si ça recommençait, on ne les frapperait plus depuis l’espace.
Quelque temps après, mais il n’avait pas mesuré le temps, Peter apparut sur le petit moniteur du patrouilleur-rocher que Sax avait emprunté à Desmond.
— Sax, je suis en contact avec quelques amis qui travaillent sur l’ascenseur, et avec l’accélération de Deimos, les périodes d’oscillation d’esquive du câble ont été déréglées. Il semble que lors du prochain passage orbital, Deimos pourrait entrer en collision avec l’ascenseur, mais mes amis ne parviennent pas à obtenir une réponse de l’IA de navigation du câble. Apparemment, les circuits de protection ont été renforcés en prévention du sabotage, et ils n’arrivent pas à faire entrer le concept d’un changement de vitesse de Deimos. Est-ce que tu aurais des suggestions ?
— L’IA peut se débrouiller.
— Quoi ?
— Introduisez les données de Deimos. Elle doit au moins accepter ça, de toute façon. Et elle est programmée pour éviter la collision. Dirigez son attention sur ces données. Expliquez ce qui s’est passé. Faites-lui confiance.
— Lui faire confiance ?
— Oui, parlez-lui.
— On essaie, Sax. Mais le programme antisabotage est réellement efficace.
— Elle calcule les oscillations pour éviter Deimos. Aussi longtemps que ça demeurera dans ses fonctions, ça ira pour vous. Donnez-lui les nouvelles données.
— OK. On va essayer.
La nuit était venue et Sax sortit. Il erra dans l’ombre, sous la gigantesque falaise du Grand Escarpement, dans la région immédiatement au nord de l’endroit où Kasei Vallis brisait la paroi. En japonais sei signifie étoile, et ka, feu. Etoile de feu. C’était la même chose en chinois, huo étant la syllabe que les Japonais prononcent ka, hsing étant sei. Mot chinois pour étoile de feu qui brûle dans le ciel : Huo Hsing. On prétendait que Ka était le nom que les petits hommes rouges donnaient à leur planète. Nous vivons sur le feu. Sax semait des petites graines dures dans le sable, juste sous la surface de la faille. Bois de fer épineux. Johnny Fireseed. Un bip sur son bloc de poignet. Il commuta la voix sur son intercom tout en continuant à semer les petites noix en évitant soigneusement de marcher sur les laîches et autres pousses qui couvraient le sol comme autant de coussins de poils noirs.
Peter avait un ton excité.
— Sax, Deimos arrive sur eux, maintenant, et il semble que leur IA ait pris en compte le fait qu’elle n’est pas sur son orbite habituelle. Ils disent qu’elle a ruminé le problème. Dans leur secteur, les fusées de correction d’attitude se sont déclenchées un peu plus tôt, et on espère vraiment que c’est tout le système qui réagit.
— Est-ce que vous pouvez calculer l’oscillation ?
— Oui, mais l’IA est récalcitrante. C’est une saloperie de machine bornée – les programmes de sécurité sont étanches. Il n’y a que par des calculs indépendants qu’on peut se rendre compte que ça va passer tout juste.
Sax se redressa et tapa quelques données sur son bloc. La période orbitale de Deimos avait démarré à 109.077 secondes. Le moteur de poussée : environ un million de secondes, durant lesquelles il avait accéléré la petite lune d’un taux sensible, mais en élargissant aussi le rayon de son orbite… Il continua à tapoter sur son bloc dans le silence absolu. Habituellement, quand Deimos passait à proximité du câble de l’ascenseur, il se trouvait à l’extension maximale de son oscillation dans ce secteur, à quelque cinquante kilomètres de distance, suffisamment loin pour que la perturbation gravitationnelle soit prise en compte dans l’ajustement des fusées du câble. Cette fois, l’accélération et le déplacement vers l’extérieur de Deimos annuleraient tout le timing. Le câble se rapprocherait en fait du plan orbital de Deimos. La solution était par conséquent de ralentir l’oscillation de Clarke et de la réajuster pour toute la longueur du câble. Un travail compliqué. Guère étonnant que l’IA n’ait pas été en mesure de montrer en détail ce qu’elle faisait. Il était probable qu’elle était entrée en contact avec d’autres IA pour améliorer ses capacités de calcul. Les formes de cette situation : Mars, le câble, Clarke, Deimos, étaient vraiment magnifiques.
— OK. Elle arrive, annonça Peter.
— Est-ce que tes amis sont au niveau orbital ? demanda Sax, surpris.
— Ils sont en dessous, à deux cents kilomètres environ, mais leur cabine monte. Ils m’ont relié à leurs caméras, et… Oui, je la vois… Oui ! Waouh, Sax ! Elle a dû louper le câble de trois kilomètres, pas plus ! Elle est passée comme un éclair sur mon écran !
— Et la queue d’ejecta du moteur ?…
— Je vais demander… Oui, ils l’ont passée. Pas de dommages à signaler.
— Bien.
Sax coupa la communication. Encore quelques passages et Deimos serait au-dessus de Clarke, et le câble n’aurait plus à l’esquiver. Entre-temps, et pour autant que l’IA de navigation croie au danger, comme maintenant, tout irait bien.
Sax était partagé à ce propos. Desmond avait dit qu’il serait heureux de voir retomber le câble. Mais peu nombreux étaient ceux qui étaient d’accord avec lui. Sax avait décidé d’éviter toute action unilatérale dans cette affaire, puisqu’il n’avait aucune certitude quant à ce lien avec la Terre. Mieux valait limiter ses actions unilatérales aux choses dont il était certain. C’est pourquoi, se penchant en avant, il planta une nouvelle graine.